LA PLANETE DES SINGES : LES ORIGINES en Blu-ray - Retour sur le tournage d'une belle réussite
Article Cinéma du Vendredi 11 Novembre 2011

A l'occasion de la sortie du film en Blu-ray et DVD, le 10 décembre 2011, nous vous proposons une nouvelle série d'articles !



Par Pascal Pinteau

Vancouver, 16 août 2010. C’est dans la ville qui est devenue, au fil des ans, l’annexe canadienne d’Hollywood que la Fox prépare la renaissance d’une de ses sagas les plus fameuses, celle de LA PLANETE DES SINGES. A la fin des années soixante, l’adaptation du roman de Pierre Boulle avait été un pari extrêmement risqué. Sans l’obstination du producteur Arthur P. Jacobs et l’implication de Charlton Heston, le projet n’aurait jamais vu le jour. Pour rassurer les dirigeants du studio, qui craignaient que le public ne rie en découvrant des acteurs grimés en singes parlants, la star avait accepté de tourner gratuitement une scène-test en compagnie d’Edward G. Robinson, grimé en professeur Zaius, l’orang outang hostile à l’émancipation des esclaves humains, tandis que Cornelius et Zira, les deux chimpanzés, étaient incarnés par James Brolin et Linda Hamilton (qui incarnera plus tard la superbe Nova, compagne humaine de Charlton Heston/Tayor). Malgré l’aspect encore primitif des grimages (rapidement conçus par William Tuttle pour cet essai), la démonstration fut plus que probante : non seulement on suivait avec intérêt la discussion philosophique entre l’humain venu d’ailleurs et le professeur à l’aspect simiesque, mais on pouvait déjà entrevoir à quel point ce monde dominé par des singes intelligents et doués de la parole pourrait être fascinant et spectaculaire. Le studio donna donc son feu vert, et quelques mois plus tard débutait le tournage d’un des chefs d’œuvre du cinéma de SF des années 60. Ce fut aussi l’aube d’une révolution dans l’art des effets spéciaux. John Chambers, expert en prothèses, créa les faciès inoubliables des personnages du film, assisté par une véritable armée de maquilleurs qui appliquaient des prothèses en mousse de latex et des perruques sur les comédiens principaux, et recouvraient les têtes des figurants de masques en latex. Jamais on n’avait vu autant d’acteurs métamorphosés dans un film. Grâce aux performances de Roddy McDowell (Cornelius), Kim Hunter (Zira) et Maurice Evans (Le Docteur Zaïus), qui prenaient soin de les animer de nombreuses mimiques, les maquillages de John Chambers fonctionnaient à merveille et tout ce peuple étrange prenait vie.



LA PLANETE DES SINGES stupéfia les spectateurs, et remporta un succès phénoménal qui engendra quatre suites, une série d’animation destinée aux enfants, et une série en prises de vues réelles de 13 épisodes. Devenus des personnages cultes, les chimpanzés Cornelius et Zira, l’astronaute Taylor et sa compagne Nova, les savants orang outangs, et les soldats gorilles furent déclinés en nombreux produits dérivés, maquettes, jouets, figurines articulées et autres masques, qui marquèrent durablement plusieurs générations de fans.

Un remake qui singeait trop l’original

En 2001 déjà, la Fox avait tenté de retourner sur la fameuse planète, en confiant ce voyage spatio-temporel à Tim Burton, alors à la recherche d’un gros succès au boxoffice après plusieurs semi-échecs. Visuellement réussi, même si l’on s’attendait à plus de folie graphique de la part de Burton et de son décorateur attitré Rick Henricks, ce remake ne parvint pas à convaincre grand monde. Trop proche de l’original pour être en mesure de surprendre, et cela en dépit des superbes maquillages créés par Rick Baker, cette nouvelle version ne réussissait pas à émouvoir et à troubler autant que son illustre modèle. Le talon d’Achille de cette superproduction trop formatée en blockbuster fut sans conteste son script, qui rendait les personnages principaux nettement moins attachants et les péripéties de l’aventure inutilement compliquées et un peu vaines. Le thème principal – un monde à l’envers, miroir cruel de notre société – avait été quelque peu oublié pour permettre à l’acteur principal Mark Wahlberg d’agir en « action hero ». L’accueil assez mitigé de la critique et du public torpilla l’ambition de la Fox de lancer une nouvelle série de films…



