Entretien exclusif avec Charles Martin Smith, réalisateur de L’incroyable histoire de Winter le dauphin
Article Cinéma du Mardi 08 Novembre 2011

C’est à l’occasion de la sortie de L’INCROYABLE HISTOIRE DE WINTER LE DAUPHIN que ESI a pu rencontrer une figure très sympathique du cinéma américain : l'acteur, réalisateur et scénariste Charles Martin Smith. Si vous ne connaissez pas son nom, vous avez l’avez déjà vu au cinéma dans AMERICAN GRAFITTI de George Lucas,  LES INCORRUPTIBLES de Brian De Palma, STARMAN de John Carpenter, le très beau UN HOMME PARMI LES LOUPS, DEEP IMPACT, ainsi que dans de nombreuses séries cultes comme LES RUES DE SAN FRANCISCO, X-FILES, LES CONTES DE LA CRYPTE, AU-DELA DU REEL, L'AVENTURE CONTINUE, ALLY MCBEAL, NEW YORK UNITE SPECIALE, et tout récemment FRINGE. En tant que réalisateur, Charles Martin Smith a beaucoup travaillé pour la télé, mais aussi pour le cinéma. Il vient de mettre en scène L'INCROYABLE HISTOIRE DE WINTER LE DAUPHIN, tiré d’une histoire vraie, et qui sort le 2 novembre en France. Dans ce film destiné plus particulièrement aux jeunes spectateurs, Winter, un dauphin gravement blessé est recueilli par l'aquarium de Clearwater en Floride. On doit l'amputer de sa queue, ce qui le rend incapable de nager correctement. Son sort émeut un biologiste de la vie marine (Harry Connick Jr) et un expert en création de prothèses humaines (Morgan Freeman). Ils décident de fabriquer la première prothèse de queue pour un dauphin, et se lancent dans ce défi technique. Nous avons profité de cette rencontre pour évoquer avec Charles Martin Smith les coulisses de son film 3-D Relief, et les effets numériques et animatroniques employés, ainsi que sa carrière marquée par sa passion pour la Science-Fiction…



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez entamé votre carrière d’acteur à l’âge de 17 ans. Cette expérience vous a t’elle aidée à travailler avec les jeunes acteurs de L’INCROYABLE HISTOIRE DE WINTER LE DAUPHIN ?

Merci de me poser cette question ! Oui, cela m’a énormément aidé. Je me souviens de ce que je ressentais à mes débuts, quand George Lucas nous dirigeait pendant le tournage de AMERICAN GRAFFITI. Ce que cela m’a permis d’apprendre, c’est qu’il vaut mieux demander à un jeune acteur inexpérimenté de faire ce qu’il a naturellement tendance à faire, plutôt que de lui imposer quelque chose qui est très différent de sa nature. Il vaut mieux le laisser être lui-même, et le filmer ainsi.

Avez-vous procédé de même avec Winter ?

Oui ! J’ai tourné les scènes avec elle comme s’il s’agissait d’un documentaire. J’ai appris cela en travaillant sous la direction de Caroll Ballard, qui est un réalisateur que j’idolâtre. La seule difficulté, c’est qu’elle a l’habitude d’être entouré par beaucoup de gens – ses soigneurs, les spectateurs de l’aquarium de Clearwater – et qu’elle aime se donner en spectacle, faire des petites blagues, ou se mettre à gazouiller comme un canari, au beau milieu d’une prise. Il lui arrivait même de se mettre au bord du bassin et de pousser des petits cris quand nous tournions une scène un peu plus loin , sans elle, pour attirer notre attention et nous faire comprendre qu’elle s’ennuyait ! Bref, elle cabotine un peu, et il faut s’adapter à elle quant on doit tourner une scène calme ou dramatique. J’ai dit à tous les acteurs « Il faut que vous vous adaptiez au comportement de Winter, quoi qu’elle fasse. » Actuellement, Winter n’a toujours pas atteint l’âge adulte : c’est une pré-ado, et c’est normal qu’elle soit aussi joueuse.  

