La critique ESI : MAN OF STEEL, grande fresque émouvante, intelligente et spectaculaire, est une réussite exemplaire. Superman revient pour de bon, dans l’un des chefs d’œuvres du cinéma des super-héros.
Article Cinéma du Vendredi 14 Juin 2013

5 étoiles sur 5

Par Pascal Pinteau

Ce que Christopher Nolan, David Goyer et Zack Snyder viennent d’accomplir avec MAN OF STEEL est tout à fait remarquable, et démontrera une fois pour toutes à ceux qui se gaussent en évoquant les films de superhéros que ce genre cinématographique a pleinement atteint sa maturité, et sait aborder tous les sujets, des plus divertissants aux plus graves.



Comme Bryan Singer avait pu le constater à ses dépens en 2005, moderniser le personnage de Superman n’est pas chose facile. Certes, le premier de tous les superhéros de comics, né en 1938, est connu par des millions de gens dans le monde entier, mais comme une icône du passé, dont l’aura faiblissante était entretenue par les rediffusions télévisées de l’excellent SUPERMAN LE FILM de Richard Donner et du fort sympathique SUPERMAN 2, L’AVENTURE CONTINUE signé par Richard Lester après avoir été conçu et tourné en partie par Donner. L’image de l’homme d’acier ayant été endommagée par les catastrophiques épisodes 3 et 4 de la saga, Superman trouva ensuite refuge sur le petit écran. Bruce Timm et Paul Dini, les auteurs/créateurs graphiques de BATMAN, LA SERIE ANIMEE (1992-1995) qui révolutionna l’animation télé dans les années 90, réussirent à moderniser l’icône de DC Comics dans SUPERMAN LA SERIE ANIMEE (1996-2000), qui séduisit les jeunes téléspectateurs autant que les adultes.

Mais passé le cap des années 2000, alors que les superhéros Marvel triomphaient les uns après les autres au cinéma, la Warner ne savait pas comment permettre à sa plus grande star de revenir dignement sur le grand écran…On pourra s’interroger longuement sur les raisons pour lesquelles aucun des dirigeants du studio n’a eu à ce moment-là l’idée pourtant EVIDENTE de confier cette tâche aux excellents Bruce Timm et Paul Dini, qui avaient brillamment réussi toutes les adaptations de superhéros qui leur avaient été confiées ! Gageons que le duo aurait fait des étincelles en passant de l’animation à un tournage en prises de vues réelles, tout comme Brad Bird l’a démontré avec MISSION : IMPOSSIBLE - PROTOCOLE FANTOME. Mais hélas, tel n’a pas été le choix du studio…

En misant en 2005 sur Bryan Singer et son projet SUPERMAN RETURNS, la Warner n’a pas osé traiter et résoudre les vrais problèmes posés par la modernisation de ce personnage créé en 1938. Fan sincère de la BD originale et du film fondateur de Richard Donner, Singer a choisi une solution de facilité en optant pour une fausse suite de SUPERMAN LE FILM, dans lequel Brandon Routh était sommé d’imiter l’inoubliable Christopher Reeve et de porter à nouveau un costume orné d’un mini short rouge, et où Kevin Spacey/Lex Luthor se retrouvait face à l’hologramme de Marlon Brando/Jor-El. Cette pénible sensation de découvrir une copie et non pas un film original subsistait tout au long du récit, plombé par des idées absurdes. Rappelons que Superman faisait preuve d’un égoïsme sidérant en délaissant la terre pendant plusieurs années, simplement pour aller examiner les débris de Krypton ! La pire de ces « trouvailles » était sans doute de montrer notre héros en fiancé looser plaqué par une Loïs Lane remariée qui avait quand même donné naissance à un superboy en son absence ! Devant l’ampleur de ce désastre conceptuel, on pouvait craindre d’attendre fort longtemps avant de voir enfin une vraie grande adaptation moderne de Superman…

Mais heureusement, c’est en cette même année 2005 que Christopher Nolan imposa sa vision résolument originale du superhéros moderne dans BATMAN BEGINS. En relevant le pari de crédibiliser un par un tous les éléments qui constituent ce personnage – les matériaux pare-balles de son costume, l’origine militaire du véhicule blindé qui devient la Batmobile – Nolan réussit à l’ancrer dans le monde réel. Fort du succès de BATMAN BEGINS, puis du triomphe de THE DARK KNIGHT et, à une moindre échelle, de THE DARK KNIGHT RISES, Christopher Nolan était bien évidemment le seul interlocuteur auquel la Warner pouvait confier la résurrection de Superman.

Mais si le passé tragique de Bruce Wayne et la corruption rongeant Gotham City se prêtaient bien au traitement sombre et pessimiste de Nolan, on pouvait craindre que l’éternel optimisme et le charisme solaire d’un Superman soient en décalage avec sa vision.

