Exclusif : Bioshock 2 - Dans les coulisses d'une aventure sous-marine : Entretien avec le directeur créatif Thomas Jordan
Article Jeux Vidéo du Jeudi 05 Aout 2010

Bioshock 2 est désormais disponible au prix de 20 euros !

20 000 lieux sous les mers

Plus de deux ans après la sortie d'un premier volet très réussi, Take Two nous invite à nouveau à arpenter la cité sous-marine de Rapture. La décadence atteint de nouveaux sommets, et seul le courage vous permettra de survivre à la solitude de cette dystopie et aux créatures qui s'y tapissent. Bienvenue en enfer...

Par Pierre-Eric Salard. Remerciements à Gwendoline Oliviero !

Revenons sur les événements du premier volet. 1960. Alors que l'avion transportant le personnage incarné par le joueur, Jack, vole au-dessus de l'Atlantique, un incident se produit. Malgré les efforts des pilotes, le véhicule s'abime au beau milieu de l'océan. Mais le destin réserve de nombreuses surprises. Seul survivant de la catastrophe, Jack découvre un phare près des restes fumants de l'avion - qui s'enfonce à jamais dans les profondeurs de la grande bleue. Il y découvre un bathyscaphe, dont le point de chute est Rapture, une cité sous-marine en décomposition. Au cours de ses pérégrinations, le joueur apprend que cette la ville est le produit d'un rêve utopique de l'homme d'affaires Andrew Ryan. Afin de s'affranchir des règles politiques, économiques, scientifiques et religieuses des gouvernements, ce dernier a secrètement construit en 1946 cet havre de paix. Cette liberté conduit à de grandes avancées technologiques, dont celles élaborées par le Docteur Tenenbaum, qui découvre les étonnantes propriétés du matériel génétique de mystérieuses limaces aquatiques. Grâce à l'Adam, les citoyens de Rapture peuvent bénéficier de sciences inédites, telles la régénération des tissus et le recodage du génome humain. Les Plasmides permettent ainsi d'acquérir des pouvoirs surhumains. Mais à force de jouer aux apprentis sorciers, les responsables de Rapture ouvrent la boite de Pandore. A l'occasion du jour de l'an 1959, un concurrent d'Andrew Ryan initie une révolte qui va dévaster l'utopique cité. Ses partisans abusent des Plasmides et ne deviennent plus que des ombres d'êtres humains : les Splicers . Parallèlement, le Docteur Tenenbaum découvre que l'Adam peut être plus facilement récolté en implantant les limaces dans le corps de fillettes. A l'aide des « Big Daddies », des hommes génétiquement améliorés et programmés, portant d'impressionnants scaphandres, les « Little Sisters » commencent à arpenter la cité dévastée afin de récolter de l'Adam. Le décor est posé. C'est dans ces conditions que Jack devra lutter pour sa survie...



L'océan des rêves

A sa sortie sur Xbox 360 et PC, en août 2007, Bioshock surprend les joueurs, les critiques et toute l'industrie vidéoludique. Malgré un développement chaotique, les studios 2K Games accouchent d'un jeu novateur, alliant le gameplay d'un jeu de tir en vue subjective (FPS/First Person Shooter pour les intimes) et des éléments de jeu de rôle avec un design et une ambiance art-déco. L'accueil tant critique que public du jeu est très enthousiaste, et Bioshock devient rapidement l'un des jeux vidéo les plus primés de l'histoire. La réussite incombe principalement au game designer Ken Levine, qui a osé le mélange des genres pour accoucher d'une oeuvre unique. Lorsque le production du second volet est lancée, Levine décide de s'attaquer à un projet novateur et délaisse son rôle, qui sera attribué à Thomas Jordan, level designer sur le premier opus. Développé par 2K Marin en collaboration avec le studio français Arkane, Bioshock 2 est sorti le 9 février 2010 sur Xbox 360 et Playstation 3. Plus de 150 personnes, réparties entre les équipes de 2K Marin, 2K Australie, 2K Chine, Digital Extremes et Arkane, ont participé au développement du jeu. Bioshock 2 se déroule dix ans après le premier volet, dans les années 1970. Le cité sous-marine est dans un état d'abandon encore plus avancé que lors de notre première visite. Cette fois-ci, nous incarnons le prototype des « Big Daddies », le « Sujet Delta ». Le personnage pourra simultanément utiliser l'impressionnante foreuse de ces fameux Protecteurs, ainsi que de nouveaux Plasmides. Afin de récupérer de l'Adam, il faudra se débarrasser des autres « Big Daddies » et récupérer leurs « Little sisters ». Mais dans l'ombre, la mystérieuse Sofia Lamb vous surveille. Et il faudra compter sur l'apparition des « Big Sisters », les ennemies les plus redoutables que vous croiserez dans les lugubres corridors de Rapture...

