Entretien exclusif avec Kristof Serrand, superviseur d'animation sur Dragons
Article Cinéma du Mercredi 22 Decembre 2010

A l'occasion de la sortie du très réussi film d'animation Dragons en DVD et Blu-ray, le superviseur d'animation Kristof Serrand a accepté de revenir pour nous sur son impressionnant parcours et sur la création du dernier succès en date de Dreamworks Animation. Membre du studio depuis sa création, cet artiste français a été le témoin du passage de relais entre l'animation 2D et la 3D. Visite guidée...

Propos recueillis par Pierre-Eric Salard



Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

En 1979, après un bac D (l'équivalent du bac Scientifique actuel, ndlr), j'ai suivi les cours de l'Académie Charpentier, une école d'arts appliqués. A cette époque, je n'avais qu'une vague idée d'une carrière artistique. Mon goût pour le dessin venait surtout de la bande dessinée, dont j'étais très friand... J'ai ensuite réussi le concours d'entrée pour une petite école qui m'avait parue minable, qu'on appelait alors "la chambre de commerce". J'ai rencontré le directeur, Pierre Ayma, qui m'a dit : « réfléchissez bien, car en ce moment, l'animation c'est le chômage » (rires). J'ai pris une semaine de congé à l'agence de pub où je travaillais, en me disant que si cette école - les Gobelins - ne me plaisait pas, je pouvais toujours y revenir. Je ne suis jamais revenu de vacances (rires) ! Après quelques semaines aux Gobelins, j'ai fait la connaissance de  Luc Besson, qui m'a proposé un un projet de bande dessinée. Mais ma passion pour l'animation avait déjà pris le pas sur la BD. Je me suis lancé à corps perdu dans un domaine artistique complètement nouveau pour moi, mais qui m'a très vite passionné. Ensuite, j'ai fait mon service militaire, à l'ECPA, où j'ai eu l'occasion de travailler avec Jacques Rouxel (les Shadoks) et René Laloux (la Planète sauvage) ! A mon retour, l'animation française avait de nouveau le vent en poupe...

Sur quels projets êtes-vous intervenus avant de travailler chez DreamWorks Animation ?

En 1985, je me suis retrouvé assistant animateur sur Astérix et la surprise de César. J'ai ensuite été promu animateur sur Astérix chez les Bretons. Pour l'anecdote, j'avais alors mon propre assistant, Eric Bergeron, qui se fera plus tard appeler Bibo (futur réalisateur de Gang de Requins et Un Monstre à Paris, ndlr) ! C'était l'époque de ma formation professionnelle dans un grand studio, tout neuf, où tout était à faire ! Puis j'ai rencontré Paul Grimault. Le développement de La Table Tournante (1988) avait à peine commencé qu'on m'a proposé de travailler sur le story-board du prochain Astérix ! Mais le scénario d'Astérix et le coup du menhir s'est avéré lamentable, et j'ai décliné l'offre, ce qui m'a permis de me consacrer à plein temps à la Table Tournante. Trois mois plus tard, la Gaumont me rappelle pour travailler sur les lay-out (la décomposition des plans en éléments indépendants). On me propose de travailler avec Uderzo ! L'occasion est trop belle... Plus tard, on m'offre un poste de superviseur d'animation au sein du studio Amblimation de Steven Spielberg, en Angleterre, malgré mon anglais très approximatif. Je m'installe donc à Londres. Les débuts sont un peu difficiles, mais l'animation est un langage universel (rires). J'y travaille sur Fievel au Far West (1991) puis Balto (1995). C'est l'époque du renouveau de l'animation et des grands succès de Disney. Steven Spielberg, qui vient nous rendre visite à chaque fois qu'il est en Europe, s'aperçoit finalement qu'il est trop loin pour exercer un véritable contrôle créatif. Il décide donc de rapatrier le noyau dur de l'équipe aux Etats-Unis. Peu après, nous apprenons la création de Dreamworks SKG par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen...

Comment devient-on superviseur d'animation ?

Il n'y a pas vraiment de parcours type ; je pense que chaque cas est particulier. Les animateurs deviennent superviseurs lorsqu'ils font preuve d'un talent d' « acting » exceptionnel, et d'un fort esprit d'équipe. Le superviseur d'animation est un animateur à part entière, mais qui est en charge d'une équipe d'animateurs dont l'importance varie selon son expérience et le type de projet. Il veille a la consistance artistique des plans, séquences ou personnages dont il est responsable.

