Des français et des courts : Entretien avec le réalisateur et monteur Michael Guerraz
Article Cinéma du Mardi 15 Juin 2010

Au cours du mois de juin 2010, la chaîne Orange CinéChoc diffuse chaque mercredi deux des dix épisodes de treize minutes du Cinéma dans le Sang. Proposée par Guillaume Albert et Michael Guerraz, cette excellente série documentaire dresse le portrait d'une générations de trentenaires, biberonnée à la VHS, Evil Dead ou encore l'oeuvre de John Carpenter. Nous nous sommes entretenus avec Michael Guerraz, co-réalisateur de cette série documentaire, monteur et réalisateur de court-métrages, dont Building Blues, Contacts et Spirale...

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ? Quelle formation avez-vous suivi ?

J’ai suivi un cursus spécialisé dans les arts plastiques depuis le collège jusqu’en première année d’une école des Beaux-Arts. Par la suite, j’ai pu venir sur Paris faire une école audiovisuelle privée, d’où je suis sorti il y a 10 ans maintenant.

Quelles sont vos influences et inspirations ?

Depuis mon enfance, en matière de cinéma, comme en roman ou BD, j’ai une très nette préférence pour le fantastique et l’horreur. Cela n’est pas très original, mais les films qui ont eu le plus gros impact sur moi, lorsque j’étais plus jeune, ont été réalisés par Carpenter, Spielberg, Raimi, Cronenberg, Argento, Cameron etc… « Halloween » et « Evil Dead » m’ont marqué au fer rouge. Mais j’ai aussi beaucoup d’affection pour les films gothiques de la Hammer et ceux de Mario Bava que j’ai découvert au milieu de mon adolescence. Je reconnais qu’aujourd’hui ils peuvent paraitre désuets, mais ils ont un charme que j’ai du mal à définir avec précision. Ils m’envoûtent littéralement (rires) ! Je ne remercierais jamais assez Jean-Pierre Dionnet pour m’avoir fait découvrir la plupart de ces films, comme « Six femmes pour l’assassin » dans son émission « Cinéma de quartier ». Ma grand mère écoutait beaucoup de livres audio et avait une préférence pour les histoires à suspens ou surnaturelles. C’est par ce biais que, très jeune, j’ai découvert la nouvelle du « chat noir » d’Edgar Allan Poe. Plusieurs années plus tard, je me suis plongé dans les autres nouvelles fantastique de Poe avec le même plaisir, tout comme celle du « K » de Dino Buzzati. Par la suite, le « Dracula » de Stoker et certains livres de Stephen King, Dean Koontz, Clive Barker et bien sûr Lovecraft m’ont également marqués.

J’adore les univers visuels des artistes comme Helnwein et plus encore Giger. Près de vingt ans plus tard, je me souviens encore de la forte impression que j’ai ressenti en découvrant leurs œuvres, à la fois fortes, parfois violentes mais toujours d’une grande beauté plastique. Enfin, sans être très pointu en BD, je suis fasciné par le travail d'Enki Bilal, surtout « Partie de chasse » et « la trilogie Nikopol » qui me paraissent être ses travaux les plus aboutis et riches thématiquement. J’ai également été émerveillé par la somptueuse série, très romantique, de « Sambre » de Yslaire. Impossible de ne pas évoquer les œuvres d’Alan Moore, « From Hell » en tête. En outre, je suis un inconditionnel des séries de Marini (« Rapaces », « L’étoile du désert », « Le scorpion » et « Gypsy ») et des trois superbes tomes de « Blacksad » de Canales et Guarido. Je suis curieux de voir ce que le producteur Thomas Langmann, qui détient les droits de plusieurs de ces BD, va en faire.

Vous avez débuté en tant qu'électricien de plateau. Qu'est ce qui a motivé votre envie de vous reconvertir dans le montage ?

Je suis devenu électricien de plateau plutôt par hasard. À la fin d’un stage prolongé chez la chaîne musicale MCM, on m’a proposé d’être électricien sur une émission récurrente, toujours éclairée par Audrey Dilant, une chef opératrice qui m’a appris toutes les bases. Ce travail sur la lumière est passionnant. J’ai donc travaillé sur des émissions ainsi que sur des courts. Cependant, j’avais quand même un peu de mal à travailler régulièrement. En parallèle, chez moi, je faisais des petits montages et quelques bricolages sous After Effects. Un peu par hasard, un ami m’a proposé de faire du montage sur un film institutionnel. Mon travail a bien plu, et tout est parti de là. Peu à peu, j’ai arrêté de faire mon travail d'électricien pour me consacrer pleinement au montage. Même si j’ai adoré travailler sur les plateaux, je me suis rendu compte que mon caractère se mariait sans doute mieux avec le rythme de la post production.

