Entretien exclusif avec Rupert Sanders, réalisateur de BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR
Article Cinéma du Vendredi 29 Juin 2012



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment ce projet a t’il débuté pour vous, et quelles opportunités y avez-vous trouvées ?

Joe Roth venait de produire ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton, quand il m’a envoyé le script du projet. Il se trouve que j’ai toujours aimé l’histoire de BLANCHE NEIGE. De tous les contes de fées, c’est de loin celui qui m’a le plus fait rêver quand j’étais enfant, et ce que j’ai découvert dans ce script m’a convaincu que je pourrais en faire un film intéressant. J’ai passé plusieurs mois à le réécrire afin d’y incorporer certaines de mes idées. Je voulais aussi donner une dimension épique à cette aventure, lui apporter une ampleur cinématographique toute nouvelle, et en faire ainsi une grande saga médiévale basée sur les racines du conte original de BLANCHE NEIGE que les frères Grimm nous ont transmis. Je crois que les thèmes de cette histoire restent tout à fait pertinents aujourd’hui. Ce récit a traversé les siècles, et il n’a jamais cessé de fasciner le public depuis qu’il a été retranscrit pour la première fois. Le simple fait qu’il continue à nous fasciner en 2012 prouve à quel point il touche des sujets universels et éternels.

Il s’agit probablement d’un des trois ou quatre contes de fées les plus connus au monde…

Oui, exactement. Au début du projet, j’ai proposé à des artistes venus du monde entier de travailler sur les illustrations préparatoires du film. Dans notre équipe de dessinateurs, il y avait un russe, un japonais, des américains, et chacun d’entre eux nous disait « Ah, il faudrait que je vous envoie MA version de Blanche Neige ! » (rires) Cela permet de se rendre compte de l’étonnante popularité de cette histoire, que l’on a adapté dans toutes les cultures, depuis des siècles. Et c’est passionnant de voir comment chacune de ces sensibilités s’est appropriée à sa manière les personnages du conte. La Blanche Neige russe n’a évidemment rien à voir avec la japonaise. C’était très intéressant de travailler avec ces influences artistiques multiples. Le matériau originel est si dense à tous points de vue – qu’il s’agisse de la symbolique, de la psychologie, de la psychanalyse – que plus on creuse profondément, plus on s’étonne de trouver autant de choses.

Dans ce « reboot » d’Heroic Fantasy du conte classique de Blanche Neige, chacun des personnages principaux a un nouveau passé. Comment avez-vous travaillé sur le scénario quand vous avez accepté de réaliser le film ? Quelles sont les idées que vous avez apportées ?

Les personnages du conte original qui restaient dans la première version du script étaient Blanche Neige et le chasseur. La reine était déjà décrite comme une comtesse Elizabeth Bathory, une sorte de vampire courant après la jeunesse éternelle… En fait, la reine extrayait l’énergie vitale des jeunes filles en employant une machine, un appareil comme on aurait pu en trouver dans le laboratoire du Docteur Frankenstein.Tout le reste, c’est moi qui l’ai apporté dans les modifications suivantes du scénario. Le développement de l’univers visuel du film nous a aidé à travailler le script, tout comme les idées apportées au scénario ont servi de base à de nouveaux designs. Une fois que le processus a été enclenché, tout s’est déroulé de manière simultanée, organique et exponentielle !

Le ton de la première version du script était-il très différent de la seconde version que vous avez contribué à développer ?

Oui, car il y avait un certain nombre d’éléments comiques et même parodiques, dans la lignée d’un SHREK…Les producteurs et les scénaristes ont pensé qu’il valait mieux s’éloigner de cette option, et aller vers une tonalité beaucoup plus sombre et plus viscérale. J’ai considéré aussi que c’était la bonne direction, car le conte original, tel qu’il avait été retranscrit par les Grimm, était lui aussi emprunt de fantastique et d’épouvante. Visuellement, c’était de loin la meilleure manière d’imaginer de nouvelles versions des images symboliques du conte que nous avons tous en tête.

