Exclusif : Entretien avec Cédric Hachard, co-réalisateur du Jour de la Comète
Article Cinéma du Jeudi 26 Aout 2010

Entre un adolescent solitaire qui voit son ami imaginaire venir à la vie, une femme humiliée qui rêve au grand amour et succombe au charme d’un fantôme meurtrier, et un homme complexé par sa virginité qui affronte la tentation incarnée par des créatures de rêve carnassières, Le Jour de la Comète se penche avec humour et frissons sur la vie d’êtres à part, se débattant dans un monde d’adulte pétri d’orgueil et de cynisme. Cédric Hachard, réalisateur de l'un des trois segments du film, a accepté de répondre à nos questions...

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard



Quel est l'objectif de votre société de production, Forge ? Pouvez-nous parler des court-métrages que vous avez réalisé, voire produit ?

Forge est à l’origine une association que j’ai fondée avec mon collègue Sébastien Milhou, qui est directeur de la photographie. Nous souhaitions héberger avec une structure simple des projets de courts-métrages autofinancés. Par la suite, je me suis spécialisé dans la production et j’ai réuni plusieurs structures institutionnelles, publicitaires et fiction à travers Forge, qui est donc devenu une société de production au sens propre du terme. A partir de ce moment, j’ai produit seize courts-métrages en gardant l’esprit associatif des débuts en fer de lance de Forge. L’étendard de la société était devenu « Forge, les courts-métrages de Genre ». Nous souhaitions mettre en avant tous ces courts-métrages qui échouent systématiquement au jeu des subventions et de la contribution financière, car ils développent des thématiques populaires, qui ont attrait au divertissement, et qui sont souvent déconsidérés par l’intelligentsia parisienne. Récemment, j’ai assuré la production exécutive de « Point Zero », un court-métrage réalisé et produit par Arthur Cauras. Il s’agit d’un film d’anticipation avec des matte-paintings représentant des paysages ravagés, et qui est entièrement filmé en RED à l’épaule, et sans dialogue. C’est un gros challenge compte tenu du budget réduit qu’Arthur a alloué à son film, mais c’est le genre de défi qu’il me plaît de relever. Verdict en septembre lorsque le film sera terminé…



Dans un autre registre, la figure de proue de Forge aura longtemps été Le Jour du Festin, un film que j’ai co-écrit et réalisé avec Sébastien Milhou, et qui a bien fonctionné en festival, de Gérardmer jusqu’en Corée ! Il s’agit d’un comédie fantastique sur les traces d’un Evil Dead croisé à Délivrance. Un dératiseur et son apprenti arrivent par erreur dans un village peuplé de sauvages illuminés, dont ils vont découvrir à leur dépends les rituels canibales. Nous n’allons jamais dans l’horrifique gratuit, mais préférons cultiver un burlesque propre aux actions et aux notes fantastiques du scénario.



Quelles sont vos influences et inspirations ?

Mes influences et inspirations ratissent large, et ne se limitent pas au film de Genre. Comme nombre de mes camarades de Forge, j’ai grandi avec Spielberg, Zemeckis, Cameron, Scott en tête, mais je suis également un énorme fan de Michael Mann, dans un autre registre. Je trouve que ses films, à l’image de Heat ou Insider, utilisent une base de divertissement codé pour toucher à l’humain et développent une émotion simple, des affects profonds.

Pouvez-nous nous raconter comment est née l'idée du Jour de la Comète ? Pourquoi les années 1980 ? Et pourquoi un film à Sketches ? On se souvient des anthologies La Quatrième Dimension, Amazing Stories, ou encore Les Contes de la Crypte...

A l’origine du Jour de la Comète, il y a trois réalisateurs, issus de la même école de cinéma. Nous avons tous zigzagué entre les projets de courts-métrages personnels, et ceux des autres, et des tournages plus alimentaires. Après une longue période de courts-métrages, nous cherchions à relancer des projets neufs, mais nous ne nous sentions pas d’engager notre énergie dans un nouveau court. L’idée est venue tout d’abord de prolonger la méthode de production collective de Forge dans un nouveau plus gros, plus ambitieux, et comme une co-réalisation à trois était un peu délicate, nous avons commencé à écrire des sketches. Au départ c’était un peu décousu et les scénarios de chacun, sans rapport les uns aux autres, étaient surtout trop chers à réaliser. Nous avons donc cherché un liant commun, et réuni nos envies. « 1986 » a longtemps été le « nom de code du flm » avant de trouver le titre Le Jour de la Comète. C’est dire toute notre envie de plonger dans l’univers régressif de notre enfance. Le gimmick de la comète de Halley est venu un peu plus tard, en effectuant des recherches, et nous avons réécrit les histoires dans ce sens.

