Entretien exclusif avec Wally Pfister, directeur de la photographie de THE DARK KNIGHT RISES - Troisième Partie
Article Cinéma du Jeudi 01 Novembre 2012

[Retrouvez la précédente partie de cet entretien]


En prélude à la sortie DVD & Blu Ray de THE DARK KNIGHT RISES, le 28 novembre, ESI vous propose la suite de notre long entretien exclusif avec le grand chef opérateur Wally Pfister. Rappelons qu’après avoir fait ses armes à la télévision, Pfister a débuté au cinéma en 2000, en signant l’image du formidable thriller MEMENTO qui révéla Christopher Nolan. Leur collaboration, jalonnée des remarquables réussites que sont  INSOMNIA (2002), BATMAN BEGINS (2005), LE PRESTIGE (2006), THE DARK KNIGHT (2008), INCEPTION (2010) et THE DARK KNIGHT RISES, va se prolonger par la première réalisation de Pfister, TRANSCENDENCE, qui sera produite par Christopher Nolan.

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous collaborez avec Christopher Nolan depuis Memento. Pourquoi travaillez-vous si bien ensemble ? Quelle est votre vision commune de la direction de la photographie ?

Chris et moi avons le même état d’esprit et les mêmes goûts artistiques, et c’est ce qui nous permet de travailler en harmonie depuis 13 ans maintenant. Nous avons regardé et aimé les mêmes films quand nous avons découvert le cinéma : nous sommes tous les deux fans de réalisateurs comme Stanley Kubrick et Nicholas Roeg, et nous apprécions les récits assez sombres. Nous aimons les mêmes sortes de films. Au début de notre collaboration, j’ai découvert que Chris avait la capacité d’assimiler très vite de nouvelles connaissances. Il comprend très vite les différents procédés techniques que l’on utilise pendant un tournage, ce qui facilite nos échanges. Nous avons aussi en commun une attirance pour les prises de vues réalisées dans un style proche de celui des documentaires, caméra à l’épaule, dans l’esprit de ce que vous appelez le « cinéma-vérité » en France. Grâce à cela, nous sommes sur la même longueur d’onde quand nous entamons la préparation d’un projet. Quel que soit le type de plan, nous aimons utiliser une approche naturelle, aussi bien dans la conception des mouvements de caméra que par ce que nous choisissons de montrer dans ces images. Notre but est d’entraîner le spectateur dans l’action sans qu’il sente « la machinerie du cinéma » derrière ces prises de vue. Sans qu’il ne « sorte du récit ».

Comment décririez-vous l’approche visuelle des deux premiers épisodes de la trilogie Batman, et les différences avec ce dernier volet ?