Des Splicers et des hommes



Entretien avec le directeur créatif Thomas Jordan et la productrice Melissa Miller

Melissa, quel est le rôle d'un producteur de jeux vidéo ? Quel a été votre travail sur BioShock 2 ?

Melissa Miller : Un producteur de jeux vidéo gère l'équipe de développement afin de s'assurer qu'elle livrera le produit à temps, en respectant le budget et une certaine qualité. En réalité, il existe de nombreux types de producteurs sur un projet : certains se concentrent sur la gestion des équipes et du budget, d'autres sont plus impliqués dans la gestion quotidienne des différentes disciplines qui existent au sein d'une équipe. Néanmoins, tous les producteurs ont pour objectif de résoudre les différents problèmes inhérents à ce type de production. Je pense que le meilleur moyen de mesurer votre degré de réussite est de compter le nombre de problèmes résolus (rires). Dans mon cas, sur BioShock 2, j'ai travaillé avec l'équipe du studio Digital Extremes, qui s'est occupé du mode multijoueur. Je viens du monde de l'édition (vidéoludique) ; j'ai donc beaucoup d'expérience au niveau de la collaboration avec des développeurs tiers. J'ai passé beaucoup de temps sur place, travaillant directement avec Digital Extremes afin d'établir une cohérence entre le mode solo, développé par 2K Marin et 2K Australia, et le mode multijoueur conçu par Digital Extremes.



Thomas, vous vouliez travailler dans l'industrie du cinéma. Qu'est-ce qui vous a convaincu de travailler dans l'industrie des jeux vidéo ?

Thomas Jordan : J'ai été attiré par les jeux vidéo car je les considérais comme une nouvelle forme d'art, avec ses propres moyens de narration... et ses pièges. En fait, il s'agissait d'un processus inconscient ; les jeux m'ont invités dans un « monde de poche », conçu comme une antithèse aux lois de la réalité. Et puis, j'ai toujours été un grand geek, qui aime visiter des endroits impossibles. J'ai d'abord travaillé en tant que scénariste avant de réussir à sécuriser mon premier véritable emploi de level designer (création de niveaux dans un jeu vidéo) dans une société appelée Amaze. De là, j'ai obtenu un emploi chez Ion Storm Austin pour travailler sur le troisième volet de la saga vidéoludique Thief (en tant que level designer d'une mission se déroulant dans un asile). Puis; plus tard, j'ai été promu Lead Designer. Finalement, on m'a offert la chance de faire un peu de level design sur BioShock en collaboration avec les studios 2K Boston et 2K Australie. Enfin, on m'a proposé le poste de directeur créatif sur BioShock 2.

Pouvez-vous présenter votre travail sur le premier opus? Comment cela vous a-t-aidé pour votre nouveau poste ?

J'ai travaillé sur une séquence appelée Fort Frolic où le joueur est retenu par Sander Cohen, une sorte de « savant fou », un génie artistique auto-proclamé qui a perdu la tête et qui exige qu'on lui vienne en aide afin de terminer son chef-d'œuvre. L'arc narratif du personnage de Sander Cohen est magistral ; je pense qu'il s'agit d'une des meilleures idées de Ken Levine (le directeur créatif du premier volet). Mon travail a donc consisté à lui donner vie à travers sa présentation, et l'ambiance du niveau. Notre intention était de faire en sorte que le joueur ait l'impression de faire partie d'un spectacle musical qui se déroule autour de lui ; une sorte d'art participatif. Ainsi, Cohen vous piste avec un projecteur et vous invite dans une sorte de ballet violent, et ainsi de suite. Je pense que le fait d'avoir travaillé directement avec les outils de BioShock, en tant que concepteur de niveaux, m'a permis de savoir jusqu'où ces derniers pouvaient être poussés. Cela s'est avéré être un avantage lorsque je discutais de l'implémentation d'un moment-clé de la narration avec les designers et créateurs de niveaux de BioShock 2. J'ai toujours respecté les dirigeants qui écoutent leurs équipes ; j'ai donc essayé d'en devenir un moi-même.

Passage de relais

Pensez-vous que Ken Levine est le véritable père de la franchise BioShock, comme nous pourrions le dire d'un réalisateur de film ?

