THE PRODIGIES : Dans les coulisses d’un thriller fantastique - Entretien avec le réalisateur Antoine Charreyron
Article Animation du Vendredi 10 Juin 2011

Dans cette suite du dossier que nous consacrons à THE PRODIGIES, film d’animation français ambitieux adapté du best-seller LA NUIT DES ENFANTS ROIS, le réalisateur Antoine Charreyron nous raconte cette aventure artistique atypique et passionnante. Rappelons que dans ce film fantastique qui se déroule à New York, cinq enfants prodiges dotés de pouvoirs paranormaux se liguent contre le monde des adultes. Un jeune homme, Jimbo, est le seul à pouvoir s’opposer à eux… À découvrir dès à présent en relief dans les salles !

Né en 1976, Antoine Charreyron étudie l’infographie dans le cadre de l’école Supinfocom. C’est là qu’il réalise son premier court métrage, MOUSE (1999), qui sera sélectionné pour participer au festival d’Annecy dans la catégorie des films de fin d’études. Après avoir créé des animations 2D/3D pour des publicités et des habillages de programmes, il se spécialise dans la création de séquences cinématiques de jeux vidéo. Il signe ainsi la séquence d’introduction de DEAD TO RIGHTS (2002) pour Namco, qui remportera le prix de « la cinématique de l’année » au festival E3 2002 . Parmi ses autres cinématiques marquantes, on peut citer celles de TOMB RAIDER 6 (2002 - Core Design) , TERMINATOR 3 (2003 - Infogrames USA / cinergi), SHADOW OPS (2004 - Infogrames USA), et DONJONS ET DRAGONS (2004 - Infogrames USA). En 2006, il crée la cinématique du jeu THE WHEELMAN conçu par l’acteur Vin Diesel, puis celle de BOURNE IDENTITY (2007 - High moon Studio/Vivendi Universal ), d’après le film réalisé en 2002 par Doug Liman, avec Matt Damon. En 2007, Antoine Charreyron conçoit une séquence d’action pour le film de Mathieu Kassovitz BABYLON A.D. (production Legend/Fox), et participe à son tournage en tant que réalisateur de seconde équipe. C’est fin 2007 qu’il a entamé la préparation de THE PRODIGIES, son premier long métrage de cinéma.

Propos recueillis par Pascal Pinteau

Quand vous êtes-vous rendu compte que vous vouliez travailler dans le domaine du cinéma et des jeux vidéo ?

Je viens d’une famille qui n’était pas très cinéphile, ce n’était pas sa culture, mais quand j’étais gamin et que je regardais un film à la télévision, je remarquais toujours les coupes, les effets de montage et de mise en scène. Je dessinais beaucoup, je lisais beaucoup de BDs comme SPIDER-MAN, et je jouais énormément aux jeux vidéo. J’aimais beaucoup AQUA BLUE de Vatine, les X-MEN et LES NOUVEAUX X-MEN, et les comics de Marvel en général. J’adorais l’univers Marvel, parce qu’il est totalement intégré dans la vraie vie de tous les jours, alors que les BDs de DC comics, avec Batman et Gotham City, se déroulent dans une sorte d’univers parallèles, moins proches du quotidien. Du côté des séries, j’aimais beaucoup la mythologie des CHEVALIERS DU ZODIAQUE. Plutôt que de me lancer dans la mise en scène classique, j’ai eu envie de me diriger vers la conception de scènes cinématiques de jeux vidéo. J’ai étudié au sein de SUPINFOCOM, qui est une école où l’on apprend l’infographie, et j’ai fait de l’animation de personnages, ce qui m’a permis aussi d’apprendre à utiliser et à placer des caméras en 3D. Je suis sorti major de ma promotion, et j’ai eu l’occasion de travailler dans le monde du jeu vidéo. Et comme j’étais fan de BD et de jeux, quand je me suis retrouvé en face de clients américains, vers 2002/2003, j’ai pu dialoguer facilement avec eux, parce que j’avais les mêmes références.

A quel âge avez-vous lu LA NUIT DES ENFANTS ROIS ?

