DUNE : DEUXIÈME PARTIE, dans les coulisses du film – Entretien avec Denis Villeneuve, suite
Article Cinéma du Lundi 19 Fevrier 2024

Vous avez confié le rôle de l’Empereur à Christopher Walken, acteur mythique…

L’Empereur est une figure légendaire dans le récit et je voulais un acteur capable d’apporter l’envergure, la profondeur, le déchirement intérieur au personnage. Christopher Walken était le seul comédien que j’avais en tête au moment de l’écriture si bien que j’ai eu beaucoup de chance qu’il accepte le rôle. Très sincèrement, je dois dire que j’étais un peu intimidé au départ ! Mais c’est un artiste d’une grande singularité et générosité, un magnifique artiste, et j’étais ému d’avoir Christopher à mes côtés, même lorsqu’il ne tournait pas. C’était un vrai gentleman, toujours présent pour ses partenaires. C’est une belle âme et j’ai adoré travailler avec lui. Dans cette histoire, l’Empereur est un technocrate qui cherche à garder le contrôle de la galaxie, à la manière d’un chef de gouvernement qui veut garder le contrôle de son pays. Cet homme n’est pas ouvert à la moindre concession. Dans l’opus précédent, il a commis un acte qui va à l’encontre sa propre nature : il a comploté pour tuer l’un de ses amis, le Duc Leto Atréides, dans le but d’usurper son pouvoir. Il en a eu le cœur brisé, par sa propre faute, et il est bien conscient d’être passé du côté obscur. Il porte sur ses épaules le poids de cette culpabilité. C’est un homme brisé.

Florence Pugh incarne la fille de l’Empereur, la Princesse Irulan…

Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Florence pour évoquer le personnage et voir si elle correspondait au personnage. Au bout de quelques minutes, je me suis dit ‘me voilà en face de la Princesse Irulan!’ Florence possède l’énergie, la force, la grande intelligence que je recherchais et qui correspondent parfaitement à Irulan. Irulan est l’une des protagonistes essentielles sur l’échiquier géopolitique et je ne voulais pas qu’elle soit considérée comme une victime. Personne ne peut réussir à se servir d’elle – elle est volontaire et elle se prête à un jeu politique pour que sa famille reste au pouvoir.

Du côté des méchants, on découvre un nouveau personnage important, l’effrayant Feyd-Rautha Harkonnen…

Trouver une incarnation pour Feyd-Rautha est une lourde responsabilité car c’est l’un des personnages les plus mythiques du livre. J’ai eu beaucoup de chance qu’Austin Butler accepte le rôle. Feyd-Rautha est le neveu du Baron Vladimir Harkonnen et Austin l’a interprété comme une sorte de tueur psychopathe à mi-chemin entre un maître d’armes et Mick Jagger ! Il a livré une prestation totalement fascinante. En toute sincérité, je suis très fier de son incarnation de Feyd-Rautha et j’ai hâte de faire découvrir le travail d’Austin au monde entier. Feyd est animé par le pouvoir et l’ambition. C’est un personnage à l’appétit insatiable et sans aucune valeur morale. C’est un fou.

Tout ce qui se prépare va amener Paul et Feyd à s’affronter…

Paul et Feyd sont à l’épicentre du récit – seul l’un des deux pourra accéder au trône. Ils ont tous les deux été élevés par les Bene Gesserit et sont très doués. Je dirais aussi qu’ils sont en pleine possession de leurs moyens : ce sont d’excellents combattants doués d’une intelligence hors du commun. Ils sont chacun le reflet opposé de l’autre, des ennemis jurés. L’un et l’autre possède les mêmes chances de l’emporter au bout du compte.

Le Baron Harkonnen est de retour…

Le Baron a failli mourir à la fin du film précédent. Il s’en est sorti, mais reste affaibli. Il est prêt à céder le pouvoir à l’un de ses neveux car il pense à l’avenir. Pour survivre, il a désormais besoin d’un système d’assistance respiratoire extérieur. C’était un bonheur de retrouver Stellan Skarsgard – il ne cessait de me dire que le costume et le personnage du Baron lui manquaient. Il a été très heureux d’entrer à nouveau dans sa peau. Son enthousiasme m’a fait chaud au cœur.

Gurney Halleck fait un retour inattendu, puisqu’on le croyait mort.