Absolument. Le monde de Rapture est une vision originale de Ken, et a en outre été façonné par une brillante équipe qu'il a assemblé à Boston et en Australie. Lorsque nous avons engagé de nouveaux artistes et développeurs pour Bioshock 2, nous avons cherché à assembler une équipe aussi brillante que le précédente. Comment pourrions-nous autrement élaborer un jeu BioShock novateur ?

Comment comptez-vous imprimer votre propre style à ce second opus ?

Pour être honnête, mon premier objectif était simplement traiter le nom et l'univers de Bioshock avec respect. Je ne vois pas BioShock 2 comme une opportunité de le réinventer pour le bien de mon ego. Je voulais prolonger de façon significative la saga et surprendre les joueurs grâce à des concepts rafraichissants - sans pour autant sacrifier la tonalité très particulière et l'intégrité du jeu original ! Je vous laisse décider si nous avons réussi (rires) !

Quel est le secret pour doser correctement le mélange entre gameplay et scénario ?

Il n'y a pas de formule magique dans BioShock. Il faut d'abord minimiser le fossé entre les connaissances du joueur et celles du personnage. En tant que Jack dans le premier jeu, ou en tant que « Sujet Delta » dans Bioshock 2, vous débutez la partie dans le mystère le plus total ! Nous ne vous précisons pas, par exemple, que « vous êtes John Slab, un flic rénégat et alcoolique qui voyage dans le temps et qui possède un chien qui parle » (rires). Vous êtes l'auteur de vos propres aventures ; vous découvrez l'identité de votre personnage en jouant, tout simplement. Plus précisément, dans BioShock 2, nous vous donnons l'occasion de façonner l'histoire à travers vos décisions. Mais nous nous efforçons aussi de rendre aussi clair que possible pourquoi tel choix conduit à tel résultat. Il s'agit d'un système de narration ouvert. Cette transparence conduit à un sentiment d'unité entre votre intention et le résultat. C'est en tout cas notre objectif.

Comment prévoyez-vous de réinventer BioShock, et non d'offrir une simple extension au premier volet ?

Je dirais que BioShock 2 offre sensiblement plus de liberté au joueur. Ce dernier peut influer sur la narration et créer son propre style de jeu. Vous êtes libre de vos choix, et vous devrez prendre un certain nombre de décisions difficiles. Chacune de ces décisions influera sur la manière dont l'histoire se déroulera. C'est plutôt rare pour un jeu de tir... et nous sommes fiers du résultat ! Nous avons également apporté de profondes améliorations au gameplay du jeu, que ce soit pour l'aspect jeu de tir ou le côté simulation. L'intelligence artificielle prend davantage en compte l'environnement des niveaux. Vos ennemis peuvent vous prendre à revers, ramasser des objets et vous les jeter en pleine face – voire même s'attaquer entre eux si le besoin s'en fait sentir (rires). Le système de combat, à base d'armes à feu et de plasmides, est bien plus puissant. Vous avez la possibilité d'investir massivement dans vos armes favorites, qui deviennent alors plus spectaculaires au fil du temps...

Le héros du premier opus est presque devenu une figure messianique. Pourquoi ce choix ?

Eh bien, dix ans se sont écoulés depuis le premier jeu, et les Splicers ont évolué en vase clos. Les évènements sont compris d'une manière encore plus subjective dans Rapture qu'à la surface du globe. Les Splicers savent que Jack a tué Andrew Ryan et les a abandonnés - mais pas pourquoi. Sofia Lamb, votre ennemie dans Bioshock 2, est une expert en psychiatrie - et a délibérément mythifié l'histoire de Rapture et manipulé les Splicers afin qu'ils servent sa cause collectiviste. C'est tout ce que je peux vous dire sans révéler des évènements majeurs de l'histoire du jeu...

Cette suite contient également les éléments d'une préquelle. Pourquoi ce choix? Pourquoi ne pas simplement créer une préquelle ?

Une préquelle à Bioshock pourrait très bien devenir un jeu complètement différent de l'original – ce serait peut-être même pas un jeu de tir ! Or nous sentions qu'il y avait un mélange réussi entre action et solitude dans BioShock. Un mélange qui exige que le monde autour de vous reflète un pourrissement du système, et non l'aspect sain d'une métropole animée où tout va bien. Cela ne serait pas très stimulant ! Le mode multijoueur, cependant, nous a offert une occasion unique : pouvoir recréer fidèlement la guerre civile qui a détruite Rapture, entre 1959 et 1960. Ces événements précèdent ceux du premier jeu. Quelle meilleure façon d'exprimer la frénésie insensée de ce monde sous-marin décadent que de faire affronter de vrais joueurs ?

