REBEL MOON - PARTIE 1 : ENFANT DU FEU : Entretien avec Zack Snyder – 2ème partie
Article Cinéma du Samedi 06 Janvier 2024

Par Pascal Pinteau

L’exemple des maîtres du Fantastique

Nous avons déjà évoqué STAR WARS au début de cette conversation, mais pourriez-vous revenir sur l’influence qu’a eu sur vous une autre grande franchise cinématographique que vous appréciez, l’adaptation du SEIGNEUR DES ANNEAUX ?


Ce qui m’inspire le plus dans ces créations, c’est l’ambition et l’ampleur de la vision indispensables pour réussir à transformer cette mythologie romanesque en une expérience cinématographique inoubliable. Quand on y songe, comment peut-on partir d’une feuille de papier vierge et aboutir aux scripts de la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX ? C’est un véritable exploit. La façon dont cette mythologie si riche et si foisonnante a été transposée à l’écran, et les mécanismes de ce processus d’adaptation d’une narration littéraire en récit visuel m’ont énormément inspiré. Quand on développe un concept et que l’on construit des mondes et leurs mythologies, il serait inimaginable de ne pas se référer aux sagas de grande ampleur qui nous ont précédés.

Dans le cas de REBEL MOON, la principale différence est qu’il s’agit d’une histoire originale, qui repose sur une nouvelle combinaison de genres…

Oui, je préfère considérer qu’il s’agit d’un film de Science-Fantasy plutôt que de pure science-fiction. Plus le concept technologique est important dans un récit de science-fiction, plus il a tendance à devenir abstrait. Bien que l’action de REBEL MOON se déroule dans un univers qui regorge de progrès scientifiques extraordinaires, surpassant largement ceux de notre réalité, les racines mythologiques de notre histoire lui permettent de rester proche de problèmes humains simples et éternels. Pour revenir à mes sources d’inspiration, je voudrais citer aussi le ton des récits de BD qui paraissaient dans le magazine « Heavy Metal » (La version américaine de notre cultissîme « Métal Hurlant », NDLR.). Tous ceux qui les ont lus se souviennent de l’audace de ces histoires, et de la créativité artistique exceptionnelle des dessinateurs qui les illustraient. Cette liberté d’expression, cette capacité à transgresser les codes routiniers des comics, était un message fort : « Heavy Metal » nous disait que tout était possible. Les images que l’on découvrait dans ses pages étaient complètement folles ! Elles m’ont poussé à reconsidérer ce que l’on pouvait créer visuellement au cinéma. Idem pour les audaces narratives : les artistes du magazine se fichaient complètement des règles. Ils voulaient seulement épater les lecteurs, et ils y parvenaient ! J’ai adoré leur approche iconoclaste, et la manière dont ils mélangeaient tous les genres dans leurs histoires. J’ai repensé à cela quand nous avons entrepris de construire la mythologie de l’univers de REBEL MOON : nous avons décidé que tout reposerait sur la science-fantasy et cela nous a donné une direction à suivre. Le cadre de la science-fiction aurait été trop restreint pour ce récit. Nous présentons une nouvelle mythologie qui vise à transporter les spectateurs dans une autre réalité, dans un univers totalement différent du nôtre, qui fonctionne avec ses propres règles.

Des objectifs « à la Frankenstein »

