Steven Spielberg et la télévision – L'aventurier de la petite lucarne
Article TV du Mardi 28 Juillet 2015

Nourri à la télévision dès son plus jeune âge, le futur cinéaste y fera ses gammes, avant de s'envoler pour les sommets du Septième Art. Il n'a pourtant jamais oublié le petit écran, pour lequel il a produit des séries dédiées à notre genre préféré (Histoires Fantastiques, Seaquest DSV, Disparition, Under the Dome), des dessins-animés et des mini-séries de qualité (Band of Brothers, The Pacific. Revenons sur les relations qu'entretient Steven Spielberg avec la petite lucarne ; car contrairement à son ami George Lucas, il n'a pas suivi d'études de cinéma. La télévision l'a aidé à forger sa future carrière...

Par Pierre-Eric Salard

Né le 18 décembre 1946 dans l'Ohio, Steven Spielberg est un enfant solitaire. Les déménagements successifs de sa famille et les disputes régulières de ses parents aboutiront à un divorce qui laissera des séquelles dans le psyché du jeune homme. Cette tragédie familiale aura d'ailleurs d'importantes répercussions sur sa filmographie ; de Rencontres du Troisième Type à La Guerre des Mondes, en passant par E.T., Hook et Attrape moi si tu peux, les intrigues de ses films ne manquent pas d'exemples en matière de familles décomposées... Le petit Spielberg finit ainsi par se réfugier derrière la caméra 8mm de son père, avec laquelle il réalise de nombreux court-métrages amateurs. Parallèlement, sa principale influence culturelle est la télévision. « Elle était en quelque sorte mon troisième parent », avouait-il.  « J'étais littéralement hypnotisé, fasciné par le petit écran. Je ne ratais jamais un dessin-animé de Chuck Jones (rires) ! » Il y découvre bientôt la fameuse série du grand Rod Serling, La Quatrième Dimension (1959 – 1964), une œuvre qui influencera énormément sa carrière... et à laquelle il rendra hommage par deux fois, dans les années 1980.



En 1964, il réalise l'un de ses films amateurs les plus aboutis, Firelight. Ce long-métrage de science-fiction (sa durée avoisine les 135 minutes !) aborde deux thèmes chers à son cœur : les OVNI et le dysfonctionnement d'une famille. Il s'agissait des Rencontres du Troisième Type, quinze ans avant l'heure... Par une étrange coïncidence, ce film eut l'honneur d'être projeté dans un cinéma de Phoenix la veille du déménagement de la famille Spielberg en Californie ! Le jeune homme allait pouvoir entrer de plein pied dans le monde du cinéma...



Une solide réputation

S'il suit vaguement les cours de l'Université de Long Beach (qui ne possède pas de départements liés au Septième Art !), Steven Spielberg profite de sa nouvelle proximité avec Hollywood pour faire des stages d'été dans les studios Universal. Il s'arrange ensuite pour y passer une grande partie de ses journées, assistant aux tournages de feuilletons et même de certains films d'Alfred Hitchcock. La légende raconte qu'il a fini par occuper un bureau des studios, sans permission. En réalité, il apprend sur le tas, en observant les professionnels qui s'activent sur les plateaux. Le travail des metteurs en scène, directeurs de la photographie et autres monteurs le fascine. Mais il faut attendre 1968 pour qu'il se lance dans la réalisation du court-métrage qui lui ouvrira les portes du Septième Art : Amblin' (un titre auquel il rendra hommage quelques années plus tard en nommant ainsi sa célèbre société de production). Bien que ce film amateur prouve sa maitrise visuelle, il ne s'agit finalement que d'une tentative d'auto-promotion. Et ce coup de poker fonctionne : le vice-président d'Universal TV, Sid Sheinberg, s'avoue impressionné et propose au jeune homme un contrat de sept ans ! Le mythe est en marche... Mais de 1969 à 1974, Steven Spielberg est cantonné aux projets télévisuels. Son premier projet professionnel est la réalisation de The Eyes, l'un des trois segments du pilote de la série fantastique Night Gallery (1970 - 1973). Comble de l'ironie : elle fut créée par Rod Serling ! Mais bien que ce dernier écrivit la plupart des scripts, il ne possédait pas le contrôle créatif du feuilleton... et Night Gallery s'éteignit au bout de 43 épisodes (dont un second signé Spielberg, Make me Laugh). A son arrivée sur le plateau, le jeune homme, âgé de 22 ans, laisse dubitatif son équipe technique. Il doit en outre diriger une ex-légende du grand écran, Joan Crawford ! Il s'en tire pourtant avec les honneurs, et son inventivité se fait remarquer par ses ainés de l'industrie hollywoodienne.



