[De nos archives] Le Roi Lion : Entretien avec les réalisateurs Roger Allers et Rob Minkoff
Article Animation du Mercredi 07 Octobre 2015

Retour sur la création de ce chef d’œuvre des studios Disney...


Les images illustrant cet entretien ne sont pas tirées du Blu-ray.

Propos recueillis par Jérémie Noyer et traduits par Scrooge

Quelle a été l'idée à l'origine de la création du Roi Lion ?

Rob Minkoff : A l'origine, on le voyait plus comme 'Bambi en Afrique'. Davantage dans un style "aventure réelle" que "aventure mythique et épique". Mais lorsque Roger et moi, nous nous sommes rencontrés, nous l'avons imprégné des éléments plus spirituels... qui sont devenus une caractéristique du film !

Lorsque vous réalisiez Le Roi Lion, aviez-vous imaginé qu'il deviendrait un tel film classique Disney ?

RM : Lorsque nous avons commencé à travailler sur Le Roi Lion, c'était le quatrième film à sortir dans la succession des classiques d'animation modernes de Disney. Le premier était La Petite Sirène, puis La Belle et la Bête, et enfin Aladdin. C'étaient tous des dessins animés difficiles à égaler. Nous espérions seulement pouvoir être comparé favorablement, et ne pas décevoir les fans des studios Disney. Lorsque nous avons terminé la séquence du cycle de la vie, Circle of Life, et qu'elle fut diffusée en tant que bande-annonce dans les cinémas, nous avons compris que nous étions à l'origine de quelque chose de spécial. Mais nous n'avons jamais été excessivement confiants. Nous avons donc continué à travailler dur afin de livrer un bon film.

Rob, comment vous êtes-vous partagés les tâches de réalisateur avec Roger Allers ?

RM : Après avoir travaillé ensemble sur l'histoire, nous avons divisé les séquences afin que chacune soit dirigée par l'un ou l'autre d'entre-nous. Par exemple, Roger a dirigé la scène "I Just Can’t Wait To Be King", et moi je me suis occupé de "Circle of Life".



Pouvez-vous nous parler de la façon dont vous avez recruté vos animateurs ? J'ai toujours entendu dire que - parce que Pocahontas était censé être un projet de prestige -, la plupart des animateurs de la "A-list" du Studio souhaitait travailler sur cette production. Cela implique qu'il était difficile de recruter des animateurs pour venir travailler sur Le Roi Lion. Est-ce que cette rumeur est vraie ?

Roger Allers : C'est vrai, en effet. Mais ce fut l'occasion de donner leur chance à de jeunes animateurs qui ont pu diriger des personnages, comme Tony Bancroft (Pumbaa), Mike Surrey (Timon) et James Baxter (Rafiki), qui sont tous de brillants artistes. Nous avons eu de la chance!

RM : Le titre de travail du Roi Lion était à l'origine "le roi de la jungle". Lorsque Jeffrey Katzenberg a annoncé que l'équipe du studio serait divisée en deux, pour faire deux films simultanément, de nombreux animateurs - les plus connus - voulaient travailler sur Pocahontas, et non Le Roi Lion ! Jeffrey avait jugé Pocahontas comme étant la "pièce principale", et Le Roi Lion représentait le "risque". Cela a offert aux nouveaux animateurs l'occasion d'intensifier leur rôle au sein du studio. Beaucoup de gens ont remarqué des similitudes avec Hamlet dans l'histoire du Roi Lion. Était-ce quelque chose que vous saviez lorsque vous réalisiez le film ?

RM : Étant donné que Le Roi Lion a été créé comme une histoire originale, on a toujours le besoin de l'ancrer à quelque chose de familier. Lorsque nous avons présenté l'ébauche révisée du film à Michael Eisner, Jeffrey Katzenberg, Peter Schneider et Tom Schumacher, quelqu'un dans l'assemblée a déclaré que dans ses thèmes et les relations entre les personnages, l'histoire avait des aspects similaires avec Hamlet. Mais tout le monde a répondu favorablement à l'idée que nous faisions quelque chose de Shakespearien. Shakespeare est le plus grand dramaturge de l'histoire. Ses œuvres ont résisté à l'épreuve du temps comme aucune autre. Mais il faut du temps pour apprendre à apprécier Shakespeare, et j'ai eu la chance de grandir à Palo Alto en Californie, à une époque où l'éducation artistique était enseignée.