Je dirais que pendant le tournage du premier épisode, nous essayions d’établir le style visuel de cette nouvelle approche de Batman, en utilisant aussi un mode de narration original. Pour Chris comme pour moi, il s’agissait alors du plus gros film que nous ayons jamais fait. Il fallait que je réussisse à porter la vision de Chris à l’écran, tout en répondant aux attentes du studio, qui souhaitait obtenir un film qui ait vraiment l’allure d’une superproduction. Pour ces raisons, je dirais que j’ai certainement été un peu moins audacieux sur BATMAN BEGINS que sur les volets suivants. J’étais conscient que nous tournions une superproduction pour une Major, et qu’il fallait donc que l’on ne perde jamais de vue notre héros, même s’il était habillé de noir des pieds à la tête, dans les plans nocturnes très sombres que souhaitait Chris…Et croyez-moi, ce n’était pas facile ! Heureusement, Chris a bien compris la situation et m’a incité à faire mon travail en traitant le film non pas comme une superproduction clinquante d’un grand studio, mais comme un film policier à suspense, comme une histoire de détective pleine de mystères. Il m’a dit : « Je veux que tu t’occupe de la direction de la photo de BATMAN BEGINS exactement comme celles de MEMENTO et d’INSOMNIA. N’abordons pas ce film comme l’aventure d’un superhéros. Inspirons-nous plutôt du style des grands polars.» Dès qu’il m’a dit cela, je me suis senti beaucoup plus à l’aise et nous avons vite trouvé notre mode de fonctionnement visuel. Ensuite, le succès remporté par BATMAN BEGINS a validé nos choix esthétiques et du coup, je n’ai plus senti la moindre pression commerciale, ni la moindre inquiétude du studio. Sur THE DARK KNIGHT, nous avons eu la liberté d’être plus audacieux et d’essayer de nouvelles choses. J’ai introduit plus de couleurs dans notre palette, et nous nous sommes éloignés de l’esthétique monochromatique aux teintes désaturées du premier épisode. Et nous avons également tourné des séquences entières en IMAX dans THE DARK KNIGHT, ce qui était une nouveauté totale en terme de format et de possibilités de découvrir les images en très haute résolution, sur écran géant. En ce qui concerne THE DARK KNIGHT RISES, c’est le contenu de l’histoire qui a déterminé l’approche visuelle de chaque séquence. C’est un récit plus complexe, avec plus de « couches » superposées que les Batman précédents, et j’ai voulu mélanger les styles des deux premiers épisodes dans ce troisième, tout en continuant à expérimenter de nouvelles choses de mon côté, pour me lancer des défis. Mais encore une fois, c’est beaucoup plus facile à faire quand on n’a pas de pression sur les épaules, parce que le studio vous fait confiance ! Tout le monde était sûr que le film serait un gros succès avant même que nous ne commencions à le tourner ! C’est peut-être dangereux d’être si confiant, mais au moins, nous pouvions travailler en toute liberté.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez travaillé la lumière et les gammes de couleurs pour créer les ambiances des principales séquences de THE DARK KNIGHT RISES ?

La manière dont je travaille avec la lumière et les couleurs est très naturelle, et dépend du contexte de chaque scène. J’attends toujours d’avoir une inspiration avant de déterminer quelle serait la meilleure dominante de couleur, le meilleur contraste et la meilleure luminosité pour cette scène-là. Cette étincelle peut jaillir à la lecture du scénario, ou en voyant les illustrations préparatoires produites par les dessinateurs de l’équipe du chef décorateur, ou même en découvrant le décor extérieur où nous allons tourner, mais j’ai appris qu’il fallait se garder de préparer une palette de couleurs précises trop à l’avance, car une fois arrivé sur le plateau, vous pouvez découvrir que l’environnement a déjà naturellement une couleur que vous n’aviez pas envisagée ! Mieux vaut avoir plusieurs options d’idées et arriver sur place l’esprit ouvert, afin de s’adapter au mieux à la situation. Dans THE DARK KNIGHT RISES, je voulais intégrer moins de couleurs que dans les volets précédents, et rester dans le cadre d’une palette assez neutre. J’ai joué davantage sur la lumière et les ombres pour souligner les textures.

Est-ce que cela vient du fait que plusieurs séquences se passent pendant l’hiver, sous la neige ?

Absolument. L’hiver vous impose naturellement une palette de couleurs limitée. J’ai simplement ajouté un peu plus de bleu dans l’ensemble de l’image, car nous avons dû filmer ces séquences hivernales à Pittsburgh au beau milieu de l’été, avec une lumière solaire assez forte, et trop « chaude » pour représenter correctement cette saison-là. C’était un vrai défi technique, car il fallait que nous évitions de tourner dans les rues qui étaient trop exposées aux rayons du soleil, soit en nous installant dans des rues qui se trouvaient à l’ombre, soit en déployant des énormes toiles pour servir d’ombrage. De plus, il fallait que ces images « d’hiver » filmées à Pittsburgh en été raccordent parfaitement avec celles que nous avions tournées à New York en automne ! Le fait d’ajouter une petite touche de bleu m’a permis d’harmoniser le tout et d’obtenir ces ambiances neutres typiques de l’hiver, avec des surfaces de neige qui paraissaient ainsi naturelles. Ces surfaces blanches et ces ambiances bleutées ont déterminé l’aspect visuel de ces scènes. La neige nous a permis aussi d’obtenir des effets de contrastes très intéressants, et de rompre avec l’ambiance des premières images du film qui montrent des champs très verts et le ciel bleu.