Pouvez-vous nous présenter votre travail de monteur ? En quoi cela consiste-t-il ?

Un monteur est essentiellement la personne qui, sous la supervision du réalisateur, donne la forme définitive à un projet tout en lui apportant un regard neuf. Dans la pratique, il sélectionne ou rejette certaines images tournées et tente de trouver un rythme et une écriture. Son travail est un peu différent selon le type de projet. Généralement, en fiction, on suit un scénario. La forme globale, le déroulement de l’histoire, est donc pratiquement décidée à l’avance. En principe, on commence par faire un bout à bout de toutes les séquences prévues dans le scénario avec les prises choisies par le réalisateur sur le tournage. Bien sûr, il est rare qu’un film ressemble trait pour trait à son scénario (rires). Le tournage imposant systématiquement des compromis, il est fréquent que des scènes ne marchent pas aussi bien à l’image que sur le papier ; ce type de scènes seront généralement évincées du montage final. Parfois, pour éviter les redondances, le monteur choisit d’éliminer une scène contenant une information qui a déjà été assimilée par le spectateur, ou bien déplace une scène prévue beaucoup plus tard dans le scénario pour une meilleure gestion de l’information. Ce qui m’a toujours fasciné, c’est que l’étape du montage ressemble étrangement à celle de l’écriture du scénario : on retaille, on affine, on déplace, on confronte ou on rapproche… La seule différence c’est qu’en montage, on travaille sur un matériau préexistant.

En documentaire, le rôle du monteur est peut-être même encore plus actif, plus prégnant. Il s’agit vraiment d’une étroite relation entre le réalisateur et le monteur. Ensemble, ils doivent trouver des points d’accroche entre les différentes interviews et définir le fil rouge qui sera au centre du documentaire et lui donnera sa forme finale. Bien évidemment, un documentaire est rarement écrit comme un scénario de fiction. En principe, sur le tournage, le réalisateur a orienté ses questions pour favoriser ces points d’accroche. Mais ça ne marche pas toujours : les intervenants peuvent parfois ne pas répondre exactement à la question, ou leur réponse est trop vague, pas très compréhensible, trop longue ou trop brève etc... Il faut avoir une bonne connaissance des réponses des personnes interrogées pour commencer à travailler.

A quels documentaires avez-vous participé ?

J’ai monté plusieurs documentaires aux sujets variés comme les enfants hyperactifs, la restauration de la flèche de la cathédrale de Strasbourg, le récit des civils pris entre les feux Allemands et Américains lors du débarquement en Normandie ou encore la description des différentes religions qui co-existent en Malaisie etc… Sur le plan de ma petite culture générale, ces projets m’ont été très bénéfiques. J’ai aussi monté les documentaires de Guillaume Albert « Je rêvais d’être un Jedi » sur le phénomène des FanFilms, ainsi que la série de documentaires « Les yeux dans l’écran » qui aborde la création à travers les nouveaux médias (Internet, blogs vidéos, films de poche). Ces projets m’ont passionné car ils étaient précisément au centre de mes intérêts : la saga Star Wars, les courts-métrages et les nouvelles technologies. Et puis travailler avec Guillaume Albert a été très agréable. Même si on n’a pas systématiquement les mêmes goûts, on a la même attitude et la même approche du travail. Nous avons donc ensuite co-réalisé la série documentaire du « Cinéma dans le Sang »...

Qu'est ce qui vous a amené a monter l'un des segments du Jour de la Comète, un film fantastique français prévu pour l'année prochaine ?

Je connais les réalisateurs Cédric Hachard et Sébastien Milhou depuis une dizaine d’années à présent. Nous nous sommes mutuellement aidés sur plusieurs courts-métrages, à différents postes, et ils étaient carrément impliqués dans la fabrication de mon court-métrage « Spirale ». Je me suis donc retrouvé naturellement sur le montage de l'un des trois épisodes du « Jour de la Comète », « Virgin eaters from outer space », réalisé par Cédric. Le montage a été assez plaisant à faire car il s’agit d’un style de films que j’aime beaucoup. Cédric n’hésite pas à couvrir une scène importante sous plusieurs axes. Ce genre de réalisation permet plusieurs possibilités au montage et rend l’opération intéressante.

Comment avez-vous travaillé en collaboration avec les monteurs des deux autres segments ?