J’étais très satisfait par la manière dont Gurney Halleck disparaissait dans le chaos de la guerre à la fin du premier film. Il se volatilisait dans la nuit tout en affrontant les Harkonnen, et puis on n’entend plus du tout parler de lui. Mais il a survécu, comme quelques autres soldats Atréides, et il s’est caché dans le désert. Il a ensuite renvoyé la plupart de ses hommes à Caladan, mais sa grande loyauté l’a poussé à rester à Arrakis pour chercher les moyens de venger le Duc et ses amis. Il attend donc le bon moment – et la bonne occasion – pour attaquer Rabban. Josh Brolin est un ami, et le faire revenir était un pur bonheur. Nous avions envie d’explorer davantage son personnage, ses rapports avec Paul, et aussi de comprendre un peu mieux ses motivations. Je suis très fier de la manière dont Josh a su faire revivre Gurney.

Rebecca Ferguson, Dave Bautista et Charlotte Rampling reprennent également leurs rôles…

Rebecca Ferguson interprète le personnage de DUNE : DEUXIÈME PARTIE dont le comportement est le plus surprenant. En effet, grâce à son pouvoir spirituel, Dame Jessica est une mère capable de communiquer avec sa fille qui n’est pas encore née. Elle entend aussi les voix des Révérendes Mères du passé qui guident ses pas. Elle souhaite que son fils obtienne le pouvoir suprême et est prête à tout pour y parvenir. C’est l’un des personnages les plus sombres, et les plus puissants de cette histoire, une joueuse d’échecs hors pair, que Rebecca a incarnée à merveille. Dave Bautista est épatant. Glossu Rabban est plus présent à l’écran et sans trop en dire, il ne passe pas franchement un non moment dans cette deuxième partie ! Il est humilié, se bat avec les Fremen, et on voit bien qu’il atteint ses limites, panique et perd ainsi le contrôle d’Arrakis. La merveilleuse Charlotte Rampling campe de nouveau la Révérende Mère Mohiam, l’un des personnages obscurs qui complote dans l’ombre – l’une des principales protagonistes sur l’échiquier politique, qui tire les ficelles depuis fort longtemps. Ce qui me plaît dans DUNE, c’est qu’une congrégation de sœurs détienne le pouvoir politique, et s’en serve avec subtilité, et j’étais donc enchanté de retrouver Charlotte Rampling.

Parmi les nouvelles actrices qui rejoignent la saga, il y a Léa Seydoux dans le rôle de Dame Margot Fenring et Souheila Yacoub dans celui de Shishakli?…

Léa Seydoux joue Dame Fenring qui est sans doute le personnage le plus énigmatique de ce deuxième opus. C’est une sœur Bene Gesserit dont le pouvoir est considérable. Je ne veux pas trop en dire à son sujet car je souhaite que le spectateur la découvre en action. Mais c’était un vrai plaisir de travailler avec Léa, actrice que j’admire depuis longtemps. La directrice de casting Francine Maisler m’a présenté Souheila Yacoub, une actrice merveilleuse, d’une grande force, qui vit en Suisse et qui a des origines tunisiennes. À mes yeux, c’est une vraie Fremen et elle insuffle l’esprit de ce people au personnage de Shishakli. C’était une très belle découverte.

Il y a encore plus d’action dans ce nouveau volet. Pouvez-vous nous parler des contributions du chorégraphe des combats Roger Yuan et du chef-cascadeur Lee Morrison ?

Roger Yuan était déjà notre chorégraphe des combats dans le premier opus et sa connaissance des différents styles d’arts martiaux et de techniques de défense est magistrale. C’est lui qui a conçu les différentes méthodes de combats des Fremen, des Harkonnen, des Atréides et des soldats Sardaukar du clan Harkonnen. Chacun de ces personnages a sa manière de manier l’épée ou le poignard, et Roger nous a permis de concevoir les boucliers et la manière précise de s’en servir en se battant. Roger incarne également Lanville qui doit livrer une bataille majeure dans le film, et c’était très agréable d’étoffer son personnage. Et concernant Lee Morrison, je n’aurais pas pu réaliser ce film sans lui ! Lee a été présent du début à la fin et nous a aidés à concevoir la séquences où Paul entreprend de chevaucher un ver des sables, ainsi que les cascades les plus techniques et les actions réalisées avec des acteurs-cascadeurs suspendus à des câbles, qui mobilisent des technologies très précises.

