Fawlty Towers : Un chef d'œuvre de la sitcom anglaise
Article TV du Jeudi 02 Juin 2011

L'une des meilleures sitcoms n'aurait certainement jamais vu le jour si la fine équipe de la série Monty Python's flying circus n'avait choisi de séjourner à l'hôtel Gleneagles, dans la petite ville de Torquay, à l'occasion d'un tournage en 1971.



Par Pascal Pinteau

Le gérant de l'hôtel, un dénommé Donald Sinclair, était apparemment  l'homme le plus désagréable qui ait jamais sévi dans l'industrie touristique. Remarquant que Terry Gilliam – le seul américain de la troupe des Monty Python - se servait de sa fourchette avec sa main droite, Sinclair n’hésita pas à déclarer à la cantonade :"On ne mange pas comme ça, dans ce pays !"  Stupeur de l’assistance et embarras de Gilliam… Plus tard, lorsque Eric Idle oublia l'un de ses bagages devant la porte d'entrée de l'hôtel, il ne le retrouva pas. Il demanda à Sinclair où le bagage avait été rangé. L'hôtelier lui répondit que la valise avait été posée sur le mur, au fond du jardin, car il craignait qu'il ne s'agisse d'une bombe ! Plus fort encore,  devant la stupeur d'Idle, il ajouta comme si de rien n’était "Nous avons eu des problèmes avec notre personnel récemment."  C'en était trop : toute l'équipe des Monty Python changea d'hôtel, à l'exception de John Cleese, qui était absolument fasciné par ce personnage hors du commun. Au mépris de tous les dangers, il invita la comédienne & scénariste américaine Connie Booth, avec laquelle il était alors marié, à le rejoindre pour observer le comportement hallucinant de l'horrible hôtelier. C'est ainsi, en prenant des notes sur le vif, que Cleese et Booth imaginèrent peu à peu l’univers de Fawlty Towers !

Un casting parfait

Les deux scénaristes ne se contentèrent bien évidemment pas de copier ce qu’ils avaient vu. Autour du personnage de l’exécrable hôtelier, Cleese et Booth imaginèrent aussi une formidable galerie de personnages, qui fonctionnent chacun comme un rouage de la mécanique qui mène inéluctablement le patron de l’hôtel à sa perte. Les deux personnages principaux de la série sont donc Basil Fawlty (John Cleese) et sa femme Sybil (Prunella Scales), les propriétaires d'un petit hôtel baptisé Fawlty Towers. Dans le couple, c’est Sybil qui a la tête sur les épaules et qui prend les décisions sensées. Elle surveille de près son mari, n’hésitant pas à le rappeler à l’ordre quant il dépasse les bornes. Les Fawlty sont aidés par la sémillante Polly (Connie Booth) , une jeune femme blonde dont les idées pour résoudre les problèmes ne contribuent qu’à les accentuer, et par Manuel (Andrew Sachs), un immigré espagnol plein de bonne volonté, mais qui a du mal à maîtriser la langue de Shakespeare. Après qu’on lui ait formulé une longue question très précise, Manuel a coutume de répondre, avec un accent à couper au couteau,  « I know nothing, I come from Barcelona ! » (Je n’en sais rien, je viens de Barcelone !), une phrase restée culte aujourd’hui au Royaume-Uni.  L’hôtel compte aussi des clients qui vivent à demeure, dont le Major Gowen (Ballard Berkeley), un militaire en retraite presque sourd, et deux charmantes vieilles dames, Miss Tibbs (Gilly Flower) et Miss Gatsby (Renee Roberts), souvent dépassées par les situations démentes dans lesquelles elles sont entraînées bien malgré elles.



L’alchimie des catastrophes

Chaque épisode de la série est articulé autour de quiproquos qui s'enchaînent avec une maestria confondante. Basil Fawlty tente de dissimuler ses incompétences, ses faiblesses, ses mauvaises décisions ou ses erreurs de jugement à son épouse par des mensonges de plus en plus intenables qui se retournent contre lui. Au lieu d'admettre ses torts et de s’en tirer à bon compte, Basil persiste et signe en déployant une mauvaise foi et une énergie insensées. Les chassés-croisés entre Basil - qui tente de faire croire à son épouse que tout va pour le mieux - Manuel, - qui comprend tout de travers et complique les problèmes - Polly et les clients habituels de l'hôtel devant lesquels le petit groupe tente de sauver les apparences, sont de véritables leçons de comédie. Tous les acteurs sont excellents dans leurs rôles, mais John Cleese est absolument exceptionnel. Il déploie là, outre son sens du timing comique qui faisait déjà merveille chez les Monty Python, une capacité d’expression corporelle extraordinaire, digne des animations des maîtres du cartoon. Il faut le voir, dans l’épisode « The Germans » où des touristes allemands résident dans l’hôtel, et où il a donné à tous les employés la consigne de ne jamais mentionner la seconde guerre mondiale, se prendre une horrible tête empaillée d’élan sur la tête, puis, victime d’un traumatisme crânien qui rend son comportement imprévisible, se mettre à défiler au pas de l’oie en singeant Hitler devant les malheureux allemands outragés !  Dans ces scènes, on a l’impression que le long corps de Cleese est fait de caoutchouc extensible, tant il bouge comme un toon en plein délire !



