Entretien exclusif avec Phil Brennan, Superviseur VFX de WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL – 1ère partie
Article Cinéma du Lundi 18 Novembre 2013

A l’occasion de la sortie en DVD et Blu-ray de WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL, nous vous proposons cet entretien inédit !

Après avoir débuté en 1995 en tant qu’infographiste travaillant sur Inferno pour la société Asylum, Phil Brennan est devenu superviseur des effets visuels réalisé par le studio à partir de 2005 pour de nombreux films fantastiques comme KING KONG, PIRATES DES CARAÏBES LE SECRET DU COFFRE MAUDIT, DEJA VU, L’ETRANGE HISTOIRE DE BENJAMIN BUTTON, VENDREDI 13, TERMINATOR RENAISSANCE et L’APPRENTI SORCIER. Il intervient désormais en tant que superviseur indépendant, fonction qu’il a exercé sur BLANCHE-NEIGE ET LE CHASSEUR puis sur WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL.


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment James Mangold vous a-t-il décrit l’approche visuelle qu’il souhaitait pour les trucages numériques, notamment dans les scènes de combats ? Avait-il des idées spécifiques des nouvelles choses qu’il voulait faire faire à Wolverine ? Ou de nouvelles manières de les filmer ?

James avait en effet des idées précises sur tous ces points, car cette nouvelle aventure de Wolverine se focalise bien plus que les précédentes sur notre héros et sur les trajectoires individuelles des autres personnages. Même si James voulait que Wolverine accomplisse des exploits à la mesure du superhéros qu’il est, en utilisant sa force considérable et ses griffes qui peuvent trancher n’importe quelle matériau, il nous a demandé d’avoir une certaine retenue dans la manière dont nous allions les représenter. Il n’était pas question de voir Wolverine découper un immeuble en deux ni de faire des choses délirantes. James voulait que ses actions soient ancrées dans la réalité, et restent crédibles. C’est sans doute l’une des principales différences avec les films précédents. Il y a des combats spectaculaires et des séquences d’effets visuels ambitieuses dans cette aventure, mais on mise plus sur l’implication émotionnelle des personnages et les enjeux de ces évènements que sur la démesure visuelle. Nous avons donc opté pour une approche réaliste, avec des images quelquefois « salies » pour traduire l’âpreté des combats.

Comment avez-vous simulé l’explosion nucléaire de Nagasaki dans la séquence de flashback qui ouvre le film ?

Nous avons consulté les quelques rares documents d’époque qui étaient disponibles – les images filmées par l’armée américaine, prises au niveau du sol, ainsi que d’autres prises de vues d’autres explosions nucléaires – puis nous avons préparé une animation 3D de champignon atomique qui est un mélange de simulations de particules et de simulations dynamiques de fluides. Ce trucage a été réalisé par le studio australien Rising Sun Pictures. Bien sûr, il a fallu nous écarter un peu de la réalité physique d’une explosion nucléaire pour nous adapter à la narration de cette séquence. L’onde thermique d’une vraie explosion se déplace à très grande vitesse, plus de 1000 KMH. Nous avons été obligé de la ralentir énormément dans le film, car sinon, nous n’aurions pu la montrer que sur deux images, soit un 12ème de seconde de projection ! En ralentissant certains effets de l’explosion et en en accélérant d’autres, nous avons pu montrer Logan en train de courir, puis être rattrapé et projeté en avant par l’onde de destruction. Il faut toujours faire des compromis de ce genre avec les faits réels pendant la réalisation des trucages d’un film.

Pouvez-vous nous parler des différentes sortes de griffes que Hugh Jackman tient dans ses poings pour tourner les prises de vues réelles, et à quels moment ces « vraies » griffes sont remplacées par des griffes 3D ?