De quelle manière avez-vous suivi la distribution vocale, et pourquoi les voix sont-elles essentielles au succès d'un film d'animation ?

RM : En tant que réalisateurs, nous travaillons en liaison très étroite avec les acteurs lorsqu'ils créent leurs performances. Généralement, il n'y a qu'un seul acteur par session d'enregistrement. C'est parfois difficile pour les acteurs, qui travaillent donc dans le vide. Parfois, nous lisons avec eux quelques lignes. Dorénavant, je lirai avec l'acteur ; je trouve que c'est un excellent moyen d'obtenir la performance désirée.

Pouvez-vous nous parler des difficultés rencontrées pour cerner le personnage de Rafiki ? Robert Guillaume se souvient d'un appel pour ré-enregistrer un dialogue, car vous ne cessiez pas de changer d'avis quant à l'approche du personnage. Finalement, en le rappelant, vous auriez déclaré "Nous avons enfin compris qui est Rafiki. Il est fou !" Cette histoire est-elle vraie ?

RM : Je me souviens que la grande rupture s'est produite lorsque j'ai demandé à Robert de rire. Son rire était tellement incroyable ! Il a vraiment fait ressortir le caractère de Rafiki : comme un sorcier shaman fou. Nous lui avons alors demandé de rire avant chaque ligne !

Pourriez-vous partager avec nous quelques souvenirs de votre travail avec James Earl Jones ?

RA : Je me souviens de la première fois que nous avons eu James en séance d'enregistrement. Avant de jouer ses premières lignes, il a fait des exercices pour s'éclaircir la voix. La force et la résonance de ses "harrrunfs" nous ont pratiquement arrachés de nos chaises, dans la cabine d'enregistrement! Cet homme EST un lion !

RM : James Earl Jones est l'une des voix les plus incroyables de l'histoire du cinéma. Peut-être que son seul rival réel serait Orson Welles. Apprendre à travailler avec lui, surtout en tant que fans de Star Wars (ndlr : James Earl Jones a doublé Dark Vador), a été une expérience incroyable. Le regarder s'échauffer la voix, avant une séance d'enregistrement, est inoubliable. Il exécutait de nombreux exercices vocaux.

Et qu'en est-il Jeremy Irons ?

RA : Jeremy est un gentleman, ainsi qu'un acteur brillant. Il nous a offert des interprétations supplémentaires de ses répliques... qui ont toujours été fantastiques !

Pouvez-vous nous parler des contributions d'Elton John, Tim Rice et Hans Zimmer ?

RM : C'est Tim qui a suggéré Elton pour le job. Moi, Don et Roger, nous voulions que Hans s'inspire de son travail pour The Power of One, dont la partition mettait également en scène Lebo M. Leur collaboration a vraiment insufflé de la vie dans l'histoire !

RA : Les chansons d'Elton et de Tim ont vraiment aidé à raconter l'histoire avec humour, et à lui donner du cœur. Alors que la partition brillante de Hans - et ses arrangements (avec le travail de choral de Lebo M) - lui a donné son ampleur, sa connotation dramatique, et l'a localisé en Afrique. Les arrangements de Mark Mancina dans I Just Can’t Wait to Be King et Hakuna Matata ont offert au film ses moments de comédie.

Hans Zimmer a souvent composé pour des films en prises de vues réelles. Comment avez-vous travaillé avec lui ?

RM : Hans a vraiment donné vie au film grâce à la musique, grâce à sa capacité à combiner les authentiques saveurs africaines. Mark Mancina a également beaucoup contribué aux sentiments qui se dégagent du film. Il a également été directeur musical et compositeur pour la production scénique. Mais je pense qu'il y a très peu de différence dans la façon dont un compositeur travaille sur l'animation et sur les films en prises de vues réelles. Bien que, généralement, la bande originale d'un film d'animation est plus étroitement liée aux images. Cela a été une collaboration extraordinaire !

