A l’occasion de la sortie des CROODS en Blu-Ray, entretien exclusif avec Chris Sanders, co-scénariste & co-réalisateur
Article Animation du Mercredi 13 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

DRAGONS a été le premier film que vous avez réalisé en images de synthèse et il contenait des scènes d’évolutions aériennes très spectaculaires. Vous êtes allé encore plus loin dans le registre de l’action délirante dans LES CROODS, de l’incroyable scène d’ouverture jusqu’à la conclusion du film. Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous avez évolué en tant que réalisateur dans la création et la mise en scène de ces séquences d’action ? Pouvez-vous nous dire aussi comment vous les avez préparées, testées et produites ?

Pour moi, DRAGONS a été un apprentissage intensif de tout ce qui concerne les images de synthèse, puisque je venais de l’animation dessinée à la main. Quand j’ai quitté le projet des CROODS pendant un an pour m’occuper de DRAGONS, les personnages avaient une apparence très différente de celle qu’ils ont aujourd’hui, et cela est l’une des conséquences de ce que j’ai appris sur le potentiel des images de synthèse en réalisant DRAGONS. A mon retour, j’ai causé des bouleversements parce que j’ai voulu changer l’aspect des personnages des CROODS. Leur traitement visuel initial était beaucoup trop proche du rendu graphique de l’animation dessinée à la main. Nous avons modifié les designs des personnages tout en gardant leurs silhouettes de base, mais les formes des décors et des paysages n’ont pas changé. En plus de cela, j’ai insisté pour accroître au maximum le réalisme du rendu des surfaces et des textures, car cela me semblait indispensable pour souligner le côté dramatique de certaines scènes, comme ce moment où après un tremblement de terre énorme qui provoque l’écroulement des canyons et l’anéantissement de la grotte, les personnages sont recouverts d’une fine pellicule de poussière blanche. Cela étant dit, nous devions aussi être en mesure d’animer ces personnages dans des scènes de pure comédie visuelle, au cours de scènes d’action ponctuées de gags, comme la scène de chasse qui constitue l’ouverture du film. Je pense que ce serait intéressant pour quelqu’un de suivre toute l’évolution du développement de cette scène, de A à Z, de la mise au point du storyboard jusqu’à la séquence finalisée, car ce processus s’est étendu sur un an et demi.

On devine qu’elle a demandé beaucoup de travail, car elle est incroyablement dense et bien rythmée…

Merci ! Je crois que le « truc » pour bien concevoir une telle scène, c’est de faire en sorte de convaincre les spectateurs que tout ce qui arrive est aléatoire, imprévisible et spontané. Il faut garder cela en tête pendant toute la durée de ce travail, pendant un an et demi ! (rires) Une bonne partie de l’efficacité de la scène est due à la contribution de notre chef opérateur et directeur de la photographie Yong Duk Juhn, auquel je tiens à rendre hommage. Il est le premier à intervenir sur la production effective d’une scène, car il faut commencer par faire bouger quelque chose : soit on fait bouger les personnages, soit on fait bouger la caméra pour caler tous ses mouvements et ses angles de vues, car on ne peut pas faire les deux choses en même temps. Dans le cas de cette scène, nous avons décidé d’établir d’abord les mouvements de caméra. Yong Duk a observé attentivement les storyboards pendant que nous lui racontions la scène dans ses moindres détails et jouions les actions des personnages. Ensuite, il a travaillé tout seul de son côté, en déplaçant la caméra dans les décors de la scène. C’est particulièrement dur à faire, car à cette étape, comme l’animation des personnages n’est pas encore prête, il ne dispose que de silhouettes simplifiées des protagonistes, en position debout. Il les fait bouger dans les décors à titre indicatif, juste pour avoir une idée de la taille que pourra occuper chaque personnage dans l’image quand il sera animé, afin de choisir le bon cadre tout au long de l’action. Avec ces outils limités et ces silhouettes basiques, Yong Duk a relevé le défi qui consistait à construire toute la séquence bout par bout, en s’adaptant au timing qui était souhaité pour les actions de chacun des personnages. Je peux vous dire qu’il a eu énormément de mérite, car c’est très difficile de visualiser à ce moment-là tout ce que la séquence pourra donner quand les personnages seront animés et les effets ajoutés.