Quelles ont été les scènes les plus difficiles à préparer et à storyboarder, compte tenu que vous avez tourné le film en 3-D Relief ?

Sans doute la grande séquence du début, où je voulais montrer Winter avant son accident, nageant au milieu d’un groupe de dauphins. Je voulais donner au spectateur le sentiment de se propulser sous l’eau avec elle dans ce vaste univers, et de ressentir cette incroyable sensation de liberté. Nous avons d’abord filmé les fonds marins, puis nous avons ajouté des dauphins en images de synthèse.

Pouvez-vous nous parler des effets visuels et des effets animatroniques auxquels vous avez eu recours ?

Volontiers. Notre première préoccupation a toujours été le bien-être de Winter. Nous avons décidé de ne prendre strictement aucun risque pendant le tournage, de quelque nature que ce soit. D’emblée, il était évident que nous n’allions pas tourner avec elle la scène où on la retrouve blessée sur la plage, emmêlée dans des filins. Nous avons donc confié au studio KNB la tâche de construire une réplique animatronique de Winter, ainsi qu’une tête et une queue supplémentaire. J’ai tourné beaucoup de gros plans avec la tête animatronique, et j’ai pu vérifier qu’en les alternant avec des gros plans de la vraie Winter, on ne voyait aucune différence. KNB a fait un excellent boulot. Ils ont conçu toute une machinerie pour soutenir le dauphin animatronique lorsqu’il est dans le bassin, et donner l’impression qu’il se déplace. Avoir un dauphin robotisé nous a également permis de tourner les plans dans lesquels Winter se débarrasse de ses premières prothèses de queue en frappant les parois de son bassin. Nous n’aurions pas pu filmer des mouvements aussi violents avec la vraie Winter. Et d’uen manière générale, il était souvent plus simple de faire bouger l’animatronique comme nous le voulions plutôt que d’attendre que Winter fasse ce qui nous convenait. Idem pour les scènes où Winter doit sembler malade et ne bouge pratiquement pas. La vraie Winter est encore une enfant qui ne tient pas en place ! (rires) KNB a également construit un pélican animatronique qui remplace le vrai animal dans plusieurs plans. En ce qui concerne les effets visuels, nous les avons employés pour insérer des images de bassin vu sus la surface de l’eau dans les décors de la grande salle de l’aquarium, qui ont été construits en studio. Quand Nathan, le jeune héros, plaque sa main sur un de ces hublots, c’est une réplique 3D de Winter, incrustée dans le hublot, qui s’approche de lui. Les infographistes ont pris des milliers de photos haute résolution de Winter pour la reconstituer parfaitement en 3D. Ils ont travaillé pendant deux mois pour réaliser cette modélisation. On ne s’en rend pas forcément compte, mais il y a des nuances extrêmement subtiles sur la peau d’un dauphin. Parvenir à les reproduire était très compliqué. J’ai également aidé les infographistes à corriger les animations de la version 3D de Winter, afin qu’elle bouge exactement comme la vraie. Souvent, cela tient à des petits riens…Les cercles de bulles d’air, que les dauphins sont réellement capables de produire, ont été reconstitués aussi en 3D.



Quels sont les souvenirs que vous gardez de AMERICAN GRAFFITI ?

Beaucoup de très bons souvenirs. Le film a été tourné très vite, en 28 nuits, et je me souviens de l’esprit de camaraderie entre acteurs et du fait que nous travaillions tous très dur pour que le résultat soit le meilleur possible. Nous croyions tous que le film allait être formidable et nous avions confiance en George. Nous aurions tous marché pieds nus sur des braises pour lui ! Nous étions tous très motivés. Nous connaissions nos répliques à la perfection, nous répétions pendant le jour et tournions la nuit. La passion qui animait tout le monde était communicative.

Quels sont les problèmes techniques que l’on rencontre quant on filme un dauphin ?

Le problème principal est tout bête : un dauphin a tendance à rester toujours proche de la surface, mais selon ses postures, ses yeux sont soit au-dessus, soit en dessous de l’eau. Du coup, quant vous essayez de filmer son visage, vous ne savez jamais où il faudra que vous placiez la caméra. Dans la plupart des cas, nous avions sous la main une caméra placée dans un caisson étanche pour être en mesure de filmer sous l’eau, au ras de la surface ou légèrement au-dessus.

