La Grande Magie : Entretien exclusif avec Dani Lary - Première partie
Article Spectacles du Mercredi 03 Juillet 2013

Originaire de la Drôme, Hervé Bitoun a toujours rêvé d'être magicien ! Son nom de scène a été imaginé par sa sœur Anita. Aujourd’hui, c'est l'un des magiciens français qui travaille le plus. Que ce soit à la télévision, où il officie depuis 15 ans, concluant la célèbre émission de France 2 LE PLUS GRAND CABARET DU MONDE par un numéro inédit. Que ce soit dans les salles du monde entier, où il montre ses shows. Jusqu'au 27 juillet, il conclut la tournée du show LA CLE DES MYSTERES dans la salle mythique du Casino de Paris, où il apparut en première partie de Pascal Sevran à ses débuts… C’est le 17 janvier 2014 que démarrera la tournée de son nouveau spectacle, qui sera inspiré de l'univers Steampunk, et dont il nous parle en avant-première.

Propos recueillis par Nicolas Jonquères



Qui vous a donné envie d'être magicien ?


Comme tous les magiciens, je pense, quand on regarde d'autres magiciens. J'ai vu notamment Schmoll, qui faisait un tour très simple, il déchirait une feuille de papier journal et il la raccommodait. Je me suis mis à déchirer tous les journaux de mes parents dans la cuisine. Et j'ai eu la traditionnelle boîte de magie. Le circuit « classique », que tous les magiciens suivent, je pense.

Est-ce en référence à Schmoll que vous utilisez des poules sur scène ?

(rires) Non, non, pas du tout, c'est un hasard total.

Vous auriez commencé l'apprentissage de la magie avec des petits tours offerts dans les boîtes de fromage de la Vache qui rit …

Oui. Vous savez dans les Vache-qui-rit, il y avait un petit cadeau bonus, et c'était un petit tour de magie, qui était expliqué, comme les accessoires de Pif-Gadget. Et je demandais à ma mère d'acheter des boîtes de Vache-qui-rit. Du coup, j'étais obligé d'en manger, mais j'adorais cela.

Comment est-ce que l'on apprend les tours de «  Grande Illusion », par rapport à la magie des cartes, par exemple ?

J'ai la chance d'avoir eu un père ébéniste. Toute la journée, j'allais dans son atelier et je le voyais fabriquer des meubles. Cela m'a donc intéressé de fabriquer des boîtes avec lui. Et j'ai toujours eu ce goût particulier pour les choses grandioses. Je suis fasciné par la Tour Eiffel, les grandes salles d'opéra, les grands ponts, les gares... La gare de Lyon me fascine. Et inévitablement, j'ai fais de la grande illusion, parce que je voulais monter un grand spectacle. Déjà, pour mon numéro de Pierrot et Colombine, mon premier numéro de magie générale, j'avais une lune, qui mesurait 3,60 m de haut, qui me servait uniquement de décor : j'étais couché dessus. Et je me rappelle qu'on me disait : « Tu travailleras nulle part avec un truc pareil !Cela ne rentre pas dans les théâtres. ». C'est vrai ! Maintenant, je travaille dans les Zéniths ! (rires)

Pour avoir choisi de thématiser vos numéros ?

Parce que le magicien se place souvent dans une position de démonstrateur. Et je vais répondre en faisant une autre constatation : quand Spielberg fait un film, tout le monde se moque de connaître les trucages qu'il utilise. Personne ne s'y intéresse ! Quand Superman vole, il n'y a pas une seule personne qui sort de la salle de cinéma en se disant : « Comment font-ils pour le faire voler ? ». Il n'y a que pour les magiciens, après un spectacle, tout le monde se demande comment il a fait, quel trucage il a bien pu employer. Pourquoi ? Parce que le magicien se place en démonstrateur de tours, on est dans la position du mec qui pose une énigme, et le spectateur en face va tenter de comprendre cette énigme. Quand j'ai compris cela, je me suis dit qu'il fallait que je passe à autre chose et que je leur raconte une histoire. C'est ce qui je fais aujourd'hui et plus personne ne me demande comment je fais pour faire voler mon piano. On me dit « le spectacle était magnifique, les décors sont somptueux, et puis l'histoire était belle », certains personnes me disent même avoir pleuré à la fin ! Plus personne ne cherche à savoir comment j'ai fais. Quand on rentre dans l'histoire, le subconscient oublie de chercher à savoir comment ça fonctionne. Comme dans un film, où ne cherche pas à savoir si le Titanic est en carton, si Dicaprio est vraiment mort, car l'histoire a pris le dessus. C'est pourquoi je ne me place pas en tant que démonstrateur de tours de magie. D'ailleurs dans mon spectacle, il y a beaucoup d'effets spéciaux et pas de tour du style : « Prenez une carte, je vais vous la retrouver ! ». Il y a plutôt un squelette qui marche, un Copain qui perd sa tête, un portail qui fleurit... Il se passe des choses magiques... Et c'est pourquoi j'utilise la magie comme « moyen » de spectacle, c'est beaucoup plus fort que d'enchaîner les trucs, comme je l'ai fait pendant longtemps.

