Exclusif : Entretien avec Mike Newell, quatrième partie - Derrière la caméra de Prince of Persia
Article Cinéma du Vendredi 22 Octobre 2010

Retrouvez la première partie de cet entretien


A l'occasion de la récente sortie des éditions DVD et Blu-ray de Prince of Persia : Les Sables du temps, nous vous proposons la quatrième partie du long entretien exclusif que nous a accordé Mike Newell.  Rappelons que le réalisateur anglais - qui a signé notamment l’excellente comédie Quatre mariages et un enterrement (1994), le saisissant suspense policier Donnie Brasco (1997) et le fort réussi Harry Potter et la Coupe de feu (2005) – nous avait raconté ses débuts dans les années 60, à la télévision anglaise, qui lui donnèrent l’occasion de réaliser des fictions dans tous les registres. Aujourd’hui, en signant Prince of Persia : les sables du temps, il se plonge avec délice dans l’univers des 1001 nuits…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Qu’est-ce qui vous a initialement attiré dans le projet Prince of Persia, et quelles opportunités y avez-vous vu, en tant que réalisateur ?

Ce qui m’a immédiatement plu, c’est la forme de fable sous laquelle l’histoire était contée. Elle aurait pu être abordée autrement, car après tout, l’empire Perse était bien réel, au 6ème siècle. Les perses étaient très puissants, et d’ailleurs ce sont eux qui ont causé plus de problèmes aux romains que n’importe qui d’autre !

...vous voulez dire, plus que les français ?

(Mike Newell éclate de rire) No comment ! (rires) Notre histoire se déroule au 6ème siècle, donc, et elle ressemble un peu à la légende d’Arthur et d’Excalibur, l’épée magique. Il s’agit d’un mélange de réalité et de fiction. Qui sait si le roi Arthur a réellement existé ou pas ? Il a probablement existé sous une forme ou une autre, et qui sait si une épée nommée Excalibur n’a pas été impliquée dans des faits réels, qui se sont transformés peu à peu en légendes ? Au fond, cela n’a pas beaucoup d’importance, car la notoriété et la fascination que cette histoire exerce en Angleterre est considérable, aujourd’hui encore. C’est frappant, car tout le monde connaît ces personnages. En ce qui concerne Prince of Persia, j’ai d’abord apprécié l’histoire, dont j’ai trouvé l’intrigue excellente, pleine de rebondissements, très originale. Et tout cela était situé dans un monde de mythologie et de fables où les gens ne savent pas situer la frontière entre ce qui existe vraiment et les croyances qui sont rapportées par les uns ou les autres. Si on leur dit « Il paraît que derrière cette montagne, il y a une cité magique », nos héros y vont pour en avoir le cœur net. Et  découvrent qu’il y a bel et bien une cité magique à cet endroit, ce que j’ai adoré dans cette histoire ! Il y a beaucoup d’autres choses que j’ai aimées dans ce récit : il y avait des éléments dramatiques, de l’action, des scènes de comédie très efficaces, et une relation amoureuse qui part sur de très mauvaises bases, puisque le héros et l’héroïne ne se supportent pas au départ. Ce n’est qu’au fil de leurs aventures qu’ils finissent par s’apprécier et par tomber amoureux.

Comme dans La mégère apprivoisée, de Shakespeare ?

Exactement comme dans La mégère apprivoisée ! Certaines des scènes les plus drôles du film naissent du fait qu’ils ne peuvent pas se supporter. Gemma en tire très bien parti, notamment dans la scène ou elle dit à Jake « Ah, tu me détestes ? Je suppose que c’est pour ça que tu es tout le temps en train de me regarder ! » et Jake se met à bredouiller des mots inintelligibles, parce qu’il est incapable de trouver un argument pour lui prouver qu’elle a tort !

Avez-vous joué au jeu vidéo Prince of Persia :  Les sables du temps  ?

