OCÉANOSAURES 3D : VOYAGE AU TEMPS DES DINOSAURES : Suite de l'entretien exclusif avec PASCAL VUONG, réalisateur, auteur et producteur
Article 3-D Relief du Lundi 28 Mars 2011

Dans les coulisses du premier documentaire français réalisé en 3D relief pour le grand format – Quatrième partie

[Retrouvez la précédente partie de ce dossier]


Propos recueillis par Pascal Pinteau

S'adapter à un monde nouveau

Comment se sont déroulés la coproduction du film et le travail avec votre coréalisateur, Ronan Chapalain ?


La coproduction entre N3D LAND et Mantello Brothers n'a été signée que sur le tard, quelques mois seulement avant la finalisation du film, afin de boucler son financement. Cependant, l'apport de cet important producteur de film Imax (ayant trois films à succès à son actif) n'a pas été seulement financier ; dans un marché extrêmement concurrentiel dominé de façon écrasante par les Nord-Américains, il était impératif que N3D LAND soit épaulée par un coproducteur de renommée mondiale et bénéficiant d'une excellente réputation. C'est le cas de François Mantello, un des rares non-Américains à avoir réussi à s'imposer comme un acteur incontournable de l'industrie de l'Imax. Et en tant que producteur, j'ai beaucoup appris à son contact. Ronan Chapalain est cofondateur de N3D LAND Productions. Par ailleurs, depuis l'origine du projet, il a toujours été présent pour prendre en charge les aspects techniques de la fabrication et de postproduction d'un film pour lequel tout était à reconsidérer au regard de ses caractéristiques démesurées et d'un budget extrêmement serré. Il a su faire les bons choix, au bon moment. Ronan a également aidé à l'écriture du film. Enfin, c'est lui qui a supervisé l'ensemble de la postproduction 3D, colossale en l'occurrence.

Quels sont les équipements spéciaux dont vous avez dû apprendre à vous servir pour réaliser ce film pour le format Imax 3D ?

Aucun équipement spécial, en revanche, le format gigantesque de l'image à fabriquer (un photogramme 15/70mm est presque 10 fois plus grand qu'un photogramme 4/35mm d'un film conventionnel) et celui parfois inouï des écrans de certaines salles (36 mètres de base pour le LG Imax de Sydney en Australie) imposent des règles et des contraintes de réalisation qu'il serait très grave de négliger. Le cadrage, la composition du cadre, le rythme du montage, les valeurs de plans… Tout ce qui fait l'écriture du cinéma doit être adapté au gigantisme de l'image, et ce, dès le story-board. Inutile de dire combien la 3D augmente encore la lourdeur de la fabrication et ajoute encore un faisceau de contraintes incontournables dont celles relatives à la perception du spectateur dont les yeux restent invariablement écartés de 6,5 cm.

Comment s’est organisé le tournage des paysages en prises de vues réelles ?

J’avais une mission à remplir, un peu comme si une voix venue d’en haut m’avait dit : "Des paysages côtiers du Mésozoïque pour un film en Imax 3D tu filmeras… " (rires). À première vue, on a peine à imaginer ce que cette phrase toute simple peut recouvrir comme difficultés s'il faut suivre son commandement. En effet, l'ère mésozoïque s'étend sur 180 millions d'années et se décompose en 3 périodes (le Trias, le Jurassique et le Crétacé). Pendant ce laps de temps considérable, notre planète connaît des bouleversements d'une telle ampleur que la faune et la flore, le climat et même la géographie n’ont rien à voir d'une période à l'autre: Le Trias est aride, le Jurassique est luxuriant tandis que le Crétacé est assez proche du climat méditerranéen actuel. De ce fait, le problème qui se posait à nous était "comment trouver des paysages actuels si différents les uns des autres, sans avoir à faire des dizaines de milliers de kilomètres? Où filmer des paysages côtiers suffisamment naturels et sauvages sans qu'il soit nécessaire d'effacer des routes, d'innombrables maisons ou des bateaux ?". Nous avons finalement trouvé la solution en Nouvelle-Zélande. Autre problème à résoudre : filmer en Imax. De nos jours, en raison du prix prohibitif de la pellicule Imax, il faut que la production dispose de moyens financiers considérables, d'accords "en béton" passés avec Kodak (seul fabricant de pellicule Imax dans le monde) et, le cas échéant, de son propre matériel de prise de vue 70mm pour pouvoir tourner tout ou partie d'un film en 15/70mm (soit 15 perforations en horizontal et 70mm de haut). N3D LAND ne satisfaisant aucun de ces critères, il a donc fallu trouver d'autres solutions pour conjuguer un budget serré avec la contrainte de tourner des images d'une résolution suffisante pour qu'elles puissent supporter d'être projetées sur des écrans géants. Tourner des images inférieures à 4K (soit 4096 points de large ou 12 millions de pixels) revenait à prendre le risque d'avoir au final des images floues ou insuffisamment "piquées" sur l'écran géant, notamment en "dôme" (ou Omnimax). C’est ce qui nous a incités à tourner en numérique, avec des caméras Red 4K couplées. Vu le succès remporté par notre film dans de nombreuses salles Imax Dômes dans le monde (à Tokyo, à Singapour, au Mexique, et aux États-Unis : Tampa, Portland, St-Louis…), il semblerait que nos choix aient été bons. Avouons que tourner en très grande résolution, en 3D, avec 2 caméras couplées et depuis un hélicoptère, c'est chercher les ennuis ! Mais c'est pourtant bien ce que nous avons fait, avec succès et il faut l'admettre, avec beaucoup de chance : Franck Savorgnan a réussi le tour de force de trouver dans une zone géographique restreinte de la Nouvelle-Zélande tous les paysages côtiers sauvages dont nous avions besoin, des caméras qui puissent être couplées (après de nombreux essais infructueux très inquiétants) et une tête stabilisée de la toute dernière génération pour les monter à l'avant d'un hélicoptère. Il faut dire qu'un an auparavant, dans les mêmes contraintes financières, artistiques et techniques, nous avions réussi également grâce à lui à tourner des paysages sous-marins du Mésozoïque pour y intégrer nos animaux en images de synthèse. Il nous fallait disposer tout à la fois d’une eau parfaitement limpide, de beaux décors rocheux suffisamment éclairés naturellement – il n'y avait pas de spots au Mésozoïque ! –, mais sans trop de poissons ni de coraux actuels à effacer.