Quelles ont été vos premières idées de numéros ?

Pierrot et Colombine, Dracula (bien avant que Kamel Ouali ne me demande de travailler sur sa comédie musicale), avec un cercueil Louis Vuitton, un numéro moderne avec des tubes de néons... A 18 ans, j'avais créé un petit répertoire de thèmes, avec des mises en scènes. Je n'ai jamais fait de numéro classique avec uniquement des cordes, des foulards.

Qu'est-ce qui fait que l'on acquiert l'esprit d'un magicien ? Est-ce le fait de transformer des objets du quotidien en source d'émerveillement ?

Oui. C'est tout à fait cela. Je trouve que la magie a régressé, que les magiciens ne sont pas assez au courant de l'histoire de la magie. Christian Fechner m'avait dit « Les magiciens ont promu l'art du cinéma. ». Quand Georges Méliès a repris le théâtre Robert-Houdin, pendant l'entracte, les gens allaient se restaurer, mais à ceux qui restaient dans la salle, on proposait des « images animés », comme on les appelait, autrement dit des projections de petits films. Cela amusait le public et de plus en plus, les gens allaient voir les spectacles de magie, parce qu'on leur proposait des images animées. Et ces images animées sont devenues petit à petit le cinéma, et le cinéma a volé la vedette au théâtre. Beaucoup de théâtres sont même devenu des cinémas, et beaucoup de théâtres avec des magiciens. A l'époque de l'âge d'or de la magie, dans les années 1920, 1930, 1940, on avait les plus grands magiciens du monde : Thurston, Kellenag, Dante, Blackstone le père, Maskelyne, et le public allait voir des spectacles de magie pour chercher du sensationnel, l'incroyable. Maintenant, on va le chercher au cinéma. Les magiciens gardaient jalousement leurs secrets, comme dans les films LE PRESTIGE et L’ILLUSIONNISTE. Et il y avait des histoires abracadabrantes : Maskelyne, qui s'est fait passer pour un technicien, est allé voir Kellar, pour savoir comment il faisait son flying, la fameuse lévitation de Kellar ! Il est monté sur scène en se faisant passer pour un débile, pour cherche le trucage. Parce qu'il n'y avait pas de vidéos, pas de bouquins, il n'y avait rien. Et la magie était très forte. On a eu aussi Robert-Houdin, qui était le plus grand magicien de tous les temps, et cela les magiciens n'en sont pas conscients, que celui qui a tout révolutionné en magie, c'était Robert-Houdin. Je ne dis pas cela parce que je possède les ouvrages de sa bibliothèque (NDLR:la descendante de Robert-Houdin a fait don de l'intégralité des livres de Robert-Houdin à Dani Lary). C'est le seul magicien qui a compris que la magie devait être réalisée avec des objets usuels. Il faisait un tour avec un verre, et c'était très fort pour les gens, car ils avaient le même verre chez eux. Avant Robert-Houdin, les magiciens mettaient des chapeaux pointus, s'habillaient en Merlin l'Enchanteur, pour montrer le tour des anneaux chinois. C'est un tour fantastique, mais qui n'appartient qu'aux magiciens. Dans la vie, on ne voit pas des anneaux aussi grands, donc le public se dit que c'est du matériel truqué et ça s'arrête là. La grande illusion appelée interlude, où le magicien est debout les bras en croix dans une boîte et sa partenaire lui passe au travers, cela n'appartient qu'aux magiciens. Tout comme la malle des indes, un « translucube » (ndlr:grande boîte dans laquelle le magicien enfonce des sabres). Le progrès de Robert-Houdin, dans ses soirées fantastiques, c’était que son théâtre était un salon fin XVIII-début XIX, avec une superbe console dorée, avec une horloge, un oranger, un fauteuil... Sa fameuse « Suspension Etheréenne » : un balai, une planche, un tréteau et sur le tréteau, il mettait encore une planche et un tabouret, après il enlevait le tout. Et le public était bluffé : il utilisait la même planche que dans leur jardin, le même tabouret que celui qu'ils avaient à la maison, et le même balai qui servait à nettoyer, et pourtant, cela devenait un miracle ! Aujourd'hui, on voit des magiciens, qui nous font des boîtes en plexiglas à tire-larigot, du matériel qui ne ressemble à rien. On a régressé en magie ! Robert-Houdin se retournerait dans sa tombe de voir des choses comme cela. En grande illusion j'essaie de suivre cette voie, par exemple, je fais léviter un piano, qui ressemble à un piano, avec un vélo, un corbillard, un cercueil, un bar, au-lieu d'une table avec des boîtes. Il faut toujours que le spectateur ait une référence, comme Robert-Houdin. pour que ça devienne un miracle.

