Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, réalisateur de Tron l’héritage - Seconde Partie
Article Cinéma du Mercredi 23 Mars 2011

Retrouvez la première partie de cet entretien


27 ans après le film original, ce réalisateur issu de monde de la pub s’empare des personnages et du monde virtuel de Tron, et propose une suite ambitieuse et spectaculaire.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quels ont été les principaux défis que vous avez eu à relever en réalisant ce film ?

Il y avait d’innombrables défis techniques à relever, dans tous les domaines, mais je crois que les plus importants étaient ceux communs à tous les films, c’est à dire présenter des personnages intéressants et attachants, et raconter une histoire qui captive le public. On en revient toujours au script. C’est l’élément le plus important. C’est donc sur l’écriture que j’ai passé le plus de temps, en compagnie des deux scénaristes et de Steven Lisberger, qui nous a servi de guide dans l’univers de Tron. Au début, le film a été développé presque comme un film d’animation : nous nous réunissions tous avec les producteurs pour discuter de chaque scène. Une fois que nous nous étions mis d’accord, les scénaristes l’écrivaient et de mon côté, je faisais quelques croquis que j’envoyais par email à tout le monde. La narration et la conception visuelle avançaient ainsi de pair, exactement comme au sein des studios Pixar, lors du développement de leurs films d’animation.

Avez-vous hésité à faire apparaître une version rajeunie de Kevin Flynn dans le film, aux côtés de Jeff Bridges tel qu’il est aujourd’hui ? C’était un pari technologique d’autant plus important que le personnage de Clu 2.0 est le méchant principal. Vous n’aviez pas le droit de rater votre coup…

Grâce à l’expérience acquise par Digital Domain pendant la création des effets de Benjamin Button, nous savions que nous disposions des meilleures équipes pour réaliser cet exploit, car c’en est un ! C’est la raison pour laquelle nous avions déjà fait apparaître une version rajeunie de Flynn dans la séquence-test, mais on ne la voyait que brièvement, au travers de la visière d’un casque. Grâce à cette technologie, nous avions la possibilité de réaliser des scènes fascinantes entre Clu 2.0 et son créateur, Flynn. Nous ne pouvions pas laisser passer une telle occasion, malgré la difficulté de l’exercice, car cet effet visuel-là, basé sur la performance d’acteur de Jeff Bridges, nous permettait de raconter encore mieux l’histoire que nous avions imaginée. Dans Tron l’héritage , comme dans Benjamin Button ou Avatar, les effets visuels sont absolument indissociables de la narration du film. Ils ne sont jamais gratuits.

Avez-vous passé beaucoup de temps à prévisualiser les scènes d’action en 3D schématique ?

Oui. Enormément. Il y avait tellement d’éléments à combiner que tout devait être prévu dans les moindres détails. Bien sûr, cela ne concernait que les scènes d’action, tandis que les autres séquences ont été simplement dessinées sous forme de storyboard.

De quel degré de liberté de mise en scène disposiez-vous pendant le tournage des scènes d’émotion, compte tenu de tous les effets qui devaient fonctionner à la fois sur le plateau, et de ceux que l’on allait ajouter en post-production ? Pouviez-vous improviser un peu avec les acteurs ?

Oui, car c’était essentiel. Nous avons conçu un système de tournage qui nous permettait d’improviser autant que nous le souhaitions, et qui n’exerçait pas de contraintes particulières sur les acteurs, pendant qu’ils étaient en train de jouer. C’était particulièrement important pour Jeff Bridges, qui joue trois rôles dans le film, le Flynn des années 80, le Flynn actuel, et Clu 2.0. Le système que nous avons développé permettait à Jeff d’être aussi expressif qu’il le voulait, ou de changer tout ce qu’il avait envie de changer au cours de sa performance. Il n’était pas contraint de rester dans un espace limité, ou quoi que ce soit de ce genre. Lorsqu’il jouait le rôle de Clu 2.0, il avait simplement des points dessinés sur le visage, et portait une petite caméra autour du cou. C’est tout. Mais cela ne l’encombrait pas plus qu’un accessoire comme ceux avec lesquels les acteurs ont l’habitude de jouer. Jeff n’avait même pas besoin de porter un costume spécial. Quand il jouait le rôle de Clu 2.0, il venait sur le plateau en jeans et en baskets ! Il en était ravi ! (rires)

Une première version du script avait-elle déjà été développée avant que vous ne vous occupiez de ce projet ?

Non. Nous avons écrit le script pendant que nous développions le film conjointement avec le département artistique.

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à écrire et à peaufiner ?