Heureusement Nolan a su se mettre au service de Superman en respectant l’esprit de la création de Jerry Siegel et Joe Shuster, et en revenant aux sources du mythe. En imaginant il y a 75 ans l’histoire de ce bébé venu d’une lointaine planète, trouvé dans une fusée et adopté par un couple de braves fermiers qui lui inculquent les vertus de « l’American Way of Life », Siegel et Shuster ont évoqué le destin de millions d’immigrés venus vivre aux USA pour échapper à la misère, aux persécutions politiques, ou à l’extermination. Et qui, comme le jeune Kal-El de Krypton devenant Clark Kent, ont cherché par tous les moyens à s’intégrer à cette nouvelle culture, sans oublier leurs racines. L’autre inspiration de Siegel et Shuster fut bien évidemment la personnalité du Christ. En dépit de ses pouvoirs, de sa quasi invincibilité, de son immortalité, Superman agit toujours avec humilité, et consacre sa vie à la protection des faibles et des innocents. Il croit au pouvoir de la bonté, à la capacité de rédemption des individus, et refuse d’utiliser ses pouvoirs pour blesser ou tuer.

En ce 21ème siècle où le cynisme ambiant atteint un paroxysme, et est même incarné par d’autres superhéros, tel Tony Stark qui multiplie les répliques narcissiques et acides, il n’était pas facile de moderniser une icône de la BD au profil de gentil boy scout, porte-drapeau de la bannière étoilée.

Nolan a donc fait un choix drastique en concoctant l’histoire dont David Goyer s’est servie pour écrire le script exemplaire de MAN OF STEEL : c’est d’abord et avant tout le destin de Kal-El, l’orphelin venu de Krypton, que nous découvrons ici, depuis sa naissance – première séquence du film qui se prolonge par une superbe description de l’agonie de Krypton – jusqu’au moment ou Superman réussit à sauver le monde.

Si Nolan et Goyer se sont volontairement privés de toutes les scènes où ils auraient pu jouer sur le contraste comique entre l’homme d’acier et le timide reporter du Daily Planet, c’est pour mieux se focaliser sur l’expérience humaine âpre et bouleversante vécue par Kal-El dans ce premier chapitre. Et c’est un coup de génie, car dès le début du film, le spectateur est en empathie totale avec le futur Superman.

Comme tous les enfants différents, le jeune Clark doit subir les brimades de ses camarades de classe. Mais ses parents adoptifs – merveilleusement incarnés par Kevin Costner et Diane Lane – lui ont appris à encaisser les coups pour dissimuler ses pouvoirs, sachant pertinemment que leur révélation alerterait les autorités gouvernementales et que leur fils serait alors en péril, et risquerait de devenir un sujet d’études scientifiques. Mais Clark a de plus en plus de mal à ne pas intervenir quand le danger menace…Le conseil sans cesse répété par Jonathan Kent « Ne révèle pas tes pouvoirs » trouve une issue poignante dans une scène que l’on oubliera pas de sitôt.

Errant ensuite tel un vagabond, et menant une existence misérable pour ne laisser aucune trace derrière lui, Clark découvre le meilleur et le pire de l’humanité, taraudé par le désir d’en savoir plus sur le monde d’où il vient, et dont la seule trace est le vaisseau que son père avait dissimulé dans une grange pour lui révéler ses vraies origines. Kal-El mène l’enquête, découvre d’autres vestiges de sa planète natale, développe ses pouvoirs, et se retrouve peu après confronté à d’autres Kryptoniens qui recherchent sa trace pour assouvir une vieille vengeance. C’est ainsi que le général Zod, après avoir combattu Jor-El, tentera de vaincre son fils, quitte à ne laisser sur terre qu’un champ de ruines…

Christopher Nolan ne s’est pas trompé en choisissant Zack Snyder pour mettre en scène cette grande fresque. Snyder, qui invente une fois de plus des images somptueuses, et utilise parfaitement les effets visuels (bluffants !) prouve sa maturité de réalisateur et de directeur d’acteurs, car tous les comédiens qu’il filme sont formidables, quelle que soit la durée de leurs rôles.

Tout comme Daniel Craig a réussi à s’imposer dans le smoking de James Bond, Henry Cavill EST Superman, et ce dans le moindre de ses gestes ou de ses regards. Impressionnant, émouvant, toujours crédible, Cavill a bel et bien le charisme de l’homme d’acier.

Il faut souligner les merveilleuses performances de l’ensemble de la distribution. On n’oubliera pas de sitôt le dernier geste de Kevin Costner / Jonathan Kent à son fils, la furie incandescente de Michael Shannon incarnant le général Zod, la force tranquille de Russell Crowe / Jor-El et de Diane Lane / Martha Kent, et l’on se réjouit à l’idée de retrouver bientôt la lumineuse Amy Adams / Lois Lane aux côtés de Superman, et de son collègue du Daily Planet, Clark Kent.

Superman est vraiment de retour.

Les 2h23 du film s’envolent avec la même aisance que lui. Courez voir et revoir ce très grand film, qui fera date.



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