L’univers des singes retourna donc dans les limbes cinématographiques pendant dix ans, tandis que la compilation en DVD des films de la saga originale remportait un franc succès. Mais comme on le sait, des licences aussi lucratives ne sont jamais délaissées très longtemps par les studios américains, car un titre bien connu du public vaut de l’or… On attendait une étincelle, une idée qui justifierait une nouvelle tentative de résurrection. Rien de convaincant ne se présenta jusqu’au moment où les scénaristes Amanda Silver et Rick Jaffa proposèrent au studio un script inspiré d’un drame réel : la rébellion brutale d’un singe élevé comme un enfant par un couple de chercheurs. En lisant cette histoire, les producteurs Dylan Clark et Peter Chernin comprirent qu’ils avaient trouvé l’approche radicalement nouvelle qui permettrait de raconter les origines de LA PLANETE DES SINGES, le moment où tout a basculé... Quand les premiers échos du projet furent relayés par les médias, on apprit que les anthropoïdes du film seraient cette fois-ci créés entièrement en images de synthèse par le studio Weta Digital. Les fans de la saga originale poussèrent aussitôt des cris d’indignation en songeant avec nostalgie aux maquillages inoubliables de John Chambers ! Mais c’était avant d’en apprendre plus sur l’approche radicalement différente de cette préquelle, traitée de manière si réaliste que le choix de la 3D s’avérait effectivement le seul possible…  

Nouveau départ

Retour en Août 2010 et à notre périple canadien. Avant même de nous conduire sur le tournage de « CAESAR : RISE OF THE APES » - car tel était alors le titre du film – les représentants de Fox nous rappellent à plusieurs reprises que nous ne rencontrerons aucun acteur portant un maquillage et un costume de singe, afin d’éviter toute déception pour les journalistes fans de la saga originale qui ne connaîtraient rien de ce nouveau projet. Nos accompagnateurs ajoutent que dans cette nouvelle version, la technique de capture de mouvements et d’expressions utilisée par Weta sur KING KONG et AVATAR est employée pour la première fois dans des décors réels, hors d’un plateau de Mocap habituel. Sitôt arrivés dans les gigantesques Mammoth studios, situés à 30 minutes de Vancouver, nous constatons que la production n’a effectivement pas lésiné en matière de décors. C’est le directeur artistique et chef décorateur Claude Paré qui nous accueille et entreprend de nous montrer les illustrations représentant les différentes scènes et environnements du film. D’emblée, nous comprenons que ce qui va tout changer dans cette préquelle, c’est que le vrai héros du film n’est plus un humain, mais bel et bien le chimpanzé Caesar ! Un retournement de point de vue et de situation qui aurait presque justifié que le film s’intitule LA PLANETE DES HOMMES, puisque le rebelle est cette fois-ci un singe ! Claude Paré (voir notre entretien plus loin) nous montre les dessins de la magnifique chambre d’enfant aménagée pour le jeune Caesar, dans la maison du professeur Rodman (John Lithgow). Ayant bénéficié des effets d’un traitement révolutionnaire , par le biais de sa mère, cobaye du professeur, Caesar possède des capacités mentales égales à celles d’un homme. Le jeune chimpanzé est élevé comme un petit garçon, au sein de cette famille qui le stimule intellectuellement et veille tendrement sur lui. Mais les années passent, le professeur Rodman décline, victime de la maladie d’Alzheimer, et son fils Will (James Franco), devenu à son tour un brillant chercheur, ne peut plus s’occuper seul de Caesar. Il le confie à une ménagerie de primates, croyant que l’on s’occupera bien de lui dans cet environnement géré par des spécialistes. Hélas, il se trompe lourdement. Pour le pauvre Caesar, cet abandon est à la fois un choc terrible, un déchirement et une trahison, comme l’expriment bien les différentes illustrations de cet univers carcéral : nous découvrons des corridors tapissés de cages métalliques, et une grande salle au centre de laquelle trône un substitut d’arbre aux branches de béton...Privé de l’affection dont il avait bénéficié jusque là, Caesar découvre un univers froid et cruel, où des dizaines de singes traumatisés sont enfermés pour servir de cobayes à différentes expériences. Définitivement brisée, la confiance que Caesar portait aux hommes se transforme en une colère froide, terrible, implacable. Désormais, le chimpanzé n’aura qu’un seul but : libérer ses congénères et initier la révolte des singes.

