[Flashback] Entretien exclusif avec Kevin Feige, Président des Studios Marvel & producteur d’Iron Man 2
Article Cinéma du Jeudi 25 Juillet 2019

Alors qu'Avengers Endgame vient de devenir le plus gros succès de l'histoire du cinéma (si l'on ne prend pas en compte l'inflation), devant Avatar, nous vous proposons de retourner à l'aube du MCU, avec cette interview originellement publiée en 2010. A une époque où les Avengers n'étaient encore qu'une promesse, et non une réalité..

Kevin Feige a débuté en tant que producteur associé sur le premier X-Men (2000), première grosse production tirée d’un titre de la maison d’édition Marvel. Le film est si bien accueilli que cela incite Avi Arad, alors PDG de Marvel, à engager Feige pour travailler à ses côtés à Hollywood, sur les autres adaptations cinématographiques des superhéros maison. Pendant les six années suivantes, les deux hommes collaborent à la production de films financés et distribués par les grands studios qui ont acquis les droits des personnages de Marvel : les Spider-Man et Ghost Rider sont produits par Sony, les 4 Fantastiques, X-Men, Elektra et Daredevil par la Fox et le premier Hulk par Universal. En 2005, le nouveau PDG de Marvel, David Maisel, met en place les sources de financement qui permettent à la division de la compagnie que sont les studios Marvel de financer eux-mêmes leurs productions, en ne passant que des accords de distribution avec des studios comme Paramount (pour les films en prises de vues réelles) et Lionsgate (pour les longs métrage animés sortant en DVD). Désormais indépendants, les Studios Marvel rachètent les droits de Hulk à Universal (échaudé par le flop de l’adaptation d’Ang Lee) et ceux d’Iron Man, (qui avaient errés d’Universal à New Line en passant par la Fox), et produisent tour à tour Iron Man, puis L’incroyable Hulk. Soucieux de préserver le patrimoine de la société, et ne de pas répéter les erreurs commises par certains studios qui se sont trop éloignés de l’esprit des BD originales, les studios Marvel réussissent un beau doublé, qui remporte un grand succès critique et publique. Les fans des comics apprécient les références aux histoires fondatrices de ces personnages et les touches de modernité judicieuses, tandis que le grand public est séduit par la qualité de l’interprétation et de la réalisation. On s’attend donc à ce que Marvel poursuive seul cette route fort prometteuse. Pourtant, fin 2009, c’est le coup de théâtre : Disney, unique studio hollywoodien à ne pas produire de films de superhéros, rachète Marvel pour la modeste somme de…4 milliards de dollars. Comme on ne change pas une équipe qui gagne, Kevin Feige est promu président des Studios Marvel. C’est à ce titre, et aussi en tant que co-producteur d’Iron Man 2, qu’il a répondu à nos questions. Nous avons bien entendu entamé cet entretien en évoquant ces récents bouleversements, et tous les projets actuels et futurs des Studios Marvel.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La première question que nous avons envie de vous poser concerne bien sûr l’acquisition toute récente de Marvel par Disney. Qu’est-ce que l’intervention de Disney va changer concrètement pour les fans des adaptations des BD Marvel au cinéma ? Allez-vous bénéficier de budgets plus élevés pour vos prochaines productions, par exemple ? Est-ce que cela signifie aussi que vous allez produire désormais deux films de superhéros par an ?

Eh bien, sur ce dernier point, nous allons en effet atteindre cet objectif en 2011, comme c’était prévu depuis un moment. En ce qui concerne les budgets des films, très franchement, je les trouve déjà assez élevés tels qu’ils le sont actuellement ! Et j’irais même jusqu’à dire que je ne suis pas sûr de vouloir qu’ils deviennent plus importants par la suite. Notre mission aujourd’hui reste la même qu’avant l’acquisition de la compagnie par Disney : nous voulons produire les meilleurs films possibles, et satisfaire pleinement les fans avec chacun de nos nouveaux projets, en veillant à ce qu’ils respectent fidèlement l’esprit des bandes dessinées originales. En ce qui concerne la première partie de votre question, plusieurs des hauts responsables de Disney ont déclaré qu’en achetant Marvel, ils avaient l’intention de procéder comme ils l’ont fait avec Pixar , c’est à dire en laissant les équipes compétentes agir comme elles le faisaient auparavant.

La dernière fois que nous avons eu l’occasion de parler, vous nous aviez dit être un grand fan de parcs à thème. A ce propos, que va t’il advenir de la superbe aire Marvel Superhero Island du parc Universal Islands of Adventures, inauguré en 1999 en Floride ? Le site va-t’il pouvoir évoluer et présenter de nouvelles attractions, ou va t’il rester figé en attendant que le contrat signé avec Universal arrivent à son terme ?

