PACIFIC RIM : Entretien exclusif avec Guillermo del Toro - Cinquième partie
Article Cinéma du Dimanche 21 Juillet 2013

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Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Sans vouloir comparer les volets de la saga TRANSFORMERS avec PACIFIC RIM, car de toutes évidences, ces films n’ont pas grand chose à voir avec le vôtre, l’un des problèmes que l’on peut constater dans les TRANSFORMERS, c’est que les structures des robots sont très complexes, et que quand 2 robots se battent ensemble, on ne comprend plus du tout ce qui se passe, d’autant plus que le montage de Michael Bay est « surdécoupé » en plans extrêmement courts. Du coup, on ne sait plus si ce que l’on est en train de voir est la tête du héros ou le bras de son adversaire…Pouvez-vous nous dire comment vous avez travaillé sur la lisibilité des combats entre les Jaegers et les Kaijus ?

Pour cela, je crois qu’il n’y a qu’une seule méthode : employer un style tout à fait traditionnel pour filmer l’action. Les combats en eux-mêmes sont très modernes, utilisent des technologies de pointe, mais ils sont décrits par des cadres et des mouvements de caméras très classiques qui permettent de raconter clairement l’histoire en images, en permettant au public de voir toujours où l’on se trouve et qui fait quoi. De manière générale, je ne découpe jamais les scènes d’action en plans très courts. Que ce soit dans HELLBOY et même dans BLADE 2 où le tempo est plus rapide, je ne suis jamais allé vers des plans d’une demi-seconde et des scènes « hyper découpées ». Je respecte toujours les axes de déroulement des mouvements de l’action pour que les spectateurs puissent s’orienter dans l’environnement et sachent toujours où l’on se trouve. Je laisse les plans « respirer »…Je profite des petits moments captés sur le vif à l’intérieur des plans. On peut s’en rendre compte même quand on voit les premières images des bandes-annonces de mes films. La plupart des plans d’action durent 7, 8, 9 voir même 10 secondes. Ce n’est jamais découpé exagérément.

Et c’est très agréable de voir des plans comme celui du Jaeger qui est projeté sur un pont d’autoroute, puis la caméra qui panote dans le même plan pour le montrer glisser sur un quai et percuter des containers et des wagons de marchandises... Non seulement c’est plus lisible, mais c’est infiniment plus plaisant à regarder, car on apprécie les détails de la scène…

Oui, c’est plus simple à faire et tout le monde – les jeunes spectateurs comme les adultes - peut suivre facilement les différentes phases du combat.

Quels sont les défis les plus importants que vous vouliez relever en vous attaquant à ce projet de modernisation du cinéma des Kaijus ? Est-ce que PACIFIC RIM est en globalité le film de Kaijus que vous n’aviez encore jamais vu et que vous vous êtes donc « fabriqué vous-même » ?

Jusqu’à un certain point, oui. C’est en partie ce qui m’a motivé, mais je voulais aussi que l’impact visuel et émotionnel des séquences de PACIFIC RIM soit vraiment unique, que ce soit du jamais vu... Il y a une très belle scène avec Mako, le personnage joué par Rinko Kikuchi, où on la voit petite fille, alors qu’elle n’a que 8 ans, et qu’elle assiste impuissante à la destruction de Tokyo par un Kaiju…Son univers s’écroule à ce moment-là car elle perd tout : sa famille, ses rêves d’enfant, et le quartier dans lequel elle avait grandi.

…S’agit-il de la scène entr’aperçue dans la bande-annonce où l’on voit les avions à réaction passer au-dessus de la petite fille pour aller vers le Kaiju ?

Oui. Il y a aussi un autre moment du film dont je ne veux pas vous gâcher la surprise, mais disons qu’il permet de découvrir un Kaiju d’une échelle qui n’a plus rien à voir avec celle de ceux que nous avons pu voir dans d’autres films…Ce qui me plaît énormément, c’est de décrire les Kaijus comme des forces de la nature. Comme des tsunamis, des ouragans, des cyclones…Ce sont des spectacles de destruction d’une ampleur phénoménale, et la technologie actuelle des effets visuels permet de simuler cela de manière très convaincante. Aujourd’hui, on réussit à produire les images de cataclysmes les plus impressionnantes de toute l’histoire du cinéma.

