Exclusif : Les effets visuels de PREDATORS - Entretien avec Chris Olivia, superviseur d’effets visuels et designer au sein de Troublemaker Digital Studios
Article Cinéma du Mardi 27 Juillet 2010

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelle a été votre formation avant que vous rejoigniez Troublemaker Digital Studios en  2002 ?

J’ai d’abord suivi les cours d’une école d’arts graphiques de Dallas, puis j’ai étudié l’animation 3D dans la même ville, ce qui m’a permis de trouver un travail au sein d’une société de création de jeux vidéo. J’ai travaillé sur différents développements de jeux pendant quelques années, puis j’ai été engagé par le studio Rythm and hues de Los Angeles, où j’ai pu me perfectionner dans l’animation de personnages. Ensuite, je suis revenu travailler pour mon ancien patron, Chris Roberts, au sein de Digital Anvil, à Austin au Texas, et c’est là que j’ai rencontré Robert Rodriguez, car il était associé à cette société. A cette époque, il travaillait sur le film THE FACULTY (1999). Peu après, il a rompu son association avec Digital Anvil pour fonder Troublemaker Digital Studios, et entamer la production de SPY KIDS, et il m’a proposé de venir travailler là-bas.

A cette époque, réalisiez-vous déjà toutes sortes d’effets visuels, en plus de l’animation de personnages ?

Oui. C’est l’un des avantage de la formation que j’ai suivie, car j’ai pu apprendre à faire toutes sortes de choses : des effets numériques, de l’animation, de l’éclairage d’environnements 3D et du compositing. Quand je travaillais dans l’industrie du jeu vidéo, je réalisais des scènes cinématiques tout seul, et cela m’a permis de mettre ces connaissances en pratique. Cela a été un bon exercice avant de passer aux effets visuels ajoutés aux prises de vues réelles. Quand je suis arrivé chez Troublemaker Digital Studios, j’ai travaillé sur la prévisualisation des grandes scènes d’action de SPY KIDS. La sortie du film ayant été décalée, nous avons pu bénéficier de près d’un an de préproduction, ce qui n’arrive plus jamais à l’heure actuelle, malheureusement. C’est ce qui nous permis de préparer sereinement plus de 1000 plans truqués pour SPY KIDS.

Quelle est la spécialité de Troublemaker Digital Studios ? Qu’est-ce qui différencie la société des autres studios d’effets visuels ?

C’est une petite société, une petite équipe d’artistes très créatifs. Nous travaillons de manière si étroite avec Robert que nous ne sommes pas seulement un studio d’effets visuels, au sens classique du terme. Nous nous occupons aussi de design, de prévisualisation, de dessins de préproduction, depuis la genèse d’un projet jusqu’à sa post-production. Nous sommes également impliqués dans le marketing puisqu’il nous est arrivé de travailler sur les affiches des films et les jaquettes des DVDs ! Nous sommes comme les roseaux qui ploient sous le vent : nous nous adaptons à tout ce que l’on nous demande de faire. Robert attend de nous que nous soyons en mesure de passer rapidement d’un projet à un autre, et aussi d’une tâche à une autre. Il arrive qu’il nous demande de préparer rapidement des illustrations pour aller présenter un projet à Hollywood. Ce qui est agréable, c’est que le style de ses projets change tout le temps. Ce n’est jamais répétitif ni monotone. Et  comme nous travaillons dans une petite enclave, loin de Los Angeles, nous fonctionnons de manière plus indépendante que les compagnies qui sont installées à Hollywood. Robert nous donne beaucoup de défis à relever, et c’est bien ainsi.

Ce qui signifie que chaque membre de l’équipe a, comme vous,  plusieurs cordes à son arc ?

Oui. Nous avons chacun des spécialités dans différents domaines, mais nous sommes tous pluridisciplinaires. Nous nous complétons tous très bien les uns les autres pour réaliser le travail que l’on attend de nous.

Comment le projet PREDATORS a-t’il débuté pour vous, et quelles sont les indications que Robert Rodriguez et Nimrod Antal vous ont donné à propos de l’aspect des effets visuels ? Quel style souhaitaient-ils leur donner ?