Certains plans où l’on voit Batman et Bane se battre dans des décors blancs de neige sont presque des retours aux sources graphiques du personnage : c’est un peu comme si l’on voyait des dessins à l’encre noire sur une page blanche…

Tout à fait ! C’est toujours agréable et gratifiant de revenir à la simplicité de ces contrastes, et au pur noir et blanc. Cela fait partie des images les plus agréables à créer.

Justement, en parlant de contrastes, à quel point est-il difficile de filmer un héros comme Batman qui est entièrement habillé de noir ? Quels sont les problèmes que vous avez eu à surmonter, et quelles sont les solutions que vous avez trouvées pour y remédier, à la fois pendant le tournage et en post-production ?

C’est le premier problème que nous avons eu à résoudre au début de la trilogie, dans BATMAN BEGINS. Cela me rendait particulièrement nerveux, car ce personnage devait sortir principalement pendant la nuit, avec un costume qui était non seulement noir, mais de plus d’un noir totalement mat, qui excluait que l’on puisse jouer avec des reflets ! J’avoue que nous nous sommes bien creusés les méninges pour résoudre ce problème. Nous avons filmé de nombreux plans-tests avec le costume dans différents environnements avant de découvrir ce qui allait marcher ou pas. Cela m’a permis de montrer à Chris ce que nous avions l’intention de faire, afin qu’il n’ait aucune surprise pendant le tournage. Ce que j’ai appris pendant ces tests, c’est que la seule solution efficace et utilisable pratiquement dans toutes les situations consiste à séparer la silhouette de Batman du fond de l’image, en faisant en sorte que l’arrière-plan soit toujours plus clair. On peut y parvenir de différentes manières : en éclairant davantage un décor placé à l’arrière, mais aussi en utilisant un peu de fumigène et en le rétro-éclairant discrètement pour faire ressortir Batman même sur un ciel noir. On peut jouer aussi sur les reflets lumineux d’un arrière plan, sur les surfaces vitrées d’un immeuble, sur un ciel nuageux en contre-plongée, etc. C’est de loin la meilleure approche, car le costume de Batman est d’un noir tellement mat que l’on ne peut même pas obtenir un effet de découpe vraiment lisible en l’éclairant par l’arrière ! Un autre effet très utile consiste à bien éclairer les yeux de Christian Bale, pour qu’ils ressortent bien au travers du masque. On a coutume de dire que les yeux sont les miroirs de l’âme et quand on voit bien les yeux de Batman, on peut déjà profiter de la performance de Christian, même si sa bouche reste relativement sombre. Voilà ce que nous avons découvert en préparant le premier film. Par la suite, nous avons étoffé notre gamme de « trucs » pour filmer notre chevalier noir dans THE DARK KNIGHT , puis dans THE DARK KNIGHT RISES. Cela tombait bien, car dans ce nouvel épisode il y a Catwoman, qui est entièrement habillée en noir elle aussi, et Bane, qui porte un masque noir mat ! (rires) Cela m’a obligé à trouver des moyens pour souligner discrètement ces trois paires d’yeux !

Avez-vous tenté de recouvrir le costume de Batman d’un vernis transparent mat fluorescent, qui le rendrait légèrement lumineux s’il était exposé à un éclairage ultraviolet de type « lumière noire » ?

Oui, nous avons testé cet effet-là, avec différentes intensités de lumière noire, mais nous avons fini par le rejeter parce qu’il n’était tout simplement pas nécessaire d’aller jusque-là. Nous avons testé aussi des matériaux qui reflètent la lumière, comme le Scotchlite que l’on fabrique également en noir, mais en fin de compte nous en sommes restés aux solutions plus simples et plus naturelles que nous avions trouvées pendant notre phase de recherche et de développement.

La suite de ce Bat-dossier paraîtra très rapidement sur ESI !

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