Tourner deux films l’un à la suite de l’autre était également un défi…


Oui, mais cette expérience m’a beaucoup plu. Les acteurs et les équipes techniques et artistiques l’ont aimée aussi. En tant que directeur de la photographie, elle m’a permis de me replonger dans mes racines professionnelles. J’ai été opérateur caméra puis directeur de la photographie pendant dix ans dans la publicité. J’ai toujours adoré le contact direct avec les caméras, la création des éclairages, les cadrages des plans. Je me sens complètement à l’aise quand je réalise tout en assurant la direction de la photographie. Ce n’est qu’au moment où j’ai commencé à réaliser des films que les responsables de l’organisation des tournages m’ont dit « Ah, mais attendez, monsieur Snyder, ce n’est pas comme cela que ça se passe dans le cinéma ! Un réalisateur doit engager un directeur de la photographie, il ne peut pas créer ses images lui-même ! » Comme je débutais, je me suis dit qu’il fallait que je me plie à ces usages, et j’ai accepté cela, parce que je ne voulais pas faire d’impair et créer des problèmes. Mais bien plus tard, après l’expérience terrible qu’a été le tournage de JUSTICE LEAGUE, j’ai voulu retrouver la pure joie de filmer et de concevoir moi-même l’esthétique d’ARMY OF THE DEAD. J’en avais besoin à ce moment-là, car pour JUSTICE LEAGUE, l’aboutissement cathartique de la finalisation de ma vision n’a pu avoir lieu qu’après avoir achevé la postproduction d’ARMY OF THE DEAD…C’est tellement fantastique de trouver comment filmer au mieux les acteurs, de créer directement les cadrages qui correspondent à ce que vous voulez exprimer, d’expérimenter rapidement différentes idées d’éclairage…Tout cela m’enthousiasme, me porte et me donne une énergie incroyable pendant un tournage ! En sortant de cette formidable opportunité créative qu’a été ARMY OF THE DEAD, je n’imaginais pas aborder REBEL MOON autrement. J’étais déterminé à ne pas revenir en arrière en engageant un directeur de la photographie, même si je tiens à préciser que j’ai bien évidemment le plus grand respect pour ceux avec lesquels j’ai collaboré, comme Larry Fong, qui est un véritable génie, et dont le talent continue à m’inspirer. Le mode de tournage d’ARMY OF THE DEAD avait été atypique, puisque j’avais filmé souvent en tenant la caméra à la main, avec de courtes focales, en cadrant l’action « sur le vif », comme si j’étais surpris par les péripéties au fur et à mesure qu’elle se produisaient. Quand nous avons été contraints de remplacer un comédien par Tig Notaro, et tourné à nouveau certains plans pour intégrer Tig au film, il a fallu aborder cela de manière très technique, pour que tous ces plans se raccordent parfaitement. Ces ajouts m’ont permis de me reconnecter avec le tournage de prises de vues destinées à être intégrées dans des plans composites, grâce à des effets visuels. J’ai revisité mes connaissances dans ces domaines, comme j’avais pu le faire à l’époque de 300. Cela m’a permis de me rappeler que j’étais à l’aise quand il fallait diriger la photo des plans à compléter en postproduction. Quand nous en sommes arrivés à la préparation de REBEL MOON, je savais que j’étais fin prêt pour assumer la direction d’un projet de science-fantasy reposant sur une multitude de trucages de toutes sortes. J’ai voulu créer de A à Z de nouveaux objectifs anamorphiques de caméra, ce que j’ai déjà eu l’occasion de faire par le passé, en obtenant de très bons résultats. Nous sommes partis de lentilles que nous avons extraites de chercheurs de champs de la marque Leica (les chercheurs de champs sont les appareils de visée dont les directeurs de la photographie se servent pour choisir les cadrages et les valeurs de focales des plans à tourner, NDLR). Ensuite, j’ai acheté deux objectifs anamorphiques fabriqués dans les années soixante par la société japonaise Cinevision, et l’un de mes amis de la société Zero Optik a réassemblé tout cela dans d’énormes objectifs hybrides « à la Frankenstein », germano-nippons, qui nous ont permis d’obtenir d’excellents résultats ! Je compare ces objectifs à la créature de Frankenstein pour plaisanter, parce qu’ils sont expérimentaux et massifs, mais en réalité ils sont magnifiques, et leurs finitions extrêmement soignées. Ces objectifs sont presque des sculptures d’art moderne, avec leurs symboles techniques gravés autour des bagues de réglage ! (rires) Nous les avons surnommés « Summiscope » et ils ont été utilisés avec une caméra numérique Red V-Raptor XL. L’équipe technique les a tellement aimés que nous avons fait fabriquer des tasses à café et des T-shirts ornés de la photo de ces objectifs, pour leur en faire cadeau ! (rires)

Le dialogue des mots et des images

Avez-vous d’abord développé le script du film puis imaginé les concepts visuels, ou avez-vous travaillé sur ces deux aspects en même temps, afin qu’ils s’influencent mutuellement ?


Ces recherches ont eu lieu en même temps. Comme j’aime dessiner, j’ai réalisé la plupart des storyboards de mes films moi-même. Pour REBEL MOON, j’ai dû dessiner 4000 images des plans. De ce fait, tout en écrivant je travaillais aussi sur la mise au point du langage visuel qui allait nous permettre de raconter cette histoire. Ensuite, j’ai collaboré avec des illustrateurs pour développer et concrétiser les designs des principaux personnages et environnements, afin de poser les jalons de cet univers. Quand je commence à concevoir un film, ma méthode est presque toujours la même : je gribouille une trentaine d’esquisses de décors et de personnages pour préciser ma vision, puis je fais appel à un fabuleux artiste et illustrateur conceptuel, avec lequel je collabore régulièrement depuis des années : Jared Purrington. C’est mon designer favori. Je montre mes gribouillis à Jared en lui expliquant bien mes idées, et c’est comme cela que nous parvenons à concrétiser étape par étape tous les aspects esthétiques du film. Voir tout cela commencer à prendre vie dans ses illustrations est extrêmement satisfaisant. C’est l’un de mes moments préférés pendant la préparation d’un film !

Pourquoi LES SEPT SAMOURAÏS d’Akira Kurosawa est-il l’un de vos films préférés ?

Akira Kurosawa est l’un de mes réalisateurs favoris en raison de sa relation à l’art, de ses références aux aquarelles de paysages et de scènes de la vie quotidienne. Dans chaque plan, Kurosawa utilise sa caméra, la lumière et le cadre comme s’il créait une peinture. J’adore LES SEPT SAMOURAÏS, qui est l’une de mes principales inspirations pour Rebel Moon, et j’aime aussi LE TRÔNE SANGLANT, LA FORTERESSE CACHÉE, RASHOMON, KAGHEMUSHA : L’OMBRE DU GUERRIER…Toutes ses œuvres, en fait. Parmi mes autres films cultes, il y a EXCALIBUR de John Boorman, STAR WARS et L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, LA PRISONNIÈRE DU DÉSERT de John Ford, les films de Sam Peckinpah, ceux de Brian de Palma…Je suis une créature qui s’est nourrie des grands films des réalisateurs des années 70 et du début des années 80, comme beaucoup de cinéastes de mon âge. Tout comme Steven Spielberg est le produit des sérials d’aventures exotiques, d’espionnage ou de science-fiction des années 50, qu’il allait voir tous les samedis matin au cinéma, pendant les séances destinées aux enfants.

La suite de notre entretien avec Zack Snyder paraîtra bientôt sur E.S.I. !



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