Je dois vous avouer que je l’ignore. Je pense que tout ce qui a été signé avec Universal reste valable et que tous les termes du contrat seront respectés. Bien évidemment, compte tenu de l’expertise de Disney en matière de parcs à thème, nous bénéficions à présent de perspectives exceptionnelles. Imaginez toutes les attractions qui pourraient être créées ici en Californie, ou dans les autres parcs Disney du monde. Je pense que voir les personnages Marvel apparaître dans des aires dédiées des parcs Disney serait extraordinaire.

Avez-vous déjà eu l’occasion de rencontrer les responsables de Walt Disney Imagineering au sujet de projets d’attractions ou de parcs entiers consacrés aux personnages Marvel ?

Vous savez, j’ai eu à peine le temps de rencontrer ma femme et mon fils, qui a six mois,  ces derniers temps! (rires) J’ai eu tellement de travail avec le tournage d’ Iron Man 2 et la préparation de Thor que je n’ai guère eu le temps de faire autre chose…

Etes-vous déjà en train de réfléchir avec Pixar à un film d’animation en 3D complète qui serait consacré à des personnages Marvel ? On avait entendu cette rumeur l’année dernière, à propos du projet Ant-Man…

Je suis sûr que nous aurons l’occasion de collaborer avec Pixar dans le futur, mais pas pour le moment. La rumeur concernant Ant-Man qui a circulé sur le web était totalement fausse. Pendant les prochaines années, nous allons nous focaliser sur les productions en prises de vues réelles qui étaient déjà prévues de longue date.

La Fox a annoncé récemment qu’elle allait produire une nouvelle version des 4 Fantastiques, suite à l’échec du film précédent. Pensez-vous qu’il y ait l’ombre d’une chance que quelqu’un, un jour, fasse ENFIN ce qu’il conviendrait de faire, c’est à dire une adaptation fidèle des histoires écrites par Stan Lee et somptueusement dessinées et co-écrites par Jack Kirby dans les années 60 ? C’est un des plus beaux chefs d’œuvres de Marvel, et le traiter dans un style mi-sixties, mi-futuriste marcherait merveilleusement bien…

Ecoutez…Vous m’ôtez littéralement les mots de la bouche..car je ne pourrais pas être davantage en accord avec vous ! (rires) C’est exactement ce que je ferais, mais les droits d’adaptation des 4 Fantastiques appartiennent toujours à la Fox. J’ai appris comme vous qu’ils avaient décidé de produire un « reboot » de cette série, avec de nouveaux acteurs et une nouvelle équipe. Mais je ne sais absolument pas dans quelle direction ils vont décider d’aller.

Avant de parler d’Iron Man 2, faisons un point sur les projets Marvel en cours. Comment la production de Thor progresse t’elle ? Quelles sont les impressions de tournage dont vous pouvez nous parler ?

Eh bien, j’ai le plaisir de vous dire que tout ce que vous évoquiez concernant les 4 Fantastiques de Stan Lee et Jack Kirby s’applique dans les mêmes termes à Thor ! On pourrait dire que c’est le Thor de Jack Kirby que l’on tourne en ce moment même. Alors que nous parlons, je me trouve dans les studios Raleigh Manhattan Beach, en Californie, et nous sommes maintenant arrivés à la moitié du tournage. De tous les films que nous avons produits jusqu’à présent, c’est celui dont le style visuel s’inspire le plus de ce que le grand Jack Kirby avait dessiné dans les années 60. Le film en lui-même est basé à la fois sur le travail de Stan Lee et Jack Kirby, réalisé dans les années 60, ainsi que sur celui de Walt Simenson, qui date des années 80. Nous avons gardé aussi quelques éléments des histoires que J. Michael Straczynsky a écrites récemment. J’ai vraiment hâte que nous puissions vous montrer les premières photos des personnages des Asgardiens dans leurs costumes. Il s’agit peut-être du plus beau travail jamais réalisé sur une adaptation de BD Marvel, et je pourrais en dire autant à propos des décors, qui sont à couper le souffle.

Parlons de Captain America que va réaliser Joe Johnston : avez-vous trouvé l’acteur qui tiendra le rôle principal et celui qui incarnera son ennemi nazi, Red Skull ?

Pas encore, mais nous y sommes presque !  Ce que je peux vous dire, c’est que 99,99% du film se déroulera dans le passé, et le reste dans le présent.

Parmi les films qui ont été annoncés, il y a une adaptation de  Shang-Shi, maître du Kung-Fu, que devrait réaliser Yuen Woo Ping, qui a supervisé notamment les combats de la trilogie  Matrix.  Shangi-Shi a la particularité d’avoir été conçu comme le fils rebelle, devenu justicier, du célèbre génie du mal Fu-Manchu. A l’époque, Marvel détenait les droits d’adaptation en BD du personnage maléfique créé par Sax Rohmer, mais est-ce toujours le cas ?

