THOR, LE MONDE DES TENEBRES : Entretien exclusif avec le réalisateur Alan Taylor – 1ère partie
Article Cinéma du Vendredi 01 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Votre parcours de réalisateur de télévision est très impressionnant, car vous avez travaillé sur quasiment toutes les meilleures séries américaines des 15 dernières années : SIX FEET UNDER, LES SOPRANO, BOARDWALK EMPIRE, DEADWOOD, ROME, A LA MAISON BLANCHE, NURSE JACKIE, MAD MEN, et tout récemment Le TRONE DE FER (GAME OF THRONES)… Pouvez-vous nous dire ce que vous avez appris de toutes ces expériences et comment cela vous a aidé à réaliser THOR, LE MONDE DES TENEBRES ?

Je crois que chaque nouvelle génération de réalisateurs qui est arrivée sur le marché du travail aux USA a dû trouver de nouveaux moyens d’apprendre le métier. Dans les années 60, beaucoup de gens sont allés travailler sur les productions à petit budget de Roger Corman. Coppola, Martin Scorcese, Joe Dante, James Cameron, Ron Howard et beaucoup d’autres sont passés par là. Ils étaient peu payés, mais comme ils avaient l’occasion de toucher à tout, ils pouvaient acquérir rapidement de l’expérience dans de nombreux domaines. Ensuite, dans les années 70, 80 et 90 d’autres jeunes metteurs en scène se sont formés en débutant dans la réalisation de spots publicitaires, puis dans la conception de vidéoclips musicaux. Pour ma part, j’ai appris à réaliser en travaillant sur des séries. J’ai bien sûr appris la théorie dans une école de cinéma, mais j’ai vraiment commencé à exercer ce métier en dirigeant des épisodes des SOPRANO, de SEX AND THE CITY et de A LA MAISON BLANCHE. Ce qui est passionnant dans l’exercice de passer d’une série à une autre en tant que réalisateur, c’est que chaque série a sa propre « vision du monde », son propre style. Si j’avais tourné un épisode des SOPRANO en utilisant le traitement visuel de SEX AND THE CITY, le résultat aurait été catastrophique ! (rires) Chacun de ces projets a donc été une formidable occasion d’apprendre ces différents points de vues, et d’ajouter de nouvelles cordes stylistiques et dramatiques à mon arc. Et tout cela a culminé avec LE TRONE DE FER, qui était la meilleure préparation que je puisse rêver pour entreprendre ensuite un projet de l’ampleur de THOR, LE MONDE DES TENEBRES. Je crois que je n’aurais pas été capable de réaliser LE MONDE DES TENEBRES si je n’avais pas pu m’entraîner d’abord à mettre en scène de l’Heroic Fantasy grâce aux épisodes du TRONE DE FER. C’était une étape nécessaire avant de passer à une production de cette échelle. Et pourtant, paradoxalement, THOR a été plus facile à réaliser que LE TRONE DE FER, parce que quand on tourne un épisode de série, on n’a presque pas de temps pour filmer, et très peu d’argent pour faire les choses. Sur LE MONDE DES TENEBRES, je tournais l’équivalent d’une page et demie de script par jour, tandis que sur LE TRONE DE FER, j’avançais au rythme de 6 à 8 pages par jour, et je ne disposais que de 10 soldats à cheval et 3 guerriers pour représenter toute une armée ! (rires) Ce qui m’a rassuré aussi quand j’ai accepté l’offre de Marvel, c’est que je n’allais pas débuter au cinéma en tentant de réaliser une œuvre aussi ambitieuse que CITIZEN KANE. Il s’agissait de la suite d’un film qui avait bien marché, et comme il fallait s’inscrire dans une continuité narrative et travailler sur des personnages déjà établis, c’était un job assez proche de ce que j’avais fait pendant 15 ans à la télévision, en passant de série en série et en m’adaptant à différents univers. Être réalisateur de séries, c’est un peu comme sauter sur un train en marche : il faut arriver bien préparé, savoir bondir et s’accrocher, et une fois que l’on est à bord, essayer d’être créatif pour bien actionner les commandes de la locomotive, afin que le voyage se déroule au mieux jusqu’à la prochaine gare.