Nous disposons d’une série de paires de « vraies » griffes fabriquées dans différents matériaux, et l’on utilise chacune de ces paires dans des situations spécifiques. Elles sont composées d’une petite poignée que Hugh tient bien serrée dans ses mains fermées, et de 3 lames qui passent entre ses doigts et remontent un peu vers la base des articulations de ses phalanges. On a ainsi l’impression que les lames sortent de ses poings fermés. Les griffes principales qui sont filmées de très près ou dans les plans où Wolverine se prépare à attaquer sont en métal et ce sont les plus réalistes. Il y a une 2ème paire de griffes qui sont faites de plastique et de caoutchouc souple pour les scènes de combat sans interactions directes, et une 3ème paire dont les griffes sont coupées court – elles ne mesurent que quelques centimètres – parce qu’elles sont destinées à être utilisées pendant les combats rapprochés, puis à être complétées en 3D pendant la postproduction. Comme Hugh incarne ici Wolverine pour la 6ème fois, il maîtrise parfaitement l’utilisation de ces différentes paires de griffes. De plus, il est extrêmement doué dans le domaine des cascades. Compte tenu de son expérience, nous laissions Hugh décider du choix des griffes qu’il allait porter, plan après plan, car il sait exactement ce qu’il est en mesure de faire avec, tout en assurant sa sécurité et celle de ses partenaires. Bien sûr, si l’on tourne une grande scène de combat, on ne peut pas utiliser les grandes griffes en métal, car elles seraient trop dangereuses. On peut envisager d’employer alors les griffes en matière souples, mais jamais pendant les actions les plus rapides, car en dépit de leur souplesse, elles pourraient quand même blesser quelqu’un. De ce fait, les parties les plus intenses des batailles sont tournées soit avec les griffes coupées, soit sans griffes. Mais c’est toujours Hugh qui fait ce choix, car personne d’autre que lui ne connaît aussi bien les limites de ses capacités. Il prend ses décisions en sachant quelle « zone de sécurité » il est en mesure d’assurer sans prendre de risque inconsidéré. Quand ses gestes sont rapides et qu’il n’est pas en contact avec son ou ses adversaires, nous pouvons employer les griffes en caoutchouc, car on ne se rend plus compte qu’elles sont moins brillantes et moins réalistes, parce que la vivacité des mouvements les rendent floues. Et dans les plans « mixtes » où les griffes sont d’abord vues en détail puis entrent en action, nous pouvons utiliser les griffes en métal, puis les recréer en 3D pour les greffer sur les mains de Hugh.

Quels points de repères utilisez-vous quand vous ajoutez les griffes 3D complètes sur ses poings ?

Nous collons des repères à la base des articulations de ses phalanges. Nous disposons aussi de scans 3D des mains de Hugh dans différentes positions, ce qui nous permet de faire du tracking et de juxtaposer ces volumes à ceux de ses mains, afin d’être sûrs de placer les griffes 3D dans la bonne position, image par image.

Est-il difficile d’aligner les griffes 3D et les vrais poings de Hugh Jackman dans les plans où ses mouvements sont extrêmement rapides et donc flous ?

En fait, c’est pendant les plans rapides et flous que les petites approximations de positions des griffes sont les plus discrètes. Quelquefois, nous devons même intervenir sur des plans pendant lesquels Hugh portait des griffes complètes, parce que ses mouvements sont si vifs que l’on n’arrive pas à les voir. Du coup, nous ajoutons des griffes 3D un peu plus lumineuses pour que les spectateurs n’aient pas l’impression que les griffes de Wolverine ont subitement disparu. Ce sont les mouvements lents qui sont les plus délicats à gérer pour assurer un bon alignement des griffes 3D.

Nous avons parlé avec François Audouy du design du lit de Yashida, qui est composé de cylindres de métal qui l’aident à bouger, mais comment l’avez-vous animé en 3D ?

