Entretien exclusif avec le chef décorateur Robert Stromberg à l’occasion de la sortie DVD & Blu Ray du MONDE FANTASTIQUE D'OZ - Seconde Partie
Article Cinéma du Jeudi 15 Aout 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

En dehors des descriptions du livre, quelles ont été vos sources d’inspiration visuelle pour créer le design de chaque pays du monde d’Oz, et quels ont été les défis particuliers à relever pour y parvenir ? Commençons par China Town, la ville de porcelaine…

J’ai abordé ce décor de manière très pragmatique, en demandant à un assistant d’aller acheter un service en porcelaine complet avec des tasses à thé, des soucoupes, une théière, etc. Ensuite, nous avons placé ces éléments sur une grande table et les avons empilés pour voir si nous arrivions à obtenir des formes architecturales intéressantes. Après avoir construit ainsi des ébauches de formes de bâtiments, nous avons pris des clichés de ces constructions et avons commencé à jouer avec sur Photoshop. Tout le reste du processus est parti de là. Il fallait que l’on préserve l’aspect amusant et fantastique de ce concept de ville construite avec des soucoupes et des tasses de porcelaine, et dont les habitants sont eux aussi des figurines de porcelaine vivantes. L’allure fascinante et psychologiquement inquiétante de cet environnement tient au fait que tout est fragile. De plus, dans le film, nous découvrons China Town après qu’elle ait été fortement endommagée. On devine que des évènements terribles ont eu lieu là. Nous avons donc utilisé l’impact émotionnel et la symbolique très forte des tasses et des soucoupes brisées ou fendillées pour donner une touche dramatique à ce décor. C’est souvent par le biais de ce processus de fabrication et de retouches que nous avons créé les designs des décors : nous préparions des esquisses, puis des compositions d’objets détournés qui étaient photographiés, et enfin des expériences sur Photoshop. J’adore partir de clichés d’objets que je fais dans le jardin de ma maison, en dehors de mes heures de travail. J’expérimente avec des objectifs qui permettent de photographier des toutes petites choses en macrophotographie. Cela me permet souvent de trouver des textures et des formes extrêmement intéressantes. Je crois que personne n’arriverait à croire combien d’heures j’ai passé ainsi dans mon jardin, à faire ce genre de recherches photographiques ! (rires)

D’où sont issues les architectures de la cité d’émeraude ?

Eh bien tout a commencé quand j’ai repensé aux créations d’un architecte que j’aime énormément, qui s’appelle Hugh Ferriss. Il créait des illustrations fascinantes de paysages urbains et de bâtiment monumentaux, dont j’aime beaucoup l’atmosphère et les éclairages. On peut trouver certaines de ces illustrations dans un livre qu’il a écrit et qui s’intitule METROPOLIS OF TOMORROW (La Métropole de Demain). Je tiens à préciser que je n’ai pas repris directement ses éléments architecturaux, mais qu’elles font partie du kaléidoscope d’images de références que j’avais en tête en abordant cet environnement du film. J’ai aussi repris des lignes géométriques issues du style Art Déco, puis j’ai engagé deux spécialistes de la modélisation 3D pour assembler des tours et des bâtiments avec ces formes issues des années 20 à 40. Ce processus nous a permis d’arriver à l’aspect définitif de la cité d’émeraude.

Comment avez-vous créé la route de briques jaunes et les paysages qu’elle traverse ?

Au début de notre film, le personnage de James Franco, Oscar Diggs, arrive dans le monde d’Oz après avoir été emporté avec son ballon dirigeable par un cyclone. Il se rend ensuite à la cité d’émeraude. En imaginant les décors d’Oz, je ne voulais pas choisir un rendu qui indique clairement si Diggs rêve ou s’il s’agit de la réalité. Pour les paysages, j’ai été inspiré par le groupe d’artistes américains de la « Hudson River School » de la fin du 19ème siècle dont Albert Bierstadt et Frederick Edwin Church faisaient partie. J’aime beaucoup la manière dont ils utilisent la lumière pour exalter leurs compositions et sublimer la description de la réalité. Leur manière de décrire le paysage est également remarquable. J’ai tenté d’appliquer ce traitement aux panoramas autour de la route de briques jaunes, tout en poussant les paysages vers le fantastique. Mon but était de donner le sentiment que l’on peut vivre des aventures épiques dans l’univers d’Oz, tout en y laissant des touches oniriques, légèrement surréalistes. Il fallait toujours rester dans cette ambiguïté intéressante entre rêve et réalité.

