Le Hobbit: un voyage inattendu : Entretien exclusif avec Martin Freeman (Bilbo) – Deuxième partie
Article Cinéma du Jeudi 31 Janvier 2013

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Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

De nombreux décors de « la contrée » étaient construits réellement, ainsi que d’autres environnements fantastiques. Est-ce que l’extraordinaire qualité du travail des équipes de décoration et des effets spéciaux vous a aidé à ressentir les émotions d’un hobbit et donc, à entrer dans la peau de Bilbo ?

Je crois qu’il est toujours utile de pouvoir établir des liens avec des choses tangibles, des objets ou des décors que l’on peut toucher, afin d’ancrer son jeu d’acteur dans une certaine réalité. Ces films sont des mélanges d’éléments et de décors construits « en dur » et de créatures réalisées en images de synthèse. On peut se retrouver soit dans des environnements construits dans les moindres détails, soit devant un fond vert, avec quelques éléments qui servent de repère. Dans le premier cas, comme le décor de Bag End, la maison-terrier de Bilbo, on est époustouflé par la minutie avec laquelle les moindres détails ont été pensés et fabriqués. Je dois dire que de toute ma carrière, je n’avais jamais vu un travail aussi poussé sur un plateau de cinéma. Si vous saisissiez une bouteille, vous pouviez voir que l’on avait inscrit tous les détails nécessaires sur l’étiquette. Si vous souleviez une table pour voir ce qu’il y avait en dessous, même les détails de menuiserie que la caméra ne verra jamais étaient là. C’est démentiel ! Ils vont si loin dans la perfection que l’on a l’impression que cette maison de hobbit est vraie ! C’est un travail absolument magnifique, qui force l’admiration. Donc oui, quand je me retrouvais dans la maison de Bilbo, je pouvais me servir de cette ambiance pour jouer. Mais il y avait malgré tout des moments plus compliqués à gérer. Quand j’étais sensé parler à Gandalf, je m’adressais en réalité à une balle de tennis plantée au bout d’un bâton de 2 mètres 13, qui correspondait à la hauteur du regard du magicien quand il se tient debout face à Bilbo. D’autres fois, tout ce que j’avais comme repères, c’étaient deux croix de ruban adhésif collées sur un mur ! Mais j’aime bien ce mélange de choses concrètes et hyperréalistes et d’éléments techniques qui sont là pour m’aider à jouer en m’adaptant aux effets visuels à venir…C’est une gymnastique intellectuelle intéressante. En revanche, je dois dire que si tout avait été intégralement réalisé en images de synthèse, j’aurais eu beaucoup plus de mal à interpréter ce rôle. Heureusement, Peter en était bien conscient, et lui et ses équipes ont toujours prévu assez de choses concrètes autour des acteurs pour que nous puissions nous appuyer dessus. A partir du moment où vous pouvez toucher un certain nombre d’éléments réels, jouer des scènes dans lesquelles on va ajouter des éléments en synthèse devient assez amusant à faire. Ce n’est plus un exercice déconcertant et pénible, où l’on se sent « perdu dans le vert ».

Vous avez donc toujours pu ancrer votre jeu d’acteur dans la réalité de la scène…

Oui. D’ailleurs la toute première scène que nous ayons tournée est la séquence de la caverne de Gollum, qui avait été construite en partie « en dur ». Il y avait bien sûr un cyclorama vert placé dans un coin du décor, afin que l’on puisse prolonger les perspectives de la caverne et du lac, mais derrière Andy Serkis et moi, il y avait de « vrais » rochers sur lesquels nous pouvions nous appuyer et devant nous, une berge avec de l’eau pour représenter le bord du lac. Et bien sûr, j’avais Andy qui était physiquement en face de moi pour jouer la scène. Il est primordial de pouvoir se regarder les yeux dans les yeux avec votre partenaire dans une telle scène, pendant des moments de grande intensité dramatique. Dans ces conditions-là, je dois dire que je me suis mis à apprécier aussi les tournages sur fond vert beaucoup plus que je ne l’avais imaginé ! Andy est tellement doué que dès qu’il commençait à respirer en produisant cette sorte de petit ronflement animal, j’avais déjà l’impression de voir Gollum en face de moi ! (rires) De plus, il fait réellement tout ce que l’on voit Gollum faire dans les films : il bondit comme lui, avec une énergie impressionnante. J’avais vraiment le sentiment d’être confronté à une créature étrange et dangereuse, bien décidée à me manger ! Je n’avais pas beaucoup d’efforts d’imagination à faire pour voir le personnage se matérialiser devant mes yeux. Grâce à Andy, Gollum était vraiment là !

