[Flashback] MAN OF STEEL : Entretien exclusif avec le chef décorateur Alex McDowell - Première partie
Article Cinéma du Mercredi 02 Mai 2018

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment le projet MAN OF STEEL a-t-il commencé pour vous ? En aviez-vous déjà parlé avec Zack Snyder à l’époque de votre collaboration sur WATCHMEN ? Aviez-vous déjà échangé des idées sur de nouvelles manières de transposer Superman au cinéma ?

Non, pas du tout. Je ne crois pas que l’idée de relancer Superman était déjà dans l’air à l’époque de WATCHMEN. Je ne connais d’ailleurs même pas les détails des premiers contacts entre Christopher Nolan et Zack Snyder, et les circonstances dans lesquelles Chris a proposé à Zack de réaliser le film, mais cela s’est passé bien après. Pour ma part, j’ai commencé à collaborer avec Zack peu après que David Goyer ait commencé à écrire le script de MAN OF STEEL, et mon travail sur la conception et la fabrication des décors a duré un an et demi en tout.

Comment Zack Snyder et Christopher Nolan vous ont-ils expliqué leur vision du film ? Quels ont été les mots-clés de leur description ?

Je n’ai pas eu l’occasion de travailler avec Chris, car il était totalement accaparé par THE DARK KNIGHT RISES quand je suis arrivé. La première description que Zack m’a faite du projet était à peu près celle ci : « MAN OF STEEL se déroule dans le monde moderne d’aujourd’hui, ou plutôt de 2014. Il ne s’agit pas d’une version optimiste et embellie de la réalité. Les conséquences de la récession économique actuelle seront clairement montrées dans le film. »

Il y a apparemment beaucoup plus de scènes qui se passent sur Krypton dans cette nouvelle version que dans celle des années 80…

Oui. Zack m’a dit que c’était une partie du film qu’il tenait à développer pour bien établir les différences culturelles et spirituelles entre ces deux mondes, même si en fin de compte, beaucoup de scènes dans lesquelles figure l’esthétique kryptonienne se déroulent dans des vaisseaux spatiaux.

Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez créé l’aspect de la planète d’origine de Superman, ses architectures, ses meubles, accessoires, vaisseaux, et ses paysages ? Il nous a semblé que les formes rondes et organiques que vous avez employées sont directement inspirées du style Art Nouveau…Les supports de vaisseau dans lequel Jor-el place son fils ressemblent d’ailleurs comme 2 gouttes d’eau aux formes des premières bouches d’entrées du métro Parisien, conçues par Hector Guimard…

(rires) C’est exactement cela ! (rires) Mais nous avons surtout été inspirés par l’extraordinaire travail du photographe allemand Karl Blossfeldt, qui a fait paraître en 1928 un recueil de clichés intitulé « LES FORMES ORIGINELLES DE L’ART » qui montraient en très gros plan, sur des fonds neutres, des formes splendides issues du monde végétal : des jeunes pousses en train de se déployer, des cosses de graines, des nervures de tiges, etc. Cet album a eu un succès considérable. En voyant ces images de Blossfeldt, on est sidéré par le génie artistique et les capacités d’invention de la nature… Notre référence principale vient de là plus que du travail de votre compatriote Hector Guimard ou de celui de l’architecte belge Victor Horta, même si nous nous en sommes inspirés pour certains éléments ponctuels, comme celui que vous avez remarqué et cité…Notre raisonnement a été le suivant : la culture de Krypton est fondée sur des connaissances extrêmement détaillées dans le domaine de la biologie, à un niveau moléculaire. De ce fait, toutes leurs disciplines scientifiques se sont développées autour du monde vivant, de l’organique, plutôt qu’autour de la chimie, de la physique et de l’électronique, comme sur la terre. Les Kryptoniens sont passés maîtres dans l’art de manipuler tout ce qui est organique au niveau moléculaire. C’est l’une des bases de la conception de leur esthétique, partout sur cette planète. Et tout comme l’observation et la reproduction des formes de la nature a donné naissance au style Art Nouveau vers 1900, nous sommes partis du principe que les Kryptoniens avaient observé les formes organiques pour faire évoluer leurs formes architecturales, leurs meubles, leurs vêtements, et tous les accessoires de leur vie quotidienne. Nous disions pour plaisanter que « La ligne droite n’avait jamais été inventée sur Krypton » ! (rires) Et si vous scrutez bien les décors de Krypton dans MAN OF STEEL, vous pourrez vérifier que l’on n’y voit effectivement pas la moindre ligne droite. Nous avons imaginé que les Kryptonien utilisaient des procédés de fabrication assez proches du fonctionnement de nos imprimantes 3D actuelles. Mais à la différence des objets petits ou de taille moyenne que nous sommes en mesure de fabriquer pour l’instant avec du plastique ou de la résine, les kryptoniens, eux, peuvent faire « pousser » leurs maisons, leurs vaisseaux spatiaux et leurs objets familiers grâce à leur maîtrise du développement des molécules organiques. La mise en œuvre de ces techniques et de ces formes naturelles nous rapproche forcément du style Art Nouveau, même si nous avons élargi un peu le langage graphique à d’autres esthétiques comme les architectures primitives des maisons africaines façonnées en boue et en paille, ou les formes concentriques et répétitives des coquillages.

