Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Eamonn Butler, superviseur de l’animation au sein de Double Negative
Article Cinéma du Mercredi 15 Aout 2012

A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’expérience que vous avez acquise en travaillant sur la comédie de SF PAUL vous a t’elle aidé à aborder le projet JOHN CARTER ?

Sans aucun doute. Le travail que notre équipe a réalisé sur PAUL lui a permis de se développer, car nous avons engagé des animateurs de grand talent, capables d’insuffler une forte personnalité à cet extraterrestre hors du commun. PAUL était un projet idéal pour nous préparer à aborder JOHN CARTER, et nous sommes fiers de ce que nous avons accompli dans ce film. Nous avons développé des logiciels dédiés au traitement de la peau et de nouvelles technologies de manipulation des personnages 3D pour donner vie à notre premier alien qui parle, respire et se comporte comme un vrai acteur. La création des systèmes de contrôles des mouvements de la bouche de Paul, afin de lui faire « prononcer » des mots, a contribué aussi à faire de Dneg un studio d’effets visuels capable de produire des animations de personnages de haut niveau.

Quelles sont les difficultés que vous avez eu à gérer successivement afin de réussir à animer les Tharks ?

D’emblée, nous nous sommes rendu compte qu’il allait être très difficile d’animer des personnages à 4 bras mesurant presque 3 mètres. Préserver l’alignement des regards entre John Carter et les Tharks est très difficile quant on tente de cadrer les visages de ces personnages dans la même image au format cinémascope. Andrew Stanton voulait que l’alignement du regard de Taylor Kitsch avec celui des Tharks soit absolument parfait. C’est un point sur lequel il a beaucoup insisté, à juste titre, car il permet de croire à la véracité de la scène. Nous avons donc mis au point un certain nombre de méthodes pour nous assurer que les angles des regards des personnages 3D et de Taylor correspondaient parfaitement. En plus des échasses qu’utilisaient les acteurs principaux, nous avons équipé d’autres comédiens avec des sacs à dos qui servaient de fixation à des têtes montées sur des supports. Ainsi équipés, ils pouvaient marcher et s’asseoir facilement n’importe où, et même jouer les scènes où ils sont sensés chevaucher des Thoats. Nous avons constitué une « bible » très détaillée des moyens à employer plan par plan pour nous assurer que nous serions en mesure de déterminer exactement où les yeux des Tharks devaient se trouver dans l’espace tridimensionnel. C’était indispensable pour établir une continuité crédible au fil des plans. Après avoir fait cela, nous avons effectué des tests de capture de mouvements avec des acteurs évoluant avec des échasses dans un studio. Nous n’avons pas tardé à constater que les données obtenues ressemblaient exactement au dispositif utilisé : même transposées sur des personnages 3D, on sentait bien que ces démarches n’étaient pas naturelles, et qu’il s’agissait tout bêtement de types juchés sur des échasses encombrantes ! Le problème ne provient pas du poids ni de la structure des échasses, mais du fait que si vous surélevez quelqu’un, vous abaissez son centre de gravité. Pour compenser la longueur de leurs nouvelles jambes et garder leur équilibre, les acteurs devaient faire bouger davantage leurs hanches, et de ce fait, leur allure n’était plus du tout convaincante. Ces tests nous ont permis de constater que nous lancer dans la capture des mouvements des acteurs portant des échasses pendant le tournage ne serait pas très utile. Nous avons préféré filmer les scènes en vidéo sous différents angles, et limiter les captures à celles des expressions faciales des comédiens, grâce aux deux caméras filmant leurs visages en gros plan. Par la suite, les animateurs ont pu se baser sur ces performances pour créer les mimiques des Tharks. Selon les cas, ils les ont suivies assez fidèlement, ou s’en sont écartés pour les amplifier ou les refaire complètement. Il fallait aussi qu’ils imaginent une gestuelle tenant compte de mouvements simultanés de deux paires de bras.

Quel pourcentage des expressions faciales et de la gestuelle originale de Willem Dafoe avez-vous conservé dans l’animation finale de Tars Tarkas ?