Vous avez d'abord conçu une bande démo...

Passé l’écriture du film, j’ai chaussé par casquette de producteur pour lever des fonds. Ce fut un échec cuisant et sans appel, personne, producteur, distributeur, diffuseur, ne souhaitant prendre un risque. Car on parle de financer un film à sketches sans « big cast », ce qui fait généralement chuter la tension des producteurs français vers des abysses… Nous avons donc effectué des repérages nourri, un début de casting, et j’ai réalisé un dossier de production complet pour lever des sponsors, ce qui est notre spécialité. Devant l’acharnement, les diffuseurs ont commencé à nous répondre à l’unisson. Ils aiment mais ne peuvent pas produire ce type de film en France car ils n’ont pas confiance en notre capacité à réaliser ce qui est écrit sur le papier. Aussi est venu l’idée de réaliser un bande-démo du film…. Nous avions en tête un showreel de quelques minutes, mais lorsque nous avons booké les lieux de tournage, je me suis aperçu qu’il serait plus simple d’amortir toutes les séquences sélectionnées dans leur intégralité. Nous sommes donc partis sur un showreel assez monstrueux, long de trois semaines de tournage, ce qui, j’en conviens, n’est plus vraiment une démo puisque nous disposions de 40% des images. Le tournage s’est bien déroulé et nous avons fait bonne impression à de nombreux groupes audiovisuels. Malheureusement, nous étions mal représentés et le projet a dormi lorsqu'on nous avait promis d’entrer en développement. Après un an et demi d’attente, et un film à moitié fait en poche, nous avons donc relancé cinq semaines de tournage supplémentaires en 2009 pour venir à bout de ce projet. Un tournage épique, coûteux, mais qui nous permet aujourd’hui d’exploiter un film dans son intégralité, bien que nous ne soyons qu’en tout début de post-production.

Comment s'est déroulé le tournage ? Comment vous êtes-vous partagés le travail entre trois réalisateurs ?

Je ne me suis pas posé la question des réalisateurs. Nous avons monté ce projet à trois et il était tout naturel que chacun réalise sa propre partie. Ensuite, nous avons une relecture commune du scénario dans sa globalité. Le fait que je produise l’ensemble me met directement au cœur de chacun des segments, mais c’est également le cas de Sébastien Milhou, qui en plus de réaliser son histoire, est chef op sur chacun des films, et endosse ici une sacré responsabilité, pour ne pas dire, la plus importante. Le principal problème d’un tournage qui s’étend sur deux ans, est un problème inhérent aux séries : les comédiens. Les nôtres avaient pris ou perdu du poids, changé de coupe de cheveux, et ce fut un sacré challenge de les raccorder. Heureusement, nous nous y étions pris un an à l’avance pour relancer le projet, et ils avaient tous eu l’opportunité de se préparer. En 2009, j’ai du également fragmenter le tournage en trois salves de prises de vue, car nous avions cinq semaines très éprouvantes, et nous ne pouvions pas préparer d’affilé les trois segments. De mars à décembre 2009, le film est alors devenu une véritable course de fond….



Quels moyens ont été nécessaires à la réalisation de votre film ?