Pourquoi le Big Daddy «Rumbler» n'a pas été inclus dans le premier jeu ?

Visuellement, c'était un beau design. Mais il ne correspondait pas, concrètement, au niveau de qualité voulu pour BioShock. Ainsi, pour le second volet, nous avons retenu les grandes lignes de son design... et complètement remanié ses fonctionnalités. Il est maintenant le Big Daddy que je préfère combattre, bien que la toute nouvelle Big Sister reste mon « bébé » : elle est venue à la vie d'une manière dont je suis particulièrement satisfait.

Pouvez-vous nous expliquer en quoi a consisté la participation du studio français Arkane ? Pourquoi avez-vous eu besoin de leur contribution ?

Arkane a participé au level design et au travail d'architecture sur plusieurs des séquences les plus frappantes, visuellement, de BioShock 2. Nous les avons contacté parce que nous étions en manque d'effectifs, à l'époque, et parce que j'ai énormément de respect pour leur direction artistique. J'apprécie également leur capacité à retranscrire l'atmosphère du jeu à travers le design.

Le moteur du jeu est-il toujours basé sur l'Unreal Engine 3 ? A-t-il été amélioré ? Comment expliquez-vous le succès de ce moteur ?

En réalité, le moteur est une version fortement modifiée du Unreal Engine 2.5, mais nous avons fait certains progrès depuis le premier jeu, tels que l'intégration des outils de shader 3.0 (pour le rendu) et un système sophistiqué d'animation faciale qui nous a permis d'inclure quelques gros-plans sur les citoyens de Rapture dans BioShock 2.

Pourquoi avez-vous décidé d'ajouter un mode multijoueur, qui était absent dans le jeu original ?

Eh bien, comme je l'ai dit plus haut, le mode multijoueur s'est avéré être le moyen idéal pour faire vivre la guerre civile de Rapture d'une manière convaincante. Nous avons également pensé à l'énorme potentiel que représente le gameplay de BioShock : grâce à la combinaison entre les armes à feu et les plasmides, les modes de jeu en équipes promettent des batailles frénétiques ! Surtout si vos adversaires sont aussi habiles que vous l'êtes (rires) ! D'un autre côté, ce mode multijoueur possède une véritable histoire. Elle narre les obsessions personnelles des citoyens de Rapture, qui luttent constamment pour leur survie dans un monde en pleine dégénérescence. Chacun des personnages commentera les évènements, et vous pourrez apprendre davantage à leur sujet grâce à des journaux audio.

Si l'adaptation cinématographique de BioShock (qui devait être originellement réalisée par Gore Verbinski) finit par obtenir le le feu vert, qui serait selon vous le réalisateur idéal ? Pensez-vous que le scénario doit être une adaptation fidèle du jeu ou raconter une histoire alternative ?

Je ne crois pas qu'il existe un réalisateur idéal. La vision du monde de Rapture est intensément subjective ; des talents différents la retranscriraient de diverses manières. L'histoire du premier volet est tout à fait représentative d'une narration vidéoludique. Je dirais que le scénariste du film devra faire un sérieux travail d'adaptation ! Bon courage à l'âme courageuse qui osera ce saut de la foi (rires) !

Enfin, quelles sont vos sources d'inspirations dans le cinéma, les séries et les jeux vidéo ?

Au cinéma, si je devais citer quelques influences : Stanly Kubrick, Steven Soderbergh, David Fincher et Hayao Miyazaki. À la télévision, j'apprécie plusieurs séries qui sont devenues cultes avec le temps : Le Prisonnier, Twin Peaks, The X-Files, ainsi que toutes les oeuvres de Joss Whedon (Buffy, Angel, Firefly, Dollhouse...). Dans le milieu des jeux vidéo, je suis un grand fan des œuvres de Valve (Left 4 Dead, Half-Life 2, Portal), Bethesda (Fallout 3) et Bioware (Mass Effect, Dragon Age : Origins). Left 4 Dead m'a immédiatement séduit. Fallout 3, quant à lui, ne m'a pas laissé indifférent - c'était presque une expérience spirituelle ! Plus récemment, j'ai adoré les modes coopératifs de Resident Evil 5 et Borderlands (en particulier le premier contenu téléchargeable de ce dernier, Zombie Island). Les développeurs de ces deux jeux, respectivement Capcom et Gearbox, méritent des applaudissements pour leurs modes de jeu en coopération - ce qui est encore trop rare. Je leur dédie de gros calins virils (rires) !



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