Votre chef opérateur ne disposait-il que de ces silhouettes raides en position debout ? N’avait-il pas d’autres postures en stock pour les personnages, comme des poses de course rapide ?

Si. Vous avez raison de me demander un peu plus de précisions sur ce point. Les personnages préparés pour la mise au point du layout était représentés de manière schématique en 3D, avec des grosses facettes qui ressemblent à celles des héros de jeux vidéo des années 90. Et ils pouvaient bouger grâce à quelques cycles d’animation en boucle comme des mouvements de marche ou de course, mais c’est tout. Il fallait donc que Yong Duk se débrouille avec cela, même quand ces postures ne correspondaient pas du tout à celles dont nous allions avoir besoin plus tard. Mais je dois préciser aussi que pendant cette phase, nous avons recours à une technique complémentaire, celle de la Mocap, car nous disposons d’un plateau de capture de mouvements au sein du campus des studios d’animation Dreamworks. Pour être bien clair, j’insiste sur le fait que ce que nous y faisons n’est jamais utilisé tel quel pour animer les personnages dans les séquences finales du film. Mais cela nous permet de tester rapidement certaines idées car les animateurs ont ainsi le moyen de jouer eux-mêmes les rôles des personnage qu’ils vont devoir animer plus tard « à la main », selon le processus des poses-clés. C’est un moyen génial de se rendre compte en temps réel de ce qui peut marcher ou pas. Et cela nous donne aussi l’occasion, en tant que réalisateurs, de passer une journée entière de réflexion très soutenue avec les animateurs, et de résoudre ainsi, un par un, une multitude de problèmes autour de moments du film que nous ne savons pas encore comment aborder. Par exemple, nous avons utilisé la Mocap pour préparer l’approche de l’animation de la scène où toute la famille se réfugie dans sa grotte. Quand tous les animateurs ont mimé les attitudes des personnages qui s’agglutinent les uns aux autres pour se tenir chaud, quelqu’un s’est écrié « Hé, où est passée Sandy ? », ce qui nous a permis de nous rendre compte que nous avions oublié un personnage dans cette séquence ! Construire un film d’animation, c’est comme un travail d’horloger…Il faut assembler méticuleusement des centaines d’engrenages minuscules, et s’assurer que l’ensemble fonctionne parfaitement à la fin.

Comment décririez-vous la manière dont vous avez utilisé le relief dans le film ? Quel est votre point de vue sur l’emploi le plus judicieux de ce procédé pour susciter un fort impact émotionnel chez les spectateurs ?

Dans ce film, nous avons poussé les effets de relief beaucoup plus loin que d’habitude pour souligner les moments forts de certaines scènes, comme celui où Eep est émerveillée de découvrir une petite braise incandescente portée par le vent qui éclaire le paysage nocturne sur son passage, et la suit pour arriver jusqu’à la torche allumée par Guy. C’est un moment qui devait être magique et nous avons utilisé la 3-D pour donner l’impression que cette braise virevoltait vraiment devant les yeux des spectateurs. Nous avons poussé l’effet de jaillissement à ses limites. Si nous étions allés juste un peu plus loin, le relief n’aurait plus fonctionné. Nous nous appuyons aussi beaucoup sur la 3-D dans la séquence de l’effondrement du canyon, ainsi que dans l’éboulement de terrain à la fin du film. A chaque fois, nous avons poussé ces effets aussi loin que possible pour immerger le public dans ces situations. J’aime le relief, et je considère que c’est un outil formidable à avoir dans son arsenal de réalisateur. Il est beaucoup plus souple à utiliser que je ne l’imaginais quand j’ai commencé à travailler sur DRAGONS. L’enseignement que j’en ai retiré, c’est qu’il est important de varier constamment les effets de jaillissement et de profondeur qui sont à votre disposition, car si vous basez la plupart de vos scènes sur des effets de profondeur, les spectateurs s’y habituent et finissent par ne plus les remarquer. Nous avons donc veillé à rafraîchir le regard du public en jouant avec des effets reliefs très variés.

Avez-vous pu conserver quelques-uns des gags originaux imaginés par John Cleese dans la version finale du script ?