La version d’origine est extrêmement sombre…

Oui, effectivement. C’est une histoire un peu différente de ce qu’est devenu le conte connu de tous, et les paraboles du récit sont également un peu différentes. Mais même dans cette version « brute », il y a des éléments dans lesquels on pourrait puiser beaucoup de choses : la méchante reine mange les poumons et le cœur de ce qu’elle croit être les restes de son enfant, alors qu’il s’agit des organes que le chasseur a prélevés sur un cerf… Et la reine est tuée à la fin en dansant avec des chaussures de métal fondu ! C’est assez sinistre… Et en pensant à cela, je trouve assez amusant que les gens me disent souvent « Oh, vous avez fait une version bien sombre de BLANCHE NEIGE ! » Comment réagiraient-ils si j’avais transposé le conte original ! (rires) Je crois qu’ils ne se sont pas donnés la peine de lire la version des frères Grimm, qui était basée sur la retranscription de la narration orale du conte, telle qu’il était transmis de génération en génération… Je suis sûr que l’histoire que l’on racontait aux enfants dans les campagnes pendant le Moyen-âge était bien plus effrayante et sanglante que ce que les frères Grimm ont écrit dans leur version. Et par la suite, le film d’animation de Walt Disney a lui aussi adouci considérablement les choses.

En voyant votre film, nous nous sommes demandés si vous aviez vu la superbe série de Jim Henson MONSTRES ET MERVEILLES, qu’il avait réalisée avec des acteurs, des marionnettes et des personnages animatroniques à la fin des années 80 : il y reprenait les versions originelles des grands contes, en y mêlant magie, émerveillement et touches plus sombres…

Non, je ne l’ai pas vue, malheureusement. Mais j’avais aimé la manière dont Neil Jordan avait réinterprété l’histoire du petit chaperon rouge dans LA COMPAGNIE DES LOUPS, qui date aussi des années 80. Le bain de lait que prend Charlize Theron dans mon film est certainement un hommage à la scène de la tête tranchée qui tournoie et tombe dans la baignoire de lait dans LA COMPAGNIE DES LOUPS ! C’est un des films que vous ne pouvez pas oublier après l’avoir vu.

Quels étaient, selon vous, les ingrédients indispensables pour présenter au public de 2012 une nouvelle version de BLANCHE NEIGE qui le satisfasse pleinement ?

Vous savez, je n’ai pas abordé ce projet en me disant « Comment allons-nous faire de ce film un grand succès commercial ? » La première chose que j’ai faite pour expliquer ma vision à Universal a été de réaliser un film-test de trois minutes, tourné avec très peu de moyens, dans des arrières cours, des terrains vagues, des jardins et des hangars. Nous avons fait un montage de ces plans et Digital Domain y a ajouté des effets visuels.

Lesquels ?

Il y avait le plan dans lequel on voit deux elfes émerger de la poitrine d’un oiseau, et quelques autres plans qui symbolisaient ce qui allait être le cœur du film.

Vous avez réalisé ce film de démonstration en Californie ?

Oui, et pour la petite histoire, certains plans ont été tournés dans cette belle propriété qu’est le ranch Disney ! (rires) Le studio l’utilise quelquefois pour ses tournages, mais il le loue aussi. J’ai fait écrire un poème pour la narration en voix off, une musique a été composée et des bruitages ajoutés au montage, et le court-métrage a été présenté à la direction d’Universal. En dépit du fait qu’il avait été produit avec des moyens très limités, ce petit film donnait déjà une idée de ce que serait l’ampleur visuelle de BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR. Cette présentation a été très bien accueillie et elle a fortement contribué à la validation du projet par le studio. Ce qui, dans cette démo, n’était d’un plan d’un chevalier pourfendant un soldat en armure noire, qui éclatait en mille morceaux, comme une statue de verre sombre, est devenu une énorme séquence avec des dizaines et des dizaines de combattants à pied et à cheval. Pendant le tournage du film démo, nous avions juste assez de moyens pour engager deux figurants et louer deux armures ! (rires) Nous nous étions aussi débrouillés pour tourner les images de la reine sortant du bain de lait, de la pomme pourrissant en accéléré, et du liquide doré coulant du miroir…

