Entretien exclusif avec Phil Brennan, Superviseur VFX de WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL – Seconde partie
Article Cinéma du Lundi 25 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quels genres d’effets visuels avez-vous employés pendant la séquence de la bataille entre Wolverine et les ninjas ? Comment avez-vous créé les plans avec les flèches et les cordes fichées dans le dos de Wolverine ?

Pendant la scène de l’attaque, les flèches que l’on voit sont un mélange de « vraies » flèches et de copies 3D. Mais la plupart sont virtuelles. La raison pour laquelle nous avons procédé ainsi, c’est que même si l’on demande à un archer d’élite de tirer une flèche dont la pointe a été moulée en caoutchouc, elle est lancée avec une telle force par l’arc qu’elle peut encore blesser quelqu’un. Du coup, dans tous les plans où l’on voit des archers tirer, ils ne font que mimer le geste de tenir leur flèche, car nous avons inséré des flèches virtuelles dans ces images. Parmi les flèches qui sont « plantées dans le dos » de Hugh Jackman, plusieurs étaient de vraies flèches vissées sur un harnais fabriqué par le département des effets spéciaux, que Hugh portait sous ses vêtements. Comme il y avait de nombreux pas de vis sur la surface du harnais, nous pouvions utiliser un petit cuter pour découper de nouveaux trous dans le dos de sa veste, et visser de nouvelles flèches au fur et à mesure que la scène se déroulait… Mais nous avons ajouté des flèches 3D dans tous ces plans. Nous avons dû effacer aussi de vraies flèches dans certains plans pour résoudre des problèmes de continuité, car pendant le tournage, on revenait un peu en arrière dans le cours du combat en tournant d’autres angles des mêmes actions, et l’on retirait donc certaines flèches, mais pas toujours les bonnes. Les effets numériques ont permis d’assurer de bons raccords, même quand James a dû mélanger certains plans dans un ordre non chronologique, pour obtenir exactement la dynamique de montage qu’il souhaitait. Comme vous le disiez, il y a des cordes attachées aux flèches, mais elles sont toutes réalisées en 3D car il aurait été impossible de gérer autant de vraies cordes sur le plateau.

Avez-vous eu à effacer beaucoup de câbles de soutien des cascadeurs jouant les ninjas ? Et de câbles protégeant Hugh Jackman ?

Oui, car les cascadeurs et les acteurs font beaucoup de choses périlleuses pendant cette séquence : ils se trouvent sur des endroits élevés, ils courent sur les toits, glissent sur de la fausse glace, etc. Pour toutes ces raisons, ils devaient tous être reliés à des câbles pour leur éviter de se blesser au cas où ils déraperaient et chuteraient.

Avez-vous greffé des extensions 3D sur le décor du village ?

Oui. Même si le beau décor construit par François était grand, il ne pouvait pas avoir la taille d’un vrai village. Il a été monté en extérieurs, sur un parking qui se trouve juste à côté du stade olympique de Sydney. Cela nous a d’ailleurs bien aidé pour l’éclairage de ces scènes, car nous avons placé des projecteurs très puissants sur des grues, sans être limités par les murs ou le toit d’un plateau. Mais pour revenir aux effets numériques, nous avons ajouté les perspectives d’autres toitures et d’autres maisons dans tous les plans larges de la scène, ainsi que toutes les flèches prolongées par des cordes qui viennent se planter dans le dos de Wolverine.

Disposiez-vous d’une version « réelle » de l’exosquelette/armure du Samouraï d’Argent pendant le tournage ? Comment ce combat a-t-il été chorégraphié, tourné, et comment l’exosquelette a-t-il été animé et ajouté dans l’image ?

