Entretien exclusif avec Ryan Meinerding : De IRON MAN 1 & 2 à THOR, CAPTAIN AMERICA, AVENGERS et IRON MAN 3, la saga d’un designer aux superpouvoirs artistiques ! Seconde partie
Article Cinéma du Mercredi 22 Mai 2013

[Retrouvez tous nos articles consacrés à Iron Man 3 et aux productions Marvel]


Entretien avec Ryan Meinerding, Illustrateur conceptuel & designer pour les Studios Marvel

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Ces dernières années, vous avez travaillé avec Jon Favreau sur IRON MAN 1 & 2, Joe Johnston sur CAPTAIN AMERICA, LE PREMIER VENGEUR, Kenneth Branagh sur THOR et Joss Whedon sur AVENGERS. Pouvez-vous nous parler de la manière dont ces 4 réalisateurs approchent chacun à leur manière les designs conceptuels, et comment vous avez échangé des idées et communiqué avec eux pendant ces collaborations ?

Jon Favreau est un homme avec lequel il est vraiment très agréable de collaborer. Il est toujours accessible, et il aime venir nous parler des idées qu’il a eues de manière très décontractée, en plaisantant et en instaurant une très bonne ambiance. Il privilégie le rapport direct avec toutes les personnes avec lesquelles il collabore, qu’il s’agisse d’un acteur, d’un directeur de la photo ou d’un artiste conceptuel, parce qu’il aime expliquer lui-même ses idées et surtout voir ce que cela va provoquer comme idées en retour chez ses interlocuteurs. Le processus de développement qui a été mis au point pour IRON MAN est d’ailleurs devenu le modèle que nous appliquons toujours, sur chaque film. Nous commençons par créer des designs assez librement, puis nous organisons une grande réunion dans la salle de présentation pour les montrer au réalisateur et aux producteurs, afin qu’ils nous fassent part de leurs impressions. Cette première étape est restée la même aujourd’hui. Pour revenir au travail avec Jon, c’est toujours une joie. La collaboration avec Kenneth Branagh sur THOR a été un peu différente pour moi, parce que les designs que je développais pour le costume de Thor ne semblaient pas le séduire beaucoup, ni le reste de l’équipe d’ailleurs ! (rires) Du coup, c’est mon ami Charlie Wen qui a eu la tâche de concevoir la tenue du demi-dieu nordique. Pour ma part, j’ai eu l’occasion d’échanger des idées avec Kenneth sur les scènes-clés du film que l’on m’a demandé de représenter, comme le combat entre Thor et Loki sur le pont arc-en-ciel. Kenneth est vraiment fantastique parce qu’il sait exactement ce qu’il veut obtenir d’une scène. Je suis sûr que c’est une des raisons pour lesquelles il dirige si bien les acteurs : sa vision est d’une précision impressionnante. Si par malheur l’angle de vision de la scène ou la manière dont je l’avais éclairée ne lui convenait pas, il pouvait m’expliquer pourquoi cela ne lui convenait pas et me décrire les moindres détails de l’effet qu’il souhaitait produire. Pour un artiste conceptuel qui travaille sur un film, c’est formidable d’obtenir des directives aussi précises d’un réalisateur. Il arrive que les gens ne sachent pas ce qu’ils veulent, ou pire encore, qu’ils vous expliquent des choses alambiquées qui ne sont pas claires du tout et qui sont ouvertes à différentes interprétations ! (rires) En abordant ma collaboration avec Joe Johnston sur CAPTAIN AMERICA, je dois dire que j’étais extrêmement impressionné. Joe Johnston était l’un des héros de ma jeunesse ! L’un des designers principaux des vaisseaux et des personnages de la trilogie originale de STAR WARS, le créateur de Boba Fett, le storyboardeur de la scène de la poursuite en camion des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE ! Il était à l’origine de tellement de moments mémorables de mes films préférés que je n’en menais pas large la première fois que j’ai eu à lui présenter mes dessins. Mais tout s’est bien passé. J’ai travaillé avec lui à Los Angeles pendant un moment, puis toute la production est partie s’installer en Angleterre, là où le film allait être tourné. J’ai donc fait partie des équipements qui ont été mis en caisse et envoyés là-bas. (rires) Se retrouver dans les studios anglais et travailler sur place avec lui a été une expérience formidable, car il m’a confié la responsabilité de certains designs. J’ai même vécu un moment incroyable le jour où Joe m’a dit tout naturellement qu’il avait envie de s’asseoir à côté de moi pour dessiner lui aussi ! C’est ainsi que nous avons travaillé côte à côte pour établir le design de base de l’uniforme, des masques et des casques des soldats de l’HYDRA. C’était à la fois formidable et très impressionnant de me retrouver ainsi à dessiner à côté d’un tel maître…A un moment, il s’est penché vers moi pour me demander pourquoi je m’étais arrêté de dessiner, et tout ce que j’ai pu répondre, c’est « Je n’ai pas pu m’empêcher de vous regarder travailler ! » (rires) Collaborer avec un artiste comme Joe permet d’avancer très vite, car si vous faites quelque chose qui ne lui plaît pas, il peut intervenir directement sur le dessin, et vous montrer en quelques traits rapides quelles sont les corrections qu’il souhaite. Jon Favreau dessine aussi, ce qui est un grand avantage, mais Joe est un designer d’un tel talent que je lui ai dit à plusieurs reprises « Mais pourquoi suis assis derrière ce pupitre, alors que vous pourriez faire tout cela beaucoup mieux que moi ! » (rires)