L’effet du miroir devait être très coûteux à faire dans le cadre d’un film démo, sans budget…

Oui. C’est la raison pour laquelle nous l’avions tourné sans utiliser des effets 3D, car nous n‘avions pas le temps ni les moyens de nous lancer dans des animations et des renderings aussi complexes. Nous avions fabriqué un petit décor de mur que nous pouvions « mettre sur le dos », pour ainsi dire, puis faire basculer en avant, en position « debout ». La vasque que nous avions fixée sur le mur du décor était remplie d’huile noire. On y voyait donc des reflets, comme sur la surface d’un miroir. Nous avions fixé une caméra sur la structure du décor, face au mur, et quand tout cela basculait en avant, le « miroir noir » semblait se liquéfier et couler sur le mur, puis sur le sol. Rien d’autre ne semblait bouger, puisque la caméra était solidaire du décor. Le résultat était assez fascinant à voir, et d’ailleurs, je vais l’inclure dans la future édition vidéo du film, dans les bonus. Nous avons fini par tourner à nouveau tous ces plans avec les acteurs du film pour les inclure dans le « teaser », la toute première bande-annonce. Quand on s’amuse à visionner les deux montages côte à côte, on peut voir qu’ils sont très proches l’un de l’autre.

Puisque vous parlez du DVD et du Blu Ray à venir, savez-vous déjà quelles scènes coupées vous allez inclure dans les bonus ?

J’ai toujours eu un dilemme à propos des scènes coupées que l’on m’incite à inclure dans l’édition vidéo, car si elles ont été retirées du film, c’est pour une bonne raison ! Nous les avons supprimées pour améliorer le film, et cela m’ennuie un peu de devoir les montrer…Bien sûr, je comprends bien que les cinéphiles aiment savoir ce qui s’est passé pendant la production et le tournage d’un film, et qu’ils apprécient de découvrir certaines des idées qui n’ont pas passé le cap du montage, mais bon, ce n’est pas réellement indispensable. Ce n’est pas comme si je m’étais battu contre le studio, et que ma version de certaines scènes ne figurait pas dans le montage final… Universal était ravi de la manière dont le film évoluait, j’ai pu travailler comme je le souhaitais et il n’y aura jamais de version « Director’s cut » de BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR. Les scènes coupées que nous allons montrer n’auraient eu pour effet que de ralentir le film, et non pas de l’améliorer.

Pouvez-vous nous dire plus précisément de quelles scènes il s’agit ?

Il y a notamment une séquence qui se déroule juste après que l’on ait vu la première interaction entre la reine et le miroir magique. Toute la foule qui s’est révoltée est désormais captive et rassemblée sous le balcon de la reine, dans le château. Le général s’adresse à Ravenna et lui dit « Voici tout ce qu’il reste des rebelles, votre majesté. Que devons-nous en faire ? ». Elle les regarde et lui dit « Passez-les par l’épée ! », et l’on voit alors les soldats exécuter les prisonniers en insérant leurs lames à la base du cou, pour leur sectionner les vertèbres. En dehors de ce moment-là, il y avait aussi des scènes qui montraient la progression de Blanche Neige et du chasseur dans la forêt obscure, et des scènes où l’on voyait comment les chasseurs de prime étaient recrutés dans le village, sous la pluie. J’ai coupé aussi une scène de dialogue entre le chasseur et le duc William, qui avait lieu pendant leur périple en haute montagne, dans un paysage enneigé.

Allez-vous enregistrer aussi un commentaire pour cette édition vidéo ?

