PACIFIC RIM en Blu-Ray 3D : Entretien exclusif avec Guillermo Del Toro
Article Cinéma du Vendredi 22 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Qu’avez-vous du apprendre puis tester vous-même afin d’être en mesure de superviser la conversion de PACIFIC RIM en relief, après le tournage?

Vous savez, quand je me suis lancé dans ce processus, j’avais des réticences, et aussi certaines craintes. Nous avons encore tous en mémoire des exemples de conversions de films 2D en 3-D qui n’étaient pas réussies…Très franchement, j’ai longtemps été convaincu que la conversion n’était pas un bon moyen de procéder et que pour obtenir un bon film en relief, il fallait le tourner directement en relief. Mais depuis quelques temps déjà, j’entendais dire que l’on avait développé de nouveaux procédés plus efficaces pour assister techniquement les artistes qui font toujours l’essentiel de ce travail à la main. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela reste une procédure artisanale, qui prend du temps pour être réalisée avec soin, dans de bonnes conditions. Pendant tout ce processus, on doit constamment prendre des décisions artistiques importantes, car elle déterminent la mise en scène du relief que l’on apporte à l’image…En fait, tout a commencé quand Jim Cameron m’a contacté pour me dire qu’il voulait me rencontrer et parler de AT THE MOUNTAINS OF MADNESS, et en profiter aussi pour m’expliquer ce que l’on pouvait faire avec le relief. Nous sommes donc allés tous les deux visiter les locaux de la société Cameron Pace que Jim a fondé avec Vince Pace. Le rendez-vous a commencé le matin à 9h00 et nous n’en sommes ressortis qu’à 13h00…

Pour nos lecteurs, il faut préciser que Vince Pace est le co-inventeur avec James Cameron de la caméra Fusion 3D créée pour AVATAR, et aussi l’un des chefs opérateurs les plus expérimentés d’Hollywood dans le domaine du relief…

Effectivement. Et quand nous étions là-bas, Jim a pris le temps de m’expliquer le fonctionnement des équipements, les principes de convergence et de focalisation des points de vue des caméras A et B, la manière d’utiliser la profondeur, les pièges à éviter à propos des effets de jaillissement, etc. Ensuite nous sommes allés déjeuner ensemble, pour parler longuement de AT THE MOUNTAINS OF MADNESS… Comme vous le savez sans doute, en fin de compte, le projet n’a pas pu avancer avec Universal, car le studio, après avoir été longtemps intéressé, a fini par hésiter, et n’a pas donné son feu vert, ce qui nous a énormément déçu…Le temps a passé et j’ai appelé Jim quelques mois plus tard, pendant la préparation de PACIFIC RIM, en lui disant que la Warner me demandait d’envisager une conversion du film en 3D. Il m’a dit « Si tu veux te lancer dans une conversion, il faut que tu viennes me voir et je te raconterai comment nous avons procédé pour celle de TITANIC. Je te dirai quelles sont les solutions que nous avons trouvées, testées et qui fonctionnent vraiment très bien. » Nous avons parlé de tout cela pendant près de 2 heures, et Jim m’a expliqué ce qu’il fallait faire et ce qu’il fallait éviter. C’était fantastique ! Je n’aurais pas pu espérer avoir un professeur plus qualifié ni un meilleur mentor dans ce domaine ! Dans le registre de la 3-D, AVATAR reste aujourd’hui encore la meilleure utilisation du relief que l’on ait jamais vue. Jim est le seul réalisateur à avoir conçu aussi subtilement sa mise en scène pour le relief, afin de donner aux spectateurs l’impression qu’ils se trouvent dans les scènes, aux côtés des protagonistes du film…

Pouvez-vous nous donner quelques exemples des conseils que James Cameron vous a donnés pour réussir la conversion de PACIFIC RIM ?

Le premier excellent conseil qu’il m’a donné est « Contrairement à ce que l’on croit, le relief ne fonctionne pas grâce aux choses que l’on fait jaillir de l’écran, mais grâce aux effets de profondeur que l’on crée. » Il faut oublier les gimmicks que tous les cinéphiles comme nous ont en tête, et qui remontent souvent aux films en relief des années 50 et 60 : en vérité, c’est la profondeur qui fait que cela marche ou pas. Les jaillissements sont certes amusants, et peuvent fonctionner brièvement, mais seulement dans un nombre très limité de cas, toujours basés sur la réalité de la perception humaine. Par exemple, cela peut fonctionner si l’on montre des bulles d’air qui vous entourent sous l’eau, comme Ang Lee l’a fait dans L’ODYSSEE DE PI, des flocons de neige qui tombent autour de vous, comme dans HUGO CABRET de Scorcese, car nous avons tous pu expérimenter ce genre de choses. Mais dans la majorité des circonstances de la vie, on perçoit le relief d’abord grâce à la profondeur de l’espace dans lequel on se trouve. Quand on a bien compris cela, on peut mettre en place un relief qui paraîtra naturel aux spectateurs. En revanche, si l’on bascule dans les effets outranciers, on n’est plus dans le réel, et les spectateurs décrochent de l’histoire à cause de ces gimmicks artificiels… Ce qui est difficile mais passionnant, c’est de trouver comment rendre le relief intéressant plan après plan, en renouvelant son utilisation afin que la perception visuelle du film soit toujours excitante… et que les effets soient au service de la narration du récit.