De quelle façon avez-vous été impliqués dans le transfert du film en relief 3D ?

RM : Don Hahn, Roger et moi avons rencontré Robert Neuman et son équipe afin de les conseiller. Nous avons regardé le film en 2D et fait part de nos réflexions sur des choses que nous aimerions voir (et ne pas voir !) dans notre version 3D. Puis nous nous sommes rencontrés régulièrement pour superviser l'avancement des travaux.

RA : Nous avons regardé la version 2D pour déterminer quelles scènes bénéficieraient au mieux de la 3D, pour améliorer la narration et le contenu émotionnel. Tout au long du processus, nous avons passé en revue chaque scène afin de détailler notre vision à Robert Neuman, le stéréographe 3D. J'ai aussi supervisé la correction des couleurs pour la version finale.

Pensez-vous que le relief 3D ajoute quelque chose au Roi Lion, ou est-ce seulement parce que le relief est à la mode aujourd'hui ?

RA : Bien sûr. Je pense que cela rend l' expérience plus viscérale. Il a été amusant de remarqué que nous avions plus ou moins pensé le film en "3 dimensions", à l'époque, alors qu'il était en 2D !

RM : Je dois avouer que je suis un fan de la 3D... quand c'est fait correctement ! Avatar était incroyable ! Mais il y a eu un certain nombre de films, sortis en 3D, qui n'ont pas vraiment utilisé le potentiel du relief. Je pense que Le Roi Lion 3D le fait, lui. Il ajoute une dimension à l'univers de nos personnages, ce qui rend l'expérience du film plus immersive !

Par quels processus êtes-vous passés pour déterminer les éléments qui bénéficieraient le plus de la 3D stéréoscopique ?

RA : Nous avons projeté le film sans le son afin de repérer les scènes possédant le plus fort potentiel, puis nous dictions nos remarques à une personne qui prenait des notes... sans discontinuer !

Êtes-vous surpris que l'animation dessinée à la main fonctionne en 3D ?

RM : J'avais vu quelques tentatives d'animation traditionnelle en relief. Mais je pense que Robert Neuman et son équipe sont allés au-delà de mes attentes. Le résultat est très convaincant !

Quelle est votre scène favorite en 3D relief ?

RM : Je pense que la séquence du Circle of Life fonctionne étonnement bien. Cette scène a toujours eu une puissance et un impact importants, mais maintenant, elle saute vraiment hors de l'écran !

RA : Je dois dire que the Circle of Life fonctionne vraiment bien. Lorsque Zazu vole pour rejoindre Mufasa sur le promontoire de Pride Rock, on a une sensation de vol dans l'espace tridimensionnel !

Dans cette édition du Roi Lion en relief 3D, la scène du « rapport du matin » ne fait plus partie du film. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?

RA : Elle a été ajoutée dans la version IMAX et dans la première sortie en DVD, comme un bonus amusant. La chanson du rapport du matin a été écrite, à l'origine, pour la comédie musicale. Mais nous avons voulu que le montage actuel soit fidèle à la version originale.

Avez-vous été surpris quand vous avez découvert les récents résultats du film au box-office américain ?

RM : Je ne pouvais pas y croire! J'ai entendu dire qu'à l'origine, on les avait estimés à quelque chose de l'ordre de 12 millions de dollars. Quand les recettes ont dépassé les trente millions, j'étais choqué et surpris, mais aussi très heureux. C'est agréable que les spectateurs aiment encore le film !

Qu'est-ce qui fait du Roi Lion un classique ?

RA : C'est l'équilibre entre l'humour et le drame, ainsi que la résonance de ses thèmes : la vie et la mort, la perte, les responsabilités liées au leadership, et trouver sa place dans la vie.

RM : Je penche pour bande son incroyable d'Elton John, l'un des compositeurs les plus prolifiques de la musique pop. De plus, la conception globale de la production et l'apparence des personnages font que Le Roi Lion ressemble à un « grand classique » traditionnel des studios Disney.

Qu'est-ce qui est le plus important pour vous lorsque vous travaillez sur un film ?