A vrai dire, je ne crois pas que nous détenons encore les droits de Fu-Manchu, malheureusement. C’est dommage, car c’est un personnage formidable. Mais je ne me suis pas intéressé à ce projet pour l’instant car il n’est pas encore en phase de développement actif.

Un mot à propos du personnage de cyborg Deathlok : est-ce que ce sera votre manière de vous approcher des ambiances post-apocalyptiques du récent Terminator Renaissance ?

Nous avions développé un script sur Deathlok qui se déroulait dans le présent, il y a quelques années de cela, et il était vraiment inscrit dans l’univers Marvel. Mais ce projet-là n’est pas non plus en développement pour l’instant.

Que diriez-vous si Tim Burton était prêt à réaliser les aventures du Dr Strange dans les dimensions parallèles ?

Je dirais « Wow, c’est formidable ! » (rires) Mais je crains que Tim Burton ne soit trop occupé dans le proche futur. Son dernier film a bien marché et je crois qu’il est déjà en train d’en préparer un autre. Dr Strange est l’un des projets que nous développons en ce moment, car nous avons envie d’ouvrir en grand les portes de la dimension mystique et surnaturelle de l’univers Marvel. Nous ne l’avions pas encore fait jusqu’à présent. Les spectateurs de cinéma ont fait connaissance avec nos superhéros, nos « super-humains » transformés par à la science, comme Iron Man et Hulk, et ils découvriront bientôt notre « super-soldat » Captain America, et notre demi-dieu cosmique qu’est Thor.  Mais grâce au Dr Strange, nous allons pouvoir explorer tout le patrimoine des histoires de Marvel dédiées à la magie. C’est très important pour nous, car nous avons publié des milliers de récits fantastiques pendant les 50 dernières années. Nous allons bientôt développer un script, et quand nous en serons satisfaits, nous rencontrerons différents réalisateurs pour en parler avec eux.

Que pouvez-vous nous dire de Ant-Man et des Avengers ?

Ant-Man est toujours en préparation. Il se trouve que j’en ai parlé hier avec Edgar Wright (le réalisateur de l’hilarante comédie « zombiesque » Shawn of the dead, NDLR). Il est en train de terminer la comédie Scott Pilgrim, qui va être un film étonnant. Nous étions justement en train de discuter avec lui du moment où il pourra se libérer pour venir travailler avec nous sur Ant-Man. En ce qui concerne The Avengers, nous sommes en pourparlers avancés avec plusieurs réalisateurs, et je pense que nous devrions être en mesure d’annoncer un nom dans les prochaines semaines.

Venons-en à Iron Man 2 : comment Jon Favreau a-t’il voulu aborder cette suite ? Le premier film était si réussi qu’il fallait trouver des moyens de le surpasser…

Oui, en effet ! Nous voulions non seulement le surpasser, mais explorer aussi d’autres aspects du personnage de Tony Stark, qui est l’un de nos héros les plus complexes. C’est justement ce qui est formidable dans une suite : on n’a plus besoin de raconter comment le personnage a acquis ses pouvoirs, ni d’où il vient, on peut passer à l’étape suivante et tirer parti de 50 années de parutions d’histoires d’Iron Man ! C’est aussi l’opportunité de perfectionner tout ce qui n’a pas été réussi à 100% la première fois. La majorité des scènes du premier épisode fonctionnait très bien, mais l’une des choses que nous voulions améliorer, c’était l’ampleur des séquences finales. Jon a d’ailleurs été le premier à dire qu’il souhaitait aller dans ce sens, et concevoir un final bien plus spectaculaire. Et je crois pouvoir dire sans trop m’avancer que c’est ce que nous avons réussi à faire, car ce que vous allez bientôt découvrir dans Iron Man 2 est d’un tout autre niveau. Un autre point qui nous semblait très important était de tirer toutes les conséquences des dernières images du premier épisode, quant Tony Stark passe outre les recommandations de ses conseillers, et révèle à la presse qu’il est Iron Man.  C’était un parfait coup de théâtre pour conclure le film, et nous ne voulions pas faire comme si cette déclaration typique du caractère de Tony Stark n’avait eu aucune conséquence par la suite. Iron Man 2 traite de toutes les répercussions de cette annonce et devient la base de tous les conflits qui surgissent au cours de cette nouvelle aventure.

Est-ce que le budget d’Iron Man 2 est nettement supérieur à celui du volet précédent ?

Oui. Sans citer de chiffres précis, cela tient au fait qu’il y a plus d’effets visuels, plus d’armures du côté des héros, plus de méchants qui en portent aussi, et plus de scènes d’action et de cascades. Les cachets des acteurs récurrents augmentent à chaque nouvel épisode et nous avons plus de stars qui incarnent des nouveaux personnages.