Lorsque nous avons commencé à préparer le film en 2006, je souhaitais équiper Forge des caméras, pour nous affranchir d’une location sur la longueur. Nous sommes donc partis sur deux HVX200 et des mini35 rudimentaires (REDROCK et LEtus) avec des montures Nikon. Nous avons soigné le choix des optiques, très délicat pour éviter les aberrations. Lorsque le projet a été relancé fin 2008, nous tournions alors avec des RED et d’autres format D-CINEMA plus évolués. Mais nous avons choisi de raccorder nos images avec le même système. Un workflow pénible qui nous aura souvent retardé. Je regrette à posteriori le choix du DVCPRO HD, qui produit une immonde bouilli dans les basses lumières, mais à l’époque nous avions guère le choix, et ca reste un format broadcast, l’image panasonic très douce, aidant. Nous avons heureusement joui d’une aide de nombreux loueurs, et en particulier de Ciné-Lumière, qui a toujours été présent sur ce projet, avec un matériel de qualité et des conseils efficaces. Comme nous tournions souvent de nuit, avec une caméra de basse sensibilité, qui en plus, perdrait en luminosité du fait des kit 35, il fallait sortir une armada de HMI (12/6/4) pour le moindre plan dès que le jour était couché. Près de 200 techniciens et comédiens se sont succédés au cours des différentes plages de tournage, et nous avons joui d’une régie particulièrement efficace pour encadrer cette joyeuse troupe. Nous avons notamment tourné en Alsace, soutenu par la région et la communauté urbaine de Strasbourg. L’accueil et le soutien des personnes en local ont véritablement rendu ce film possible, car nous avions atteint des sommeil logistique titanesques (parfois plus de 300 personnes sur le plateau, en incluant la figuration). L’intégralité du tournage a été financé par Forge, avec un réinvestissement de mes fonds propres issus des pubs, clips, films « corporate » etc…. Mais il faut également cité la Région Alsace et la CUS de Strasbourg qui ont subventionné le premier segment d’Hervé Freiburger, ainsi que Pulpstation, un co-producteur de dernière minute, qui s’occupera également de toute la représentation web du film.

Un sujet qui intéressera particulièrement nos lecteurs : pouvez-nous parler des effets spéciaux/visuels, effets spéciaux de maquillage et autres images de synthèse utilisés pour la création du film ?

Dès le départ, nous souhaitions que le maximum d’effets visuels soient réalisés sur le plateau, ou que seules soient utilisées des techniques « d’époque » (blue screen, matte painting). A l’image de notre récent showreel, nous souhaitions pouvoir enregistrer le film sur une VHS et qu’on ait l’impression d’avoir déniché une série B tout droit issue des années 80. Il a fallu rapidement se rendre à l’évidence : avec le budget dont nous disposions, c’était impossible. Nous avons tout fait pour avoir le maximum de décor construits, aménagés, mais lorsque les proportions étaient trop importantes, nous avions recours à des fonds verts, notamment en studio pour raccorder les extérieurs / intérieurs. Comme nous n’avons pas de deuxième équipe FX, il nous reste d’ailleurs des plans d’incrustation à tourner / photographier. Concernant le maquillage, nous avons fait appel en 2007 à Laurent Zupan, qui devait s’occuper de la réalisation d'un effet de hache plantée dans un crâne. La meilleure solution consistait à incruster une fausse hache dans la tête du personnage, sur laquelle la caméra arrive en filé. L’acteur joue l’impact, et finit son mouvement quand la caméra arrive sur lui. Le lancé de hache est filmé indépendamment et raccordé en filé. En 2009, nous avions nettement plus d’effet un peu gore, un peu absurdes…. Laurent n’étant plus disponible, nous avions fait entre temps la rencontre de David Scherrer sur Point Zero, qui s’est occupé de cette cuvée d’effets. Nous avions, sur le deuxième segment La Promise du Seigneur, pas mal de zombification. L’un des personnages est écrasé par un lustre. Nous avons utilisé le plus vieil effet du monde : la double passe (notre grande pirouette du film). Nous filmions une passe où la comédienne mime l’écrasement du lustre et tombe hors sur un tapis. Un autre passe où nos vaillants machinos lâchaient le lustre sur un mannequin vert pour garder la déformation des pampilles et une passe à vide pour effacer les câbles. Par la suite, l’actrice se relève, zombifiée et surtout fusionnée avec le lustre. David a effectué un moulage conséquent sur l’épaule de Caroline, la comédienne, incluant les blessures et un circuit électrique permettant de maintenir allumé des morceaux du luminaire incrusté dans son corps. Par ailleurs, nous avons plusieurs séquences incluant des effets de flamme, dont un des personnages qui doit partir en torche humaine. Si c’est chose aisé pour doubler un homme en manteau, il s’agissait ici d’une comédienne aux épaules nues, avec une coiffure très travaillée et une robe de soirée. La cascadeuse Cybille, sous la responsabilité de notre régleur des cascades Yves Girard, portait donc sur elle une première combinaison ignifugée d’aviateur, plus mince que la normale, et une combinaison très mince qui venait par-dessus, teinte aux couleurs de sa peau. Nous avions confectionné de fausses perruques en vrais cheveux, et des costumes grande taille en évitant le synthétique, trop dangereux pour la cascade. Une installation de près de trois heures dans un décor réalisé en duo de mousses. Bref, un tas d’ennuis de tournage dont on aurait pu se passer avec une banque d’images de feu et des particules, mais encore une fois, rien ne n'égale, dans notre économie de tournage, les effets réalisés en live sur le plateau. Les petites imperfections qui peuvent subvenir apportent un cachet unique à cette image 80s’ que nous n’avons cesse de travailler. Concernant les effets numériques de post-production, nous les abordons à peine, et nous en avons au minimum pour six mois à plus de dix personnes. Nous avons beaucoup d’intégrations sur fond vert, avec de prolongements de décor, et beaucoup d’amélioration de plan, avec des banques d’images. Je pense notamment à un coup de feu censé exploser une porte sur le tournage. L’amorce n’ayant pas été assez puissante, nous avons recours de à de la banque pour créer des effets de particules, de fumée, de débris, etc… et rendre le plan cinématographiquement impressionnant ! Nous avons également beaucoup d’effets invisibles mais qui permettent de rattraper les défauts de tournage (remplacement de ciel trop uniformément gris, saturés du fait de la trop faible plage d’exposition).