Il a fallu que je le fasse, parce que savais qu’un jour, on me poserait cette question ! (rires) Donc, oui, je peux dire que je l’ai fait, mais je ne suis pas d’une génération qui se sent très à l’aise quand on lui met une manette de console de jeu entre les mains. Mon fils, lui, est un expert. J’ai demandé à des gens de me brancher une console dans mon bureau pour essayer de voir ce que je parvenais à faire, et je me souviens d’un après-midi très frustrant, passé à essayer de faire courir le héros le long d’un mur pour franchir un obstacle, sans jamais y arriver ! Il finissait toujours par tomber dans un fossé avec des mécanismes tournants, hérissés de lames acérées. Mais, au moins, je peux affirmer que j’ai joué un peu avec le jeu ! Je voudrais en profiter pour bien insister sur un point : dès le départ, nous avons expliqué que nous ne voulions pas faire du film une démarque du jeu vidéo. Comme nous le disions précédemment, le créateur du jeu, Jordan Mechner, a co-écrit le scénario en imaginant un grand film d’aventure, avec de bons ressorts dramatiques et des personnages attachants. Cela n’a rien à voir avec le travail qu’il a fait par le passé sur les différentes versions du jeu qu’il a conçues. Les seuls points communs sont les personnages, la dague magique et le thème du retour dans le passé. Mais c’est tout. Jordan n’est pas comme la plupart des fans de jeux vidéo. Il ne base pas son travail uniquement sur la pure fiction, parce qu’il est passionné par l’histoire. Il a fait de longues recherches avant d’écrire le script, et dès qu’il le pouvait, il insérait des détails réels dans l’histoire, de vrais noms de villes. Parmi les scènes que vous avez vues, il en a une au cours de laquelle un personnage dit « Je me dirigeais vers Herat. » Eh bien, nos armées, c’est à dire les forces britanniques et françaises, combattent en ce moment même là-bas, dans cette ville située en Afghanistan. Jordan a tenu à donner  le plus d’authenticité possible à cette histoire parce que c’était important pour lui de poser les fondations de cette fable sur des bases solides et réelles.

Cependant, certains éléments visuels sont quand même présents dans le film pour évoquer le jeu…

Oui, c’était délibéré. Nous voulions qu’il y ait des échos du jeu dans le film, pour lui rendre hommage et pour remercier les joueurs qui vont venir le voir de nous apporter leur soutien. Il était tout naturel que nous voulions leur faire plaisir et que nous évitions les gaffes ou les choses qui iraient à l’encontre de l’esprit du jeu. C’était même la moindre des choses. Comme vous le soulignez, nous avons veillé à ce que le costume de Jake soit très proche de celui de Dastan dans le jeu, certaines armes sont identiques, tout comme certains des exploits physiques qu’il accomplit. Nous avons basé beaucoup de ses acrobaties et de ses prouesses sur la technique du « Parkour », qui a été inventée chez vous, en France, dans les banlieues de la région parisienne. Plusieurs des créateurs de cette discipline sont venus sur le tournage et nous ont servi de conseillers. Ils nous ont montré ce qu’ils étaient capables de faire, et franchement, c’est assez époustouflant à voir. Nous nous en sommes servis notamment dans la scène dans laquelle on voit Jake enfant,  lorsqu’il est encore un petit voleur des rues. Et plus tard, certaines des évolutions de Jake, notamment lorsqu’il échappe aux gardes après s’être infiltré dans la cité fortifiée, sont également des cascades basées sur les techniques du « Parkour ».

Vous disiez tout à l’heure que votre génération n’était pas à l’aise avec les jeux vidéo, mais comment jugez-vous les images de synthèse et les effets numériques ? Avez-vous le sentiment qu’ils affaiblissent un peu l’imagination des cinéastes ?