Je dois dire que nous n’avons pas essayé de quantifier cela de quelque manière que ce soit. Nous avons suivi de près la performance de Willem pendant les scènes dans lesquelles les émotions sont très présentes. Dans un second temps, quand nous avons montré ces animations-là à Andrew, on ne voyait plus qu’un Thark à l’image, et les mouvements faciaux assez légers de Willem n’étaient plus aussi lisibles sur ce visage-là. Inévitablement, nous avons été contraints de nous éloigner des performances originales des acteurs afin de les amplifier pour qu’elles « fonctionnent » une fois transposées sur les morphologies des Tharks. Donc pour revenir à votre question, je dirais que nous avons gardé environ 10% de la performance originale de Willem, et que les 90% sont issus de l’interprétation de sa performance par un animateur.

D’après ce que vous nous dites, toutes les scènes dans lesquelles les Tharks se déplacent de manière très rapide, courent, bondissent, ou se battent vigoureusement ont probablement été animées à 100%, sans recourir aux mouvements des acteurs…

Oui. Les deux défis que nous devions relever étaient premièrement de faire en sorte qu’un Thark semble crédible placé à côté d’un humain, et deuxièmement, d’être en mesure d’animer des milliers de Tharks dans les limites de temps et de budget qu’il nous fallait gérer. Nous avons donc décidé d’utiliser de la capture de mouvement très simple sur des acteurs qui ne portaient pas d’échasses, afin de créer une multitude d’actions que nous pourrions transposer sur les personnages d’une foule. Nous avons constitué ainsi une « banque » de comportements et d’attitudes que nous avons employé notamment dans la scène de l’arène et pendant les séquences de batailles. Nous avons collaboré avec une société appelée Centroïd, qui est installée dans la banlieue de Londres, et nous avons tourné ces séquences en capture optique avec l’aide d’une équipe dirigée par Steven Enticott, notre superviseur de l’animation des scènes de foules. Nous avons employé des costumes Moven qui fonctionnent comme les joysticks de la console Wii. Comme ce système est très simple d’utilisation, nos animateurs l’ont souvent revêtu eux-mêmes pour jouer les scènes qu’Andrew n’avait pas pu mettre en place comme il l’aurait souhaité pendant le tournage avec les acteurs. En cas de besoin, il leur suffisait de se rendre chez Centroïd pour mimer les gestes nécessaires, et le temps qu’ils reviennent dans nos locaux, les données transposables sur nos modèles 3D des Tharks avaient été transmises à leur bureau. Ce qui était extrêmement pratique avec ce système, c’est qu’il nous permettait de tester très vite toutes sortes d’idées d’animation, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, et de faire un tri très rapide pour ne garder que ce qui convenait à Andrew. Cela nous a permis de gagner énormément de temps au moment de déterminer et de faire valider les animations-clé des personnages. Même si tout ce qui a été tenté n’a pas été retenu, cela a permis aux animateurs de pouvoir s’exprimer, et de jouer les scènes telles qu’ils les avaient visualisées.

Comment avez-vous animé la seconde paire de bras des Tharks ? Certains de ces mouvements étaient-ils déjà esquissés pendant le tournage, par exemple en plaçant un second acteur derrière l’acteur principal, ou les animateurs de Double Negative ont-ils été libres d’imaginer les gestes qu’ils trouvaient les plus judicieux ?

Nous avons utilisé ces deux méthodes. Au début, nous avons fait beaucoup de tests pour déterminer comment les Tharks pourraient utiliser leur seconde paire de bras de manière crédible. Le premier obstacle auquel nous nous sommes heurtés, c’est ce sentiment unanimement répandu chez les animateurs qui leur fait considérer que l’on ne peut pas animer deux parties du corps d’un personnage de la même manière, sous peine d’obtenir un résultat qui semblera artificiel. Au bout d’un moment, nous avons réalisé que nous pouvions transgresser ce tabou, et coupler les mouvements des deux paires de bras quand cela était logique et dicté par l’action du personnage. Nous avons constaté que ce qui marchait le mieux, c’était de jumeler les membres en diagonale, c’est à dire le bras supérieur gauche avec le bras inférieur droit et vice-versa. Une fois que nous avons établi ce processus, nos animations des Tharks ont commencé à bien fonctionner. Un autre principe consistait à souligner avec les mouvements des bras inférieurs ce que faisaient les bras supérieurs. Il y a un moment dans le film où Tark Tarkas réclame l’attention des Tharks, et leur crie « John Carter est mon bras droit ! » en soulevant ses deux bras droits en même temps pour souligner son propos. Au début, Tars ne levait qu’un seul bras. J’ai suggéré à Andrew que nous utilisions plutôt les deux, et il a dit « Bien sûr ! C’est évident que c’est ce qu’il ferait ! »

C’est également un bon gag !