Je me souviens que nous travaillions sur un autre projet que Robert développait quant on nous a soudain annoncé que nous allions travailler sur PREDATORS. Tout le monde était ravi ! Nous avons immédiatement commencé à créer des designs, à partir de la première version du script que Robert nous avait donné. Il s’agissait de dessins de certaines scènes et de quelques uns des personnages principaux. A partir de là, muni de ces dessins, Robert est allé rencontrer différents réalisateurs, puisqu’il avait décidé très tôt qu’il ne réaliserait pas PREDATORS lui-même, mais qu’il en superviserait étroitement la production. Ces éléments graphiques lui ont permis de voir comment les gens qu’il rencontrait réagissaient au projet, et s’ils « accrochaient » ou pas. C’était une manière de les tester. Nimrod est venu passer une semaine au studio, afin que l’on se rende compte si l’on allait pouvoir bien travailler ensemble. Pendant cette semaine, nous avons produit entre 40 et 50 designs conceptuels à partir du script,…

50 concepts graphiques en une semaine ? C’est impressionnant !

Oui !

Est-ce que vous avez dormi pendant ces jours-là ?

Très très peu ! (rires) Nous n’avons pratiquement pas quitté nos bureaux ! Mais c’était un test très important pour tout le monde, à la fois pour nous, pour Robert et pour Nimrod. C’était un défi très excitant à relever pour impressionner la Fox. De plus, nous étions contents de collaborer avec un nouveau réalisateur. J’aime beaucoup Robert, mais à force de travailler avec lui, nous connaissons trop bien ses goûts. C’était intéressant d’entendre les suggestions de Nimrod, car il a des perspectives artistiques différentes. Quand Robert a vu que tout se passait bien, il nous a laissé travailler seuls avec Nimrod. Et comme tout a très bien fonctionné pendant cette fameuse semaine, Nimrod a été recommandé par Robert, et la Fox lui a confié  la réalisation de PREDATORS.

Quel était l’aspect que Robert Rodriguez et Nimrod Antal voulaient donner au film ? Voulaient-ils se rapprocher de celui du PREDATOR original réalisé par John McTiernan ?

Oui. L’histoire du film a beaucoup changé entre la première version du script et la version finale. Beaucoup de choses que nous avions dessinées au départ ont été coupées. Dans la première version du film, on décrivait davantage la planète des predators, l’action était un peu moins concentrée sur le groupe d’humains. Il y avait beaucoup, beaucoup de créatures de différentes sortes. C’était très excitant, mais bien trop ambitieux : le budget aurait explosé. Pendant que Nimrod retravaillait le script avec des scénaristes, nous nous adaptions aux modifications pour produire de nouveaux designs. Ces changements ont permis au film de ressembler davantage au PREDATOR original. La seule différence est technique, puisque nous avons utilisé des effets de maquillage et de l’animatronique , mais aussi des personnages 3D et des effets numériques, ce qui n’était pas encore possible à l’époque où John McTiernan a réalisé le premier épisode de la saga. Les instructions que l’on nous avait données – et je ne dis pas cela dans l’intention de dénigrer qui que ce soit – consistaient à nous éloigner le plus possible de ce qui avait été fait dans les deux films de la série ALIEN CONTRE PREDATOR. Je crois que personne n’a aimé l’aspect trop massif que les predators avaient dans ces deux films. Leurs armures étaient très épaisses, et encombrées de trop d’équipements. Nous avions le sentiment que tous ces éléments avaient été trop ornementés, qu’ils étaient inutilement complexes. Nous voulions revenir aux racines des personnages, et nous focaliser sur ce qu’ils sont, pour extrapoler autour des idées qui sont présentées dans le scénario. Les nouveaux predators sont sensés avoir été améliorés génétiquement pour être des super-predators. Nous avons donc commencé à réfléchir à l’aspect qu’ils pourraient avoir, et aux modifications qui pourraient avoir été apportées à leur physiques pour en faire des chasseurs encore plus redoutables. Mais sans avoir recours à des armures épaisses ni à des armes encombrantes…

Justement, à quel point l’aspect des trois nouveaux aliens – le responsable de la meute de chiens, le responsable du drone « faucon » et Mr Black - est-il différent de celui du predator original ?