Qu'est ce qui vous a décidé à aller travailler chez DreamWorks Animation ?

Lorsque Dreamworks est créé, en 1994, beaucoup de portes s'ouvrent. Amblimation ferme donc les siennes, et je suis de retour en France avec l'intention de poser mes valises un moment. Jeffrey Katzenberg, qui est à Paris, me demande de venir a son hôtel pour me montrer le projet du Prince d'Egypte. C'est assez tentant, mais l'idée de m'installer à Los Angeles ne me séduit toujours pas. Finalement, il m'invite une semaine avec l'intention de m'en mettre plein la vue... et ça marche (rires) ! Encore une fois un studio tout neuf, où tout est à faire ! Je me retrouve ainsi en charge de la supervision de deux des personnages principaux du Prince d'Egypte ; deux expériences de supervision très différentes... Pendant trois ans, nous travaillons à Universal City, où nous pouvons côtoyer quotidiennement les tournages de films en prises de vues réelles. Nous nous installons ensuite dans nos locaux actuels, un large campus aux faux airs d'hacienda mexicaine.

Sur quels projets êtes-vous intervenu chez DreamWorks Animation, avant Dragons ?

Chaque film est une nouvelle aventure. Sur le troisième, Spirit: L'étalon des plaines (2002), je n'étais pas responsable d'un personnage, mais de l'ensemble des superviseurs d'animation et du « clean-up »... Je suis ainsi peu à peu été promu "chef du département animation". Chaque matin, on me donne un planning minuté par quarts d'heures. Je passe mes journées en réunions, et j'ai fini par réaliser que cela faisait quatre ans que je n'avais pas fait d'animation moi-même. Une nouvelle période de transition débute : alors que Sinbad - La légende des sept mers (2003) s'apprête à sortir, le studio décide d'abandonner la 2D. En quelques mois, nous formons les animateurs à la 3D. Je saisis cette occasion pour demander mon retour à l'animation, qui a toujours été ma première passion. Le studio accepte, et je retourne donc à l'école pour apprendre la 3D. Cela s'est fait très naturellement. La 3D est arrivée au bon moment dans ma carrière, car après avoir fait de l'animation dessinée pendant vingt ans, cela m'a permis de renouveler ma motivation et ma curiosité pour une technique d'animation qui permet un « acting » plus sophistiqué ! Si j'ai juste donné un coup de main pour les personnages de Lenny et Don Lino dans Gang de Requins (2004), j'ai été l'un des superviseurs d'animation de Nos voisins, les hommes (2006), sur cinq ou six séquences. Puis je me suis retrouvé sur Dragons...

Comment est-on embarqué dans un projet tel que Dragons ?

Comme je travaille chez Dreamworks depuis la création du studio, je peux choisir les projets qui me plaisent. Dragons m'avait beaucoup impressionné grâce aux dessins de Nicolas Marlet, qui est à mon avis le meilleur et le plus reconnu des character designer à Hollywood. Je l'avais d'ailleurs eu comme élève a l'école des Gobelins dans les années 1980...

Quelles différences existent entre la supervision de l'animation de films 2D et 3D ?

Une différence majeure : on peut se concentrer uniquement sur l'« acting ». Je me rappelle qu'à l'époque de la 2D, il y avait toujours une file d'attente d'animateurs devant mon bureau, chacun avec leur scène sous le bras. Et je passais une grande partie de mon temps à leur faire des dessins pour remettre le personnage "au modèle"... Pour Dragons, nous avons fait pour la première fois sur un film en 3D le casting par personnage. Chaque protagoniste possède enfin son propre superviseur d'animation ! Un grand merci à Simon Otto qui a convaincu la production de le faire ! Personnellement, je préfère ce système, très répandu en 2D, qui est plus difficile a gérer pour la production mais qui donne de meilleurs résultats au niveau de la consistance de l'« acting ».  

De quels personnages avez-vous supervisé l'animation ?

J'ai travaillé au début sur Snotlout, qui avait un rôle important. Mais lorsque le film a été réécrit, je me suis occupé du père, Stoick. C'est un personnage caricatural dans son graphisme, mais réaliste dans ses mouvements. J'ai donc regardé beaucoup de références de films. Mais c'est finalement le travail de l'acteur Gérard Butler, qui lui prête sa voix, pendant les séances d'enregistrement qui m'a le plus inspiré...  