On lui confie ensuite la réalisation d'un épisode complet de la série The Name of the Game, intitulé Los Angeles 2017. Il s'agit là encore d'une incursion dans le monde de la science-fiction. Le jeune cinéaste enchaine avec le premier épisode de la populaire série policière Columbo (qui avait débuté sous la forme de deux téléfilms), ainsi que des épisodes de Marcus Welby et The Psychiatrist. Il se forge ainsi une belle réputation.

L'envol

Les studios Universal lui proposent alors de tourner quatre téléfilms. Steven Spielberg s'apprête à réaliser son rêve, puisque le premier d'entre-eux se nomme Duel ! Prévu pour être diffusé le week-end sur ABC, cette incroyable œuvre de suspense, filmée en treize jours pour 375000 dollars dans le désert californien, raconte une histoire aussi minimaliste qu'efficace. Un représentant de commerce (Dennis Weaver, La Soif du Mal) circulant en voiture se fait courser par le chauffeur psychopathe d'un poids lourd, dont on ne voit jamais le visage. Servie par une mise-en-scène de haute volée, cette course-poursuite haletante ne s'embarrasse pas de fioritures narratives. D'un bout à l'autre de la bobine, le spectateur ne peut que s'accrocher à son fauteuil pour ne pas sortir de la route en compagnie de la pauvre proie routière ! La lente descente en enfer du personnage l'oblige à abandonner les règles imposées par la civilisation et à affronter ses peurs primaires... S'il était destiné à la télévision, Duel a bénéficié en 1973 d'une véritable sortie française en salles. Difficile d'imaginer un meilleur moyen pour saluer le talent de Steven Spielberg ? Le film obtint pourtant le Grand Prix de la première édition du Festival fantastique d'Avoriaz !



Avant de s'émanciper définitivement des limites de la télévision, le réalisateur va honorer son contrat avec Universal en réalisant le téléfilm Something Evil, qui lorgne du côté de L'Exorciste, ainsi que Savage, avec Martin Landau dans le rôle principal. Il s'attaquera ensuite à son premier long-métrage à part entière, Sugarland Express, un road movie qui sera encensé par la critique mais boudé par le public. Puis vint Les Dents de la Mer...

Anthologies

Il faut attendre dix ans pour que Steven Spielberg retrouve - indirectement - le médium qui a vu son talent éclore. En 1983, son seul nom suffit à remplir les salles, E.T. et les Aventuriers de l'Arche Perdue ayant atteints les sommets du box office. Son ami John Landis (Le Loup-Garou de Londres, Blues Brothers, dans lequel Spielberg fait une rare apparition) lui propose de rendre hommage à la série La Quatrième Dimension en participant à un la réalisation collective d'un long-métrage éponyme. Compte tenu de sa passion pour le feuilleton, il n'hésite pas longtemps avant d'accepter de tourner l'un des quatre segments de ce film à sketches en compagnie de Landis, Joe Dante (Gremlins) et George Miller (Mad Max) ! En dirigeant le second épisode, il retrouve ainsi ses premiers amours. Dans un hospice pour personnes âgées, le mystérieux Monsieur Bloom y réapprend l'enfance aux pensionnaires... qui finissent par retrouver leurs corps de jeunes hommes !



