Blanche-Neige et les Sept Nains : Entretien avec Lella Smith, directrice créative de l'Animation Research Library des Walt Disney Studios
Article Animation du Jeudi 29 Octobre 2009

L'Animation Research Library des Walt Disney Studios conserve bon nombre de dessins originaux et d'objets divers ayant servi à la production des classiques Disney. Un fonds que Lella Smith a parcouru de nouveau pour nous parler de l'histoire de Blanche-Neige et les Sept Nains, qui inspire toujours les artistes d'aujourd'hui.

Par Jérémie Noyer

Comment expliquez-vous le triomphe planétaire de Blanche-Neige et les Sept Nains?

Pour moi, la raison en est que Walt Disney a été capable de donner à ses personnages tant de sentiment, avec une telle sincérité et une telle humanité que l'on ne peut s'empêcher de se sentir proche d'eux. Vous savez, ce fut un défi de taille pour tous ces artistes car ils n'avaient pratiquement dessiné que des animaux auparavant et il leur était difficile d'exprimer de telles émotions. Ils ont donc passé des heures et des heures à développer les personnages pour les rendre vraiment humains, de sorte que l'on puisse se sentir lié à eux. Par exemple, après avoir dessiné des chiens ou des chevaux tombant d'une falaise, ils se sont posé la question de savoir comment traduire cela avec un personnage humain. Contrairement au cartoon, les humains pouvaient mourir, et cela change tout le rapport aux personnages. Je pense également que ce succès vient des changements apportés à l'histoire originale. On a parfois critiqué Walt pour cela, mais je pense que grâce à lui, Blanche Neige et les Sept Nains est devenue une meilleure histoire. Par exemple, il y a le fait que Blanche Neige devienne la belle-fille de la reine, plutôt que sa fille, comme c'est le cas dans la version des frères Grimm. Je ne connais pas assez la version "film muet" pour pouvoir la comparer avec le dessin animé, mais si on le compare avec le conte, c'est très parlant.
Je sais par exemple que dans la version du conte, Blanche Neige devait avoir sept ans et donc avoir la reine pour mère. C'est alors que Walt Disney a dit qu'il ne pouvait pas raconter une histoire dans laquelle Blanche Neige serait tuée par sa propre mère. C'est ce genre de modifications qui a fait que le public a pu se sentir davantage connecté à l'histoire. Vous savez, la reine de la version original meurt dans d'atroces douleurs après avoir dancé avec des chaussures dans lesquelles ont été mis des charbons ardents. C'est Walt qui a décidé de faire tomber la reine d'une falaise juste avant que Blanche Neige soit réveillée par son prince, de sorte qu'on puisse vraiment célébrer cet amour naissant entre eux deux. L'histoire n'en est que plus efficace.

Les animateurs ont pour partie puisé leur inspiration dans des films de référence tournés pour l'occasion avec de vrais acteurs...

Walt Disney s'était frotté à cette technique auparavant, mais quand il a fallu travailler sur Blanche Neige, avec tous ces personnages humains, il y a plus largement fait appel. Rappelez-vous que les animateurs de Disney avaient plutôt l'habitude de dessiner des animaux. Quand on commence à dessiner une main de vraie jeune fille, vous devez vraiment savoir ce que vous faites. C'est ainsi que l'idée a surgi de faire appel à quelqu'un comme Ed Collins, en lui demandant de venir au studio pour danser et bouger comme les nains, et ce devant les artistes. C'est donc ce qu'ils ont fait. Et il est particulièrement intéressant de noter que Freddie Moore a emporté le film chez lui, cette nuit-là, qu'il l'a passé au ralenti, puis l'a accéléré, puis de nouveau au ralenti et de nouveau accéléré et c'est comme cela que les animateurs ont véritablement pris conscience du squash and stretch. C'est à ce moment qu'ils ont compris que, lorsqu'on fait un geste comme étendre le bras, cela demande toute une série d'actions et de réactions. On raconte que, quand il est revenu le lendemain, il y avait une telle différence dans l'animation du personnage que tout le monde a été émerveillé et qu'on a alors su qu'il était possible d'animer les nains de façon totalement convaincante. Parmi les modèles, il y avait bien sûr l'adorable Marge Champion. Elle était particulièrement belle, et elle l'est toujours, tandis qu'elle vient d'avoir 90 printemps! Elle dansait sur une scène en faisant bouger sa robe, ce qui permettait aux artistes de voir et de comprendre le mouvement. Elle a également aidé à définir les mouvements de Simplet tandis qu'elle portait un long manteau. Je précise que les artistes n'utilisaient pas ces films pour les copier. Uniquement comme référence. Ils ont utilisé ses mouvements de danse comme source d'inspiration. Cela a permis de vraiment améliorer le film du point de vue des mouvements humains. Ne dites jamais à ces artistes qu'ils ont animé sur les films comme on le fait dans la technique du rotoscope. Cela les mettra dans une colère noire car ce n'est pas du tout le cas! Ils utilisent ces films purement pour la référence, l'inspiration, et pour comprendre comme un tissu bouge ou un gros ventre…. C'est très important. Quand vous tournez brusquement la tête, elle rebondit en sens inverse. C'est cela le squash and stretch. C'est dans cette mesure que les films de référence ont eu un impact certain sur le film.

En quoi Blanche Neige et les Sept Nains a pu inspirer les créateurs et animateurs de La Princesse et la Grenouille?

Déjà, ils viennent souvent consulter nos archives et voir nos dessins. Particulièrement nos story sketches car ils adorent voire comme fonctionne la création d'une histoire. Dans leur film, ils voulaient retrouver l'esprit des aquarelles de Bambi et de Blanche Neige et les Sept Nains. Cette façon qu'ont les décors de Bambi de sembler inachevés, tout en vous donnant toutes les informations dont vous avez besoin pour comprendre l'histoire et percevoir l'atmosphère. Il me semble également que, pour La Princesse et la Grenouille, ils se sont inspirés de La Belle et le Clochard en raison des détails de l'architecture de la Nouvelle Orléans. Nous sommes très fiers du fait que pour ce film, les réalisateur John Musker et Ron Clements ont pu aller voir John Lasseter pour lui dire qu'ils voulaient créer un nouveau conte de fée, qu'il ressemble à un conte de fée, et lui demander de leur permettre de le faire en animation traditionnelle. Il a été d'accord et a donné son feu vert. Nous en sommes vraiment ravis, et les artistes également. Certains artistes sont même revenus chez nous et nous enchantés de retravailler de nouveau de cette façon.

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