Vous venez d’en parler, mais pourriez-vous nous en dire plus sur la préparation de la scène où Paul va essayer de chevaucher pour la première fois un ver des sables ? C’est l’un des moments les plus importants du roman, car cela doit lui permettre d’être pleinement accepté par les Fremen…

C’est l’un des aspects les plus fascinants du roman : la manière dont les Fremen arrivent à dompter ces animaux colossaux, et à s’en servir comme moyen de transport. Lire une telle scène dans le livre est une chose, mais la représenter à l’image en est une autre. J’ai dû imaginer étape par étape la technique permettant de chevaucher un ver. J’ai écrit et dessiné le dispositif – j’avais préparé des storyboards détaillés - et j’ai pu expliquer ensuite à l’équipe comment on allait voir les Fremen chevaucher les vers en visant à obtenir un résultat aussi réaliste et crédible que possible. Je voulais tourner cette séquence en lumière naturelle, en utilisant une structure concrète qui représente le flanc et le haut d’un ver. Il nous a fallu investir quelques mois de travail dans ces recherches et avancer avec beaucoup de tâtonnements successifs pour que notre équipe puisse tourner la scène. Si j’avais dû le faire moi-même, je serais encore sur le plateau aujourd’hui ! La séquence a été supervisée par Tanya Lapointe, notre réalisatrice de deuxième équipe, en coordination avec moi. Il nous a fallu beaucoup de patience pour la concrétiser, c’était une scène expérimentale, aussi bien du point de vue artistique que du côté technique. Et de très loin, la séquence la plus complexe que j’aie jamais tournée de toute ma carrière.

Vous avez réuni à nouveau quatre membres très importants de l’équipe de DUNE : PREMIERE PARTIE : le chef-décorateur Patrice Vermette, le directeur de la photographie Greig Fraser, le superviseur des effets visuels Paul Lambert et le superviseur des effets spéciaux de plateau Gerd Nefzer?…

C’était la première fois de ma carrière que je me replongeais dans un univers, dans un récit. Cette fois, je tenais avant tout à ce que le spectateur n’ait pas un sentiment de déjà-vu. Je voulais dénicher de nouveaux lieux de tournage et faire en sorte que tous les décors soient inédits. Et effectivement, dans ce film, on ne revient jamais dans les lieux où l’on a déjà vu les personnages. Du coup, Patrice a dû concevoir de nouveaux véhicules, de nouveaux environnements... et il a été très inspiré. Ce qui était formidable, c’est que grâce au précédent opus, tout le monde connaissait déjà la cartographie de l’univers de DUNE, et sa palette chromatique. De ce fait, nous n’avons pas été obligés de redéfinir ces éléments, et nous avons pu utiliser le langage visuel très précis qui avait été mis au point dans le premier volet. Patrice s’est révélé plus créatif que jamais et il m’a vraiment époustouflé avec ses trouvailles. L’un de mes décors préférés s’appelle la Grotte des Oiseaux, une cavité censée avoir été creusée dans la roche, et où nichent des oiseaux. C’est un refuge pour les Fremen que j’ai trouvé très poétique. C’est l’un des plus beaux décors que j’aie jamais vus. Greig Fraser est un partenaire fabuleux, dont l’aide a été une fois de plus déterminante ! Greig est tout à fait capable de faire plusieurs choses en même temps et de diriger plusieurs équipes à la fois, si bien qu’il a été mon principal allié. Dans le premier opus, nous avions filmé la nature et les vastes espaces du désert pour la sortie en IMAX, mais le désert n’apparaissait que dans une petite partie du film. Dans cette deuxième partie, l’action se déroule la plupart du temps dans le désert, si bien que j’ai décidé de tourner l’intégralité du film pour le format IMAX. On pourra bénéficier d’un spectacle totalement immersif sur un très grand écran, et Greig maîtrise parfaitement ce format. Nous avons tout mis en œuvre pour faire ressortir les moindres détails du désert et des sanctuaires du peuple d’Arrakis. Ce que j’adore aussi, c’est sa manière de tourner en utilisant la lumière naturelle. C’était une fois encore notre approche ici, mais nous avons adopté une démarche un peu plus expérimentale.

Tout particulièrement sur la planète des Harkonnen, Geidi Prime….