Eh bien, oui, quelquefois. Cependant, ils sont indispensables. Je ne peux pas vous montrer une charge de cavalerie sur le grand écran si je n’ai pas 300 chameaux et 700 chevaux à ma disposition. Et je n’ai bien sûr pas les moyens financiers de faire venir 300 chameaux et 700 chevaux sur le plateau. C’est alors que je me tourne vers mon cher ami le superviseur des effets visuels, et que je lui demande de se débrouiller pour faire en sorte que les 30 chameaux et les 100 chevaux que j’ai pu obtenir soient multipliés et remplissent tout l’écran. Ce que je veux dire, c’est que même si ces effets numériques ne font pas partie des trucages que j’ai appris à utiliser au cours de ma formation de réalisateur, dans les années 60, et même si la vieille baderne en moi a tendance à dire (Mike Newell prend une voix de vieillard autoritaire, genre colonel de l’armée des Indes à la retraite) « Il n’y a rien de tel que de tourner les choses en vrai ! C’est comme ça que David Lean faisait, et ça reste la meilleure méthode ! » (rires), il faut bien avoir recours aux effets 2D et 3D quand on n’a pas les moyens de filmer cela de manière traditionnelle. Et comme c’est une aide considérable, il vaut mieux apprendre à s’en servir, et c’est ce que j’ai fait. De plus, notre histoire se situe quelque part entre la réalité, la magie, le mysticisme et les contes des 1001 nuits.  Comment restituer ces ambiances, comment montrer le pouvoir de la dague magique quand elle projette notre héros dans le temps en le décomposant, atome par atome, sans avoir recours aux effets numériques ? David Lean n’aurait même pas pu concevoir de telles séquences, tout simplement parce qu’elles étaient impossibles à tourner à son époque. Aujourd’hui, on peut les imaginer et les concrétiser sur le grand écran. Pendant la création d’une grande production comme Prince of Persia, il y a, en fait, trois réalisateurs qui travaillent ensemble. Il y a moi, qui crée le style du film, qui choisit les acteurs, qui décide du choix des décors, et qui contrôle le tournage avec mon regard, mais il y a aussi le réalisateur de seconde équipe, qui a la charge de filmer toutes les actions qui sont purement physiques, comme la course sur les toits de la ville, les chutes, et tout ce genre de choses, et enfin, il y a le superviseur des effets visuels, qui sait comment on va pouvoir réaliser les effets de la dague magique. Lui et moi nous sommes assis dans un bureau, il y a deux ans, pour dessiner ensemble ce que ces séquences allaient être. Il m’a dit « Vous savez quoi ?  Nous devrions aller voir tel studio d’effets numériques pour réaliser cette séquence. » Et nous sommes allés voir ces gens-là pour leur expliquer ce que nous voulions. Et c’est ainsi, petit à petit, que le projet a commencé à prendre forme. Si j’avais essayé de tourner le film en me passant des effets numériques, je n’aurais jamais atteint les résultats que vous avez vus, et ceux que vous découvrirez en voyant le film en entier. J’ajoute que si nous nous étions bornés à n’utiliser que des prises de vues réelles et des trucages traditionnels, le public se serait senti lésé, car il a l’habitude de voir des effets spectaculaires dans les grands films.

Jusqu’à quel point vous êtes-vous familiarisé avec les techniques des effets numériques ?

Assez pour savoir ce que l’on peut faire de manière indiscernable, ce qui reste encore difficile à rendre totalement réaliste, et ce qui réclame des milliers d’heures de travail. Mais je ne veux pas apprendre les moindres détails de ces techniques et me noyer dedans, car je perdrais alors le sens de la magie et du mystère de tout cela. Et je ne veux surtout pas m’impliquer dans le processus, car en fin de compte, il faut que je puisse réagir de manière spontanée en découvrant un effet que l’on me présente. Si je le trouve terne, je le dis sans détour, parce que c’est mon job. Et si on me répond « Oui, mais vous savez, le problème, c’est qu’avec cette technique il y a telle et telle difficulté.. », j’interromps mon interlocuteur et je lui dis « Ça m’est égal, il faut que le plan soit plus dynamique et excitant que cela. Débrouillez-vous pour l’améliorer comme je vous le demande. » Et ensuite, le superviseur des effets visuels prend le relais et va s’assurer que ce que j’ai demandé sera bien réalisé ainsi.

Découvrez la suite de cet entretien dès la semaine prochaine !


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