Quelles sont les BDs de superhéros, les romans et films Fantastiques et de Science Fiction qui vous ont marqués le plus pendant votre enfance ?

L’un des auteurs de SF que j’ai lus avec le plus de plaisir est Larry Niven. Le pauvre a souvent été pillé par des scénaristes peu scrupuleux, mais on n’a jamais adapté directement un de ses livres au cinéma. L’une de ses œuvres les plus connues est le cycle de L’ANNEAU-MONDE. Pour le reste, je dois avouer que mes connaissances en culture populaire sont très limitées…Quand j’étais enfant, mes parents m’ont emmené voir 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE au cinéma, et bien sûr, je n’y ai strictement rien compris parce que j’étais trop jeune. Et quand j’ai été adolescent et prêt à comprendre un peu mieux 2001 dont les images et les mystères m’avaient quand même marqués, STAR WARS est sorti. Du coup, quand je l’ai vu, j’ai trouvé que par rapport à 2001, c’était un récit trop simple, qui ressemblait à une BD ! Bref, j’ai été à chaque fois en décalage avec les grandes étapes de la SF au cinéma, et incapable de les apprécier à l’époque ! (rires) Mais j’ai adoré STALKER d’Andreï Tarkovski. C’est un film fascinant, qui a un pouvoir quasi-hypnotique sur moi. Il est imprégné de mystère et je me suis longtemps demandé comment Tarkovski en était arrivé à un tel résultat, avec une structure narrative aussi particulière. Ce n’est que récemment que j’ai appris que la moitié de ce qu’il avait tourné est partie en fumée lors de l’incendie d’un laboratoire, et qu’il avait dû faire son film avec ce qu’il lui restait ! (rires)

Connaissiez-vous un peu les BDs de Thor avant d’être approché par les Studios Marvel pour réaliser ce film ?

Non, pas vraiment. Je savais qu’elles existaient, je connaissais le personnage dans les grandes lignes et je savais quelle était son apparence, mais c’était tout. Ces BDs ne m’avaient pas particulièrement attiré auparavant et je ne les avais pas lues. Evidemment, dès que j’ai été choisi pour réaliser le film, Marvel m’a envoyé une énorme compilation des aventures de Thor en 3 volumes épais comme des annuaires téléphoniques. Les BDs où l’on raconte les origines du personnage et où l’on découvre les relations entre Thor et Loki, les intrigues au sein d’Asgard et certains ennemis sont intéressantes, mais je dois dire que quand j’en suis arrivé à cette histoire où Thor est métamorphosé en grenouille, je me suis dit qu’il n’était pas nécessaire que j’en lise davantage pour être en mesure de réaliser le film et de comprendre l’univers de cette saga ! (rires) A ce stade, j’ai décidé de me plonger dans des ouvrages consacrés à la mythologie nordique pour approfondir mes connaissances sur Odin, Thor, Loki et les autres dieux, demi-dieux et créatures d’Asgard.

Avez-vous été surpris que Marvel vous contacte pour ce film ?

Au début, oui. Quand ils ont tenté de m’appeler la 1ère fois, j’étais à Belfast en train de réaliser des épisodes du TRONE DE FER, et j’ai cru qu’il s’agissait d’une erreur. Puis quand la proposition a été formulée officiellement, je ne pouvais plus faire partie des réalisateurs envisagés à cause de la durée de mes engagements sur LE TRONE DE FER. J’ai donc demandé à mon agent d’annoncer à Marvel que je devais me retirer du projet.