Pouvez-vous nous présenter les étapes nécessaires à votre travail ?

Ce n'est pas évident, car ma méthode change en fonction de la scène ou de la séquence, mais aussi selon les gens avec qui je travaille ou de mon humeur du moment (rires) ! Il m'arrive parfois de m'apercevoir en cours de route que j'aurais du commencer autrement ; cela peut être frustrant lorsqu'on a la pression de la production ! J'essaie de faire en sorte que cela arrive le moins souvent possible... Avec mon équipe, on se voit aussi souvent que possible avant de commencer à animer : pour discuter, pour mettre au point un acting précis, et ainsi éviter des corrections après coup. Il y a aussi des animateurs dont je connais bien le travail ; je passe donc moins de temps avec eux, ce qui me permet de faire plus d'animation moi-même ! Tous les superviseurs du film ont collaboré très étroitement, tous les jours. Cela était facilité par le fait que nous nous connaissions tous très bien... pour avoir travaillé ensemble par le passé sur les films en 2D ! Et je connaissais certains d'entre-eux depuis vingt ans...  

Quelle est votre scène préférée ?

Celle où Hiccup emmène Astrid voler sur le dragon. C'est une scène qui aurait pu être très clichée, car elle fait partie des figures imposées de ce genre de film. Mais elle apparait en fait sincère et émotionnelle. Mon plan pr féré de Stoick est celui où il sort de la grande salle de réception après avoir réprimandé son fils. C'est un plan ajouté en cours de production. Lorsque le réalisateur Dean DeBlois m'en a parlé la première fois, j'ai pensé que ce serait impossible à faire, car trop subtil pour l'animation. Je pense même que ce plan n'aurait pas été possible en 2D !  

Avez-vous des anecdotes sur la création de Dragons ?

Il y en a beaucoup ; j'espère d'ailleurs qu'il les ont mises dans le DVD (rires). Le film a eu une genèse chaotique ; il a pratiquement été refait trois fois ! A l'arrivée, nous sommes tous très heureux du succès public et critique de Dragons. A vrai dire, beaucoup d'entre-nous rêvaient de travailler sur ce genre de film depuis des années...  

De votre point de vue, quels défis - tant techniques qu'artistiques - représentait Dragons ?

Les mêmes que sur chaque film hollywoodien :à savoir toujours plus, toujours mieux... Je ne suis pas le mieux placé pour répondre ; le défi ne m'intéresse pas tellement. J'essaie simplement de faire mon boulot du mieux possible. A l'époque de la 2D, les médias mettaient en avant les milliers de crayons et de gommes, les tonnes de peintures, etc. Maintenant, on a des milliers de tétrabytes, des zillions de pixels, des années de temps de calcul... C'est un peu toujours la même histoire (rires) !  

Existe-t-il un "style" DreamWorks ?

Je ne le crois pas. Les styles d'animation de Dragons et de Madagascar, par exemple, sont très différents. On retrouve plus ou moins la même façon d'animer chez Pixar ou Blue Sky. En ce qui concerne le style des films, difficile également de comparer Sinbad et Nos voisins les hommes ! Il y a sans doute eu un « effet Shrek », dû à son succès. Mais maintenant, nous poursuivons dans des genres distincts avec Kung Fu Panda et la suite de Dragons, mais aussi Megamind. Des films avec des styles assez différents !

Quels sont les projets qui vous attendent dans le futur proche ?

Je suis actuellement en préproduction sur Croods, une comédie préhistorique réalisée par Chris Sanders, le co-réalisateur de Dragons. Je travaillerai ensuite sur Dragons 2, avec Dean DeBlois. Puis, peut-être, sur un film qui mélangera la 2D et la 3D...    

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes souhaitant travailler dans l'animation ?

Je pense qu'il est important de se maintenir à la pointe des derniers progrès technologiques. Sinon les conseils sont les mêmes que pour n'importe quel métier artistique: ne jamais sacrifier la qualité, essayer toujours d'aller au delà de ce qu'on vous demande, et trouver un mentor qui peut vous montrer ses ficelles du métier. A mon avis, le meilleur conseil est celui que donnait Franquin :"n'écoutez pas trop les conseils des dessinateurs, en fait ils ne savent pas très bien comment ils font" !

Merci !

My pleasure.

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