Vous comparez les Kaijus aux forces de la nature devant lesquelles les hommes sont quasiment impuissants. Mais en concevant ces créatures, avez-vous imaginé par exemple des monstres symbolisant les éléments, c’est à dire l’eau, l’air, la terre et le feu ?

Non, je n’ai pas raisonné ainsi, en référence aux éléments. Je voulais juste que ces monstres ressemblent à des montagnes en mouvement… Des masses tellement énormes qu’elles dépassent l’entendement humain. D’ailleurs, au début de film, on voit que les hommes ne savent pas quoi faire des colossales carcasses des premiers Kaijus qu’ils ont finalement réussi à tuer. Comme il est impossible de les évacuer, on les laisse sur place et on doit trouver des solutions pour résoudre les problèmes sanitaires inédits que cela pose. Vous verrez ce que cela donne dans le film... Ma première source d’inspiration en ce qui concerne la taille des monstres est d’ailleurs une œuvre d’art, et non pas un film ou un Anime Japonais. Il s’agit d’un tableau de Goya qui s’intitule LE COLOSSE. On y voit un être gigantesque qui remplit tout le ciel, s’éloigner d’une ville et de toute une population prosternée vers lui. C’est une image onirique, très étrange…Ce personnage est tellement énorme, titanesque, que je me suis dit que je voulais retrouver des visions de ce genre dans le film. Il y a d’ailleurs une image dans PACIFIC RIM où l’on voit 2 colosses de métal et de chair qui se frappent l’un l’autre au beau milieu d’une tempête, et c’est une très belle vision.

Les environnements dans lesquels se déroulent les combats sont extrêmement détaillés. Jusqu’où êtes-vous allé avec les infographistes d’ILM pour reconstituer des paysages réels comme celui de la baie de Hong Kong ?

Oh, nous l’avons recréée fidèlement. Pendant la préparation du film, nous avons établi une carte de la baie en déterminant de manière approximative les endroits que nous pourrions utiliser dans le film. Je me suis rendu à Hong Kong pour effectuer des repérages approfondis, en explorant tout ce paysage en voiture, en le survolant en avion, en hélicoptère, et en l’observant à partir du niveau de mer, sur un bateau. Cela m’a permis de comprendre tous les avantages que je pourrais tirer de ces 3 types de points de vue différents. L’hôtel dans lequel je séjournais m’a fourni une carte, et à partir des lieux que j’avais vus, mémorisés et qui m’avaient plu, j’ai entouré sur cette carte les différents endroits où je souhaitais que le combat se déroule. Ensuite, nous nous sommes rendus sur chacun des gratte-ciels au centre de ces périmètres, un par un, afin de photographier toute la baie selon chacun de ces points d’observation. De retour à Los Angeles, j’ai étalé toutes les photos et la carte sur les murs de mon bureau de production, et j’ai organisé le déroulement de la scène afin que les Kaijus se trouvent à chaque fois dans les endroits réels figurant sur la carte, et se « servent » des infrastructures et des immeubles qui s’y trouvent réellement. De plus, au cours de leur déplacement, les monstres vont d’un point à un autre en suivant une trajectoire logique, dans ces lieux réels. Les gens qui vivent à Hong Kong et ceux qui connaissent la ville reconnaîtront ces endroits, et pourront constater que le combat se déroule de manière cohérente dans cet environnement, en fonction des déplacements des Kaijus. Par exemple, quand on se déplace de gauche à droite dans le film, les gens qui connaissent la ville reconnaîtront bien les places et les avenues que l’on peut voir à Hong Kong en suivant cette direction. Depuis le début, tout a été planifié afin que le « Shatterdome », l’endroit depuis lequel le Jaeger est lancé, se trouve du bon côté, afin qu’au moment où il émerge du site, il puisse voir Hong Kong en regardant sur sa droite.

Les spectateurs de Hong Kong seront certainement ravis de reconnaître les vraies caractéristiques de leur ville…car bien souvent les films américains se contentent de créer des reproductions approximatives des capitales dans lesquelles se déroulent des cataclysmes. En tant que français, il nous est arrivé de voir des paysages parisiens aberrants dans des productions Hollywoodiennes !

Oui. Et je trouve que ce n’est pas correct de procéder ainsi, alors que les paysages américains, eux , sont toujours reproduits fidèlement !

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