De quelle manière avez-vous collaboré avec les scientifiques pour reconstituer les animaux préhistoriques du film ?

Finalement, c'est surtout avec Nathalie que j'ai collaboré selon un principe que j'ai établi dès le début de notre travail et que nous avons conservé jusqu'au terme de la production. En tant que conseiller scientifique "principal" du film, il incombait à Nathalie de valider, commenter, suggérer des modifications sur tout ce que je pouvais lui soumettre, que ce soient des morceaux de scénario, le story-board, les modèles des animaux, les couleurs et textures de leur peau et de leurs yeux, les linetests d'animation, avec des considérations du plus général au plus détaillé. Le cas échéant, libre à elle de s'adresser à ses confrères paléontologues issus des 5 continents pour confirmer ou préciser les points sur lesquels elle ne pouvait/voulait pas répondre seule. Si au début j'ai sollicité Nathalie, le rythme et la quantité de mes questions et demandes de validation n'a cessé de diminuer au fur et à mesure que mes connaissances sur les animaux du Mésozoïque grandissaient. Du reste, avec beaucoup d'intelligence et de respect pour mon travail de vulgarisation, Nathalie a su de mieux en mieux "calibrer" ses réponses en étant tout à la fois précise et concise, sans m'inonder voire me perdre dans des considérations scientifiques trop pointues inutiles pour le film et en me laissant une part grandissante de choix possibles. Et c'est avec la même bienveillance que les autres scientifiques avec lesquelles elle m'a mis en contact direct ont également réagi à mes questions et aux documents que je leur soumettais.

Quels sont les animaux qui ont été les plus difficiles à recréer, puis à animer ?

Dès le début de la production, j'ai établi une classification très subjective des d'animaux que je souhaitais voir figurer dans le film. Les critères de choix étaient assez variés, mais répondaient aux exigences de la vérité scientifique d'une part et de leurs capacités cinématographiques d'autre part. Au préalable, Nathalie m'a suggéré d'établir des "assemblages fauniques" selon les périodes dont je souhaitais parler; il s'agissait, pour une période donnée, de déterminer l'ensemble les groupes d'animaux qu'il était important/indispensable de montrer ou au moins d'évoquer. Par exemple, pour le Jurassique supérieur: dans le milieu marin, il s’agit des animaux suivants : poissons, mollusques (Céphalopodes), ichtyosaures, plésiosaures, pliosaures, crocodiles. Dans le milieu terrestre : les dinosaures carnivores et les dinosaures herbivores. Dans le milieu aérien : les ptérosaures (reptiles volants) et les premiers oiseaux. Ensuite il s'agissait, pour chacun des groupes envisagés, de choisir au moins un "bon" représentant, l'espèce la plus emblématique du groupe. C'est ce choix qui était le plus subjectif, une sorte de casting finalement, en fonction de la morphologie de l'animal, de sa "beauté", de son caractère plus ou moins impressionnant, de son intérêt en termes scientifiques ou historiques, de son aptitude supposée à jouer un rôle dans mon film. Une cinquantaine d'animaux ayant été choisis, il fallait déterminer lesquels feraient l'objet de la plus grande attention, tant dans le film que pour leur fabrication. D'où l'idée de la classification très subjective suivante. Les héros : ceux que l'on verra le plus longtemps, éventuellement de très près et sur toutes les coutures. Les premiers rôles : un peu moins présents en durée que les héros et vus d'un peu plus loin. Les seconds rôles : présence un peu plus anecdotique en termes de durée, jamais vus de près. Les figurants : toujours plusieurs dans le champ, isolés ou en groupe, importance toujours restreinte dans l'image et dans l'histoire. Bien entendu, ce sont les héros (comme les Liopleurodons ou les mosasaures) et les premiers rôles (ichtyosaures, plesiosaures, …) qui ont occupé l'essentiel du temps de fabrication tant pour leur modélisation et leurs textures que pour leur animation, leur gestuelle voire leur comportement. En effet, au-delà de leur apparence parfaitement réaliste, le mot d'ordre est que ces animaux soient indiscutablement "vivants" .