Quels sont les magiciens qui vous ont influencé ?

Siegfried & Roy. C'est tout à fait cet univers-là. Les cages dans leur spectacle, c'était à cause des animaux. Toute la première partie de leur show était basée sur la mise en scène. Et aussi Copperfield. A ses débuts, il faisait beaucoup de petites saynètes. Notamment le foulard dansant. Un petit foulard qui vient se poser sur son épaule alors qu'il drague une fille. C'est un chef d’œuvre ! Tout comme sa boule volante, son numéro sur le peintre... Des chefs-d’œuvre de mise en scène, et de finesse.



Vous travaillez depuis 15 ans pour Patrick Sébastien, qu'est-ce que cela vous a apporté de créer 10 numéros par an ?

Eh bien, cela vous fait bouger ! Je ne serai pas là aujourd'hui sans ça, parce que tous les mois, je me retrouve devant la page blanche. Je suis obligé de créer ! Parce que même si je n'ai l'idée que 3 jours avant la fin, il faut quand même que je me casse la tête. C'est une super école, comme On Ne Demande qu'à en Rire, de Laurent Ruquier, où des jeunes humoristes doivent écrire un sketch drôle toutes les semaines. Cela les oblige à bouger. Si j'avais un spectacle en place, peut-être qu'inconsciemment j'aurais été feignant et je ne l'aurai pas fait. En plus cela coûte beaucoup d'argent, de temps et de travail, de créer un numéro, donc je ne l'aurai sûrement pas fait. Mais de savoir qu'il y a la carotte au bout : Patrick Sébastien qui attend son numéro, je n'ai donc pas le choix. C'est cela qui m'a amené, petit à petit, à me retrouver ici.

Est-ce que vous créez d'abord des numéros pour la télévision, que vous agencez ensuite pour former un spectacle, ou est-ce que vous écrivez d'abord le spectacle ?

Je fais les deux en même temps ! Pendant 2 ans, au PLUS GRAND CABARET DU MONDE, nous avons présenté des numéros gothiques, parce que j’avais déjà en tête le projet du spectacle que je voulais faire après. Maintenant, on va faire du Steampunk. Voyez-vous ce dont-il s'agit ?

Non. Pas vraiment.

C'est très très beau. Ce sera l'univers de mon prochain spectacle. 1900, Jules Verne... C'est le rétro-futur qui n'a jamais existé. Jules Verne pensait qu'en l'an 2000, tout fonctionnerait à la vapeur. Or, on a pris un autre chemin. C'est un mouvement qui vient d'Angleterre, comme le mouvement gothique, le mouvement punk... Cela commence à arriver en France. Un look moderne, mais rétro, avec des lunettes extravagantes. Des films comme HUGO CABRET, LE PRESTIGE ont un côté steam-punk. Donc chez Sébastien, je présenterai des numéros Steampunk pendant l an... car je ne pourrai pas créer et un numéro pour la télévision et un numéro supplémentaire pour le spectacle.