C’est une prof qui me l’a fait lire quand j’étais en classe de quatrième, car je traversais une période assez dure, où il y avait eu des décès dans ma famille qui m’avaient beaucoup perturbés. J’étais « en rejet », tendu, en colère. Cette enseignante avait compris qu’il y avait des clés dans le livre, et que cela pourrait m’aider. Elle avait raison, car en en lisant, j’ai retrouvé les sentiments que j’éprouvais, mais j’ai réalisé aussi que je pourrais évoluer en grandissant, changer et trouver un apaisement. Quand on m’a proposé de réaliser l’adaptation du livre, je l’ai évidemment relu, et étant trentenaire maintenant, je me suis senti encore plus du côté du personnage de Jimbo qu’auparavant.

Comment votre expérience dans la réalisation de scènes cinématiques pour des jeux vidéo, puis votre collaboration avec Mathieu Kassovitz sur BABYLON A.D. vous a t’elle aidé à vous préparer à un projet atypique comme l’adaptation de LA NUIT DES ENFANTS ROIS ?

Quand je me suis lancé dans la mise en scène, j’ai regardé combien il y avait de réalisateurs de cinéma à Paris, et je me suis rendu compte qu’ils étaient 5000 ! J’ai compris que je ne pourrai jamais faire partie du groupe de tête. Comme j’avais envie de raconter des histoires, et que je connaissais l’animation 3D, je me suis lancé dans les cinématiques de jeux. En tout, j’ai fait onze heures de séquences cinématiques pour différents jeux avant de réaliser THE PRODIGIES. Même si dans la plupart des cas, ce sont des personnages qui se tirent dessus, c’était une excellente école de narration et d’apprentissage de la mise en scène. Ma façon de travailler, c’était de m’appuyer sur ma culture des films d’action japonais et américains, et d’essayer plusieurs approches de mise en scène d’une séquence, jusqu’au moment où j’en trouvais une qui me satisfaisait pleinement. Par exemple, quand j’ai fait les 25 minutes de cinématique du jeu TERMINATOR 3, j’ai décidé de découper l’action en une multitude de plans pour me rapprocher du style du film. Dans le projet suivant, je n’ai utilisé que des plans-séquences, et de projet en projet, j’ai accumulé les expériences. Plus tard, comme Mathieu Kassovitz avait vu ce que je faisais, il m’a fait appeler pour préparer certaines scènes d’action de BABYLON A.D.

Quelle a été votre réaction quand les producteurs Marc Missonnier et Aton Soumache vous ont proposé de réaliser THE PRODIGIES ?

J’ai été tout de suite d’accord, parce que cela allait être un projet novateur, et parce que j’avais adoré le roman. Je leur ai montré un court métrage que j’avais fait avec un artiste du graffiti, à New York, qui s’intitulait GETTING UP. Le film montrait que nous avons tous un point de vue différent sur le monde, en fonction de nos passions. Dans THE PRODIGIES, les enfants ont une vision déformée de ce qui les entoure quant ils sont en proie à des émotions très intenses, et c’est quelque chose qui rejoint ce que j’ai vécu dans ma propre jeunesse. Je voulais que le film soit réaliste au niveau des émotions, en utilisant la Mocap, en travaillant avec de bons acteurs choisis après un casting exigeant, puis en utilisant la 3D pour obtenir des images à l’impact viscéral. Je voulais aussi me servir de tout ce que j’avais appris en créant des scènes cinématiques d’action de jeux vidéo, pour mettre en scène la colère des enfants avec des mouvements spectaculaires de caméras virtuelles.

Vous avez créé un animatique très poussé du film. Pourriez-vous nous parler de cette préparation ?