Les plus compliquées ont été les scènes dramatiques, comme celle des retrouvailles entre Kevin Flynn et son fils Sam que vous avez pu voir aujourd’hui. Ce sont toujours ces scènes-là qui sont les plus délicates à écrire, puis à filmer. Les scènes d’action, elles, on peut toujours les retravailler point par point, puis les perfectionner de manière plus mécanique, en post-production, pour les rendre spectaculaires, même si elles doivent impérativement être justifiées par le déroulement de l’histoire. En revanche, un moment d’émotion intime entre des personnages est réussi ou pas. S’il vous satisfait sur le papier, et que vous bénéficiez d’acteurs aussi bons que ceux de notre casting, vous êtes déjà bien parti, mais vous ne pouvez pas vous tromper pendant votre mise en scène : il faut réussir à capter le moindre mot, le moindre regard, le moindre geste qui fait que la scène devient émouvante. La relation entre Sam Flynn et son père est au centre du film, et c’est de loin l’aspect sur lequel nous avons passé le plus de temps. Bien plus que sur les effets visuels les plus complexes. Cette partie du récit était toujours notre préoccupation n°1. Nous ne l’avons jamais perdue de vue, à aucun moment, car nous savions que si nous la délaissions, notre histoire ne fonctionnerait plus.

Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous avez réinventé les scènes de combat de Tron? Vous nous présentez de nouvelles versions de l’affrontement avec les disques, des poursuites de lightcycles, et de l’attaque des tanks…

La chose la plus dure a été d’introduire une troisième dimension dans tous ces combats. Dans le premier Tron, qui était basé sur les premiers jeux en 2D, tout se déroulait sur un sol plat. Dans Tron l’héritage , chaque scène de combat se déroule sur plusieurs niveaux, dans un espace en trois dimensions. Pendant la scène du combat des lightcycles, on voit ainsi dix motos s’éparpiller sur la grille du jeu en créant des rubans de lumière derrière elles, puis elles se dirigent chacune sur des niveaux de hauteurs différentes. De ce fait, la mise au point de la chorégraphie de cette séquence a été particulièrement difficile à régler. Il fallait non seulement gérer tous les mouvements des différents lightcycles pour qu’ils soient cohérents, et repérer où chacun d’entre eux se trouvait dans l’espace, mais aussi s’assurer que toutes les phases de jeu, c’est à dire les éliminations successives des joueurs, soient différentes les unes des autres et surprennent à chaque fois les spectateurs. Cela ressemblait à la préparation d’une partie d’échecs, mais en trois dimensions ! Cette « multi-dimensionnalité » de l’univers de Tron l’héritage a été l’une des grandes difficultés à résoudre pendant le tournage, puis en post-production.

La nouvelle séquence du combat avec les disques est particulièrement réussie…Pourriez-vous nous expliquer comment vous l’avez conçue ?

Merci ! Je voulais lui donner plus d’ampleur et sortir d’un simple affrontement entre deux joueurs. Dans la séquence que je vous ai montrée aujourd’hui, vous avez pu voir que le processus du match est complètement différent. Au début de la compétition, il y a 8 matchs simultanés opposant 2 joueurs, soit 16 combattants. Chaque enclave de combat se déplace après chaque fin de combat, et le joueur restant est opposé à un autre joueur victorieux. Les enclaves se joignent les unes aux autres pour former un terrain de match de plus en plus grand, jusqu’au moment où il ne reste plus que deux joueurs, et enfin, un seul survivant, un seul vainqueur. Ce qui signifie que notre héros, Sam Flynn, doit faire des efforts terribles pour survivre, jusqu’au moment où il se retrouve en face du joueur de disque le plus habile, et le plus redoutable ! Dans cette scène également, la chorégraphie des éléments mobiles, ajoutée à celles des joueurs des différents combats a nécessité une préparation extrêmement complexe. Nous avons passé beaucoup de temps à filmer cette scène.

Comment avez-vous procédé pour développer les idées de cette séquence des combats avec les disques ? Comment avez-vous conçu les différentes étapes du jeu, ainsi que les éléments nouveaux très réussis, comme le sol transparent, qui vous permet de montrer les joueurs vus de dessous, pendant certaines phases de jeu ?

J’ai toujours voulu évoquer l’idée d’une sorte de « Partie de tennis tridimensionnelle » au cours de laquelle les athlètes pourraient évoluer dans l’espace. Il fallait que cela ait l’air d’être un sport du futur relativement crédible. J’ai commencé à concevoir la scène de manière toute simple, en réunissant quelques-uns de nos cascadeurs sur un plateau et en leur demandant de se viser les uns les autres avec des frisbees ! C’est ainsi que nous avons jeté les bases de la chorégraphie de chaque match, mouvement après mouvement. J’ai filmé ces essais avec une petite caméra vidéo HD, puis j’ai tourné quelques plans avec des maquettes très simples représentant les décors du stade, et enfin j’ai monté ces prises de vues. C’est ainsi que nous avons déterminé les bases de la séquence que vous avez vue ce matin. Avec un groupe de cascadeurs et des frisbees ! (rires) C’est souvent en procédant ainsi, avec des moyens très simples, que l’on peut se préparer efficacement à tourner des scènes complexes.

Vous jouez aussi avec le décor proprement dit, puisque Sam utilise son disque pour briser le sol de la salle de match et se débarrasser ainsi d’un adversaire trop coriace…

Oui, c’était encore un moyen d’ancrer le match dans une réalité physique. Il ne fallait surtout pas que l’on ait l’impression de voir un jeu vidéo. Toute l’ambiance de la scène, renforcée par les clameurs du public présent dans le stade, évoque des combats de gladiateurs du futurs, puisqu’il s’agit là de luttes à mort…

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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