Quels sont vos projets futurs ?

Je suis actuellement en plein processus d'écriture, sur un nouveau long métrage qui ne sera pas fantastique, mais beaucoup plus personnel. Mais j’ai également un projet de série fantastique de 26 minutes dans les cartons… Mes deux collègues Hervé et Sébastien sont également dans les starting blocks sur de nouveaux projets, mais avec les finitions du Jour de la Comète qui monopolisent énormément de temps, nous en manquons pour écrire !

Enfin, quand avez-vous prévu de terminer la post-production du film, et comment/quand sera-t-il diffusé ?

Le film est prévu pour une sortie salle en France à la fin de l’année 2011…. Mais rien n’est fixé… On ne sait jamais…



Deux amis d'Effets-Speciaux.info, Michael Guerraz, le monteur du segment Virgin eaters from outer space, et le maquilleur Laurent Zupan, ont bien voulu dire un mot à propos de leur participation au Jour de la Comète...

Qu'est ce qui vous a amené à participer à la production du Jour de la Comète ?

Laurent Zupan : Le « Jour de La Comète », m'a permis de planter une (fausse) hache dans le crâne d'un méchant professeur... Les projets de Forge sont toujours alléchants. Cédric Hachard, le créateur de Forge, est quelqu'un de rare: c'est un passionné de fantastique doublé d'un professionnel d'une grande droiture. C'est aussi précieux qu'appréciable.

Michael Guerraz : Je connais Cédric Hachard et Sébastien Milhou depuis une dizaine d’années, à présent. Nous nous sommes mutuellement aidés sur plusieurs courts-métrages, à différents postes et ils étaient carrément impliqués dans la fabrication de mon court-métrage « Spirale ». Je me suis donc retrouvé naturellement sur le montage de l’épisode « Virgin eaters from outer space » réalisé par Cédric. Le montage a été assez plaisant à faire car il s’agit d’un style de films que j’aime beaucoup. Cédric n’hésite pas à couvrir une scène importante sous plusieurs axes. Ce genre de réalisation permet plusieurs possibilités au montage et rend l’opération intéressante.

Michael, comment avez-vous travaillé en collaboration avec les monteurs des deux autres segments ?

Michael Guerraz : Nous n’avons pas été directement en relation les uns, les autres. Cédric supervise le montage général et il fait le lien entre toutes les personnes impliquées dans la post- production. Cependant, nous allons bientôt arriver à une étape intéressante : la relecture collective...

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