Oui. Nous voulions à tout prix différencier cette lumière naturelle de celles des autres mondes. Geidi Prime est un univers fasciste, un monde sans nuance, sans subtilité, un monde très dur – un monde en noir et blanc. Je me suis dit que la couleur n’existe pas dans ce monde, y compris à la lumière du soleil, et j’ai donc souhaité tourner en noir et blanc – et Greig a adoré cette idée. Il a effectué des modifications sur les filtres infrarouges à l’intérieur de la caméra et utilisé un filtre qui crée un noir et blanc très inquiétant et donne une allure singulière à la peau et aux yeux des personnages. D’où cette tonalité surréaliste dans les éclairages. C’est très effrayant et j’adore ce résultat.

Comment avez-vous géré le mélange des éléments et trucages concrets avec les effets numériques ?

J’essaie de privilégier tout ce qu’il est possible de filmer concrètement, mais ce serait totalement injuste de ne pas évoquer l’apport considérable de notre superviseur des effets visuels, Paul Lambert. Paul est un magicien, un allié précieux, un complice créatif pour moi. Il fait en sorte de concrétiser ma vision et mes rêves à l’écran. Il y a beaucoup de choses qu’on peut tourner physiquement sur un plateau, mais pas une bataille avec des vers des sables qui affrontent une armée de Sardaukars ! C’est là que j’atteins une limite de faisabilité et que j’ai besoin du génie de Paul. En tant que metteur en scène, j’aime utiliser autant que possible des trucages concrets. Bien entendu, dans un film comme celui-ci, il y a des limites à ce qu’on peut faire sur le plateau. Mais avec l’aide du superviseur des effets spéciaux Gerd Nefzer, je sais que je peux aller très loin. Pour filmer une scène où un bébé vers des sables se déplace sous le sable, Gerd a créé un dispositif sophistiqué en installant des tapis sous une couche de sable, et en tractant des formes en dessous, qui donnent l’impression que le ver se déplace sous le sable. Il a aussi créé une portion grandeur nature d’un ver, fixée sur une plateforme hydraulique, un gimbal, capable de reproduire exactement le mouvement précis de l’animal que je recherchais. C’était assez difficile à créer. Ce ne sont là que deux des nombreuses inventions de Gerd. Il est lui aussi un sacré magicien ».

Parlez-nous de vos retrouvailles avec le compositeur Hans Zimmer.

Hans et moi avons la même passion pour le roman de Frank Herbert, car nous l’avons lu et adoré quand nous étions tout jeunes. Hans a été le premier artiste à s’engager dans l’aventure du premier opus à mes côtés, et il en a été de même pour la suite. Six mois après la sortie de DUNE, Hans continuait à composer pour le film ! Il m’envoyait des morceaux et je lui disais ‘Hans, le film est en salles en ce moment même et tu continues à m’envoyer de la musique ?!’ Il me répondait ‘Oui, je sais bien, mais c’est juste pour toi, je voudrais que tu sois inspiré pour le deuxième opus. Je ne peux plus m’arrêter ! Écoute la musique et elle t’inspirera pour l’écriture’ ». Hans s’est remis à construire des instruments étranges, à faire des recherches et à se plonger dans le monde des Harkonnen. Je voulais qu’il écrive de la musique pour Feyd-Rautha et le monde des Harkonnen, mais aussi pour l’Empereur. Mais surtout, je tenais à ce qu’il écrive un morceau inoubliable pour Chani. Le thème d’amour de Paul pour Chani. Je voulais qu’il compose un morceau déchirant et le plus beau thème d’amour jamais écrit, et sincèrement, je pense qu’il y est parvenu. C’est l’une de ses plus belles partitions. Je me souviens que lorsque je l’ai écoutée pour la première fois, j’étais en larmes.

Comment décririez-vous au public l’expérience qui l’attend en allant voir DUNE : DEUXIÈME PARTIE ?

J’espère que le public sera ému par la relation entre Paul et Chani car, au fond, ce nouvel opus est une histoire d’amour. J’espère qu’il ressentira aussi ce que l’on éprouve quand on chevauche un ver des sables ! Qu’il sera impressionné par ce moyen de transport aussi dangereux qu’exaltant, fasciné par la partie d’échecs entre Paul et les Fremen, inquiété par les actions cruelles des Harkonnen et de l’Empire qui suscitent des combats spectaculaires et de subtils jeux de réflexion. DUNE : DEUXIÈME PARTIE a été entièrement pensé pour être vu dans une salle de cinéma, avec un grand écran et un bon équipement sonore. C’est le moyen le plus puissant et le plus gratifiant de voir un film comme celui-là !

La suite de notre dossier DUNE : DEUXIÈME PARTIE paraîtra bientôt sur E.S.I. !

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