Dans les coulisses de JOHN CARTER : Entretien exclusif avec Eamonn Butler, superviseur de l’animation au sein de Double Negative - Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 17 Aout 2012

A l’occasion de la sortie de JOHN CARTER en DVD & Blu-Ray, ESI vous propose la suite de notre dossier sur cette épatante adaptation d’un des classiques de la littérature de Science-Fiction.

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous animé les singes blancs, et leurs interactions avec les acteurs ?

Nous avons commencé par engager des animateurs qui avaient travaillé sur KING KONG, dont Ben Forster, qui a supervisé l’animation de toute cette séquence. Ben a beaucoup animé Kong dans le film de Peter Jackson, et il avait déjà une parfaite connaissance de l’anatomie des grands singes et de la manière dont ils bougent. Quand nous nous sommes lancés dans l’animation des singes blancs, Andrew nous a poussé à les rendre aussi féroces que possible, tout en tenant compte de leur caractéristique, qui est le fait qu’ils sont aveugles. Il fallait donc que nous trouvions des moyens de faire comprendre au public qu’ils étaient privés de la vision mais que cela ne les empêchait pas d’être redoutablement dangereux et cruels. Les singes blancs n’ont qu’un seul mode de comportement : ils sont tout le temps dans une rage folle, quoi qu’il arrive dans l’arène ! (rires) A chaque fois que nous avions tendance à les animer de manière plus « normale », Andrew montait sur son piédestal et nous demandait de rendre les singes furieux et vicieux ! Il nous incitait aussi à les rendre aussi impressionnants que possible dans la composition de l’image. Pour parvenir à ce résultat, nous avons triché en augmentant leur taille dans certains plans. Il est très difficile de s’en rendre compte quand on voit la séquence dans sa continuité, mais pourtant, nous avons été jusqu’à doubler leur stature pour les faire paraître plus imposants et plus puissants en pleine action. Willem Dafoe et Samantha Morton portaient leurs tenues de Mocap et leurs sacs à dos avec les supports des têtes de leurs personnages, et ils couraient ainsi vêtus sur le plateau, à côté de Taylor. Mais en fin de compte, nous avons été obligés de les effacer totalement sans utiliser leurs performances, parce que les longues jambes des Tharks leur permettent de se déplacer bien plus vite que des humains. En termes d’animation, le travail réalisé sur cette séquence a été plus « classique » que ce que nous avons fait dans d’autres scènes. La partie la plus difficile était la création de la foule de milliers de Tharks qui réagit pendant le combat, en poussant des cris, et en encourageant les combattants à lutter contre les singes blancs. C’était l’une des toutes premières séquences que nous avons entamée au début de la production, et la dernière à être finalisée pendant la création des effets visuels. Nous avons travaillé dessus pendant toute la production du film.

Pourquoi ?

Oh, tout simplement parce qu’elle est constituée d’un très grand nombre de plans. Ils sont relativement courts, mais il y en a énormément. Et il fallait réussir à animer la foule des Tharks de manière convaincante, en disposant de plusieurs intensités de mouvements pendant les clameurs. Quand un singe blanc est tué, les Tharks sont en délire. Mais un peu plus tard, quand John Carter s’adresse à eux, ce qu’il leur dit les rend encore plus enthousiastes. Nous devions donc créer plusieurs niveaux de réactions, des plus faibles aux plus intenses. Et il fallait aussi qu’elles soient clairement lisibles de très près comme de loin. En développant cette approche, nous nous sommes rendu compte que les Tharks qui étaient au premier plan gagnaient à bouger moins intensément que ceux qui étaient plus éloignés. Nous avons donc tenu compte à chaque fois de l’emplacement de la caméra pour gérer ainsi les animations des foules.

Avez-vous songé à utiliser un logiciel comme Massive, qui donne une intelligence artificielle limitée à chaque personnage 3D d’une foule ?

Oui, nous y avions pensé au début, mais compte tenu des caractéristiques physiques des Tharks, il nous aurait fallu consacrer d’emblée un temps énorme pour constituer la banque de mouvements nécessaire aux enchaînements automatiques de comportements gérés par Massive. Car si vous achetez ce logiciel, ce que vous recevez, c’est uniquement l’outil, mais pas la banque de donnée avec les personnages tout prêts ni certains mouvements déjà enregistrés. Tout reste à faire. Nous avons donc considéré qu’il valait mieux nous organiser différemment et créer une banque de saynètes animées que nous pourrions utiliser directement, sans nous lancer dans un très long processus de développement, qui aurait pu nous faire courir le risque de livrer les plans en retard. Je tenais aussi à montrer très rapidement des plans très bien animés à Andrew pour le rassurer et lui prouver que nous avancions comme il le souhaitait. Le système que nous avons créé fonctionne un peu comme une version allégée de Massive, car nous pouvons répartir des comportements issus de notre banque de mouvements de manière naturelle dans une grande foule de personnages. Bien sûr cette astuce ne résiste pas à un examen approfondi en gros plan : si on reste braqué sur une partie de la foule, on finit par remarquer les cycles de mouvements qui sont recyclés de personnages en personnages. Pour éviter cela, nous avons conçu une gestion des animations par « couches ». Les Tharks les plus lointains étaient animés grâce aux cycles de mouvement, tandis que ceux qui se trouvaient à mi-distance étaient animés « à la main » en liant des phases de mouvements de notre banque de manière à obtenir des continuités de gestes qui semblaient naturelles. Nous intervenions également pour corriger les répétitions cycliques trop apparentes dans ce groupe-là. Et enfin, nous placions toujours deux ou trois personnages très près de la « caméra », et nous les animions en poses-clés, avec de nouveaux mouvements créés spécialement pour ces plans. Cela nous a permis de donner une grande richesse aux animations de ces scènes. J’oubliais de préciser que nous avons également tourné en Mocap ce que nous appelons des « vignettes », c’est à dire de courtes scènes dans lesquelles deux ou trois personnages interagissent les uns avec les autres. Ils se regardent en approuvant ce qui se passe, se parlent, partagent le même espace, etc. Nous avons disséminé ces vignettes dans la foule pour lui donner encore plus de réalisme.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez réussi à faire de Woola un personnage si attachant, tout en lui laissant des caractéristiques de bête féroce ?