L’un des thèmes récurrents de votre carrière d’acteur et de réalisateur est la Science-Fiction…

Oui, c’est un de mes genres préférés.

Vous avez joué un personnage de savant particulièrement attachant dans STARMAN, de John Carpenter…

Oh, je me suis énormément amusé pendant le tournage de ce film. J’ai adoré travailler avec les acteurs. Jeff Bridges était formidable dans le rôle de l’extraterrestre qui a pris forme humaine. Il réussissait vraiment à donner l’impression qu’un être très différent s’était glissé dans l’enveloppe corporelle d’un homme, et ne savait pas bien se servir de ses jambes, ses bras, ses mains. Et John Carpenter est vraiment un maître du fantastique. Et en ce qui concerne mon rôle, j’étais ravi de faire des recherches pour développer ce personnage, et d’apprendre comment fonctionnait le programme S.E.T.I. (Search for Extra Terrestrial Intelligence). J’ai adoré aussi tourner la scène dans laquelle je suis le premier humain à poser le pied à l’intérieur d’un vaisseau extraterrestre. C’était génial, comme un r^ve de gosse devenu réalité !

Vous avez aussi réalisé plusieurs épisodes d’une excellente série de SF qui n’a malheureusement duré qu’une seule saison, SPACE ABOVE AND BEYOND ( en VF : SPACE 2063), pouvez-vous nous en parler ?

Avec plaisir. Ce sont mes amis James Wong et Glen Morgan, les créateurs de la série, qui m’ont demandé de réaliser ces épisodes. Et comme je suis un vrai passionné de SF, je ne pouvais pas refuser ! Nous nous étions fixés l’objectif de représenter cet environnement spatial, l’intérieur des vaisseaux, les équipements, les conditions de vie, de la manière la plus réaliste et la plus crédible possible. Et je suis fier de ce que nous étions parvenus à faire. C’est dommage que la série n’ait pas duré plus longtemps, mais comme elle était produite par la Fox, elle m’a permis de travailler juste après sur un autre projet : la réalisation du pilote de BUFFY CONTRE LES VAMPIRES…

C’était justement ma question suivante !

 (rires) Le téléphone a sonné peu après la fin de SPACE ABOVE AND BEYOND, et on m’a proposé ce job. J’ai rencontré le créateur de la série, Joss Wheadon, qui est un garçon très intelligent et un formidable scénariste. Mon approche du pilote a consisté a représenter de la manière la plus naturelle et la plus réaliste possible le comportement des personnages dans leur vie quotidienne, pour créer un contraste avec les scènes dans lesquelles intervenaient les vampires ou les autres éléments surnaturels. Il fallait que le socle de l’histoire repose sur une réalité que tout le monde puisse accepter. Je crois que c’est également l’une des raisons pour lesquelles la série originale de STAR TREK a si bien marché : les personnages étaient traités de manière réaliste, même si ce qui se produisait autour d’eux relevait de l’imaginaire pur. Le capitaine Kirk était un peu arrogant et très audacieux, le Dr McCoy expérimenté, sage, mais bougon, et Spock l’extraterrestre n’arrivait pas à s’habituer à la nature illogique et émotionnelle des humains.

Quels étaient les principaux défis à relever pour réaliser le pilote de BUFFY CONTRE LES VAMPIRES ? Le mélange entre l’humour et la réalité ?

Oui, et veiller à ce que les performances des acteurs apparaissent toujours justes et sincères.  Un des autres défis, c’était que la plupart des acteurs de BUFFY étaient jeunes et relativement inexpérimentés. Sarah Michelle Gellar avait déjà tourné dans plusieurs séries, mais ce n’est pas le cas du reste des acteurs. C’était par exemple le premier rôle récurrent de Nicholas Brendon, qui jouait Xander.