Pour ne rien vous cacher, c’est un effet qui s’est révélé être plus compliqué à réaliser que nous ne le pensions. Nous disposions d’un scan 3D du personnage de Yashida, qui nous permettait de caler cette silhouette virtuelle à la place de l’acteur en nous basant sur les prises de vues réelles, afin de gérer les déplacements des tubes de métal reconstitués en 3D. Mais pour vous expliquer les choses dans l’ordre, il faut que je précise que ces scènes ont d’abord été filmées avec un support capable de bouger, qui avait été fabriqué par le département des effets spéciaux de plateau. Ce lit fonctionnel très simple était une structure plate recouverte de tissu vert. Ce tissu allait nous permettre d’effacer aisément le support et de le remplacer par le modèle 3D du lit avec les tubes de métal, dans les scènes où les tubes bougent. Le support était équipé de mécanismes reliés à des contrepoids qui permettaient à Hal Yamanouchi, qui joue Yashida, de « flotter » sur sa surface. Dès qu’il bougeait, grâce aux contrepoids, la surface du lit bougeait avec lui en accompagnant les mouvements de son corps, de ses bras et de sa tête. Ce dispositif nous a permis d’obtenir des mouvements corrects de l’acteur. Ensuite, il a fallu remplacer le support vert par la réplique 3D du lit inerte qui avait été construit par François Audouy et son équipe. En calant le clone 3D de Yashida sur les prises de vues, nous avons pu reconstituer ses mouvements en 3 dimensions, et caler les mouvements des tubes 3D sur ceux de ce corps virtuel. C’est une simulation automatique qui calait les animations des tubes sur celles du corps de Yashida. Mais le résultat ne nous satisfaisait pas, car on sentait que les tubes étaient actionnés par les gestes de l’acteur, alors que dans l’histoire, ils sont sensés pousser la tête et les membres de Yashida, qui est mourant, pour l’aider à bouger malgré son extrême faiblesse. Nous avons donc repris manuellement les animations des tubes de métal pour montrer qu’ils déplacent Yashida, qui n’a plus la force de faire le moindre geste. Cela peut sembler relativement facile à faire, mais en réalité, il y a eu tout un travail très subtil de simulation de contact entre le bout des tubes et le tissu du pyjama de Yashida. Au départ, pendant le tournage, nous nous sommes dits qu’il ne serait pas choquant que Yashida puisse faire certains mouvements par lui-même de temps en temps, par exemple en levant la tête sans que les mécanismes du lit ne l’aident. Mais en fin de compte, quand nous avons revu la scène avec les effets visuels des tubes intégrés, nous avons constaté que cela ne marchait pas, et qu’il fallait que le moindre des mouvements de l’acteur semble être assisté par les déplacements des tubes coulissants. C’est la raison pour laquelle le calage des mouvements et les simulations de contacts ont été beaucoup plus fins et subtils que prévu.

Le combat entre Wolverine et les Yakuzas à bord du train à grande vitesse est très spectaculaire. Comment cette scène a-t-elle été préparée et tournée sur plateau avec le faux train ? Quelles étaient les difficultés liées à la création des paysages urbains qui défilent ? Ce paysage est-il entièrement numérique ?

Avant de nous lancer dans la création des effets de cette séquence, nous avons étudié beaucoup de scènes qui se déroulent dans et sur des trains, afin de noter ce qui fonctionnait ou ce qui ne marchait pas dans ces trucages. Après avoir fait un point sur ce qui nous semblait être la meilleure manière de procéder, nous avons décidé que nous allions nous appuyer essentiellement sur des prises de vues réelles pour représenter le paysage autour du train. Nous avons estimé qu’il serait déraisonnable de récréer toute la ville de Tokyo en images de synthèse pour les besoins de cette séquence. Nous avons fait alors beaucoup de recherches pour savoir quelles prises de vues nous pourrions être autorisés à faire sur place. La première option que nous avons étudiée était de fixer des caméras sur un train à grande vitesse, ou à l’intérieur d’une cabine, mais nous n’avons pas tardé à nous rendre compte que c’était impossible à faire dans de bonnes conditions de sécurité. De plus, aucune des compagnies de chemin de fer du Japon ne voulait nous autoriser à faire ne serait-ce que des tests en ce sens. Pendant que nous faisions des repérages à Tokyo, nous avons remarqué que certaines autoroutes surélevées traversaient la ville de part en part, et passaient entre des groupes d’immeubles exactement comme une voie de chemin de fer surélevée le ferait. Nous avons décidé de monter 8 caméra Red Epic de 5k de résolution sur un support spécial, lui-même solidement fixé sur le toit d’une voiture. Chaque caméra était équipée d’un objectif grand angulaire de 20mm, et les bords des champs de vision des caméras se recouvraient légèrement, afin que nous enregistrions une vue globale à 360° du paysage de Tokyo en train de défiler autour de l’autoroute. Nous avons fait plusieurs fois le parcours sur cette voie surélevée, dans les deux sens, et dans des conditions lumineuses différentes. Les images que nous avons obtenues ainsi nous ont donné un excellent matériel de base à partir duquel nous avons pu entamer notre travail de reconstitution de ce panorama qui défile. L’autre décision importante que nous avions prise d’emblée était de tourner ces fonds d’image avant de filmer la scène du combat en studio, afin de ne pas nous retrouver dans une situation bancale où nous aurions eu à reproduire tant bien que mal un éclairage réalisé en studio sur nos fonds réels tournés en extérieurs. Il était plus logique de procéder en sens inverse, en disposant d’abord des images du paysage réel puis en reproduisant cet éclairage naturel en studio, pendant le tournage avec les acteurs sur fond vert. C’est donc ce que nous avons fait, en imitant les ambiances lumineuses de nos prises de vues à 360° quand nous avons tourné le combat dans et sur le train en plateau, sur fond vert. Cela nous a permis d’obtenir un résultat que je crois beaucoup plus réaliste. A partir de là, il nous restait encore beaucoup d’éléments à créer en 3D pour compléter la séquence. Nous avons commencé par effacer toutes les traces de la vraie autoroute pour la remplacer par une double voie ferrée bordée de pylônes de soutien des câbles électriques, avec d’autres « bullet trains » (surnom des TGV japonais, NDLR) qui passent en sens inverse sur la voie d’à côté. Et quand les vrais paysages de Tokyo étaient un peu trop ternes, nous ajoutions des maisons et des panneaux publicitaires typiquement japonais et des enseignes éclairées au néon. Nous avons aussi prolongé le décor intérieur des compartiments du train, incrusté le paysage dans les fenêtres, et ajouté les reflets des vitres alors qu’il n’y avait pas de vitres. C’est Weta Digital qui s’est chargé de tout cela, et ses équipes ont fait un travail superbe.