Vous semblez avoir appliqué la même approche au « S » qui orne le torse de Superman…

Oui. Il est influencé à la fois par l’Art Nouveau et par le langage de formes que nous avons établi pour Krypton. On retrouve aussi les lignes de ce « S » dans le design du vaisseau qui amène le bébé sur terre, afin que tout soit cohérent.

Avez-vous essayé de jouer aussi sur les formes mathématiques « fractales » que l’on retrouve dans certaines plantes comme le célèbre chou « Romanesco » ?

Oui, nous nous sommes servi de ce chou aux formes extraordinaires, et aussi de la formule mathématique des spirales de Fibonacci, ainsi que d’autres formules fractales. C’était une manière de représenter cette hybridation entre technologie et biologie, mais aussi une façon d’illustrer un point très important du récit, qui est que Krypton a cessé d’évoluer depuis près de 20000 ans. Cette civilisation a atteint le pinacle de ses connaissances et de sa technologie à cette époque-là, qui a été unanimement considérée comme un aboutissement ultime, indépassable. De ce fait, les vaisseaux et les armes que les kryptoniens avaient fabriqués à cette époque-là ont été transmis de générations en générations. S’ils ont continué à fabriquer de nouveaux engins et de nouveaux objets, la technologie est restée la même. Au cours du film , on explique aussi pourquoi les leaders politiques de Krypton ont laissé la situation dégénérer jusqu’à provoquer l’explosion de la planète, en dépit des avertissements de Jor-El, l’un de leurs plus grands savants. Il leur a dit que leur inaction allait provoquer une apocalypse…Hélas, la société kryptonienne était trop codifiée, trop conservatrice et trop ancrée dans ses habitudes pour examiner avec respect les prédictions rationnelles et fondées de la science…

Donc cette fois-ci, la destruction de Krypton est provoquée par l’aveuglement de ses dirigeants, et non pas par le fait que la planète dérive peu à peu vers un soleil rouge…

L’explosion a lieu au cœur de la planète, et ses dirigeants ne font effectivement rien pour tenter de l’empêcher. Je crois qu’il y a là un thème écologiste qui reflète l’attitude de nos dirigeants actuels vis à vis du réchauffement climatique. Sur les panoramas de Krypton que nous avons dessinés , on peut voir que les exploitations minières se sont étendues sur l’ensemble de sa surface en créant de gigantesques tranchées. Tous les paysages naturels de la planète ont été défigurés par ces immenses striures. Bref, les kryptoniens se sont détruits eux-mêmes, en creusant de plus en plus profondément, jusqu’à compromettre l’intégrité du centre de leur planète.