Quels sont les autres décors principaux que vous avez conçus pour le film ?

Oh il y en a beaucoup…Je crois que mon équipe et moi avons créé plus d’une trentaine de décors en tout. Nous occupions 6 plateaux sur les 7 disponibles au sein des nouveaux studios Raleigh, qui se trouvent à côté de Pontiac dans le Michigan. Le rôle de mon équipe consistait non seulement à créer des environnements au fort impact visuel pour le film, mais aussi à gérer toute l’organisation concrète de la fabrication et de la finition des décors, puis de leur démontage pour libérer le plateau afin de pouvoir fabriquer le décor suivant. Il fallait superviser tout cela avec beaucoup de précision et jongler avec l’utilisation permanente, jour et nuit, de ces 6 grands plateaux, pour faire en sorte que toutes les équipes de fabrication puissent travailler continuellement, sans jamais être retardées ni bloquées par une erreur de planification. Il était vital que la rotation des équipes ne s’arrête jamais afin que le plan de travail du tournage soit respecté. L’un des plus grands décors est celui du château de Glinda, la bonne sorcière. Il était doté d’une grande cour intérieure. Nous avons donné un style Art Nouveau aux décors intérieurs de ce château. Le décor de la salle du trône de la cité d’émeraude était également très grand, traité dans le style Art Déco, avec plusieurs volées de marches descendant en cascade entre les différents niveaux de la salle. Il occupait un plateau entier. Nous avons également construit en plateau le décor du petit cirque et de la fête foraine itinérante dans lequel Oscar Diggs présente son spectacle de magie. Il s’agit d’un paysage qui est sensé se trouver en extérieur, dans une plaine, cette séquence est filmée en noir et blanc dans le film, comme le début du film de 1939. Nous avons construit d’autres paysages extérieurs en plateau, comme la forêt hantée, le cimetière, et une grande partie des environnements que Diggs découvre juste après son arrivée à Oz. Comme une grande partie du voyage de Diggs a lieu en empruntant la route de briques jaunes, je savais qu’il allait falloir varier énormément les formes de ce chemin et les reliefs du terrain autour de lui. J’ai donc décidé de construire la route de briques jaunes de manière modulaire, en créant une série d’éléments indépendants que l’on pouvait combiner les uns aux autres, de la même manière que l’on assemble les rails d’un circuit de petites voitures électriques pour dessiner de nouvelles formes. Il y avait par exemple un module de 30 mètres de route droite, puis on pouvait ajouter un virage à droite ou un virage à gauche, puis un passage par dessus une petite colline, et ainsi de suite. Nous pouvions lier aisément ces différentes sections en raccordant les briques, puis nous ajoutions de la décoration végétale pour fondre ensemble les parties du sol du bord de la route.

Avez-vous construit la majorité des grands décors “en dur” sur des plateaux, ou est-ce que les environnements du film étaient représentés par des petites parties de décors disséminées dans des cycloramas verts, complétées ensuite par des extensions numériques ?

Vous savez, quand j’ai conçu les décors d’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES pour Tim Burton, nous n’avons construit « en dur » qu’une petite partie des environnements. La grande majorité de ce qui se trouvait sur le plateau, c’était des petits blocs de décors et des volumes peints en vert placés devant un cyclorama vert. Il devait y avoir 60 à 70% d’éléments verts et de fonds verts et seulement 30% de vrais décors. En ce qui concerne Oz, nous avons procédé de manière beaucoup plus équilibrée : 50% de décors et 50% de fonds verts servant aux extensions virtuelles des décors. Nous avons choisi cette option pour plusieurs raisons. La première, c’est que j’ai pu constater pendant le tournage d’ALICE AU PAYS DES MERVEILLES que les acteurs sont beaucoup plus à l’aise pour jouer s’ils se trouvent dans de vrais éléments de décor. Ils comprennent mieux où ils se trouvent et comment ils doivent évoluer dans un univers s’il y a des choses tangibles qu’ils peuvent toucher autour d’eux. Leurs performances sont bien meilleures ainsi. La seconde raison est liée au budget du film. Après y avoir bien réfléchi, il était évident qu’il était moins coûteux de fabriquer certains décors plutôt que de les faire modéliser et réaliser de manière hyperréaliste en images de synthèse.