Avez-vous créé aussi des clones numériques de Hugh Jackman et des Yakuzas pour la partie de cette scène qui se déroule sur le toit du train ?

Oui, mais nous les avons employés uniquement dans quelques plans au début de la scène, quand ils sortent du compartiment pour se battre sur les flancs du train, puis sur le toit. Ce sont des plans qui sont créés comme s’ils avaient été tournés avec des objectifs grands angulaires, afin de pouvoir montrer toutes les acrobaties des personnages dans l’espace. Et bien sûr, à chaque fois qu’un Yakuza est percuté par une des structures qui passe au ras du toit du train, et qu’il est éjecté, c’est une doublure numérique qui remplace le cascadeur.

Pouvez-vous nous décrire les effets que vous avez créés autour du personnage de Vipère , notamment sa langue de serpent et sa peau de reptile qui mue ?

Quand nous avons entamé la préparation du film, nous avons décidé d’accentuer la nature mutante de Vipère, et nous avons cherché des moyens de lui donner des caractéristiques reptiliennes, afin de montrer quand nous le souhaitions qu’il ne s’agit pas d’une femme comme les autres. Nous avons envisagé différentes manières de faire cela, notamment en utilisant des effets spéciaux de maquillage pour faire apparaître des écailles sur sa peau, mais en fin de compte, il a été décidé de révéler ses caractéristiques progressivement tout au long du film, de manière furtive : a certains moments, on voit que ses yeux sont étranges, à d’autres, on entr’aperçoit sa langue fourchue qui jaillit de sa bouche…Et on en voit de plus en plus au fur et à mesure que le film avance. C’était tellement subtil et progressif que des effets numériques étaient plus appropriés. Ce n’est qu’à la fin du film que l’on découvre que sa peau peut ressembler à celle d’un serpent et se garnir d’écailles pour mieux la protéger des coups pendant un combat. Et quand cette peau protectrice est endommagée, Vipère peut provoquer une mue et s’en débarrasser. Vipère n’a pas les mêmes capacités de régénération que Wolverine, mais elle peut renouveler sa peau après avoir été blessée, et retirer le couche « morte » pour révéler une peau neuve et intacte. Ces effets sont basés sur un tracking extrêmement précis des mouvements de tête et des expressions de Svetlana Kohdchenkova pendant qu’elle jouait : un quadrillage de points de repères avait été collé sur la peau de son visage, et nous avions disposé des caméras vidéo de tracking 3D tout autour d’elle afin de pouvoir réaliser une capture de performance de ses mimiques. Nous nous sommes assurés aussi que le scan 3D de ses traits avait été réalisé en très haute résolution. Tous ces outils nous ont permis d’ajuster très précisément la copie virtuelle de son visage doté d’écailles sur le vrai, en suivant tous ses mouvements, toutes les flexions de ses muscles faciaux, toutes les rides de sa peau, etc. En ce qui concerne le plan où on la voit retirer sa peau morte de son visage, nous lui avons d’abord fait mimer plusieurs fois cette action pour disposer de plusieurs versions de ces gestes. Svetlana s’en est d’ailleurs très bien tirée, car elle a réussi à donner l’impression qu’elle tenait vraiment une peau élastique dans ses doigts, et qu’elle tirait dessus en faisant un effort pour l’arracher. Ensuite, nous avons fait un repérage très minutieux de ses mouvements, puisqu’elle ne portait pas de marqueurs sur la peau pour tourner ce plan-là, et le reste du travail a consisté à faire faire de bonnes simulations de surfaces de peau et de cheveux, car c’est toute la surface de l’épiderme de Vipère qui se détache lors de cette mue régénératrice.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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