Compte tenu du format géant du film, les modélisations des animaux sont-elles plus détaillées que celles qui sont réalisées pour un film au format "normal" ?

Beaucoup plus détaillées. Certains détails des héros (l'œil, la tête,..) ont fait l'objet de modélisations à part entière avec des dimensions de maps (textures) atteignant parfois 8K. Par exemple, il faut imaginer que le fameux œil du mosasaure peut mesurer plus de 15 mètres quand il est projeté sur certains écrans géants !

De quelles références vous êtes-vous servi pour animer les différentes créatures du film ?

Sur les conseils des scientifiques, nous nous sommes inspirés des comportements et gestuelles des animaux actuels. À défaut d'animaux actuels comparables à ceux du mésozoïque, ce sont les principes de biomécanique (place et type d'articulation, musculature, accroche des tendons, degrés de liberté, etc.) qui ont présidé à certaines animations.

Beaucoup de scènes se déroulent sous l’eau, où dans la réalité, la visibilité est très réduite : comment avez-vous contourné cette difficulté dans les scènes 3D ?

Effectivement, il faut faire la part des choses entre présenter les animaux de la façon la plus réaliste, et rendre cette vision la plus intéressante possible. C'est là un bon exemple de ce qu'on appelle la licence artistique ; c'est la liberté que le réalisateur s'accorde avec la réalité. Reste à savoir quelles en sont les limites. Finalement, c'est le spectateur qui saura/décidera si le réalisateur a respecté des limites raisonnables ou s'il les a outrepassées.

Un équilibre délicat à établir

Quelles sont les séquences principales du film ?


Le scénario final se compose de 24 séquences: reconstitutions historiques, animalières, "interviews" de scientifiques, dialogues des deux protagonistes, explications schématiques et transitions. Chacune a sa place dans le montage, elles viennent toutes illustrer ou soutenir les propos du film et sont complémentaires les unes des autres. En enlever une serait rompre l'équilibre du film entre pédagogie et spectaculaire. De même, aucune n'est plus importante qu'une autre.

Quelles sont les scènes qui ont été les plus difficiles à réaliser et pourquoi ?

Les difficultés à réaliser/fabriquer une scène ou une séquence sont de plusieurs ordres. Souvent, pour une même séquence, les difficultés se combinent. Dans le domaine des reconstitutions historiques : l'enjeu étant de faire croire au spectateur qu'il assiste personnellement à un événement qui s'est déroulé dans passé, il s'agit de pousser le réalisme dans ses moindres détails: la façon dont s'expriment les protagonistes, leurs costumes, les décors, les accessoires, l'éclairage (bougies ou lampes à pétrole) et l'ambiance générale. Mais ce qui prime avant tout dans la réussite d'une telle séquence, et cela vaut pour tous les films, c'est le talent des comédiens. Pendant les séquences animalières, il fallait intégrer parfaitement des animaux en 3D dans des décors réels, ce qui n'a jamais été simple, et donner l’impression qu’ils sont bien vivants. Et comme ces animaux vivaient il y a 230 millions d'années, il fallait tourner des images de paysages côtiers sans maisons, routes, bateaux à effacer en postproduction, ce qui devient une gageure à notre époque. Et étant donné que le film est tourné en Imax et en 3D, réussir tout cela relève presque de l'impossible !

Les savants qui interviennent dans le film ont-ils été aussi difficiles à mettre en scène que les créatures préhistoriques ?