Oui, c’est ce que j’ai prévu. Le DVD et le Blu Ray vont être assez fascinants à regarder, parce qu’ils permettront de visionner le film, tout en ayant la possibilité de regarder certaines scènes « couche par couche », en décortiquant chacune des étapes de leur création : le storyboard, la prévisualisation en 3D schématique, les prises de vues réelles sans trucage, puis les effets 3D ajoutés en volumes gris, puis le rendu définitif. On y verra aussi le film démo, que nous avions surnommé « the tone film » (La description de l’atmosphère du film). J’avais créé aussi une sorte de « bible » du film, afin d’expliquer pourquoi le royaume est entouré par une forêt obscure, pourquoi et comment la forêt enchantée avait été créée, bref, tous les grands évènements du passé de cet univers. Nous allons également inclure cela dans les suppléments que l’on pourra consulter. Je me réjouis que nous ayons énormément de choses à monter, car je trouve que les suppléments de certains DVDs et Blu Rays sont un peu anémiques. Je crois que les amateurs de bonus seront pleinement satisfaits en découvrant cette édition vidéo du film.

Revenons au tournage du film…Etait-ce inquiétant de savoir qu’une autre version de BLANCHE NEIGE allait sortir dans les salles avant votre film ? Avez-vous tenté par tous les moyens de vous éloigner de ce que Tarsem Singh avait fait dans sa version ?

Je crois que le plus stressant, c’était de faire notre film ! Je ne me faisais pas vraiment de souci à propos du film de Tarsem, parce que je connaissais bien son travail, et que je me doutais qu’il allait faire quelque chose de radicalement différent de notre version. De plus, nous savions qu’il avait choisi un ton humoristique, alors que nous allions dans une direction complètement opposée. Plutôt que de constituer un problème, je crois que la production simultanée de ces deux versions de Blanche Neige nous a aidé médiatiquement, car de nombreux journaux se sont réjouis d’annoncer que Hollywood s’était fourvoyé une fois de plus en produisant deux films sur le même sujet ! Ce qui est assez amusant, c’est que nous étions alors « l’autre Blanche Neige » quand tout ce buzz médiatique a commencé. Et finalement, BLANCHE NEIGE ET LE CHASSEUR est devenu l’un des films les plus attendus de l’été ! Beaucoup de journalistes nous ont considéré comme une cause perdue avant même que nous ayons la possibilité de montrer les premières images du film. Quand notre bande annonce a été révélée, les réactions ont été presque unanimement positives. Les gens disaient « Wow ! On ne l’a pas vu venir, ce film-là ! »

Pourtant, dès que nous avions vu les toutes premières photographies de Kristen Stewart et Charlize Theron, nous avons été vivement intéressés par votre projet : il était évident qu’il allait être différent de ce que l’on attendait…

Merci. J’avoue que cette période pendant laquelle les gens pensaient que nous allions droit dans le mur était un peu agaçante, mais comme nous avions confiance en ce que nous faisions, cela ne nous a pas empêché d’avancer sereinement.

Vous n’avez donc pas cherché à savoir ce que faisait Tarsem de son côté ?

Non. Nous nous doutions qu’il y aurait des éléments similaires, car c’était inévitable, mais en dehors d’une curieuse coïncidence – une scène où l’on voit deux personnages suspendus à l’envers figure dans chaque film ! – tout le reste est complètement différent. Je n’ai pas envoyé des espions à Montréal pour savoir ce qui se tramait dans l’atelier des décors et des costumes de la production concurrente ! (rires) Cela dit, Tarsem a été très malin, car il s’est empressé d’engager les meilleurs acteurs de petite taille que l’on puisse trouver pour jouer les nains ! Il ignorait que nous allions aborder ce casting de manière totalement différente, en ayant recours à des trucages pour rapetisser Ian McShane, Bob Hoskins, Ray Winstone, et tous ces grands acteurs anglais !

La suite de cet entretien bientôt sur ESI !

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