Absolument ! Et cela paraît naturel. Au tout début de la production, un de nos animateurs qui s’appelle Darren Rodriguez a fait une animation-test dans laquelle un Thark utilisait tous ses bras en même temps. Nous avons fait cela délibérément pour voir ce que cela donnerait dans une scène où le Thark était en train de manger goulûment. Il utilisait tous ses bras pour arracher une cuisse de la carcasse cuite d’un animal, tout en pelant des fruits et en buvant. Andrew n’a pas aimé le résultat, même si l’animation était très bien faite, parce qu’il ne voulait pas souligner exagérément cette caractéristique physique des Tharks. Il voulait que cela semble naturel, et non pas que cela tourne à une démonstration spectaculaire ressemblant à du jonglage. Après tout, les humains n’éprouvent pas forcément le besoin d’utiliser constamment leurs deux bras en même temps quand ils se trouvent à table… Nous avons donc appris à animer ces 4 bras de manière plus discrète et plus naturelle, et nous avons fait des progrès au fil des plans que nous animions. Le système qui fonctionnait le mieux dans la plupart des cas était vraiment que la paire de bras inférieure duplique ou accompagne ce que fait la paire de bras supérieure. Par exemple, si un Thark est irrité, il peut croiser ses bras supérieurs tandis que les poings serrés de ses bras inférieurs vont se poser sur ses hanches. Dans la grande majorité des cas, c’est toujours l’option la plus simple et la plus directe qui donnait les meilleurs résultats.

Comment avez-vous réussi à faire courir des animaux à huit pattes de manière réaliste ? Quelles sont les références réelles que vous avez utilisées ?

Nous avons utilisé beaucoup de références issues de films animaliers, et ce dont nous nous sommes rendus compte, c’est qu’une créature à 8 pattes comme un Thoat n’a aucune raison de bouger différemment d’un animal à 4 pattes, en raison de la manière dont les mouvements de marche ou de course fonctionnent « mécaniquement ». Je vais vous en donner un exemple : quand la patte arrière se soulève du sol et approche de la patte avant située du même côté du corps, elle déclenche le mouvement inverse de la patte avant qui va se tendre pour reprendre appui au sol. Après avoir fait différents tests d’animation, il nous a semblé évident qu’il fallait garder ce principe de base, et ajouter simplement une paire de pattes se comportant pareillement à l’avant et une seconde paire à l’arrière. Si l’on essaie d’utiliser d’autres animations, l’animal se met à bouger comme une sorte de mille-pattes géant, et cela ne convient pas du tout à des déplacements rapides. Une fois que nous avons établi cette approche de dédoublement de l’animation des 4 pattes avant et des 4 pattes arrière, nous avons fait des captures de galop et de marche sur un vrai cheval. Hélas, ces mouvements sont beaucoup trop reconnaissables, et ne convenaient pas aux Thoats, qui sont aussi bien des montures de combat que des bêtes que les Tharks utilisent pour tracter de lourdes charges. Dès que nous montrions des tests, tout le monde s’écriait « On dirait un cheval ! » (rires) Nous avons donc abandonné la piste chevaline, et nous avons fini par capturer les mouvements d’un chameau ! Croyez-le ou pas, nous avons dû faire confectionner un costume de Mocap sur mesure pour ce chameau ! (rires) Vêtu ainsi, il ressemblait à un ninja ! (rires) Mais cette approche était la bonne, car ses mouvements, une fois transposés sur un Thoat, avaient une allure à la fois gauche et un peu étrange, tout en paraissant très naturels. Cela donnait au Thoat une allure originale et crédible qu’il était impossible d’attribuer spontanément à un animal terrien. La capture de mouvements est un outil formidable, mais son principal défaut, c’est qu’il restitue les choses de manière brute, sans rien adoucir. Il est impossible de l’utiliser pour obtenir une animation qui a un aspect différent de la manière dont les données ont été obtenues. Ce qui était formidable dans les mouvements du chameau, c’était leur lenteur et leur délié, qui convenaient très bien à une créature forte et robuste. Nous sommes bien sûr intervenus par la suite sur ces données, notamment pour amplifier l’allure massive et la lourdeur des mouvements des Thoats. Même si les 8 pattes des Thoats ont donné beaucoup plus de travail à accomplir aux animateurs, à la base, la démarche n’était pas très différente de l’animation d’un animal quadrupède.

