La critique ESI : Tron l’héritage, une suite qui tient ses promesses
Article Cinéma du Lundi 06 Decembre 2010

Par Pascal Pinteau

Flashback…

Tron l’héritage nous a beaucoup plu. Mais avant d’en venir aux raisons pour lesquelles cette suite très attendue est une réussite, revenons à l’origine du projet et à la genèse du film original. À la fin des années 70, Hollywood est traumatisé par le choc Star Wars. Ce film au budget modeste, sans stars,  mais truffé d’effets spéciaux s’est transformé en phénomène de société. Alors que la Fox triomphe grâce à George Lucas, tous les autres studios paniquent et se lancent au plus vite dans la Science-Fiction, avec des résultats variés. Les studios Disney transposent 20 000 lieues sous les mers dans Le trou noir, film pompeux et lent, sabordé par la présence de deux robots insupportablement mignons, et hors de propos. Après cet échec critique et publique, Disney mise sur le projet d’un jeune animateur passé à la réalisation, Steven Lisberger, et prend le risque de financer le premier film dont plusieurs séquences seront réalisées en images de synthèse.



Le héros de l’histoire,  Kevin Flynn (incarné par Jeff Bridges) est un programmeur de génie, doublement escroqué par un de ses collègues, Ed Dillinger (David Warner) . Non seulement Dilliger lui a volé son jeu « Space Paranoïds », mais il a réussi aussi à le faire renvoyer de la société de développement de logiciels ENCOM, et à en devenir le dirigeant. Flynn utilise alors ses talents de hacker pour pénétrer dans le système informatique, et y rechercher des preuves du vol à l'aide de son programme CLU. Mais le système est contrôlé par un des programmes de Dillinger, le MCP, un ancien programme d’échecs. CLU ayant été neutralisé par le MCP, Flynn s'introduit dans l'entreprise avec l'aide de ses ex-collègues Lora (Cindy Morgan) et Alan (Bruce Boxleitner),  pour tenter d'avoir accès aux informations qui prouveraient la paternité de ses logiciels. Le MCP prend alors le contrôle d’un laser et réussit à dématérialiser Flynn pour le transformer en programme. Projeté à l'intérieur de l'ordinateur, où il devient la transposition de son programme CLU, Flynn découvre que tous les programmes ont l'apparence de leur concepteur. Il est capturé par les logiciels à la solde du MCP, qui tentent de l'éliminer en le faisant participer à des jeux, dont un combat avec des disques, et une course de moto.



Étant le créateur de ces jeux, Flynn est doté de pouvoirs exceptionnels, quasi divins, dans le monde virtuel. Il réussit à se débarrasser de ses adversaires et organise alors une révolte pour libérer le réseau de l’emprise du MCP… Tron remporte un succès fort honorable en 1982, mais il a le défaut d’être un peu trop en avance sur son temps : il déroute une partie du public familial de Disney, qui ne connaît strictement rien à l’univers des ordinateurs. Cependant, au fil des ans, Tron s’impose comme un jalon important de l’histoire de la SF et des effets visuels, et devient peu à peu un film culte. Les éditions vidéo du film se vendent bien, et Disney commence à songer que la production d’une suite serait judicieuse. Steven Lisberger s’en réjouit, et travaille sur de nouvelles idées. Après beaucoup de faux espoirs, c’est d’abord sous la forme d’un nouveau jeu vidéo que l’univers de Tron revient au début des années 2000. Puis plus rien…

Renaissance

En 2008, Disney contacte Joseph Kosinski, virtuose de la publicité, et lui demande quelle serait sa vision d’une suite de Tron... Après y avoir réfléchi plusieurs jours, Kosinski revient avec des réponses précises et propose au studio de tester sa vision en finançant une séquence démo de plusieurs minutes, réalisée au sein du studio Digital Domain. C’est cette « bande-annonce » totalement atypique, ébauche déjà remarquablement aboutie, qui sera présentée aux fans pendant le Comicon de San Diego puis sur le web, quelques mois plus tard.



Les bases du nouveau monde de Tron  sont déjà jetées : univers sombre et inquiétant, relevé de quelques lignes de lumière colorées, réalisme des textures, impression de lourde menace, et réapparition de Kevin Flynn sous les traits d’un Jeff Bridges vieilli et visiblement prisonnier, tandis que son double rajeuni, CLU, exécute sans états d’âme le joueur qu’il vient de vaincre lors d’une course de moto. La réponse du public est sans équivoque : il adore cet update de l’univers de Tron , dont il apprécie la modernisation autant que les références bien choisies à l’original. On mesure aujourd’hui à quel point cette démarche de Joseph Kosinski, courageusement validée par Disney, a été la bonne.

Bien sûr, Tron l’héritage, premier long métrage de Kosinski, jusqu’ici habitué aux formats courts de la pub, n’est pas dépourvu de défauts : certaines scènes d’explication sont trop longues et auraient sans doute gagné à être mises en scène de manière plus dynamique ou plus dramatique. Mais en dehors de cela, et peut-être de la performance d’acteur du jeune premier Garrett Hedlund, un peu sec dans les scènes d’émotion, Tron l’héritage ne déçoit pas. Son script, astucieux et bien mené, reprend et prolonge habilement les bases du film original, tout en inventant de nouveaux enjeux qui justifient pleinement l‘existence de cette suite. Tous les jeux du Tron de 1982 ont été réinventés et sublimés par les progrès de la 3D : ils se déroulent maintenant sur plusieurs niveaux de hauteur, et permettent au réalisateur de varier les angles de prises de vue pour obtenir des séquences très efficaces, soutenues par des idées surprenantes. Les designs des costumes, des décors et des nouveaux véhicules sont remarquables et renforçent le sentiment d’immersion dans un monde cohérent et crédible.



Atout maître du film, le fantastique Jeff Bridge apporte une humanité confondante au personnage de Kevin Flynn, retenu prisonnier dans le monde virtuel qu’il a créé, et inversement, donne à son double maléfique, CLU 2.0, une inhumanité terrifiante. Le clone de Flynn, véritable exploit technique de Digital Domain, marque une nouvelle étape dans l’histoire des effets visuels. Le visage 3D rajeuni de Bridges, confondant de réalisme dans certains plans, et un peu moins dans d’autres, contribue parfaitement à l’impact du film: le spectateur est fasciné de voir sur l’écran un VRAI clone 3D de l’acteur, dont les imperfections mineures…conviennent parfaitement au récit !  Bref, tant au niveau du concept global, visuel et narratif, que de l’interprétation des acteurs et des effets visuels, la réussite est indéniable. Mais la touche de génie miraculeuse, c’est la participation de Daft Punk, dont la formidable musique électronique propulse l’action tout au long de film, amplifie les séquences où l’on sent la présence maléfique de CLU 2.0., et booste les scènes de combats au sein de l’arène de jeux. Elle donnera la chair de poule à tous, et particulièrement à ceux qui gardent un souvenir ému de la découverte du Tron original en 1982,  et apprécient aujourd’hui encore la bande originale composée par Wendy Carlos. Bref, ESI vous conseille chaudement de vous faire dématérialiser et de suivre le jeune Sam Flynn dans le monde virtuel, à la recherche de son père. Vous ne regretterez pas le voyage. Embarquement le 9 février 2011.



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