Nous n’avons pas été directement en relation les uns avec les autres. Cédric supervise le montage général et il fait le lien entre toutes les personnes impliquées dans la post production. Cependant, nous allons bientôt arriver à une étape intéressante : la relecture collective. Au bout d’un moment, les réalisateurs et les monteurs n’ont plus de recul sur leur montage, surtout quand ce travail prend des années. Nous allons donc regarder le film complet et tenter, les uns et les autres, d’identifier les éventuels points faibles de chaque épisode ou du rythme global du film.

Vous avez également signé plusieurs court-métrages. Pouvez-vous nous les présenter ?

J’ai commencé par réaliser deux petits courts pour comprendre le processus complet. En 2003, Nathalie Lao, ma compagne, et moi avons écrit « Building blues » pour un concours de scénario, organisé par la Ville de Paris, sur les violences familiales. Nous sommes partis du principe qu’on ne connaît pas vraiment ses voisins. Comment réagirait-on si on entendait des actes de violences chez notre voisinage ? Nous avons greffé quelques codes du film noir et du thriller à cette idée. Nous n’avons pas réussi à terminer le scénario à temps, mais nous nous sommes dits que ce projet pouvait être mis en boite assez facilement avec des moyens réduits.

Building Blues from Michael Guerraz on Vimeo.



Le film a bien marché dans les petits festivals et nous a encouragé à mettre sur pied un autre petit court, « Gare à l’amour », une comédie romantique muette traitée à la manière d’un western spaghetti et qui se déroule sur le quai d’une gare.

Gare à l'amour from Michael Guerraz on Vimeo.



Quelque temps auparavant, j’ai rencontré le scénariste Olivier Dreux qui est devenu, par la suite, un ami. Ensemble, nous avons développé plusieurs scénarii, quasiment tous relatifs au cinéma de genre. Ce qui nous a conduit à développer « Spirale », un conte macabre gothique. À la base, c’était un petit slasher que je souhaitais rapidement tourner en DV. Mais au fil des réécritures, le court est devenu plus ambitieux et intégrait maquillages spéciaux, effets visuels, costumes, petites cascades, tournages en forêt de nuit, déco, etc… Réaliser ce film n’a pas été une sinécure, mais mais cela a été passionnant... et surtout une véritable école ! Le court est essentiellement une auto-production, avec des sponsors et des aides en nature, mais aussi un apport privé de Thierry Kermorvant via sa société de production Tek-Ker, et co-producteur du film aux cotés de Forge.

Spirale (teaser) from Michael Guerraz on Vimeo.



Pendant la longue post-production de « Spirale », j’ai réalisé deux films faits en 48 heures pour le festival du même nom : la comédie policière « La méthode douce » et « les ordures » une comédie d’espionnage, toujours écrites par Olivier. On sortait du tournage de « Spirale », qui était complexe et harassant, et ces deux courts ont été une vraie récréation. D’autant plus que l’équipe était composée d’amis, des précieux collaborateurs, qui me suivent régulièrement dans ces aventures. Et j’avais déjà travaillé avec les comédiens, que j’apprécie particulièrement.

La méthode douce from Michael Guerraz on Vimeo.



Les ordures from Michael Guerraz on Vimeo.



Enfin, Nathalie et moi avons remporté le prix du scénario au festival de Grenoble, qui débouchait sur une aide financière et matérielle pour réaliser le court en super 16 avec une copie en 35mm à la clé. Nous avons donc tourné « Contacts », un drame familial teinté de fantastique que nous avons terminé quelques mois avant « Spirale »... alors qu’il a été tourné deux ans après (rires) !

Contacts (bande annonce) from Michael Guerraz on Vimeo.



Quels sont vos projets futurs ?

Je m’apprête à réaliser un petit court, une sorte de variation autour des codes du giallo qui est un sous genre que j’affectionne particulièrement. Olivier Dreux et moi avons signé un contrat avec une société de production pour développer le court-métrage « Argile », un huis clos, à la lisère de l’étrange, entre une vieille dame aveugle et un jeune modèle. Olivier met aussi actuellement la dernière main sur le scénario d’un long-métrage, « la nuit du papillon ». C’est une sorte de mélange entre le drame familial et le thriller avec une pointe d’horreur et pas mal d’humour noir. Enfin, avec Guillaume Albert, nous sommes en train de développer d’autres projets de documentaires sur le cinéma, mais aussi sur d’autres domaines, notamment médicaux…….

Retrouvez le site et le blog de Michael Guerraz.

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