Mais Joe Johnston sait-il se servir d’une palette graphique ou des derniers équipements de création numériques comme ces écrans sur lesquels on dessine directement ?

Il a semblé s’y intéresser et commencer à se familiariser avec cela pendant la préparation du tournage de CAPTAIN AMERICA. La production avait acheté plusieurs appareils Cintiq de la marque Wacom sur lesquels on dessine directement avec un stylet électronique. Mais il se sentait quand même plus à l’aise en travaillant avec un crayon et du papier. Et j’étais ravi et fasciné de le voir dessiner ainsi juste à côté de moi. C’était un plaisir de travailler avec lui parce qu’il était complètement focalisé sur sa passion pour les personnages principaux, à propos desquels il avait des idées extrêmement spécifiques. Il avait parfaitement assimilé toutes les facettes des ces personnages dans les comics des différentes époques – et dans le cas de Captain America, cela signifiait qu’il avait fait la synthèse d’histoires qui s’étalaient sur plus de 70 ans ! - et il les connaissait bien mieux que nous tous, sur le bout des doigts. Et en ce qui concerne Joss Whedon, c’est lui aussi un maître dans son domaine, et un fan éclairé de comics qui a une connaissance encyclopédique de l’univers Marvel. Il comprend parfaitement ce qui fait que ces personnages fonctionnent, et il comme il a souvent écrit des fictions avec un grand nombre de personnages formant une équipe, il était très à l’aise pour aborder le projet AVENGERS. Lui aussi avait une vision très claire de ce qu’il voulait ou ne voulait pas, et notre collaboration a été efficace et très agréable. Vous savez, quand on se retrouve aux côtés de réalisateurs aussi passionnés que Jon, Kenneth, Joe et Joss, on espère être en mesure de leur apporter la contribution artistique dont ils ont besoin, et on croise les doigts pour que notre travail soit aussi stimulant pour eux que leurs idées et leurs indications le sont pour nous.

Venons-en à votre procédure de travail. Comment créez-vous vos designs ? Quels outils et logiciels utilisez-vous au cours de votre travail ?

Je commence généralement par dessiner une image en noir et blanc sur Photoshop, c’est la raison pour laquelle beaucoup de mes illustrations préparatoires sont monochromes. Quand elles existent aussi en couleur, cela signifie que j’ai eu le temps matériel de revenir sur l’illustration originale et de la colorer. Quand je dessine un personnage, je commence par esquisser une silhouette pour établir la pose, puis je commence à construire son costume et les détails de son corps…

Excusez-moi de vous interrompre, mais je voudrais revenir sur votre choix de travailler d’abord en noir et blanc. Procédez-vous ainsi pour vous focaliser d’abord sur les lumières et les ombres autour de vos compositions ?