Oui, l’équipe de François avait effectivement construit une effigie à taille réelle de l’armure du Samouraï d’Argent, et on la voit d’ailleurs au début de cette séquence du laboratoire de la tour Yashida. Cette armure était inerte – ce n’était pas un accessoire animatronique – mais comme elle était articulée, on pouvait lui faire adopter des poses. Elle a donc été triplement utile, à la fois en tant qu’accessoire qui a servi directement au tournage du début de la scène, en tant que référence en volume pour créer le modèle 3D du personnage, et aussi en tant que référence de la manière dont les éclairages du décor jouaient sur sa surface chromée. L’autre avantage d’avoir construit cette version réelle de l’armure, c’est que François et son équipe ont dû concevoir un design qui fonctionne vraiment au niveau mécanique, et qui permette aux articulations des bras et des jambes de bouger sans que des pièces se heurtent les unes aux autre ou n’entravent les gestes du personnage. Du coup, nous n’avons pas été confrontés à de gros problèmes d’intersections de pièces, comme ceux qui se posent souvent quand on transpose un dessin 2D fixe en personnage 3D qui bouge. La plupart de ces problèmes avaient déjà été résolus en amont par François, et nous n’avons plus eu à faire que des petits ajustements avant d’arriver à la version définitive du modèle 3D de l’exosquelette.

Et comment le combat a-t-il été chorégraphié ?

Nous avons créé une prévisualisation 3D extrêmement détaillée de la scène, car elle se déroule pendant la dernière partie du film, au moment où toutes les trajectoires des personnages se rejoignent dans la trame de l’histoire, juste avant l’épilogue. La convergence de ces destinées et la résolution de toutes ces situations au sein de la même séquence est un exercice narratif très complexe, et la prévisualisation a servi à la fois à caler le déroulement du combat entre Wolverine et le Samouraï d’Argent, et à aider James Mangold à mettre au point la manière dont il allait conclure toutes les intrigues de l’histoire. David Leitch, qui était le superviseur des cascades et le réalisateur de seconde équipe, a eu recours à une doublure pour représenter les mouvements de l’exosquelette du Samouraï d’Argent. Il s’agissait d’un cascadeur de grande taille qui portait des échasses pour être aussi haut que l’armure. Il a aidé Hugh à répéter les gestes du combat puis à jouer la scène. Ainsi, Hugh avait toujours quelqu’un en face de lui. La plupart des plans ont été tournés de cette manière, puis nous avons effacé le cascadeur pour le remplacer par l’exosquelette 3D. Mais nous avons aussi tourné des plans sans le cascadeur, et Hugh mimait alors les gestes du combat en étant seul, en les reproduisant avec une précision impressionnante. Quand nous comparions les scènes avec et sans la doublure du Samouraï d’Argent en les regardant les unes après les autres sur les moniteurs du plateau, les gestes des performances de Hugh étaient quasiment identiques, à quelques centimètres près.

Pensez-vous que c’est la formation de danseur de Hugh Jackman qui lui permet de mémoriser et de reproduire avec une telle précision ces chorégraphies de combat ?

J’en suis persuadé, oui.

Cette armure étant chromée, vous devez avoir simulé dessus les reflets des décors environnants. Comment avez-vous réalisé cet effet ?

Nous avons pris des centaines de photographies haute résolution à 360° de chaque partie des décors, afin de pouvoir les combiner et reconstituer ainsi tout l’environnement et tous les éclairages à l’intérieur d’une sphère 3D. Nous avons également pris des photos en gros plan des textures de chaque élément, des accessoires, etc. C’est Weta Digital qui s’est chargé de toutes les animations du Samouraï d’Argent, et leurs infographistes ont utilisé nos éléments pour reconstituer les reflets des décors et des éclairages sur l’armure chromée du personnage.

Pouvez-vous parler des extensions de décors que vous avez créées pour le film ? Avez-vous par exemple ajouté des tours et des immeubles de Tokyo autour des jardins chinois filmés à Sydney ? Avez-vous créé aussi des environnements entièrement virtuels ?