Quand vous créez un numéro, pensez-vous d'abord à l'univers, à l'effet ou encore au trucage ?

Il n'y a pas de recette miracle. Par exemple dans le steampunck, je veux faire un numéro avec un gramophone, je n'ai trouvé ni l'effet, ni le trucage, mais je sais que je vais travailler avec. Dans un autre cas, je sais l'effet et le trucage, et je l'habille dans l'univers. Par exemple, j'ai un trike, une moto à trois roues. L'effet c'est projeter une fille dans une malle qui explose. J'ai pris un canon moderne, et on a habillé le trike en steampunk.

Qu'elles sont les contraintes d'un tournage avec des caméra HD, pour un magicien ?

Très dur ! Pour moi, un peu moins, pour les manipulateurs c'est très difficile. Toutes les boucles de fils deviennent visibles. Un de mes numéros a été retouché en post-production : un fil était visible. Et si on travaillait l'éclairage pour ne pas voir le fil, la scène n'était pas assez éclairée. Cela tombe bien que vous posiez la question, car les trucages ont évolués au fil des années. A l'époque de Robert-Houdin, on éclairait les spectacles à la bougie. Les artistes faisaient des tours fabuleux, à cause de l'éclairage de l'époque. Il arrivait dans le noir, un peu de fumée, une projection et il apparaissait ! Aujourd'hui, avec la puissance actuelle des projecteurs cela ne fonctionnerai plus. A l'époque on utilisait pas mal le black-art, à ne pas confondre avec la lumière noire. On recouvre quelque chose d'un tissu noir, dans un éclairage tamisé. On enlève le tissu, la chose apparaît ! Ou alors, le fait de tricher sur la profondeur de la table, parce qu'il y a du noir derrière et un fond noir. Aujourd'hui, sur un plateau télé, c'est fini ! Un double-fond en velours noir, posé au milieu d'un plateau très lumineux, c'est fini ! On est donc obligé de modifier les trucages. Et la HD, c'est en plus...
Normalement la grande illusion ne devrait pas passer à la télévision. J'ai été obligé d'inventer des trucs pour la télévision. La grande illusion est faite pour une salle de spectacle. En télévision, vous avez des caméras partout. Cela équivaudrait à ce que le public se déplace en permanence. Et tout le travail de vision sur les trucages ne fonctionne plus ! Il faut faire un trucage qui marche quasiment à 360°, car la caméra non seulement elle bouge, mais elle s'avance. C'est comme si pendant un numéro de close-up, un spectateur s'avance et regarde comme ça (il se lève et approche son visage très près du nôtre), puis tout d'un coup il recule, ou alors, se déplace comme cela (il se lève, fait le tour de la table, et va se positionner derrière notre épaule). Alors que le magicien continue à travailler de face (il va se rasseoir). La grande illusion c'est encore pire. Sauf pour les artistes qui travaillent sur une piste de cirque, mais les trucages sont du coup très balourd. Dès que l'on tente d'être fin, on est très embêté. Moi, je maîtrise, mais c'est dur !
D'ailleurs, je pense même que mon spectacle est plus impressionnant quand il est filmé que vu en salle. Et encore plus lors de la captation DVD, parce que je contrôle la position des caméras contrairement à l'enregistrement du PLUS GRAND CABARET DU MONDE... En télévision, je pense que l'on perd 70 % de l'effet magique. Parce que la télévision fonctionne en 2 dimensions, et fournit une image plate, alors qu'au spectacle, on est en 3D. On perd aussi parce qu'on est très exposé à la lumière et qu'on ne contrôle plus le numéro, ce sont les caméras qui le contrôlent. On peut vouloir montrer les choses sous un angle différent de celui de la caméra. Quelqu'un comme Bernard Bilis mériterait une médaille à chaque émission. Parce qu'un invité peut lui prendre le jeu des mains. Et Bilis jongle en permanence avec cela et est obligé d'adapter ses tours en pensant à cela. C'est seulement dans les congrès de magiciens, qu'on fait du Close-Up avec des gens tout autour !

La suite de cet entretien apparaîtra magiquement sur ESI !

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