Quand vous découvrirez leurs visages sous leurs masques, vous reconnaîtrez les caractéristiques des predators, mais représentées de manière plus sombre, avec des expressions plus maléfiques, si vous voulez. Ces visages ont un impact plus fort, à mon sens. On les perçoit immédiatement comme des nouveaux personnages, très distincts et très originaux. Greg Nicotero a fait un travail remarquable, et il a réussi à utiliser de nouvelles techniques qui rendent les predators plus expressifs qu’ils ne l’ont jamais été. Ils sont très en colère et très agressifs pendant la majeure partie du film, et on peut s’en rendre compte en voyant leurs visages !

Leur seule pensée doit être « Tuer, tuer, tuer ! »…

 (rires) Oui, c’est ça ! lls sont redoutables…et très énervés !

L’effet d’invisibilité, ou plutôt de camouflage, du predator avait été réalisé au moyen d’effets visuels optiques dans le film original. Comment l’avez-vous reproduit numériquement ? Etait-ce difficile à faire ?

Non, pas vraiment. Dans les films de la série AVP, ils avaient déjà reproduit cet effet numériquement de manière satisfaisante. Nous avons fait aussi notre travail de recherche et de développement à ce sujet. L’un des studios auxquels nous avons confié de nombreux trucages numériques, Hybride, a réalisé la plupart de ces plans d’après les effets de camouflage que nous avions conceptualisés et préparés à l’avance. Nous avons réalisé différents effets, des variations à partir de l’effet de camouflage original - certains très semblables, d’autres assez éloignés - afin de décider quel serait celui que nous allions utiliser dans le film. Pendant un moment, nous nous sommes demandés si nous allions avoir besoin de tourner ces plans en faisant bouger un acteur revêtu d’un costume vert dans les décors, comme cela avait été fait pour le premier PREDATOR, afin de récupérer un détourage de sa silhouette passant devant le paysage. Après y avoir bien réfléchi, nous avons décidé que nous n’avions pas besoin d’en passer par là, car nous disposions déjà de clones 3D de chacun des predators du film, que nous allions utiliser dans certaines scènes. Puisque nous pouvions animer et placer ces predators 3D aisément dans les prises de vues réelles, nous pouvions nous en servir pour produire les effets de silhouettes camouflées sans avoir à passer par l’étape qui consisterait à retoucher ces images en effaçant un acteur vêtu de vert. Les seules images réelles retouchées pour produire les effets d’invisibilité sont celles où l’on voit les predators incarnés par les acteurs enclencher le système puis « disparaître ». Quand l’effet commence, il ressemble à celui que l’on connaît déjà, puis le système de camouflage prend de la puissance et le predator devient alors quasi-invisible. L’idée est que la technique des predators a évolué depuis le premier film.

Quels effets visuels employez-vous pour donner à la jungle hawaïenne filmée pendant le tournage l’aspect de la planète qui est le terrain de chasse des predators ? De nombreux mattes numériques ? Des extensions virtuelles  des décors? Des plantes et de la végétation réalisées en images de synthèse ?

Nous employons toutes les techniques que vous venez de citer. Nous ne montrons cette jungle en plan très large, pour la différencier d’une jungle terrienne,  que quatre ou cinq fois dans le film. Le reste du temps, ce sont les décorateurs qui ont œuvré pour donner un aspect étrange aux décors naturels de Hawaï, en amenant sur place des végétaux que l’on n’y trouve pas habituellement, des feuillages différents. Et ils ont utilisé les mêmes méthodes lorsqu’ils ont recréé la jungle sur différents plateaux. L’une des séquences dont nous nous chargeons ici est un panoramique qui part de la vraie jungle pour révéler un paysage qui montre  bien que nous ne nous trouvons pas sur la terre. Cette scène a été réalisée avec plusieurs mattes numériques très élaborés.  Nous avons créé aussi certains éléments de la jungle en 3D, comme des extensions de décors ponctuelles.

Avez-vous animé des plantes carnivores, par hasard ?