Quels ont été les décors de Krypton les plus complexes à concevoir et à construire ? Quels sont les « trucs » que vous avez utilisés pour leur donner des textures étranges, qui semblent issues d’un autre monde ? Avez-vous conçu des parties mécaniques, qui « fonctionnaient » pour certains de ces décors ?

Oui, pour certains des accessoires. Mais de manière générale, tous les accessoires ont été compliqués à construire, en raison de l’absence totale de lignes droites. Chaque arme était un objet unique, par exemple. Dans les architectures, aucun élément n’est répété à l’identique : les formes évoluent, et deviennent plus petites ou plus grandes. Il y a 3 grands décors principaux qui représentent Krypton. Le premier est la maison de Jor-El, qui compte 2 étages, et dont les formes évoquent l’intérieur d’une coquille d’escargot, avec une spirale centrale concentrique et des surfaces courbes. Comme nous devions fabriquer cette maison à taille réelle, et la rendre assez solide pour que les acteurs et l’équipe de tournage puisse évoluer dedans, nous avons employé des techniques habituellement réservées à la construction de grands bateaux. Nous avons commencé par fabriquer une série d’ossatures en bois en forme de « côtes » assez complexes. Cette structure a été habillée de planches puis recouverte de ciment. Il y avait beaucoup de fabricants de bateaux dans notre équipe de construction, et ils maîtrisaient parfaitement les problèmes liés à l’élaboration et la finition de coques très solides, aux formes lisses et sophistiquées. L’aspect du matériau de la maison ressemble à de la pierre, à mi-chemin entre une sécrétion formant une coquille ou la matière de nos ongles. C’est à la fois lisse, rond et très dur, et on ne sait pas si ce que l’on voit est une structure de métal ou la surface d’une coquille… Nous avons ajouté aussi un pigment iridescent dans les peintures que nous avons utilisées afin d’évoquer aussi la chitine de la carapace de certains insectes, comme les scarabées.

Quel est le second décor principal de Krypton ?

Il s’agit de la chambre du conseil, le coeur du pouvoir politique de la planète. Il possède de larges baies qui laissent voir le panorama de Krypton. Ce décor-là est un mélange de parties fabriquées et de nombreuses extensions 3D. Toutes les formes des murs et des chaises de ce décor sont complexes, très organiques. Il y a aussi beaucoup de couloirs qui sont reliés à ce vaste espace central. Le troisième grand décor kryptonien est le vaisseau de Zod, dont nous avons construit trois parties différentes, toujours avec ces formes biologiques. Pour les grandes parties de ces structures, nous avons employé à nouveau des méthodes de construction de coques de bateau, mais les structures plus petites ont été fabriquées différemment. Nous avons conçu ces formes en 3D dans l’ordinateur, puis nous avons envoyé les fichiers 3D à des industriels spécialisés dans l’usinage de pièces prototypes. Nous nous sommes servis de leurs tours automatiques asservis par ordinateur, qui ont taillé ces formes dans des blocs de mousse au moyen de leur bras articulés munis de fraiseuses. Tout cela a été fabriqué près de Vancouver. Nous avions tant de pièces à faire usiner que nous avons engagés tous les ateliers de la région équipés de tours automatiques pendant 3 mois ! Ils ont fabriqué tous les petits éléments des décors, du pode qui emmène le bébé Kal-El sur terre, et du vaisseau de Zod. Je parle de « petits éléments », mais il s’agissait quand même de morceaux qui mesuraient 2 mètres sur 3 !

Comment utilisiez-vous les pièces « brutes » après qu’elles aient été taillées dans la mousse ?