Des singes sur un plateau

Claude Paré nous invite à le suivre sur les différents plateaux de tournage. Première étape : la découverte de la maison de la famille Rodman. C’est au milieu d’un immense plateau de plusieurs centaines de mètres de long – l’une des particularités des studios Mammoth - qu’a été construite une réplique grandeur nature d’une « painted lady », une de ces maisons en bois typiques de San Francisco. Il s’agit de la copie d’une vraie maison que l’on verra par moments dans le film lors de quelques plans tournés en extérieurs. Nous admirons les détails du perron, du porche et de la porte ornée d’un vitrail de verre biseauté, et pénétrons dans les lieux. Surprise : ce décor n’est pas une simple façade. Toutes les pièces et espaces intérieurs de la maison ont été également construits dans les moindres détails, et cela, sur deux étages. Cette bâtisse est sensée appartenir à la famille Rodman depuis plusieurs générations, sans doute depuis sa construction. Le hall d’entrée donne dans un couloir où trône un escalier qui mène au second étage. Au rez-de chaussée, dans la première pièce à gauche, le salon, le mobilier a été savamment choisi pour faire comprendre aux spectateurs que rien ici n’a bougé depuis les années 70. Sur les étagères, les livres, les objets-souvenirs de voyages et les cassettes VHS des films favoris du père de Will Rodman côtoient des portraits de famille ou Caesar pose à côté de ses parents humains adoptifs, et de celui qu’il considère comme son frère. Au-dessus de la cuisine, une bibliothèque a été aménagée au premier étage. Claude Paré nous explique que l’on verra le jeune Caesar bondir sur cette bibliothèque, puis glisser le long de la rampe vers l’étage inférieur et sauter pour agripper le fil d’une lampe suspendue, tel Tarzan saisissant une liane, afin de saisir un gâteau dans un récipient posé sur le comptoir de la cuisine, avant de poursuivre son périple acrobatique au rez de chaussée, puis de bondir sur l’échelle de la bibliothèque et enfin d’agripper la corde qui permet d’ouvrir la trappe qui mène à sa chambre du grenier. Tout cela sans jamais toucher le sol ! Pour préparer cette séquence qui sera un casse-tête pour Weta et pour les responsables des effets de plateau, qui devront faire bouger les objets pour simuler les effets de la présence physique du singe, il donc fallu placer à intervalles réguliers des accessoires permettant à Caesar de se déplacer comme il le ferait dans la jungle. Bien sûr, cette maison qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une vraie a été conçue pour répondre aux exigences techniques d’un tournage : certaines parois sont amovibles, comme celle de la salle de bain, afin de laisser plus de place à la caméra et aux projecteurs. Le sol de la salle de bain peut également s’écarter de celui du couloir, comme le constate un de nos confrères, un peu distrait, dont la jambe droite plonge brutalement dans le vide ! Après cette petite frayeur sans conséquence, il se souviendra certainement qu’une maison de cinéma est comme un terrain miné : il faut toujours regarder où l’on pose les pieds pour éviter les accidents…Nous traversons le couloir de la maison de part en part, et découvrons qu’il mène à un jardin parfaitement reconstitué et à un garage, entourés de palissades de bois ! Tous les détails sonnent juste, des pavés de terre cuite du sol jusqu’au barbecue, en passant par les fauteuils de relaxation aux couleurs affadies par des décennies d’exposition au soleil. Et comme si cette reconstitution n’était pas assez bluffante, toute la façade et le jardin de la maison du voisin ont été construits à côté ! L’intégralité du panorama est entouré de palmiers artificiels, – pour évoquer la végétation californienne - de vrais arbustes en pots qu’entretiennent les jardiniers du studio, ainsi que d’un immense fond bleu qui permettra d’incruster un vrai ciel et de vraies perspectives extérieures filmées à San Francisco. Claude Paré nous explique que le jardin de la vraie maison qui a servi de référence était beaucoup trop petit et montrait trop ce qui se passait dans les jardins des voisins. Il était donc préférable de tout reconstruire en studio, et d’aménager aussi un décor détaillé pour la maison du voisin snob et désagréable, car ce dernier joue un rôle important dans le film, au moment où le professeur Rodman est de plus en plus diminué, et importune les habitants du quartier…La maison et le jardin du voisin sont parfaitement nettoyés, équipés d’accessoires modernes et de beau mobilier, tandis que chez les Rodman, tout est vieillot, assez mal entretenu, mais pourtant beaucoup plus chaleureux.