Oui ! C’est même précisément sur ces effets que j’ai travaillé toute cette semaine ! Cette plante est sensée être carnivoire, mais je ne suis pas sûr qu’on la verra « en action » dans le film. Elle ressemble plus à une plante de notre préhistoire. Elle est légèrement animée, mais nous n’avons rien prévu d’outrancier à ce sujet. Elle se comporte comme une vraie plante carnivore « attrape-mouche » de type dionée. J’ai travaillé sur son animation jusqu’à 3h30 du matin cette nuit et c’est pour cela que j’étais un peu en retard pour cet entretien !

Vous êtes tout excusé. Avez-vous créé d’autres plantes en 3D ?

Celle-ci est la principale, mais nous avons eu à recréer en 3D des portions de décors tournés à Hawaï à partir de rien, dans certains plans.

Il y a beaucoup de cascades et d’effets réalisés sur le plateau dans le film. Pourriez-vous décrire les effets visuels que vous avez utilisés pour compléter les prises de vues réelles des séquences d’action ?

Le personnage que joue Adrian Brody fait une chute libre. Nous avons envisagé différentes techniques pour créer cet effet, y compris d’avoir recours à ces souffleries installées dans des tunnels verticaux, qui permettent aux gens d’éprouver les sensations d’un saut en parachute. En fin de compte, nous avons attaché Adrian Brody à des câbles, en le plaçant devant un fond vert, et utilisé des ventilateurs très puissants. Nous avons mélangé ces prises de vues et les images tournées lors d’un vrai saut en parachute, avec une doublure cascade. Nous sommes intervenus aussi sur des scènes où l’on voit des gens tomber du bord d’une falaise, ou tomber dans l’eau. Certains plans ont été tournés en studio avec les acteurs faisant une roulade sur un matelas vert, afin de les incruster plus tard dans l’image réelle des décors filmés à Hawaï. Dans d’autres cas, nous avons combiné différentes techniques au sein d’une même scène pour donner l’impression d’une continuité, alors que l’on passe de l’acteur filmé en plateau à la doublure cascade filmée à Hawaï.

Avez-vous placé les visages des acteurs sur les têtes des doublures cascade ?

Oui, nous l’avons fait dans trois ou quatre plans. Dont un plan où un personnage court à toute allure dans la jungle pour échapper à un danger imminent. Je ne peux pas être plus spécifique que cela sans révéler une des surprises du film.

Quels sont les effets « invisibles » que vous avez réalisés pour le film ?

Nous avons effacé beaucoup de câbles, beaucoup de grues de caméra, ainsi que les plateformes qui servaient de support aux éléments techniques de prises de vues ou aux équipements des cascades. Nous avons construit le décor du bâtiment du camp des predators à l’extérieur de nos studios, ici, et comme cette structure était exposée à la lumière solaire, nous avons placé une grande bâche noire au-dessus pour éviter les fuites de lumière naturelle et contrôler l’éclairage intérieur. Par la suite, nous sommes intervenus sur les plans tournés à l’intérieur de cette structure. Même si le décor était grand et très élaboré, pendant certains mouvements de caméra,  on révélait la grande bâche placée au-dessus du décor, ou les projecteurs. Il a fallu les effacer numériquement, et combler aussi les parties de décor « ouvertes » que l’on voyait par mégarde au fond d’un couloir.

Avez-vous été amené à replacer des versions 3D des masques des prédators sur les acteurs pendant les scènes où ils devaient courir, pour leur permettre de se déplacer en voyant parfaitement ?

Non, cela n’a pas été nécessaire. Greg Nicotero s’est débrouillé pour que les acteurs puissent voir suffisamment pour faire tout ce qu’ils avaient à faire. Mais j’avoue que j’ai souvent tremblé en les voyant courir à toute allure dans les décors jonchés d’éléments divers. J’étais terrifié à l’idée qu’ils trébuchent et tombent lourdement, avec tous ces équipements fixés sur eux ! Mais les acteurs ont été fantastiques, ils avaient parfaitement repéré les endroits où ils devaient se tenir et ceux qu’ils devaient éviter.

La suite de cet entretien paraîtra prochainement sur ESI !

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