Est-ce que ces scènes tournées partiellement sur fond vert se rapprochaient de votre expérience du théâtre ?

Oui, parce qu’au théâtre, on suggère des environnements plus qu’on ne les montre. Il arrive même qu’il n’y ait pas de décor, mais juste un clair-obscur accompagné de bruitages qui permet aux spectateurs d’imaginer tout l’environnement des personnages. Jouer sur un fond vert est effectivement très proche du travail théâtral. Je n’avais jamais eu à jouer avec des acteurs travaillant en capture de performance auparavant, et Andy m’a dit très justement qu’il considérait que jouer ainsi était la forme de jeu d’acteur la plus pure qui soit, car au moment où vous interprétez le personnage, personne n’intervient sur votre coiffure, sur votre costume ou votre maquillage. Vous êtes une personne seule dans une pièce ou face à d’autres acteurs, mais personne d’autre ne vous entoure. Cela se rapproche aussi du travail que l’on fait quand on répète une pièce de théâtre, ce qui est une phase de préparation que j’adore. Tout ce que vous faites est consacré à la manière de jouer la scène, et à strictement rien d’autre. Avant de travailler avec Andy sur cette séquence de la caverne de Gollum, je n’aurais jamais imaginé ce que ce travail de capture pouvait avoir d’attrayant, mais maintenant, je l’ai compris et apprécié grâce à lui.

Quand Bilbo entame son voyage, il est encore un hobbit gentil et résolument optimiste, même s’il ne rechigne pas à être parfois un peu filou. Pouvez-vous nous parler de l’évolution personnelle de votre personnage au cours de la trilogie ?

Je crois qu’au début de l’histoire, Bilbo se satisfait de sa petite vie tranquille dans sa confortable maison, mais qu’une frustration grandit quand même au fond de lui. Je ne sais pas s’il est pleinement heureux, car il s’ennuie un peu et pense à ses rêves de voyages jamais accomplis. Il n’a jamais été exposé au moindre danger et la vie ne lui a pas encore « botté les fesses », si vous me pardonnez l’expression. Et pendant son aventure, cela va lui arriver au sens propre comme au sens figuré! C’est une évolution énorme pour lui, une transition majeure dans son existence. Quand on est acteur, on aime jouer un personnage qui change à ce point-là. Si vous devez jouer un type qui a exactement le même état d’esprit pendant un an et demi, cela devient vite barbant. En revanche, il est toujours passionnant d’incarner quelqu’un qui découvre de nouvelles choses, et qui évolue par nécessité. C’est très intéressant pour un comédien, et si tout se passe bien, cela captive le public aussi. J’espère que les spectateurs qui iront voir Bilbo Le Hobbit aimeront voir comment cet être casanier se remet en question en se lançant dans la plus grande aventure de toute sa vie. Il est capital que le public ait envie de suivre Bilbo dans son voyage, et se projette en lui, car Bilbo, bien évidemment, nous représente tous, nous les spectateurs du récit de Tolkien, mis en scène par Peter Jackson.

Quels aspects de votre propre personnalité avez-vous injectés dans votre interprétation de Bilbo ?

L’attention porté aux autres, sans doute. En vous disant cela, je suis sincère, et en même temps, je me rends compte que cela va donner l’impression désastreuse que je me prends pour Mère Theresa ! (rires) Je sais que je n’ai rien à voir avec elle, mais…j’ai un a-priori positif envers les gens. J’essaie de bien me comporter, d’être à l’écoute, d’être respectueux envers autrui, sans pour autant me laisser marcher sur les pieds. J’ai le sens du bien et du mal. La justice pour tous est très importante à mes yeux. Dans un autre registre, je suis aussi bourré de défauts et très désordonné ! (rires) Vous savez, même si Bilbo est un être imaginaire, un hobbit qui vit dans une maison-terrier, il faut que j’arrive à croire qu’il existe quand je l’incarne, car si je n’en suis pas convaincu, les spectateurs le sentiront et n’y croiront pas non plus. Tout doit être crédible dans cet univers irréel. Tout doit nous rappeler des décisions que nous devons prendre dans nos vies, ou en tant que nations. Si toutes ces émotions, toutes ces circonstances de la vraie vie transparaissent dans le récit, vous pouvez y voir des dragons, des orcs, des gobelins et des wargs sans que cela ne vous empêche de croire à la réalité de ces personnages. C’est comme cela que Peter a construit son travail d’adaptation de l’œuvre de Tolkien depuis le début : certes, il nous présente une saga fantastique, mais toujours en évoquant des sentiments et des circonstances que nous avons tous vécus, grands ou petits, jeunes ou vieux. C’est une des raisons pour lesquelles j’adore la manière dont Ian joue Gandalf… Il est si brillant que l’on a tendance à oublier à quel point il est horriblement difficile de jouer un magicien en le rendant crédible. Ian porte un chapeau qui est l’archétype de celui du magicien, il chemine avec un grand bâton, porte une grande barbe…Franchement, avouez que cela aurait pu devenir kitsch, voire même comique. Mais Ian joue si bien Gandalf que vous croyez la moindre syllabe qui sort de sa bouche ! Tous ses gestes semblent justes, toutes ses émotions valides… C’est du très grand art, vraiment. J’ai une immense admiration pour Ian, et quand nous jouions ensemble, j’étais fasciné par son talent.