RM : L'histoire est l'aspect le plus important ! Mais au-delà, le processus créatif et l'excitation de travailler avec des collaborateurs artistiques de premier ordre font que le travail du réalisateur devient une tâche très satisfaisante.

RA : Ce qui est le plus important, pour moi, est d'avoir un environnement de respect mutuel, sentir une énergie créative avec les artistes et co-créateurs.

Vous êtes allés de l'animation au mélange animation / acteurs réels avec Stuart Little 1 & 2 et aux films en prises de vues réelles avec Haunted Mansion. Quelles sont les différences entre diriger un film d'animation et diriger un film avec des acteurs ? Et quelle est la différence entre la direction d'animateurs (les acteurs avec un crayon) et des acteurs vivants ?

RM : Hugh Laurie m'a une fois demandé si je voulais lui effacer les sourcils, et le dessiner en « autre chose ». Il existe une fausse impression : diriger des animateurs serait plus facile que de travailler avec de vrais acteurs. Ce n'est pas vrai ! Les animateurs sont tout aussi difficiles à diriger. Surtout ceux qui sont vraiment bons.

Quelle est votre opinion sur le « Broadway Musical » du Roi Lion dirigé par Julie Taymor ?

RM : Quand j'ai entendu dire qu'une comédie musicale était envisagée, j'ai crains qu'elle ne soit trop littérale. Beauty & The Beast avait déjà fait le saut de l'adaptation à la scène, et le résultat était une véritable reproduction du film d'animation. Je ne pense pas que ce type d'approche aurait fonctionné pour Le Roi Lion. Associer Julie Taymor fut une très bonne idée. Son approche - re-conceptualiser le spectacle - en a fait une expérience unique. Quand j'ai vu le spectacle pour la première fois, j'ai été ravi et heureux que notre film puisse vivre sur la scène. Et il n'a pas cessé d'être présenté, avec succès, depuis 1997.

Rob, avez-vous des projets pour revenir à l'animation ?

RM : Je travaille actuellement sur un nouveau film d'animation. Il est basé sur les personnages » classiques » de M. Peabody & Sherman, qui sont originellement apparus dans le Rocky & Bullwinkle Show. Nous avons Robert Downey Jr ! Il joue le chien génie qui adopte un petit garçon aux cheveux roux.

Roger, il y a un projet pour un biopic d'Elton John. Peut-être pourriez-vous envisager de le diriger ?

RA : Bien sûr ! Une version animée de sa vie ? Je suis partant !

Comment voyez-vous l'avenir de l'animation ?

RM : Quand j'ai commencé, au début des années 80, il semblait que l'animation allait sur sa fin. Mais il y a aujourd'hui de plus en plus de films d'animation, ainsi que des émissions TV, des publicités et des contenus animés qui sont produits ! Je suis donc très optimiste. Je pense que l'animation obtiendra finalement le respect, à l'instar des autres types de cinéma.

RA : Je pense que le champ technique - et celui des sujets - va continuer à s'ouvrir. La frontière entre l'animation et les films en prises de vues réelles est déjà devenue si floue que la distinction formelle pourrait disparaître...

Que préférez-vous, les films classiques en 2D ou en animation par ordinateur ?

RM : Je pense que l'animation par ordinateur s'est considérablement améliorée au cours des années, et a atteint une qualité similaire à l'animation traditionnelle. Cela dit, rien ne peut remplacer l'apparence et le ressenti des dessins. Je pense donc qu'il y a de la place pour les deux, chacun ayant ses propres forces et faiblesses.

Rob, Roger, avez-vous une dernière chose à nous dire sur Le Roi Lion ?

RM : 17 ans après, cela reste un voyage étonnant. Un voyage qui, je l'espère, se poursuivra, comme dans le Cercle de la Vie !

RA : Je suis tellement heureux que les spectateurs puissent encore faire l'expérience du Roi Lion dans un cinéma, sur grand écran, avec d'autres spectateurs ! C'est l'expérience de la communauté, vous voyez ? Rassemblons-nous à Pride Rock, rejoignons le cercle, et racontons nos histoires.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.