A priori non, car l’histoire avait évolué dans une direction trop différente pour que nous puissions les conserver. Ce n’était plus du tout le même contexte…Mais Kirk serait mieux placé que moi pour vous le confirmer, puisque c’est lui qui a travaillé directement avec John.

Est-ce que les improvisation des comédiens pendant les sessions d’enregistrement ont généré de nouveaux gags ou de nouvelles scènes ?

Non, ils ont plutôt permis de donner une importance toute nouvelle à des moments qui n’avaient pas encore été identifiés comme tels. A l’inverse, l’interprétation des acteurs sert aussi de révélateur des passages moins intéressants du script, ce qui nous amène à leur dire assez souvent, au fil des sessions d’enregistrement « Vous vous souvenez de cette scène que vous avez jouée l’autre jour ? Eh bien nous l’avons coupée, et nous allons essayer autre chose aujourd’hui ! » Couper les parties plus faibles des dialogues, même si vous vous y êtes attaché, est aussi important qu’ajouter des improvisations judicieuses.

Tous les effets visuels du film comme les soulèvements de terrain et les montagnes qui s’effondrent sont très spectaculaires. Les simulations en images de synthèse sont hyperréalistes. Comment avez-vous trouvé le bon équilibre entre la véracité de ces effets et le style graphique humoristique des personnages ?

Cela rejoint ce que je vous disais tout à l’heure : ce réalisme nous a paru indispensable pour souligner les enjeux dramatiques de ces scènes, et la manière dont elles impactaient le destin des personnages. Pour simplifier, je pourrais dire que plus les situations sont inquiétantes et lourdes de conséquences, plus leur traitement est réaliste, et à l’inverse, que ce qui relève des gags et de la comédie est plus épuré.

Vous êtes-vous inspiré de personnes que vous connaissez pour créer le comportement, la gestuelle ou même certaines répliques des personnages du film ?

Bien sûr. Kirk et moi avons abondamment puisé dans nos souvenirs d’enfance avec nos parents, nos frères et nos sœurs.

Avez-vous inclus des éléments autobiographiques dans le film ? Des petits détails ou des moments que vous avez vécus ?

Oui : les souvenirs d’excursions familiales en voiture. On ne pouvait pas considérer cela comme un vrai voyage en famille tant qu’il n’y avait pas eu au moins une crise de larmes de l’un des enfants ! (rires) On trouve l’écho de cela dans la scène où Grug dit aux siens « Allez, on va partir en voyage tous ensemble ! Ce sera super ! Vous verrez que l’on va bien s’amuser ! » et où la scène suivante montre nos héros en plein voyage, déjà fatigués, à bout de nerfs et tous en train de se disputer les uns avec les autres ! (rires) J’ai vécu exactement cela, et Kirk aussi, au cours de ces longs voyages en voiture d’un bout des USA à l’autre !

Quel est votre scène préférée dans le film ?

Le moment où Grug réalise enfin ce que sa fille a voulu lui faire comprendre depuis longtemps, c’est à dire que la vie est une prise de risque constante, et l’accepte. Sa réaction est alors extrêmement surprenante, puisqu’il prend le risque suprême de projeter sa famille dans l’inconnu pour la sauver. Il prend même le risque de ne plus jamais être en mesure de les revoir, ce qui est un sacrifice terrible, mais parfaitement cohérent avec ce qu’il est et a toujours été : un protecteur dévoué. Je trouve que c’est une notion bouleversante.

D’où est venue l’idée de présenter des animaux préhistoriques hybrides complètement délirants ?

Je crois qu’elle faisait déjà partie du traitement original de John Cleese, mais je n’en suis plus très sûr. Quoi qu’il en soit, cela nous a semblé plus amusant et original qu’une énième variation sur le thème des dinosaures ou des mammouths.

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à storyboarder et à réaliser, et pour quelles raisons ?

Comme toujours ce sont les scènes d’émotions. Juste après, il y a les scènes d’action, puis les gags visuels qui doivent être lisibles et compréhensibles en un éclair, et enfin les autres séquences dans lesquelles on fait avancer le récit tout en montrant l’évolution personnelle de chaque personnage.

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