Quelles sont les premières idées qui vous sont venues à l’esprit quand vous avez imaginé comment interpréter Bilbo ?

Oh, c’était une approche très classique d’un personnage. J’ai d’abord tenté d’imaginer ce qui pourrait me permettre de comprendre ce qu’il ressent, les circonstances de sa vie qui ont fait ce qu’il est devenu et quelles sont ses aspirations. Vous savez, si j’avais dû jouer le rôle d’Hitler, j’aurais procédé de même ! (rires) Et je suis sûr que je me serais trouvé des points communs avec lui ! Heureusement, il est plus agréable de se dire que l’on ressemble à un hobbit qui aime la bonne nourriture, la bière de la contrée, et les vêtements confortables et bien taillés ! (rires) Il y a aussi des moments où Bilbo est pompeux et se comporte comme un imbécile. Et là, on le trouve forcément moins sympathique, mais globalement, il est quand même très attachant, car ses qualités l’emportent sur ses défauts. Pour un acteur, c’est très agréable de jouer avec les bons et les mauvais côtés d’un personnage, car il n’en devient que plus réaliste.

L’aventure qu’il vit le pousse à changer assez vite…

Oui. Bilbo est constamment mis au pied du mur, car les événements auxquels il est confronté l’obligent à réfléchir et à agir vite pour sauver sa peau et celle de ses compagnons de route. C’est très agréable de jouer un tel personnage, qui n’a plus aucune certitude, et qui doit constamment s’adapter à de nouveaux aléas.

Quel genre de réalisateur Peter Jackson est-il ? Comment a-t-il travaillé avec vous et avec les autres acteurs ?

Peter est un réalisateur qui a l’esprit très ouvert. Il écoute volontiers les suggestions qu’on lui fait, et encourage toujours les gens à essayer différentes versions de ce qu’ils doivent faire, dans le but d’aller vers l’excellence et de ne pas rater l’opportunité d’une idée meilleurs que celle qui a été prévue. Il aime que les acteurs lui proposent des versions très différentes des scènes, de prise en prise, ce qui est très agréable pour nous. Il a des relations très détendues et informelles avec ses équipes. Il n’est pas du tout prétentieux, il aime rire, y compris de lui-même. Il n’hésite pas à tourner les choses en dérision pour détendre l’atmosphère. Il peut aussi lancer des plaisanteries sarcastiques, bref, il fait régner une atmosphère à la fois créative et agréable sur le plateau, ce qui est capital quand on y passe de longues journées. Au cours d’un tournage-marathon comme celui de Bilbo le Hobbit, où l’on travaille très dur, c’est capital de pouvoir bénéficier d’une telle ambiance.

Quelles sont les scènes de ce premier épisode que vous avez particulièrement aimé jouer ?

J’ai beaucoup aimé la séquence dite « des devinettes dans les ténèbres » avec Gollum. Je l’aimais déjà beaucoup dans le livre et elle a été magnifiquement adaptée dans le film. J’aime l’instant où Bilbo renonce à tuer Gollum, parce qu’il voit une lueur d’humanité dans son regard, et que la compassion l’emporte alors sur le désir de vengeance…J’ai énormément aimé tourner les scène dans la maison de Bilbo, notamment le moment où tous les nains arrivent, et où Bilbo découvre ces gens étranges avec lesquels il va vivre une grande aventure…J’aime aussi le moment où Bilbo rencontre Elrond et les elfes…Ce sont des séquences très réussies, je crois. Pour être honnête, il y a énormément d’autres scènes que j’ai aimées, et que je n’ai plus en tête pour l’instant, parce que comme vous, je n’ai pas encore vu le film ! Comme nous avons commencé à tourner il y a déjà plus d’un an et demi, certains souvenirs s’embrouillent un peu. Je suis sûr que quand je verrai un premier montage du film, je verrai des scènes que j’avais totalement oublié avoir jouées ! (rires)

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à tourner ?