Pour revenir à ce que vous disiez à propos des conséquences de l’annonce de Tony Stark,  cette fois-ci, il affronte non seulement deux « méchants », mais aussi le gouvernement américain, qui lui réclame des comptes…

Exactement. Le gouvernement américain veut s’emparer des armures, en affirmant que cette technologie est trop avancée pour rester entre les mains d’une compagnie privée. Pour justifier cette démarche, il s’appuie sur des accords de développement de technologies passés jadis avec les industries Stark. Comme vous pouvez l’imaginer, et comme cela a souvent été le cas dans les bandes dessinées, Tony Stark doit se battre pour conserver l’entière propriété et le contrôle de l’usage de ses inventions, par crainte qu’elles ne tombent entre de mauvaises mains. Et les mauvaises mains en question sont celles des personnages joués par Mickey Rourke et Sam Rockwell…

Qu’avez-vous appris pendant le tournage et la post-production du premier Iron Man et quels changements avez-vous tenu à apporter de ce fait à la création de ce second volet ?

Je crois que les goûts de Jon Favreau dans le domaine des scènes d’action ont évolués. Nous avons également appris à mieux nous servir des vraies armures plutôt que des armures en 3D. Nous nous sommes rendus compte que nous pouvions avoir beaucoup plus d’opportunités de tourner avec Robert Downey Jr portant l’intégralité ou de grandes parties de l’armure d’Iron Man. Dans la plupart des plans du film, la moitié de son armure est vraie, et le reste est en 3D, et il est impossible de se rendre compte des points de jonction de ce mélange. ILM a fait un travail fantastique de restitution des plus infimes détails de textures, de brillances et de couleurs, en se basant sur les vraies armures fabriquées par Legacy Effects, qui sont entièrement nouvelles. Les vrais costumes sont utilisés bien plus souvent cette fois-ci.

Pourriez-vous nous donner des exemples de vos interventions dans la création du film, en tant que producteur, et nous dire quels ont été les conseils ou les suggestions que vous avez apportés ?

Notre attitude, au sein des Studios Marvel, consiste à nous impliquer étroitement dans chaque étape du processus de développement de chacun de nos films. Pour Iron Man 2, cela a commencé comme d’habitude lors de la première réunion dans notre salle de conférence. A ce moment-là, nous réfléchissons tous à voix haute en nous disant « Bon, qu’allons-nous montrer au cours de cette aventure ? Voici les différents synopsis d’histoires que l’on nous a soumis et dont nous avons parlé auparavant, voici une liste de méchants que nous aimons bien et que nous avons envie d’utiliser,  et une liste de lieux dans lesquels nous avons envisagé de situer l’intrigue… » En discutant ainsi de chacun de ces sujets, nous dessinons peu à peu une charte du film que nous avons envie de faire, en nous basant sur l’épilogue du film précédent et sur les histoires publiées par le passé. Ce processus qui a impliqué Jon Favreau, Robert Downey Jr, notre co-producteur Jeremie Latcham ainsi que Justin Theroux (co-auteur avec Ben Stiller du script de Tonnerre sous les tropiques, dans lequel jouait aussi R. Downey Jr, NDLR.), qui a écrit le scénario pour nous, a duré environ deux mois. Cela a été une collaboration passionnante. Mais il fallait éviter certains pièges. Au départ, c’est très facile de se dire que l’on va puiser tel et tel personnage dans la longue saga des BDs d’Iron Man, mais le risque que l’on court, c’est de vouloir mettre trop de choses dans l’histoire, de faire participer trop de personnages, et d’ajouter trop de scènes d’action parce que nous avons eu un budget très conséquent cette fois-ci, et parce que nous sommes assurés d’avoir le soutien initial des fans. On a vite fait de penser « Allons-y à fond ! », et si nous avions agi ainsi, cela aurait été une grave erreur.

Dans ce cas, quelles sont les règles que vous vous êtes imposées ?

En nous laissant le temps de la réflexion, nous nous sommes rendu compte que les intrigues des meilleures suites du cinéma fantastique sont souvent très simples : c’est notamment le cas de L’empire contre-attaque et tout particulièrement de Star trek II, la colère de Khan. On peut la résumer en quatre mots : « Khan veut se venger ». On ne peut pas faire plus limpide ! C’est ce qui nous a mis sur la piste du personnage qu’incarne Mickey Rourke, Ivan Vanko, que l’on connaît aussi sous le nom de Whiplash (littéralement « lacération de fouet », NDLR.) Nous voulions que les éléments de l’intrigue liés aux méchants soient aussi simples que possibles pour laisser les scènes de développement des personnages principaux prendre le dessus. Ce sont ces moments-là qui constituent l’essentiel du film.

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