Pour revenir sur le côté naturel des effets relief, vous avez dû vous poser la question de l’accentuation de la 3-D en raison de la taille des Jaegers et des Kaijus, car dans la réalité, on constate qu’au-delà d’une certaine distance, on a énormément de mal à percevoir le relief… Avez-vous joué un peu avec le réalisme de ce type d’effets, dans des scènes ou vos énormes personnages ne devraient théoriquement pas être perçus en relief ?

Eh bien dans ce cas, il n’y a que 2 options possibles : soit vous décidez de tricher un peu et d’ajouter du relief à des objets lointains, au risque de leur donner l’aspect d’objet plus petits, soit vous faites l’impasse sur cela et vous trouvez d’autres moyens plus réalistes de jouer sur le relief, même si nos robots et nos créatures, en raison de leur énorme taille, se trouvent au loin. Dans PACIFIC RIM, j’ai opté pour le réalisme. Il y a donc beaucoup de plans dans lesquels on n’aura pas l’impression que les Kaijus et les Jaegers sont en relief, parce qu’ils mesurent plus de 75 mètres de hauteur, et que pour les cadrer en entier, il faut avoir tellement de recul que l’on ne peut plus les percevoir en 3-D. Du coup, pour accentuer la sensation d’éloignement, nous avons joué avec tout ce qui se trouvait beaucoup plus près de la caméra, comme les avant-plans des immeubles, des enseignes publicitaires, des ponts d’autoroutes, des lampadaires…

Et aussi avec les gouttes de pluie !

Absolument. Les gouttes de pluie sont très pratiques, car comme elles tombent partout, nous pouvions les utiliser dans de nombreuses valeurs de plan, même quand le Jaeger n’était cadré que jusqu’au torse, ou même dans les gros plans de sa tête.

Qu’avez-vous suggéré à Ramin Djawadi au sujet de la musique de PACIFIC RIM ? Comment avez-vous établi les ambiances mélodiques des différentes séquences et les thèmes autour des Jaegers et des Kaijus ?

Choisir le compositeur de la musique du film, c’était pratiquement la même démarche que le choix des acteurs pour tenir les rôles principaux : il fallait que le musicien apporte sa personnalité au projet. J’étais déjà fan du travail que Ramin avait réalisé pour les séries PRISON BREAK et LE TRONE DE FER, et pour IRON MAN. Quand je lui ai téléphoné, je lui ai dit littéralement : « Je veux une musique originale de Ramin Djawadi pour PACIFIC RIM, et c’est pour cette raison que je ne vais pas te dire ce qu’il faut que tu fasses : tu as carte blanche ! » (rires)

C’est la meilleure chose que l’on puisse annoncer d’emblée à un compositeur !

Oui. Je l’ai laissé avancer de son côté, et quand Ramin en est arrivé au milieu de son processus de travail, il nous a fait écouter ses premières approches. Nous avons remarqué une maquette de l’un de ses thèmes qui avait un traitement plus « Rock n’roll » que les autres. Je lui ai simplement dit « Va encore plus loin dans cette direction rock sur ce thème et aussi sur ceux-là », mais c’est tout ce que je lui ai suggéré. La raison pour laquelle je l’ai engagé, c’est pour bénéficier de sa créativité, et surtout pas pour la contraindre. Engager Ramin Djawadi, c’est comme choisir Angelo Badalamenti : ils arrivent tous les deux avec leur propre univers sonore, leur propre sensibilité. La seule chose que j’ai demandée en amont à Ramin, c’était d’éviter la musique militaire et les percussions assez clichés qui l’accompagnent dans beaucoup de films d’action américains. Je lui ai dit que j’aimerais qu’il s’oriente davantage vers des ambiances qui évoquent l’aventure, les aspirations et les émotions humaines, les grands espaces, les exploits, les moments où l’on se surpasse…

Quelles directions, quels thèmes de l’univers de PACIFIC RIM allez-vous explorer dans la suite du film que vous êtes en train d’écrire actuellement avec Travis Beacham ?

Ce qui me plaît particulièrement dans ce second volet, c’est que nous aurons la possibilité de changer complètement la situation, et de montrer des affrontements entre Kaijus, et aussi entre Jaegers ! Il y aura une répartition assez équilibrée entre « bons » et « méchants » Jaegers. Et certains Kaijus se retourneront contre ceux de leur propre espèce. Je crois que ce sera encore plus intéressant.

On vous sent très enthousiaste ! Avez-vous aussi élaboré des idée ou même un début de synopsis pour un 3ème épisode ?