C’est un processus qui est souvent utilisé maintenant, mais que j’avais déjà pris l’habitude d’employer il y a déjà quelques années. C’est une approche qui vient de l’animation. En fait, j’ai fait quatre fois la mise en scène de LA NUIT DES ENFANTS ROIS : d’abord un storyboard filmé que l’on a monté, puis nous avons animé des petits personnages schématiques en 2D pour mieux mettre en place le rythme des scènes, puis j’ai tourné les scènes en Mocap, et enfin je suis passé à la mise en scène avec les passes de cadrages de caméras virtuelles. La Mocap, c’est le moment où je dirige les acteurs, tout en sachant très bien où je placerai mes caméras, mais la réalisation proprement dite se fait après le tournage Mocap, en post-production et en 3D. L’avantage de cette méthode, c’est que l’on sait déjà comment les personnages bougent dans l’espace virtuel. On peut donc placer les caméras pour les filmer de la manière la plus efficace possible, alors qu’en prise de vues réelles, on est forcément un peu plus approximatif, puisque l’on ne bénéficie pas de la possibilité de voir les mouvements des acteurs à l’infini, avant de les cadrer.

Comment avez-vous travaillé en binôme avec Viktor Antonov pour jeter les bases de la direction artistique du film ? Quelles sont vos idées qui ont influencé son travail et vice-versa ?

Je suis arrivé le premier sur le film, au moment où il y avait déjà un script, avec mes idées de jeu vidéo, et l’idée de jouer sur la perception des personnages , en effaçant les décors derrière eux, un peu comme dans les comics. Dans les BDs américaines, vu leur rythme de production, 22 planches par mois, les dessinateurs n’ont pas le temps de dessiner les décors en détail. Ils utilisent donc tout un tas d’astuces pour les simplifier ou ne pas les dessiner du tout, et se concentrent sur les actions des personnages. Ce qui a facilité notre collaboration, c’est que parmi mes références en matière de jeux, il y avait le travail de Viktor sur TEAM FORTRESS 2 et HALF LIFE 2. Nous sommes tombés d’accord sur une approche très graphique de l’univers du film, inspirée par la peinture, tout en nous basant sur une photo de prises de vues réelles. Il n’était pas question d’aller vers des images aux couleurs acidulées, mais plutôt des visuels aux teintes désaturées, avec des ombres très fortes, comme Viktor en avait employé sur HALF LIFE 2. Je dessinais beaucoup de recherches de vignettes, de storyboards, et Viktor créait beaucoup d’illustrations. Ensuite, j’allais le voir avec son équipe de designers, et j’étudiais leurs propositions de décors, et leurs architectures influençaient mon storyboard. Inversement, je leur disais ce qu’étaient mes besoins de mise en scène et ils en tenaient compte dans leurs dessins.

L’idée des trois niveaux de graphisme qui illustrent la perception des enfants, qui a été développée par Viktor, est donc un prolongement de votre idée initiale de décors qui s’estompent quand les émotions des enfants rois sont très intenses…

Oui, l’idée initiale vient de moi, et m’est venue en pensant à ce que je ressentais pendant cette période de deuil que j’avais connue, adolescent. Dans un second temps, Viktor a développé graphiquement trois étapes progressives dont je lui avais parlé. Le niveau 1, c’est la perception normale, le niveau 2, c’est celui de la tristesse, où l’on ne perçoit que des détails. Je l’ai vécu en apprenant des décès ou des nouvelles tristes dans ma vie. On se souvient parfaitement d’une musique qui passait à la radio à ce moment précis, et toute notre vie on associera cette mélodie ou d’autres petits détails insignifiants à ce souvenir. Le niveau 3 est issu de mes codes de comics, avec les décors qui s’estompent, comme dans les comics, et avec les personnages adultes qui se déforment.