12 épisodes = 12 pépites

Produite selon les méthodes anglaises, qui visent à privilégier la qualité sur la quantité – Cleese et Booth disposaient de six semaines pour écrire chaque épisode de 30 minutes -  la série ne compte que deux saisons de 6 segments, tournées en 1975 et 1979.  Mais ces 12 épisodes peuvent être vus et revus à l'infini, sans jamais manquer de provoquer le fou-rire, car ce sont des chef-d'œuvres d’humour, à la mécanique comique imparable ! Dans « A touch of class », Basil se met à détester ses clients habituels – qui le font pourtant vivre ! - et rêve de transformer son petit hôtel de province en établissement de luxe. Il devient donc encore plus désagréable avec les petites gens, tandis qu’il redouble de courbettes et d’obséquiosité devant un Lord arrivé chez lui par hasard. Ses rêves de grandeur se retournent bien sûr contre lui…Dans « A wedding party », Basil se jure d’empêcher une jeune fille qui a pris une chambre à son seul nom de recevoir en douce un petit ami. Il va multiplier les embuscades pour surprendre le jeune couple en flagrant délit de galipettes, et se retrouver bien sûr plus d’une fois dans des postures aussi absurdes qu’embarrassantes. Citons aussi « The Anniversary », au début duquel Sybil Fawlty, ulcérée par une dispute qui dégénère, s’en va en claquant la porte alors que Basil lui a prévu une fête d’anniversaire surprise, en invitant tous leurs amis ! Basil tombe des nues en constatant que son épouse est partie pour de bon. Pour éviter de perdre la face, il se retrouve dans l’obligation de demander à Polly de prendre la place de Sybil, et de feindre une maladie en s’alitant dans une chambre obscure, déguisée avec une perruque une paire de lunettes de soleil et des boules de coton dans les joues. Naturellement, dès leur arrivée, les amis demandent à voir la malade dans sa chambre, et cette visite devient un morceau de bravoure ! L’ultime épisode de la série, « Basil the rat », est une course-poursuite pour attraper un rat alors qu’un inspecteur des services d’hygiène revient visiter l’hôtel après un premier contrôle qui s’est plutôt mal passé. Tous ceux qui ont vu un jour ce moment d’anthologie se souviennent de la réplique « Would you care for some rat ? » (Prendrez-vous un peu de rat ?) qui le conclut à merveille.

Une référence de l’humour anglais

Série culte dans les pays anglo-saxons, où elle est considérée comme l’une des œuvres majeures de la comédie britannique, Fawlty Towers, qui fut rebaptisé  l'Hôtel en folie en France, a apporté à la ville de Torquay une renommée internationale. Plus de 30 ans après la création de la série, on peut toujours participer à un circuit touristique qui permet de découvrir le fameux Gleneagles Hotel, l’endroit où tout à commencé. Hélas, l’exécrable Donald Sinclair n’y fait plus de démonstrations de son extraordinaire manque d’hospitalité : le « Basil Fawlty » du monde réel a quitté Torquay pour la Floride dès la fin des années 70, ne supportant plus les railleries dont l’accablaient ses concitoyens - qui n’avaient bien évidemment raté aucun épisode de la série – ni la curiosité amusée des touristes ! En constatant la popularité toujours intacte de la série, que des producteurs américains tentèrent de copier à trois reprises (dans un pilote intitulé « Château Snavely », puis dans les séries Amanda’s  et  Payne)  sans jamais obtenir de succès, on peut se demander pourquoi John Cleese et Connie Booth n’ont jamais été tentés d’écrire la suite des aventures de Basil Fawlty. Leur divorce, prononcé en 1978, peu après le tournage de la seconde saison de la série, est probablement l’une des raisons. Connie Booth s’est peu à peu détachée du monde du spectacle, devenant psychothérapeute en 2005. John Cleese, lui, à déclaré avoir eu une idée de départ pour un film qui prolongerait les aventures de Basil Falwty : un enchaînement de situations insensées qui pousserait Basil à détourner un avion ! Mais Cleese n’est jamais allé plus loin, comme il l’explique dans les bonus du coffret DVD de la série, qui n’existe malheureusement qu’en V.O. non sous-titrée et en import. Cela étant dit, même si votre connaissance de l’anglais n’est pas parfaite, les situations de la série sont assez faciles à comprendre, et à suivre visuellement. Ne vous privez donc surtout pas d’une visite de l’hotel Fawlty Towers !



Sitcom en 2 saisons et 12 épisodes (BBC / Grande-Bretagne/ 30 min)

Première Saison (1975)

-  A Touch of Class 
- The Builders
- The Wedding Party
- The Hotel Inspectors
- Gourmet Night
- The Germans


Seconde Saison (1979)

- Communication Problems
- The Psychiatrist
- Waldorf Salad
- The Kipper and the Corpse
- The Anniversary
- Basil the Rat


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