Oui, cela fait effectivement partie des raisons pour lesquelles je travaille ainsi, mais c’est aussi un moyen d’avancer beaucoup plus vite pour produire l’image dont le réalisateur et les dirigeants du studio ont besoin. De plus, chaque artiste a ses domaines de prédilection, et la couleur est un domaine auquel je ne me suis pas consacré particulièrement. Je sais que c’est probablement une chose épouvantable à dire quand on est un artiste, mais franchement, c’est comme cela que je fonctionne ! (rires) Je considère que la composition et la force d’une image ressortent beaucoup mieux en noir et blanc. J’adore les films en noir et blanc merveilleusement photographiés des années 30 à 60. Cette palette limitée poussait les chefs opérateurs à réaliser de véritables prodiges. J’ai toujours considéré que si je disposais d’un temps limité pour créer un design, il valait mieux que je me consacre uniquement au choix des formes, des matières et des textures mates ou brillantes, et non pas que je perde du temps à choisir la bonne palette de couleurs. Mieux vaut que je reste concentré pendant 100% de mon temps sur le design, et que je puisse en peaufiner les moindres détails. Le choix des couleurs peut intervenir plus tard, quand d’autres choix de teintes annexes des décors ou de certains accessoires auront été faits eux aussi. La majorité de ce que j’ai fait dans le passé a été dessiné en noir et blanc, car cela m’a permis de livrer énormément de choses dans les délais impartis.

Est-ce aussi une manière de vous laisser la liberté de réaliser ultérieurement plusieurs colorisations complètement différentes ?

Absolument ! Une fois que l’image en noir et blanc est validée par le réalisateur et le studio, je peux en réaliser plus facilement des colorisations alternatives que si j’avais créé d’emblée une image en couleurs. Je reviens maintenant à ce que je disais tout à l’heure sur la création d’un personnage… Une fois que j’ai mis en place cette esquisse de silhouette nue, je me réfère aux illustrations tirées des différentes époques des comics qui ont été sélectionnées par le réalisateur pour m’en imprégner et je commence à détailler le costume en « habillant » la silhouette. Pour moi, il est important de procéder ainsi, car il faut donner des postures héroïques à ces personnages, et je crois que leur présence physique est mieux mise en valeur quand on part du corps plutôt que d’essayer de placer un physique sous le costume. Je considère que le résultat final est plus convaincant ainsi, car on sent que le personnage est solidement construit en dessous. L’illustration achevée a un meilleur rendu. On a l’impression de voir une vraie personne qui se tient debout dans le monde réel.

Utilisez-vous d’autres logiciels que Photoshop ?

Oui, mais Photoshop est vraiment mon outil principal quand je travaille en 2D. Quand nous faisions des recherches de designs sur Hulk pour AVENGERS, je me suis familiarisé aussi avec le logiciel ZBrush pour créer des modélisations 3D du personnage, et notamment des études de son visage. J’ai représenté ses traits avec une expression neutre, puis avec un rictus de rage. Mais les gens ne retrouvaient plus la ressemblance de Hulk avec l’acteur Mark Ruffalo, qui incarne le docteur Banner, dans le second visage. Comme les deux visages étaient modélisés en 3D, nous avons pu réaliser assez facilement une petite animation pour leur prouver que l’expression de rage correspondait bien au premier visage. Nous leur avons fait visionner cette animation sous tous les angles, et cela nous a aidé à faire approuver définitivement le design du personnage.

Continuez-vous à dessiner principalement en 2D, après cette expérience 3D sur ZBrush ?

Oui, je travaille toujours en 2D, car c’est le moyen le plus efficace et le plus rapide de fournir ce que l’on attend de moi. Il est rare que l’on ait besoin de voir un design en mouvement avant de passer à la phase de fabrication du costume ou de l’accessoire. Un dessin 2D, ou même plusieurs dessins 2D sous différents angles suffisent.

Votre première contribution majeure à un film des studios Marvel a été IRON MAN. Quelles étaient les difficultés particulières liées au design de l’armure prototype, puis du modèle de seconde génération ? Et comment avez-vous conçu l’aspect d’Iron Monger ?