Ah, il n’y a rien de pire dans un documentaire que l'interview d'un scientifique mal à l'aise devant la caméra ! Et aucun parti pris artistique ne pourra sauver la séquence aux yeux du spectateur. La difficulté, diplomatique cette fois, était de faire accepter à d'éminents paléontologues qu'ils prêtent leurs noms (leur notoriété, leur sérieux et leur rigueur scientifique) à des comédiens qui les représenteraient à l'image. Nathalie en ayant accepté le principe, à son grand soulagement devant la difficulté de l'exercice et au mien, elle a su convaincre quatre de ses collègues paléontologues de l'imiter. Bien sûr, il nous a fallu leur faire valider au préalable les mots qu'ils étaient supposés prononcer eux-mêmes !

Quelles sont les clés d’une direction artistique réussie, dans un film comme celui-ci et quelles sont les erreurs à éviter ?

Ah, si je connaissais les clés de la réussite !… Ce dont je suis sûr, c'est que les quatre longues années et demie nécessaires pour transformer le rêve en réalité ont été providentielles ; c'est l'expérience acquise pendant tout ce temps, aussi bien dans l'écriture et la réalisation de ce genre de film que dans la production et la postproduction, qui nous a permis d'éviter de nombreux écueils et de façonner le film au mieux de ce que nous pouvions ou voulions faire. Pour avoir été présent à tous les congrès GSCA (Giant Screen Cinema Association) et Euromax depuis septembre 2006 et avoir vu des dizaines de films "Grand Format", pour avoir profité de ces occasions afin de discuter avec les plus grands noms de la profession (Greg McGillivray, Ben Stassen, Howard et Michèle Hall, …) et assisté aux conférences qu'ils tenaient, je suis sans doute l'une des personnes en France qui connaissent le mieux l'industrie du cinéma pour écrans géants. Je crois que la pire erreur, celle à éviter à tout prix, est de croire qu'on peut produire/réaliser un tel film sans ces connaissances, sans cette expérience, sans cette conviction de ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire. Finalement, heureusement que je n'ai pas disposé tout de suite des 5 millions de dollars de budget ; j'aurais beaucoup gaspillé, fait beaucoup de mauvais choix et en définitive, il aurait sans doute fallu doubler la mise.

À votre avis, pourquoi est-ce seulement aujourd’hui qu’une société française s’implique dans la production d’un film en Imax 3D ?

Jusque-là, il n'y avait pas eu de gens assez fous pour tenter l'aventure ! (rires).

Quelles ont été les difficultés inattendues qui vous ont le plus surpris ?

On peut dire que j'étais prévenu, et pourtant, deux de mes "grandes" surprises sont directement liées au format géant. D’abord, le poids informatique de nos images… titanesque, colossal ! Je ne sais pas quel est le terme le plus approprié. Et à raison de 24 images par seconde, ce film de 41 minutes en 3D relief – donc constitué de 2 films très légèrement différents – représente donc 24 images par seconde, soit 1440 images par minute, multipliées par 41 minutes de film et encore multipliées par 2 puisqu’il y a deux films projetés simultanément. On aboutit à un total de 118.080 images en 4K, soit un poids informatique de près d'une dizaine de Terraoctets. Quand on sait que la plupart des images sont le résultat d'un compositing de 8 couches en moyenne, on peut même considérer que nous avons eu à gérer 118.080 x 8 = 944.640 images ! Sans même parler de temps de calcul et de lourdeur du travail de compositing, faire circuler ce petit million d'images sur notre réseau (fibre optique) pour d'inévitables allers-retours d'un disque à l'autre représente en temps cumulé, des semaines complètes en transfert ! L’autre grande surprise, c’est la disproportion monumentale entre nos minuscules écrans de travail [24 pouces quand même] et un véritable écran Imax, gigantesque… C'est ainsi qu'à une projection de contrôle d'une de nos premières copies 15/70mm, sur l'écran de La Géode (1000 m2), nous avons été stupéfaits de repérer, en plein Jurassique, des moutons qui gambadaient à flanc de colline, un pêcheur et son matériel à l'ombre d'une haute falaise, et de magnifiques panneaux publicitaires ! (rires). En dépit du temps que nous avions passé sur les images et du soin avec lequel nous les avions choisies, il nous avait été impossible de voir ces infimes détails anachroniques sur nos petits écrans. Pour ne rien vous cacher, je vous avoue que nous n’avons pas été en mesure de tout corriger…

Quels sont vos projets actuels et futurs ?

Je peux seulement dire que, forts du succès que commence à rencontrer Sea Rex/OcéanoSaures à travers le monde, avec la notoriété et l'expérience que N3D LAND a pu acquérir de haute lutte, nous allons continuer à donner un peu de fil à retordre à nos concurrents américains… Leur public aime notre film actuel, il va adorer les prochains !

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