Quand nous avons vu la maquette qu’Andrew Stanton avait apporté, avec ces rangées de dents impressionnantes, nous avons pensé qu’il s’agissait d’une créature délirante, probablement dangereuse. Mais Andrew nous a tout de suite détrompé en nous disant qu’il voulait que Woola soit beaucoup plus attachant que cela, et que nous lui donnions la personnalité d’un chien qui considère John Carter comme son maître. La première scène que avons animé avec Woola se situe paradoxalement vers la fin du film. C’est un moment que nous avons surnommé « la lune de miel est terminée » parce que John est arrivé depuis un certain temps sur Mars et commence à avoir la nostalgie de la terre. Cette séquence se déroule pendant la nuit, alors que John se trouve sur un balcon. Il regarde le paysage environnant tandis que Woola se tient à ses côtés. John réfléchit à voix haute sur ce qui lui est arrivé, et s’adresse à Woola en lui posant des questions comme si l’animal pouvait lui répondre. Nous avons d’abord animé Woola comme s’il comprenait vraiment ce que lui disait John, mais quant Andrew a vu cela, il nous a dit « Non, non, il faut supprimer tout ça : animez Woola comme s’il n’avait pas la moindre idée de ce que son maître lui raconte, exactement comme le ferait un vrai chien. » Et dès qu’Andrew nous a dit cela, nous avons tous eu un déclic. Nous avons compris que Woola est juste cette bonne grosse bête d’une loyauté à toute épreuve, qui veut protéger son maître. A partir de là, nous avons su comment aborder son animation pendant tout le reste du film. Nous avons laissé tomber l’idée de le faire réagir précisément à tout ce qui se déroule. Il suffisait qu’il soit là, et qu’il agisse comme le ferait un animal domestique affectueux protégeant son maître. En procédant ainsi, grâce aux indications d’Andrew, nous avons créé une partie « ouverte » de ce personnage dans laquelle chaque spectateur pourra projeter son expérience de sa relation avec son animal domestique, et je crois que cela fonctionne très bien dans le film.

Quelles sont les autres créatures martiennes que vous avez animées ?

Eh bien en dehors des Tharks et des Thoats dont nous avons déjà parlé, nous devions animer aussi des Warhoons, mais faute de temps, ils ont été pris en charge par MPC. Nous devions animer aussi des Bants, mais ils ont été supprimés du film pour des raisons budgétaires. On peut voir leurs cadavres dans l’arène, ainsi que dans les champs de bataille, transpercés par des lances. Nous avons animé aussi les clones 3D de John Carter et Dejah Thoris.

Pouvez-vous parler des sources d’images qui vous ont servi de référence pour l’animation des différentes créatures ?

Nous avons utilisé beaucoup d’images vidéo de chiens pour établir les mouvements caractéristiques de Woola, notamment des séquences avec des bulldogs. Nous nous sommes également filmés nous-mêmes, en train de porter une tête de Woola très grossière, faite avec du carton et de la mousse taillée, pour tester différentes attitudes. Et pendant le tournage sur le plateau, il y avait un marionnettiste qui faisait bouger une tête animée assez sophistiquée, afin que Taylor puisse réagir en la regardant. Il a réussi à injecter tellement de vie dans cette tête que nous nous sommes souvent inspirés de ce qu’il faisait pour créer nos animations. Pour les Thoats, en plus des chameaux que je citais tout à l’heure, nous avons également observé des mouvements de marche d’éléphants. Il y a quand même une scène de course au galop où nous sommes revenus aux mouvements de chevaux pour animer les Thoats, car nous ne pouvions plus nous baser sur des chameaux ni sur des éléphants pour les représenter en train de se déplacer à cette allure. Les Tharks, eux, sont animés comme des humains de grand taille. A titre de référence, nous avons regardé des images de guerriers Masaï. Andrew nous conseillait souvent de penser aux Tharks comme à des Vikings de Mars ! Nous avons donc tourné des plans en capture de mouvements avec des garçons très grands et très robustes pour aller dans ce sens, afin de leur donner une certaine masse.

Combien de modèles principaux de Tharks avez-vous créés pour établir ensuite toutes les variations de morphologies ? Une vingtaine ?

Vous avez vu juste : nous en avons effectivement créé 20 au départ, mais nous en avons abandonné certains qui étaient trop atypiques. Le truc pour créer une foule d’aliens crédible, c’est de les différencier juste assez pour que les spectateurs se rendent compte qu’ils ne sont pas exactement pareils. C’est la raison pour laquelle nous avons été contraints d’éliminer les physiques trop identifiables, car nous ne n’étions pas en mesure de les réutiliser aussi souvent que nous le souhaitions. Nous avons mélangé différents types de têtes avec différents corps, et changé les couleurs et les textures de peau, ainsi que les costumes et les accessoires, pour créer une bonne centaine de figurants à partir de ces variations.

La suite de notre dossier bientôt sur ESI !

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