LES IMMORTELS : Entretien exclusif avec le réalisateur Tarsem Singh
Article Cinéma du Vendredi 02 Decembre 2011

Après 300 et LE CHOC DES TITANS, LES IMMORTELS évoque à nouveau les grands mythes de la Grèce antique. Aux commandes de cette fresque foisonnante, qui voit Thésée (Henry Cavill) s’emparer d’un arc magique pour lutter contre les méfaits sanglants du roi Hyperion (Mickey Rourke), on retrouve un cinéaste atypique, vrai esthète de l’image, Tarsem Singh. S’il n’avait pas tout à fait convaincu avec le thriller fantastique THE CELL, à l’histoire et au rythme bancals, son second long métrage intitulé THE FALL – sorti directement en vidéo chez nous – prouvait en dépit de certaines longueurs que Singh pouvait manier l’émotion et le suspense tout en offrant au spectateur un récit d’une splendeur visuelle époustouflante. Avec LES IMMORTELS, il signe une fois encore une œuvre placée sous le signe de l’imaginaire et de la flamboyance picturale.



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les amateurs de Fantastique ont découvert votre travail en 2000 avec THE CELL, mais avant cela, vous meniez une carrière de réalisateur de clips vidéo et de spots publicitaires. Pouvez-vous évoquer vos influences artistiques de jeunesse, lorsque vous étudiez au sein du collège de design artistique de Pasadena, puis le début de votre carrière ?

J’avais 21 ans quand je suis entré dans cette école qui vous incite à utiliser l’art de manière différente, et qui enseigne de nombreuses disciplines, dont le cinéma. Auparavant, quand je vivais en Inde, tout ce que j’avais utilisé, c’était un appareil photo. Je n’avais aucune notion de la manière dont on créait un film. J’ai donc fait mon apprentissage technique là-bas, tout en découvrant des films que je n’avais jamais vus auparavant : le cinéma russe, les œuvres de Chris Marker… J’avais été frappé par le travail de Tarkowski. C’étaient des univers complètement nouveaux qui s’ouvraient à moi, car j’avais grandi en ne voyant pratiquement que des films indiens de Bollywood.



Dans THE CELL, vous aviez déjà conçu des images étonnantes, qui sont devenues votre « marque de fabrique ». Comment concevez-vous vos plans en termes de couleurs, de composition et de cadrage ? Les dessinez-vous d’abord vous-même ?

Non, hélas ! Le dessin est la seule formation que j’ai négligée lors de mes études et je le regrette amèrement aujourd’hui ! Je suis un très mauvais dessinateur. C’est un vrai handicap dans mon travail. Quand j’ai une idée et que je prends un bout de papier pour en faire un croquis, il faut absolument que j’explique au même moment à un collaborateur ce que je veux représenter pour qu’il s’en souvienne, car si je reprends mon gribouillage une heure plus tard, plus personne, pas même moi, ne sera capable de comprendre de quoi il s’agissait ! C’est navrant ! (rires) C’est une des raisons pour lesquelles je n’aime pas travailler en utilisant des storyboards, à cause de mon incapacité à représenter exactement ce que je veux obtenir. Du coup, je préfère me promener dans les décors avec mon viseur pour déterminer ainsi les angles de prises de vues, les cadrages et les focales que je veux employer, et ensuite, je donne les autres indications artistiques à propos de l’éclairage, des couleurs et de la mise en place des acteurs et des accessoires. Travailler avec certains environnements en images de synthèse, comme cela est arrivé pendant le tournage des Immortels, est de ce fait beaucoup plus difficile pour moi qu’un tournage classique. Pour revenir à votre question sur la conception du film, l’autre partie importante de mon travail, c’est la création du monde dans lequel l’action se déroule. C’est de cette manière-là que je commence à travailler sur un film, en réalité, car je ne peux pas visualiser des plans dans mon esprit tant que le monde du film n’est pas prêt. Une fois que c’est fait, et que les décors et les costumes sont définis et en place, je peux me déplacer physiquement dans cet environnement, le ressentir et choisir les plans que je vais faire.



Dans THE FALL, vous avez filmé des paysages naturels à couper le souffle et d’anciennes cités dans des pays lointains pour illustrer le conte que narre un cascadeur cloué dans un lit d’hôpital à une petite fille…C’était étonnant de voir ces endroits qui n’avaient jamais été montrés au cinéma auparavant. Comment les avez-vous trouvés, et comment les avez-vous inclus dans votre récit ?