Et c’est la réalisatrice Patty Jenkins qui a été engagée à ce moment-là…

Oui. Et d’ailleurs quand j’ai appris cela, j’ai pensé que c’était un choix audacieux et très intéressant, car j’apprécie beaucoup le travail de Patty Jenkins. J’ai trouvé que c’était surprenant et assez radical de la part de Marvel, car le seul long métrage que Patty avait réalisé avant, MONSTER, avec Charlize Theron faisant une extraordinaire composition de tueuse en série qui lui a valu l’Oscar, était très éloigné de l’univers des comics. Le temps a passé et quand j’ai terminé mes épisodes vers la période de Noël 2012, j’ai reçu un nouveau coup de fil de Marvel, pour reparler de THOR 2. Sur le coup, je n’ai pas bien compris ce qui se passait, puis j’ai appris qu’ils étaient arrivés au bout de leur tentative de collaboration avec Patty Jenkins. Pendant cette seconde période, j’ai été en compétition avec un autre réalisateur qui travaille sur LE TRONE DE FER, et qui est d’ailleurs un ami : Daniel Minahan. J’ai appris par la presse que nous étions les seuls qui restaient en lice pour réaliser le film, ce qui était une situation de concurrence très étrange pour nous. Finalement, c’est moi qui ait été choisi, et Dan a accepté cela avec beaucoup de gentillesse et d’élégance. Sachant quelle était l’ampleur du travail qui m’attendait, il m’a dit en plaisantant « Si cela se trouve, c’est moi qui suis en réalité le plus chanceux de nous deux ! » (rires)

LE TRONE DE FER est l’adaptation d’une série de romans très bien écrits, aux personnages extrêmement fouillés, tandis que THOR, LE MONDE DES TENEBRES est issu d’un univers de comics à la narration plus simple. N’avez-vous pas eu certaines craintes au moment de passer de l’un à l’autre ?

Non, pas en ces termes-là. Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles THOR m’attirait. Certaines étaient très pragmatiques et légitimes – passer à une autre étape de ma carrière en abordant le cinéma, travailler avec de gros moyens techniques, sur une superproduction – et d’autres beaucoup plus subjectives, comme la curiosité, l’envie de découvrir cet univers-là. Et comme je m’étais spécialisé en histoire à l’université, j’ai toujours été attiré par les récits qui évoquent l’ère médiévale, les dynasties royales, les intrigues de succession, même quand il s’agit d’œuvres d’Heroic Fantasy comme LE TRONE DE FER ou d’un film de superhéros inspiré par la mythologie nordique comme THOR. Ce qui compte le plus pour moi, c’est de réussir à ancrer les personnages dans la réalité de leur époque et de leur univers, même s’il est imaginaire. Quand j’ai vu le 1er THOR, j’ai trouvé que tout était trop propre. Et comme tout semblait neuf, on envoyait un mauvais message subliminal aux spectateurs, car à cause de cela, il était plus difficile de leur faire que cette cité d’Asgard existait depuis des siècles et avait une longue histoire derrière elle…Dans LE TRONE DE FER, la patine et l’usure des décors aide à imaginer que les souverains dont on suit les aventures sont eux-mêmes les descendants actuels de vieilles dynasties. Je voulais que dans LE MONDE DES TENEBRES, on ait l’impression de se retrouver dans une cité ancienne qui existe bel et bien, et dans laquelle il n’y a pas seulement un palais, mais aussi des quartiers avec toute une population. Idem pour les scènes d’affrontements : je voulais que l’on ait l’impression de se retrouver sur un vrai champ de bataille aux côtés des guerriers. Que l’on sente que 2 cultures qui semblent cohérentes dans leur aspect et leur comportement sont en train de s’affronter…Je tenais aussi à ce que l’on sente que les combattants se battent dans une vraie plaine où il y a de la poussière, de la terre soulevée par les sabots des chevaux et des flaques de boue, et non pas dans un décor placé devant un fond vert…J’ai considéré que c’était indispensable pour donner un côté épique au film, tout en ne perdant pas de vue que l’histoire tourne autour de 2 frères et de leur relation compliquée avec leur père, et d’un héros dont les rapports avec sa petite amie issue d’un autre monde ne sont pas simples non plus ! (rires) En fait, LE MONDE DES TENEBRES est construit exactement comme LE TRONE DE FER, sur l’opposition entre les scènes domestiques intimes qui font que l’on s’attache aux personnages et les séquences d’action à grande échelle qui sont très divertissantes.

La suite de cet entretien du tonnerre paraîtra bientôt sur ESI !

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