Un projet d’attraction consacré à Oz a été annoncé par Disney. Serez-vous impliqué dans l’adaptation de votre travail ?

Comme je réalise actuellement MALEFIQUE avec Angelina Jolie dans le rôle de la sorcière, et que cela me prend tout mon temps, je n’ai pas eu de nouveau rendez-vous avec l’équipe du département Imagineering de Disney ces derniers temps, mais si le projet d’une attraction voit bel et bien le jour, ils pourront se référer à tous les plans et tous les designs des décors du film, car nous avons déjà envoyé l’intégralité de cette documentation à Disney. Si une attraction Oz voit le jour, je serais très intéressé par la perspective de pouvoir suivre son développement.

Est-ce que tous les designs des décors ont été dessinés avec AutoCad ou avec un autre logiciel 3D, pour produire à la fois les plans de construction et les renderings permettant à l’équipe des effets visuels de commencer le travail de modélisation des extensions de décors ?

Oui, nous utilisions AutoCad ainsi que d’autres logiciels. Les designs de décors étaient conçus en 3D principalement avec Maya. D’ailleurs, comme nous utilisons beaucoup d’extensions numériques des décors, nous avons employé le procédé simulcam pendant le tournage : en braquant un moniteur/camera sur les vrais décors, le système informatique générait automatiquement les images 3D schématiques des extensions de décors et les rajoutait en temps réel. On voyait ainsi sur l’écran un composite qui évoquait ce que donnerait l’image finale, et cela permettait à Sam de peaufiner ses indications de mise en scène et ses mouvements de camera. De son côté, le directeur de la photographie pouvait composer ses cadrages en tenant compte de tout ce qui serait ajouté en 3D dans l’image finalisée.

Avec le recul, quels ont été les décors les plus difficiles à créer et pourquoi ?

La cour intérieure du château de Glinda, en raison de sa taille gigantesque, ainsi que le décor de la grande salle du trône du palais de la cité d’émeraude, parce qu’il a fallu consacrer beaucoup de temps à la conception technique et à l’ingénierie des escaliers en cascade.

Pouvez-vous nous parler des accessoires spéciaux et des éléments de mobilier que vous avez dû concevoir et faire fabriquer pour ce film ?

La conception du mobilier intérieur du château de Glinda a été compliquée parce que nous voulions lui donner un aspect Art Nouveau. Il a donc fallu intégrer des courbes aux intersections complexes, inspirées par des formes végétales, dans les ornementations de ce mobilier spécialement créé pour le film.

Même si Oz est un monde de pure fiction, est-ce que ses caractéristiques biologiques sont détaillées ? Par exemple, avec-vous essayé d’imaginer sa géologie, son climat, ses saisons, et toute la « chaîne alimentaire » des animaux et des créatures qui y vivent, en vous inspirant sur les descriptions de L Frank Baum dans toute la saga OZ ?

Nous avons tenté de rester fidèles aux descriptions écologiques du livre, comme l’érosion des montagnes, tout en ajoutant ce qui n’était pas décrit en détail - les collines, les différentes espèces d’arbres et les formes de vie animales - pour compléter les paysages de cet univers et créer ainsi une nature qui semble équilibrée et fonctionnelle. Comme j’ai pu le faire par le passé sur des projets tels qu’AVATAR, mon équipe et moi avons fait des recherches extrêmement poussés pour trouver de vraies formes de vie insolites dans le monde végétal et le monde animal, puis nous avons brodé à partir de cela pour créer un grand nombre de plantes, de créatures et de personnages fantastiques que l’on découvre dans le film.

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