On se souvient malheureusement davantage du tragique accident d'hélicoptère qui survint lors du tournage du segment de John Landis, causant la mort de trois comédiens... C'est en 1985 que Steven Spielberg replonge véritablement dans l'univers du petit écran. Il crée et produit Histoires fantastiques (Amazing Stories), une série qui s'inspirait de la dimension anthologique de La Quatrième Dimension et qui s'éteindra après 45 épisodes. Il réalise lui-même deux segments de la première saison. Mais nous aborderons ultérieurement ce feuilleton, qui fut diffusé sur Antenne 2 en France...

Un producteur fantastique

De 1985 (La Couleur Pourpre) à 1991 (Hook), la carrière de réalisateur de Steven Spielberg ne brille pas par ses succès. A part Indiana Jones et la Dernière Croisade, la plupart de ses œuvres (L'Empire du Soleil, Always) ne rencontrent pas leur public. Mais le cinéaste devient parallèlement un producteur légendaire en développant une série de comédies fantastiques particulièrement réussies. Retour vers le Futur, Qui veut la Peau de Roger Rabbit, les Goonies, Gremlins, L'Aventure intérieure sont autant de représentants de l'âge d'or d'Amblin dans les années 1980 . Il reproduit ce schéma à la télévision en produisant plusieurs séries animées à succès, dont Les Aventures des Tiny Toons et Les Animaniacs. Chaque épisode s'ouvre sur « Steven Spielberg présente », un gage de qualité !



En 1993, il s'associe avec Rocke O'Bannon pour développer la série en prises de vue réelles SeaQuest, police des mers, qui n'est ni plus ni moins qu'une transposition de Star Trek : The Next Generation sous l'océan. Près de vingt ans après Les Dents de la Mer, le regretté comédien Roy Scheider retrouve Spielberg pour incarner le capitaine d'un sous-marin pour le moins futuriste. Mais la faiblesse des scripts forcera NBC à annuler sa diffusion au bout de trois saisons.



Nous reviendrons prochainement sur cette série, ainsi que sur Earth 2 (1994). Dans un futur lointain, alors que notre planète est devenue invivable, une mission d'exploration s'écrase sur une planète lointaine. Les survivants tenteront de survivre dans ce monde inconnu... Ce feuilleton ne séduisit pas les téléspectateurs, contrairement à Urgences, que le cinéaste lança la même année !



Après avoir produit l'excellente mini-série Band of Brothers (2001), qui traite de la Seconde Guerre Mondiale, il faut attendre 2002 pour que Steven Spielberg revienne à la SF sur le petit écran avec une autre mini-série, Disparition (Taken), diffusée sur Sci Fi Channel. Fort réussi, ce programme, dont nous parlerons également dans un prochain numéro, invite les téléspectateurs à suivre une histoire d'enlèvements par des extraterrestres qui se déroule sur plusieurs décennies. L'ombre de Rencontres du Troisième Type n'est pas loin !



Le cinéaste a ensuite développé deux mini-séries de grande qualité, Into the West (2005), qui revient sur la conquête de l'ouest, et The Pacific, qui complète le traitement de la Seconde Guerre Mondiale entamé avec Band of Brothers. S'il n'a produit qu'une véritable série (une comédie dramatique intitulée United States of Tara) depuis le début du nouveau millénaire, Steven Spielberg reviendra bientôt en force dans sa dimension préférée avec Falling Skies, une histoire d'invasion extraterrestre, et Terra Nova. Dans un avenir lointain, un groupe d'humaines y fuit une Terre ravagée (oui, comme dans Earth 2 !) en voyageant dans le temps... et trouve refuge à l'époque des dinosaures ! Mais d'ici là, vous saurez tout sur les séries fantastiques et de science-fiction produites par l'un des plus illustres cinéastes contemporains...



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