Il y a presque une ressemblance entre le travail que vous avez fait dans L’INCROYABLE HISTOIRE DE WINTER LE DAUPHIN et la SF, car il y est question du contact entre humains et une autre espèce, en l’occurrence un dauphin, qui comme on le sait, fait partie des animaux dotés d’une remarquable intelligence.

Exactement ! C’est comme cela que j’ai abordé le film, comme si le jeune héros avait trouvé un être venant d’une autre planète, qu’il cherche à aider et à comprendre. J’ai utilisé cette comparaison tout le temps pendant la préparation et le tournage du film. C’est pour cela que l’on voit souvent le point de vue de Winter sur l’environnement étrange des hommes.

Vous êtes aussi apparu dans X-FILES et dans AU-DELA DU REEL, L’AVENTURE CONTINUE…

Oui, j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer dans ces épisodes, car ces histoires m’avaient beaucoup plu. En tant qu’acteur, apparaître dans ces séries m’a permis de développer mon imagination, et de jouer des choses que je n’aurais pas pu jouer dans d’autres séries.

On vous a vu aussi dans les miniséries THE BEAST, KINGDOM HOSPITAL et TRIANGLE…

J’avais également beaucoup aimé ces histoires. THE BEAST était une histoire d’horreur dans le milieu marin, tout comme LES DENTS DE LA MER, et c’était Peter Benchley qui les avait écrites toutes les deux. KINGDOM HOSPITAL et TRIANGLE ont été réalisés par un de mes amis, Craig Baxley, et il avait fait un excellent travail.

Quels sont vos meilleurs souvenirs d’UN HOMME PARMI LES LOUPS et des INCORRUPTIBLES ?

UN HOMME PARMI LES LOUPS a été l’un des grands évènements de ma vie. J’avais 26 ans au début du tournage et 30 quand il s’est achevé. Pendant trois ans de ma vie, je me suis entièrement consacré à ce film, en tant qu’acteur, que scénariste, et en tant qu’étudiant en cinéma, qui avait la chance d’observer Carroll Ballard à l’œuvre. C’était fantastique. Je pense que personne n’a su raconter une histoire avec des images aussi bien que Carroll Ballard. C’est un génie dans ce domaine. Je savais en tournant ce film qu’il serait exceptionnel. J’ai eu le même sentiment en tournant avec Brian De Palma et en me retrouvant dans le groupe des INCORRUPTIBLES au milieu de Kevin Kostner, Sean Connery et Andy Garcia. Je eux vous dire que pendant le tournage, j’enregistrais tout ce qui se passait dans ma tête, aussi bien pour mon expérience d’acteur que pour ma carrière de réalisateur ! C’était génial. Et très drôle à tourner aussi, car nous nous retrouvions tous dans un autre univers, celui des années 20 à Chicago, pendant la prohibition et la guerre des gangsters. La reconstitution de l’époque était fantastique.

Si vous aviez carte blanche et un budget illimité pour adapter n’importe quel roman de SF, lequel choisiriez-vous ?

C’est une question passionnante, mais difficile !.. J’aime les grands classiques, les romans de Jules Verne et de H.G. Wells. J’ai toujours rêvé d’en adapter un. J’aime aussi les classiques du cinéma de SF. L’autre jour, je revoyais PLANETE INTERDITE en Blu-Ray…Quel film magnifique. Peu de gens savent que l’histoire est une transposition d’une pièce de Shakespeare, LA TEMPETE. Ce film m’avait fait une telle impression quand je l’avais découvert, enfant. Personne n’en a fait un remake, jusqu’à présent ?

Non, personne. Pendant quelques années, on a parlé d’un remake que devait réaliser Irvin Kershner (L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE), mais il n’a pas abouti… Il semblerait qu’un autre projet de script développé par J. Michael Straczynski (BABYLON 5), ait été également abandonné…

C’est un projet compliqué à « vendre » à un studio, car il est forcément coûteux à produire. Mais ce serait encore l’occasion de décrire un univers inconnu. Je crois vraiment que c’est ce qui m’attire le plus dans le cinéma : la découverte de l’inconnu. Bookmark and Share


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