L’un des moments dans la maison de Bag End, où Ian jouait devant un fond vert, tandis que je me trouvais juste à côté dans le vrai décor. Il fallait que je regarde différents repères qui indiquaient la hauteur supposée de ses yeux, tout en jouant la scène. Nous avons répété et répété sans cesse ce moment-là, comme s’il s’agissait d’un morceau d’une pièce de théâtre, afin de tout régler à la perfection, au quart de seconde près, comme un mécanisme d’horloge suisse ! Ce dispositif filmé par deux caméras sur travelling, pilotées par ordinateur, permettait à Peter de voir une pré-incrustation de Ian agrandi dans le décor de la maison de Bilbo, et de vérifier en temps réel que l’on avait bien l’impression que les directions de regards étaient bonnes entre Ian et moi, et que les déplacements de Ian étaient crédibles dans l’espace de Bag End. Pour être franc, quand nous avons commencé à répéter cette scène, la chorégraphie de nos évolutions était si complexe que j’étais persuadé que n’arriverions jamais à la tourner ainsi ! Nous la tournions en continu, et pendant que nous disions notre texte, on nous donnait des indications dans une oreillette pour que nous puissions synchroniser certains de nos mouvements et simuler ainsi un contact physique tout simple entre le petit Bilbo et le grand Gandalf… J’étais certain que nous ne nous en sortirions jamais. Et pourtant si ! Ça a marché, et pour avoir vu un avant-goût du résultat, je peux dire que c’est bluffant. Les spectateurs seront incapables de deviner comment la scène a été tournée!

Avec quels personnages avez-vous joué le plus de scènes ?

J’ai beaucoup d’interactions avec Thorin Oakenshield, le leader des nains. Un bon nombre aussi avec Gandalf, et globalement, avec tout le groupe des nains, car je les accompagne pendant une bonne partie de l’aventure. Après m’avoir convaincu de participer à cette quête, Gandalf doit aussi convaincre Thorin de me laisser joindre son groupe de guerriers nains, ce qui n’est pas une mince affaire. En tant que chef du groupe, Thorin est responsable du succès de cette mission, et il n’a pas envie de s’encombrer d’un boulet qui risque de la mettre en péril. Par la suite, après avoir désespéré de Bilbo, il constate qu’il n’est pas dénué de qualité. Thorin est sévère, ne parle pas pour ne rien dire, mais il est juste.

Allez-vous être impliqué dans le tournage de nombreuses scènes additionnelles, afin de disposer du matériel nécessaire à la transformation du projet en trilogie ?

Oui, je vais retourner en Nouvelle-Zélande à partir de mai ou juin 2013 pour participer à tout ce qu’il nous reste à filmer. Cela représente encore un bon morceau de tournage.

Savez-vous quelle sera la durée de ce tournage additionnel ?

Non, et à quelques exceptions près, je ne sais pas quelles séquences nous allons filmer à ce moment-là. Je vous assure que je ne vous dis pas cela pour des raisons de confidentialité : je n’ai réellement aucune idée de ce que nous allons faire pendant la plus grande partie de ce tournage additionnel. Je ne sais pas ce que sera le contenu du troisième film, ni comment les principales étapes de l’histoire seront réparties entre les trois volets. Le fait que les deux films initialement prévus vont donner naissance à une trilogie est une information relativement récente pour nous, et j’imagine que Philippa Boyens, Fran Walsh et Peter Jackson sont en train de réfléchir à tout cela en ce moment-même et d’écrire les scènes qui leur permettront d’articuler cette nouvelle structure en trois parties.

Avez-vous été surpris par cette annonce de trilogie  ?

Un peu, mais pas totalement non plus, parce que la rumeur courait depuis quelque temps déjà. En fait, Peter, Philippa et Fran avaient parlé de cette possibilité à quelques-uns d’entre nous juste avant la fête de fin de tournage ! (rires) Ils nous avaient dit « Bravo pour tout ce que vous avez fait, nous avons fini…mais nous allons certainement recommencer d’ici quelques temps ! » (rires) J’ai donc été un peu surpris, mais il s’agissait plus d’une confirmation que d’une information sidérante.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI.

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