Vous avez travaillé la Mocap de manière un peu différente sur ce film, en dirigeant les acteurs casque sur les oreilles, et en écoutant leurs dialogues…

Quand Marc Missionnier est venu sur le plateau, c’était le choc des cultures. Venant de la prise de vue réelle, c’est un peu difficile de comprendre ce qu’un réalisateur est en train de faire au milieu de bonshommes en combinaisons noires qui bougent dans tous les sens. Marc m’a donné de nombreux conseils, et suggéré une méthode que je n’utilisais pas, celle du casque, plutôt que d’aller comme avant me coller aux comédiens sur le plateau. Quand on ne porte pas de combinaisons avec des capteurs, on est comme l’homme invisible sur un plateau de Mocap, on peut se déplacer dans l’image sans apparaître sur les données enregistrées. Marc m’a coaché sur la vigilance vis à vis de la diction du texte, qui devait être très intelligible, il m’a suggéré aussi de faire jouer les scènes avec plusieurs rythmes, d’une allure rapide à une allure lente. La relation avec Marc a été passionnante, parce que deux univers se mélangeaient. C’est également la première fois que j’ai travaillé avec un producteur qui m’a dit « On va faire un casting de très bons comédiens à New York ». Quand je suis entré dans le bureau d’Avy Kaufman, qui est la directrice de casting de Spielberg, j’ai vu que Marc ne s’était pas moqué de moi. Tout cela, c’est un producteur de film de prises de vues réelles qui le sait. Et c’est ce qui nous a permis d’obtenir l’émotion qui se dégage des scènes du film, car nous avons collé au plus près au jeu de ces excellents acteurs.

Est-ce que la possibilité de pouvoir théoriquement tout faire – tous les mouvements de caméra, les angles impossibles à tourner en prises de vues réelles – est un piège ou un avantage pour un réalisateur ?

Les deux ! C’est pour cela que mon apprentissage dans les cinématiques de jeux a été un gros avantage. J’ai fait le tour des effets et de la technique de fabrication en Mocap avant, et avec Marc, j’ai pu me pencher sur la narration visuelle de l’histoire. Il fallait que je tienne l’attention des spectateurs pendant 90 minutes en restant concentré sur les émotions et les motivations des personnages. Bien sûr, si l’on essaie de raconter une histoire en faisant bouger sa caméra dans tous les sens, ça ne marche absolument pas. Il faut trouver un style, et réfléchir à ce que chaque plan signifie et raconte. C’est ce que j’avais déjà fait dans les cinématiques de jeu, en évoluant de projet en projet. A mes débuts, j’allais dans l’excès, les caméras qui tournaient, et puis avec le temps, j’ai compris le métier. L’importance de la signification. Dans le niveau 1, j’utilise des mouvements de caméras réalistes, basés ce que l’on fait sur un vrai plateau de cinéma, avec une dolly, un travelling, une grue, des champ contrechamp classiques. Dans les niveaux 2 et 3, plus on entre dans les névroses, plus on utilise un style qui n’est possible que grâce à la Mocap et aux caméras virtuelles.

Comment qualifieriez-vous le style de réalisation que vous avez donné au film ?

Viscéral ! (rires) C’est un terme que j’utilise tout le temps, mais c’est ce que je ressens. C’est vraiment au niveau de mes tripes que je sens si un jeu d’acteur me touche ou pas, si une mise en scène est efficace ou pas, si le montage d’une séquence fonctionne ou pas. En tant que jeune réalisateur, travailler en 3D m’a permis de disposer dans le virtuel de moyens dont très peu de metteurs en scène, même chevronnés, peuvent disposer en prises de vues réelles : l’équivalent de toutes les grues, louma, spydercam et autres appareils sophistiqués et coûteux à louer. C’était l’intérêt pour moi de travailler en 3D : disposer de ces moyens illimités.

Comment avez-vous intégré la 3-D Relief dans votre mise en scène, dans vos mouvements de caméra, et dans votre montage ?

Dans toutes les scènes qui montrent le monde « normal », j’ai voulu jouer sur la profondeur, le réalisme, la durée, et pas sur les jaillissements hors de l’écran. Nous avons 1387 plans dans un film de 90 minutes, ce qui est une moyenne normale. Cependant, le rythme de plans est plus rapide dans les scènes d’action, où l’on joue davantage avec le jaillissement. Bien sûr, quand le montage est très rapide, on diminue le relief, parce que le regard n’aurait pas le temps de s’habituer. Je joue aussi sur les ralentis/accélérés pour mettre en valeur certains effets. Le relief est totalement intégré dans la mise en scène et dans la signification des plans.

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