Nous sommes intervenus de différentes manières sur de nombreuses extensions de décors et paysages virtuels. Pour reprendre la chronologie du récit, je dois préciser que même si nous avons tourné certaines séquences au Japon, la plus grande partie du film a été réalisée à Sydney, et nous avons dû transformer certaines rues de la ville pour leur donner l’aspect d’artères de Tokyo. Nous avons profité du tournage à Tokyo pour filmer beaucoup d’images d’arrière-plan avec une caméra Red Epic : des perspectives d’immeubles, des rues, des vues panoramiques, etc. Cette banque de prises de vues nous a permis de disposer d’un grand nombre de fonds d’image, conçus sous forme de « tuiles ». Dans notre jargon, créer des « tuiles » consiste à fabriquer différents niveaux de profondeur de décors à partir de prises de vues 2D, comme si nous découpions plusieurs séries de photos plates, et que nous les disposions les unes derrière les autres pour créer un panorama en semi-relief. Après avoir traité ainsi les images filmées à Tokyo, nous les avons greffées dans les plans tournés à Sydney. Nous avons d’abord effacé les tours et les immeubles australiens pour les remplacer par leurs équivalents japonais. Et dans le cas précis des jardins chinois de Darling Harbour à Sydney, nous avons conçu aussi des « prothèses de décors » que nous avons ajoutés image par image sur certains grands éléments typiques de l’architecture chinoise pour leur donner une allure japonaise. Nous poursuivions ainsi dans le virtuel le travail qui avait été réalisé sur place par François et ses équipes pour métamorphoser ces jardins. Nous avons aussi réutilisé la plateforme avec les caméras Red Epic pour tourner des plans de Tokyo à 360° en nous déplaçant en voiture dans toute la ville, de jour et de nuit. Ces images nous ont permis ensuite de tourner à Sydney sur fond vert les scènes qui se passent à l’intérieur des voitures, puis de réinjecter des paysages urbains de Tokyo en les faisant défiler à l’arrière plan, et ce, quel que soit l’angle souhaité, puisque nous disposions de la totalité des perspectives. Nous avons aussi réalisé des prises de vues à 360° des paysages de la campagne japonaise, des villages et des forêts pour d’autres séquences. Partout où nous nous rendions, nous emmagasinions le plus d’images possible pour être certains d’avoir largement assez d’arrière-plans du Japon en stock. Pour revenir au village où se déroule l’attaque des ninjas, en plus des extensions de décors, nous avons aussi ajouté des paysages naturels et des montagnes à l’horizon.

Avez-vous augmenté les perspectives du décor du laboratoire de la tour Yashida ?

Oui. Nous sommes partis du superbe décor que François avait construit, qui permettait de disposer de tous les environnements qui se trouvent juste à côté des acteurs. Dans le film, cette tour creuse est sensée être constituée d’une vingtaine d’étages, alors que le décor érigé en studio n’en comportait que deux. Donc tout ce qui se trouve au-delà du niveau où se déroule l’action a dû être réalisé avec des fonds verts et des extensions de décors. Comme François et ses équipes redécoraient à chaque fois les structure du niveau sur lequel nous tournions pour donner l’impression qu’il s’agissait d’un étage différent, il fallait que nous nous adaptions aux évolutions verticales de Wolverine et du Samouraï d’Argent pendant le combat en ajoutant des étages virtuels au-dessus et en dessous d’eux. En fin de compte, comme nous sommes beaucoup intervenus sur les éclairages de chacun des niveaux, nous avons fini par reconstituer en 3D pratiquement tout le décor du puits central de la tour pendant cette séquence.

Quels sont les plans d’effets visuels non prévus qui ont été ajoutés au film après le tournage ? Et pour quelles raisons ?

Il y en a eu très peu, et ils ont servi uniquement à renforcer certains moment, comme le combat entre Wolverine et Harada qui se déroule dans le temple. Nous nous sommes servis des fonds d’images du temple dont nous disposions pour tourner quelques plans supplémentaire de Harada sur fond vert, où on le voit tirer des flèches. Et pour ajouter un peu plus de mouvements dans le plan, nous avons filmé sur fond vert des figurants faisant semblant d’être effrayés et s’enfuyant pour éviter d’être blessés pendant cet affrontement. Les plans supplémentaires étaient tous de cette nature.

Combien de personnes ont-elles travaillé sur les effets visuels du film, et pendant combien de temps ?

Nous avons travaillé avec 7 studios de différents pays pendant 6 mois : il y avait Weta Digital en Nouvelle-Zélande, Rising Sun Pictures à Adelaide, Iloura à Melbourne et Method à Sydney en Australie, Shade VFX à Santa-Monica et la division californienne de Method aux USA, ainsi que UPP qui se trouve à Prague, en République Tchèque. Je pense qu’il devait y avoir probablement 400 personnes qui travaillaient simultanément dans tous ces studios pour produire les 1100 plans d’effets visuels du film.

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.