Non, il faut déjà que je finisse le premier film, et que Travis et moi achevions le script du second. On verra par la suite.

Mais si tout marche comme vous le souhaitez, seriez-vous séduit par l’idée d’une trilogie « bouclée » ?

Je n’en sais rien pour l’instant. Mais cette indécision fait partie de mon processus habituel… Je n’aurais pas pu commencer à écrire une seule ligne du second épisode de PACIFIC RIM avant d’avoir tourné et monté le premier. Il y a tant d’idées que nous avions eues pour ce premier volet que nous n’avons pas pu placer dedans que nous en avons profité pour les reprendre dans le second. Ce sera peut-être pareil plus tard, si le second film est validé, tourné et bien accueilli par le public. Nous aurons peut-être des idées et des envies si alléchantes qu’elles nous sembleront justifier la conception d’un 3ème épisode.

Pouvez-vous nous donner les dernières nouvelles de vos projets en cours ou plus lointains : CRIMSON PEAK , AT THE MOUNTAINS OF MADNESS, THE HAUNTED MANSION, JUSTICE LEAGUE DARK ET HELLBOY 3 ?

Nous allons lancer la préparation du tournage de CRIMSON PEAK au mois de septembre et je commencerai à filmer en janvier 2014. Mes acteurs seront Emma Stone, Jessica Chastain, et Charlie Hunnam. Je me réjouis de travailler sur cette histoire de fantômes avec une distribution aussi fantastique... Je m’apprête aussi à réaliser le pilote de la minisérie adaptée de mon roman LA LIGNEE pour la chaîne FX. Je le tournerai en août. Je n’ai malheureusement aucune nouvelle à vous donner aujourd’hui à propos de AT THE MOUNTAINS OF MADNESS…J’espère encore que le film existera un jour. Je n’ai pas renoncé à le réaliser, même si certains éléments communs dans l’histoire de PROMETHEUS m’avaient découragés pendant un moment…Tom Cruise est toujours lié au projet, et je dois dire qu’il l’a merveilleusement soutenu et le soutient encore. C’est un allié loyal et extrêmement précieux. Le projet JUSTICE LEAGUE DARK que je développe est l’occasion pour moi de travailler sur mes personnages favoris de l’univers DC comics : le démon Etrigan créé par le génial Jack Kirby et la Chose des Marais (The Swamp Thing en v.o.), qui a été imaginée par Len Wein et magnifiquement dessinée par Bernie Wrightson…Je jubile déjà en pensant que je vais avoir la chance de les transposer tous les deux sur le grand écran ! C’est John Constantine qui sera le chef de ce groupe de personnages surnaturels… Nous allons présenter les origines des différents membres de l’équipe pendant des moments de l’histoire où ces flashbacks seront justifiés par les péripéties du récit…Cela permettra d’éviter d’avoir à raconter tout cela au début du film. Si La Chose des Marais sera en paix avec elle-même, le personnage de Deadman, lui, sera toujours motivé par la vengeance et le désir de trouver celui qui l’a tué…La magicienne Zatanna qui est apparue dans les aventures de Batman devrait aussi faire partie de l’équipe…Je n’ai rien à annoncer de nouveau au sujet de HELLBOY 3, mais j’ai un projet de film intitulé THE THIN YELLOW LINE que je voudrais produire au Mexique, pour Roberto Navarro, un réalisateur dont ce sera le premier long métrage. Nous avions demandé une aide du ministère de la culture mexicain, mais elle nous a été refusée. Nous présentons donc le projet une seconde fois. Mais il faut s’accrocher et persévérer, car au Mexique, il a toujours été très dur de produire des films. C’est pourtant très important que les cinémas nationaux continuent à exister face aux films américains. Le cinéma français est l’un des exemples dans ce domaine.

Pour conclure, parlons des futures édition DVD et Blu Ray de PACIFIC RIM sur lesquelles vous allez bientôt vous pencher…Allez-vous enregistrer un commentaire ?

J’étais prêt à en enregistrer un, mais le studio ne me l’a pas demandé. C’est pourtant un exercice que j’aime beaucoup, mais les dirigeants du département vidéo de Warner ne pensent pas que ce soit un bon bonus… Cela ne m’a pas empêché de participer au making of. Il y aura aussi de bons documentaires consacrés à la conception artistique des Jaegers et des Kaijus et au développement de la mythologie de PACIFIC RIM. Et certaines scènes coupées seront incluses dans les bonus.

Allez-vous superviser le transfert vidéo vous-même, comme vous le faites d’habitude ?

Oui, et je vais aussi superviser le mixage son de l’édition DVD & Blu Ray.

Pourriez-vous envisager de travailler sur le montage d’une version longue de PACIFIC RIM, qui sortirait plus tard ?

Oui. Nous sommes d’ailleurs en train d’y réfléchir, mais la décision finale n’est pas encore prise.

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