En ce qui concerne l’armure prototype « Mark one », si vous examinez le design original imaginé par Don Heck et Jack Kirby pour la première aventure d’Iron Man, vous le trouvez fantastique, mais la surface de l’armure est tellement lisse qu’on a un peu de peine à croire qu’il y a des mécanismes et des articulations qui fonctionnent derrière tout cela. Si cela fonctionne parfaitement dans la BD originale, il fallait modifier un peu ce design pour le rendre compatible avec un rendu cinéma. Il fallait conserver le côté massif et bricolé tant bien que mal de la silhouette, tout en montrant des parties mécaniques crédibles, qui semblent capables de déployer une force considérable. L’armure ayant été composée de bric et de broc, elle est sensée être très lourde et difficilement manoeuvrable. Comme elle est blindée et principalement armée pour la défense sur sa partie frontale, Tony peut être mitraillé sans risque par les terroristes dès qu’il sort de la caverne. Quand on travaille sur le design d’une combinaison aussi épaisse, le défi est de rendre crédible l’idée que l’on peut arriver à se déplacer sans trop de mal en la portant. Il fallait que l’on sente que les mouvements corporels de Tony ne sont pas trop limités par les articulations et les mécanismes. C’est la raison pour laquelle j’ai ajouté des bouts de plaques de métal asymétriques à différents endroits, pour augmenter l’amplitude des gestes de Tony. Et comme la « Mark one » était sensée avoir été fabriquée avec des pièces de récupération, je me suis dit que Tony n’avait pas pu miniaturises les mécanismes, et j’ai eu l’idée de positionner deux grosses courroies de transmission de chaque côté de ses hanches, en plaçant donc à l’extérieur le mécanisme qui est sensé l’aider à faire bouger ces lourdes jambes. En ce qui concerne Iron Monger, Adi Granov avait commencé à faire des recherches de son côté, et ses premières propositions de design ont été jugées trop proches du style des engins militaires de l’Europe de l’Est. Jon Favreau et l’équipe des Studios Marvel ont voulu revenir à l’aspect « comic-book » et plus science-fiction de cette armure géante. Je suis intervenu à ce moment-là pour retravailler les formes d’Iron Monger et peaufiner ses proportions. J’ai décidé de placer certains des actionneurs hydrauliques à l’extérieur de l’armure, quitte à épaissir la silhouette, pour lui donner un aspect plus puissant, plus fort. C’est ainsi que j’ai repris l’idée des courroies de transmission de la « Mark One » et que j’ai placée de gros vérins hydrauliques aux mêmes endroits sur Iron Monger, ce qui est logique, puisque cette armure-là est basée sur le prototype de Tony, mais moins sophistiquée que les armures qu’il a construites ensuite. Il y a d’autres vérins apparents sur les bras, les épaules, et l’intérieur des cuisses d’Iron Monger, toujours pour illustrer l’idée que cette armure a été conçue à partir de la « Mark one », et que les gens qui l’ont construite n’avaient pas les connaissances suffisantes pour réussir à miniaturiser les mécanismes des articulations, et à les placer à l’abri sous la carapace.

Avez-vous étudié les prototypes des vrais exosquelettes développés par différentes sociétés pour le compte de l’armée américaine ?

Oui, nous avons bien observé les photos et les vidéos que nous avons pu trouver sur ce sujet, et nous nous en sommes inspirés surtout pour la « Mark one ». Mais en lisant attentivement les articles consacré à ces exosquelettes, nous nous rendions compte que ce qui est testé actuellement par les militaires n’était pas assez « fantastique » pour être transposé tel quel dans IRON MAN, ni au niveau des performances, ni au niveau du design, trop basique. Il a fallu chercher d’autres sources d’inspiration…Je me souviens qu’à l’époque, j’avais vu dans les ateliers de Stan Winston ce qu’ils appelaient leur « costume de télémétrie »…

Oui, c’était une sorte d’armure articulée en aluminium, très ouverte, avec des capteurs à chaque articulation. Les articulations des bras tournaient grâce des sortes d’anneaux géants montés sur roulements à billes. L’équipe de Stan Winston s’est servie de ce costume de télémétrie pour animer différentes créatures, et notamment l’énorme spinosaure de JURASSIC PARK 3 : quand la personne qui portait le costume bougeait, la créature reproduisait les mêmes gestes. Nous l’avions vu fonctionner, et c’était extrêmement impressionnant…

Oui, c’est bien ce costume-là, avec les anneaux, qui m’avait frappé, et dont je me suis inspiré pour le design de la « Mark one ». C’est amusant que nous ayons pu « boucler la boucle » en faisant fabriquer les armures du film par la même équipe.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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