Nous les coupions pour les assembler, puis nous les imprégnions de résine afin que cette matière imbibe la mousse et la rende extrêmement solide et rigide. Nous avons également fabriqué de la même manière des pièces destinées à devenir les matrices de moules négatifs. Nous avons moulé aussi de grandes plaques de plexiglas pour représenter les hublots et les caissons d’hibernation des vaisseaux kryptoniens. Il s’agit de « podes » horizontaux avec des striures verticales qui ressemblent à des cages thoraciques. Selon leur emplacement à l’avant-plan ou à l’arrière plan, nous les avons fabriqués soit à partir de moulages de plexiglas très élaborés, soit en thermoformant simplement de grandes plaques de plastique. Les éléments de plus petite taille, comme les pièces que l’on voit autour du vaisseau/berceau qui est utilisé pour envoyer Kal-El sur terre, ont été modélisés puis fabriqués en résine avec des imprimantes 3D.

Nous allions vous demander si vous aviez conçu un décor de tribunal, en pensant qu’il y avait peut-être une scène du film où l’on voyait Zod et ses comparses être condamnés…Mais il semble que ce ne soit pas le cas, sans doute pour se démarquer de SUPERMAN, LE FILM…

Le premier SUPERMAN avec Marlon Brando était visuellement fantastique, et même si j’ai beaucoup d’admiration pour le travail très original qui avait été réalisé par le chef décorateur John Barry, nous avons déterminé d’emblée que nous n’utiliserions pas de formes cristallines dans MAN OF STEEL, afin de ne pas copier cette approche. De même, la manière dont Zod est exilé de Krypton n’a plus rien à voir avec un enfermement dans « la zone fantôme ». Il est simplement placé en hibernation dans son vaisseau, qui est lancé dans l’espace sans espoir de retour, puisque la planète va bientôt exploser. En faisant cela, les dirigeants kryptoniens pensent condamner Zod et ses complices à une mort inévitable, car ils n’imaginent pas un seul instant que l’on puisse venir au secours du vaisseau, ni qu’il atteigne un autre monde.

Comment avez-vous imaginé l’aspect de la nouvelle « Forteresse de la solitude » ? La voit-on « pousser » et se construire toute seule, comme dans la série avec Christopher Reeve ?

Non, car là encore, le principe est différent. Ce qui va devenir la forteresse de la solitude est à l’origine un autre vaisseau kryptonien qui s’écrase sur terre, comme celui de Zod. Mais la différence, c’est que cet astronef-là est un vaisseau d’exploration automatique, qu’il a été envoyé dans le lointain passé, et qui a atteint la terre il y a plusieurs milliers d’années. Le crash a eu lieu dans l’Arctique, et l’impact a été si violent que le vaisseau s’est encastré profondément dans la glace. Dans le film, il est découvert par une expédition scientifique qui étudie la manière dont le réchauffement climatique fait fondre les glaces des pôles. Les savants forent la glace pour en extraire des « carottes », ces échantillons cylindriques de plusieurs dizaines de mètres de long qui leur permettent d’étudier les variations du climat sur plusieurs millénaires. C’est en procédant à ces recherches en profondeur qu’ils découvrent par hasard cette structure enfouie là. Ils utilisent des sortes de sonars pour déterminer la forme globale de cette chose mystérieuse… Et quand ils font cela, ils déclenchent sans le vouloir certaines fonctions du vaisseau qui « reprend vie ». Le vaisseau envoie alors un message que seul Superman peut recevoir, et cela l’incite à voyager vers le nord pour le retrouver. Au même moment, les militaires arrivent pour tout contrôler, et prennent le pas sur les savants. Superman a réussi à être engagé en tant qu’ouvrier pour les militaires, et c’est ainsi qu’il parvient à entrer dans le vaisseau et à le faire fonctionner, décoller, puis se poser ailleurs, dans un nouvel endroit que notre héros sera désormais le seul à connaître. C’est ainsi que cet engin devient la forteresse de la solitude. C’est toute cette chaîne d’événements qui crée cette situation. Et cela nous permet d’apprendre aussi que ce vaisseau éclaireur menant une mission d’exploration avait été conçu par les arrière grands-parents de Superman. C’est donc un environnement qui a un fort lien émotionnel pour lui, car il est non seulement un produit de sa planète d’origine, mais aussi un témoignage de l’œuvre scientifique de sa famille.

La suite de ce super-entretien paraîtra prochainement sur ESI !

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