Etait-ce particulièrement dur de satisfaire les demandes d’Andrew Stanton, étant donné qu’il vient lui-même de l’animation ?

Oui et non. Andrew est très exigeant parce qu’il place très haut la barre de la qualité de l’animation qu’il souhaite pour ses films, mais ce qui est formidable avec lui, c’est que les années qu’il a passées au sein de Pixar lui ont permis de devenir extrêmement efficace dans sa manière de diriger l’animation. Andrew définit très rapidement avec nous l’animation qu’il souhaite pour un plan précis, et ne perd pas de temps à approuver les poses-clé que nous lui soumettons, parce qu’il a été clair et précis dès le début. D’autres réalisateurs avec lesquels nous avons travaillé n’avaient pas la capacité de voir ce que la scène allait donner après la phase de mise en place des poses-clé. Il fallait leur présenter des animations déjà très abouties pour qu’ils puissent juger si cela leur convenait ou pas, ce qui nous faisait perdre du temps en cas d’hésitations ou de tâtonnements. Andrew, lui, voyait tout de suite ce que les poses-clé aller donner une fois que l’animation serait finie. Il pouvait donc nous dire tout de suite si nous étions sur la bonne voie pour exprimer ce qui se passait dans cette scène, ou si nous devions faire des ajustements ou tout recommencer. Mais une fois qu’Andrew avait approuvé les poses-clé, le reste du processus se déroulait sans encombre jusqu’à l’animation finalisée dans 99% des cas. Nous avons eu beaucoup de chance de faire ce film dans des conditions quasi-idéales, très proches de celles du travail de production d’un long métrage d’animation.

Le combat avec les grands singes blancs est très spectaculaire. Comment a t’il été préparé avec les acteurs, puis animé ?

Toute la scène a été préparée en prévisualisation 3D par Andrew. Tous les mouvements de caméras étaient donc déjà établis. Nous avons créé une modélisation 3D de l’arène dans laquelle nous placé nos caméras virtuelles en suivant la préparation d’Andrew. Nous avons d’ailleurs appelé cette étape « post-visualisation » pour expliquer qu’elle venait entre la previz et la création des plans définitifs. La plupart des plans ont été tournés sur fond vert. L’environnement de l’arène est entièrement numérique. Ensuite, nous avons vérifié que toutes nos caméras virtuelles étaient dirigées exactement dans les angles choisis par Andrew, et que les focales employées et la continuité de plans étaient identiques. Quand nous avons tourné ces scènes en studio avec Taylor, il était prêt à être tiré, poussé et jeté dans tous les sens, tout en étant suspendu à des câbles afin de simuler les péripéties du combat. Taylor s’est avéré être un excellent cascadeur, mais il a été remplacé par des professionnels expérimentés dans quelques situations risquées. Nous avons tourné chaque plan en sachant très précisément comment il devait être à la fin du processus de post-production. Les acteurs étaient souvent suspendus à des câbles que nous devions effacer par la suite, et quant ils étaient projetés sur le sol, ils tombaient sur des matelas qui étaient dissimulés sous le sable. Nous avons dû remplacer Taylor par un clone 3D dans certains plans, mais dans la plupart des cas, nous avons pu utiliser directement ce qu’il faisait sur le plateau. L’un des points forts de Taylor, c’est qu’il parvient à vous donner l’impression qu’il voit réellement une créature quant il se retrouve sur un plateau devant un fond vert. C’est vraiment frappant. Il sait utiliser son imagination pour se convaincre qu’il vit réellement la scène. Et il n’a pas son pareil pour regarder toujours exactement au même endroit , prise après prise, quand il doit fixer un repère précis, ce qui nous aide énormément à gérer les trucages. Il y avait pourtant des dizaines de choses autour de lui qui auraient pu lui faire perdre sa concentration : des acteurs juchés sur les échasses, des balles de tennis que l’on agitait au bout de longues perches… En dépit de cela, il réussissait à jouer la scène avec conviction, sans jamais se tromper dans la direction de son regard ni dans les gestes qu’il devait faire pour simuler la présence des grands singes blancs. Taylor est en grande partie responsable de la réussite de cette séquence.

La suite de notre dossier bientôt sur ESI !

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