Vous savez, la plupart des critiques que l’on fait au sujet de mes films tournent autour d’un reproche : on dit que je fais passer l’histoire au second plan, après les compositions visuelles…Et c’est absolument exact ! (rires) Je suis convaincu que le cinéma est d’abord et avant tout un mode d’expression visuel. Dans le cas de THE FALL, je dois vous dire que je songeais à cette histoire depuis près de 27 ans, et que j’ai fait des repérages un peu partout dans le monde pendant 17 ans, en profitant des clips vidéo et des spots publicitaires que je tournais pour explorer des endroits extraordinaires. A chaque fois que je me trouvais sur place, dans un de ces lieux exceptionnels, je me disais « Bon, ici, il pourrait se passer telle chose, et là telle scène… » J’ai conservé toutes ces idées dans des fichiers, en accumulant une énorme banque de données de cités, de paysages, de bâtiments, de palais incroyables. Quand j’ai trouvé des gens qui ont accepté de produire THE FALL, j’ai d’abord tourné toutes les scènes avec le cascadeur et la petite fille à laquelle il raconte son histoire, allongé dans son lit d’hôpital. Avant chaque scène, je racontais moi-même à la petite fille l’aspect qu’auraient les images de cette histoire. J’ai pu faire ainsi un pré-montage en sachant exactement à quels endroits je pourrais insérer les scènes du conte, et en ayant une idée très précise des endroits dans lesquels je pourrais tourner chaque scène. Je voyage beaucoup, même en dehors de mon travail. Je n’aime pas me fier aux photos que des gens pourraient prendre des endroits que je ne connais pas. Je veux aller sur place pour me rendre compte par moi-même de la manière dont je pourrais filmer ces lieux, quelle focale utiliser, quel moment de la journée choisir pour bénéficier de la meilleure lumière solaire, etc. Je m’étais rendu moi-même avant le tournage dans tous les décors naturels que vous avez découvert dans THE FALL. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles vous n’aviez jamais vus ces endroits au cinéma auparavant : ils sont souvent très difficiles d’accès, et ne disposent pas d’infrastructures qui permettent d’accueillir et d’héberger toute une équipe de cinéma. Il y a aussi des problèmes politiques dans ces pays. Les gens qui étaient venus là prendre des photos de ces décors auparavant avaient dû les classer dans les lieux trop difficiles d’accès et trop risqués. Quand nous nous sommes lancés dans l’aventure de THE FALL, j’avais dit à mes producteurs ce que je voulais faire et comment je voulais tourner le film. Je leur avais dit que le tournage pourrait s’étendre sur trois, quatre ou même quinze ans, mais que tout ce qui comptait, c’était que je puisse faire exactement le film que j’avais en tête depuis toujours, avec ces paysages du monde entier. C’est cette attitude qui m’a permis de faire THE FALL comme je l’avais souhaité, et d’aller dans tous ces endroits que j’avais repérés depuis des années.

Les décors et l’histoire de THE FALL sont tellement fusionnés que l’on sent que vous avez écrit certaines scènes en fonction de ces lieux…

En effet. Mais je fonctionne souvent comme cela. Je ne fige pas les choses en fonction de ce que décrit le scénario. Pendant la préparation de THE CELL, j’avais demandé au scénariste de laisser des passages en blanc au moment où le personnage joué par Jennifer Lopez entre dans l’esprit du tueur en série pour essayer de retrouver l’endroit où il a pu cacher sa dernière victime, qui est peut-être encore en vie. De même, j’avais demandé à Jennifer de dire de manière assez neutre ses répliques avant et après son voyage dans l’inconscient du criminel, pour me laisser le champ libre au moment du tournage des scènes dans cet univers imaginaire. Je raisonnais en termes de péripéties, par exemple en me disant que dans telle scène, elle allait se perdre. Je trouvais ensuite le décor approprié pour qu’elle puisse se perdre dedans, puis je mettais au point l’éclairage dont j’avais besoin pour créer l’atmosphère de la séquence. C’est une approche qui va l’encontre de ce que font la plupart des gens de cinéma. Ils aiment bien que le script indique tous les détails, décrive toutes les étapes de chaque scène, le début, le milieu et la fin. Mais la limite de ce genre d’exercice, c’est qu’il ne tient pas compte de la manière dont vous pouvez utiliser le langage corporel d’une actrice pour raconter l’histoire d’une autre manière. Ce langage-là a son propre tempo, sa propre logique qui ne correspondra pas forcément à ce que le scénariste a prévu. De la même manière, si vous comparez un script à une histoire que vous raconte oralement une personne, un scénario est construit sur une structure rigide, tandis qu’un conteur va s’adapter aux réactions de la personne à laquelle il parle. En fonction de ses réactions, de ce qui lui plaît ou l’ennuie visiblement, il va accélérer et raccourcir certains passages, et à l’inverse ajouter des détails, embellir des moments qui plaisent particulièrement à son auditeur. J’ai procédé comme cela en me libérant de la contrainte du script, et en laissant les décors naturels et mes acteurs m’entraîner là où ils allaient spontanément, quitte à modifier le script.

Gardez-vous systématiquement en mémoire des endroits que vous découvrez au cours de vos voyages, afin de vous en servir plus tard, dans des films ?

Je le faisais avant de réaliser THE FALL, mais plus maintenant. A présent que le film existe, je voyage uniquement pour mon plaisir. De toutes les manières possibles. Il m’arrive encore de voyager « léger » en n’emportant qu’un sac à dos, et d’autres fois, je séjourne dans des hôtels de luxe. En fait cela m’est égal. L’important, c’est de découvrir d’autres horizons.

La suite de cet entretien sera bientôt disponible sur ESI !

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