La prison des singes

Claude Paré nous entraîne un peu plus loin dans l’immense hangar, à la découverte d’une réplique d’une section de la maison. Il s’agit d’une partie de la façade, de la chambre de Caesar aménagée dans le grenier, et de la toiture, sur laquelle le jeune chimpanzé s’aventure souvent pour observer les environs. Cinquante mètres plus loin, nous changeons radicalement d’univers, et pénétrons dans le décor de la salle centrale de la ménagerie des primates, un grand atrium au toit conique, au centre duquel nous reconnaissons l’arbre de béton armé vu précédemment sur une illustration. Il est constitué d’une structure d’acier et de formes en polystyrène sculpté recouvertes de fibre de verre, et est assez solide pour pouvoir supporter le poids de plusieurs acteurs jouant des singes. Le faux arbre étant un accessoire de jeu, les acteurs/cascadeurs vont se suspendre aux branches, faire des acrobaties, et feindre de se chamailler les uns avec les autres pour imiter le comportement des vrais chimpanzés en captivité. La structure de l’arbre a été conçue pour permettre aux acteurs de l’escalader de bas en haut assez facilement, chaque ramification fonctionnant comme un des barreaux d’un grande échelle. Les branches sont démontables pour faciliter les mouvements de caméra sur grue, et la partie haute est reliée à des chaînes et à un moteur électrique très puissant, afin de pouvoir être soulevée pendant que l’on retire la partie inférieure. Du coup, la partie supérieure de l’arbre, une fois rapprochée du sol, devient beaucoup plus facile à filmer. Dans les prises de vues finalisées, l’arbre de béton sera surplombé par un dôme, qui sera créé en images de synthèse. Pour l’instant, nous ne voyons que les supports des projecteurs de type « lumière du jour » qui seront placés en hauteur pour créer l’illusion d’un puits d’éclairage naturel. Sur les murs, un décor en trompe l’œil de ciel et de savane a été peint, mais Claude Paré nous explique que cette fresque va être vieillie artificiellement. Son équipe de peintre va la recouvrir d’un jus de peinture de couleur tabac pour représenter l’état de vieillissement et de délabrement des lieux, jamais repeints depuis leur construction dans les années 50. Un décor de point d’eau a été aménagé dans cette ménagerie, afin que les singes viennent y boire, mais on ne se donne même plus la peine d’ouvrir le robinet qui permettrait à cet équipement de fonctionner. Le chef décorateur nous révèle que Caesar trouvera le moyen de remédier à cela, afin d’améliorer l’ordinaire de ses compagnons de captivité, et que cet exploit lui permettra de s’imposer au sein de la communauté. Un peu plus loin, une cage munie d’une porte épaisse est encadrée par des imitations d’arbre. Claude Paré nous explique qu’il s’agit de la cellule de Buck, un gorille d’âge mur – un dos argenté – qui reste cloîtré là depuis des années, se refusant à avoir le moindre contact avec les autres anthropoïdes de la ménagerie…Ce grand décor communique avec plusieurs couloirs qui représentent la partie réservée aux administrateurs des lieux. Au-delà se trouve un grand corridor entouré de cages métalliques alignées sur deux étages, à droite et à gauche. Fier du travail réalisé par son équipe de l’atelier de métallurgie, le chef décorateur nous montre comment toutes les serrures des cages fonctionnent, et nous fait emprunter l’un des deux escaliers qui permettent de voir cet environnement carcéral en plongée. Nous imaginons bien tout le parti que pourra tirer le réalisateur d’un tel décor pour exprimer le désarroi et la tristesse du pauvre Caesar, passé du statut d’enfant choyé à celui de prisonnier d’un bagne de singes…



Dans les coulisses du laboratoire

Nouveau changement de décor : nous découvrons à présent le dédale des laboratoires de la compagnie GenSys dans lesquels James Franco tente de mettre au point un remède à la maladie d’Alzheimer. La encore, se trouvent des cages, plus sophistiquées, certes, mais qui signifient que Caesar et ses congénères y sont soumis à toutes sortes d’expériences. Jalonnés de piliers en béton, les décors sont équipés d’étagères remplies de produits chimiques divers, de beaux bureaux design munis d’ordinateurs où défilent graphiques et images scientifiques, et de parois en verre. On tourne là une scène pendant laquelle un groupe de singes, mené par Caesar, libère des congénères encore captifs. Andy Serkis, qui incarne Caesar, agit au premier plan, ouvrant la cage de la femelle qu’il affectionne tout particulièrement, tandis qu’au second plan, Terry Notary et d’autres acteurs sèment une belle pagaille, renversant des chariots de produits, ouvrant des portes, et courant dans les couloirs. Après plusieurs prises de la scène, nous remarquons les caméras de Mocap, aux objectifs entourés de LEDS infrarouges, disséminées un peu partout dans les angles morts des décors, là où les caméras 35mm destinées au tournage ne peuvent pas les voir. Il est temps de passer à la seconde étape de la scène : les acteurs quittent le plateau, et c’est dans un décor vide que les responsables des effets spéciaux se déchaînent : tout ce que les singes en 3D feront à l’image est simulé par différents trucages. Les portes s’ouvrent toutes seules, le chariot avance sans que personne ne le pousse, et des étincelles jaillissent des suspensions des lampes, qui oscillent comme si les singes s’y suspendaient. Quand l’équipe de Weta supervisée par Joe Letteri recevra ces trois versions de la scène – la capture des mouvements, les prises de vues vidéo des acteurs servant de référence aux animateurs, et les images du décor vide animé par les effets spéciaux – elle disposera de tous les éléments nécessaires pour intégrer les singes virtuels dans les images réelles. Nous nous isolons à présent dans un coin du plateau pour parler plus tranquillement avec Claude Paré…

La suite de ce dossier et l’entretien avec Claude Paré, bientôt sur ESI !

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