WOLVERINE : LE COMBAT DE L’IMMORTEL en Blu-ray : Entretien exclusif avec le réalisateur James Mangold – 1ère partie
Article Cinéma du Vendredi 29 Novembre 2013

Griffes d’adamantium contre sabres de ninjas
Eternel vagabond, Wolverine trouve l’amour et affronte mille dangers au Japon dans une seconde aventure en solo très réussie.


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Après le demi-succès bancal que fut X-MEN ORIGINS : WOLVERINE, qui s’éparpillait dans trop d’évènements anecdotiques au lieu de raconter en détail comment Logan fut capturé et soumis à d’innommables tortures pour être doté de son squelette d’adamantium, cette nouvelle aventure en solo du plus populaire des X-Men était fermement attendue par les fans du personnage. Ce second chapitre de la saga de Wolverine, excellent divertissement, a réussi à faire oublier l’occasion manquée de 2009, à prouver que Hugh Jackman n’a rien perdu de son charisme dans le rôle qui a fait de lui une star, et à adapter efficacement l’une des plus célèbres aventures de Wolverine dans les comics. Sobrement intitulé Wolverine, le récit écrit par Chris Claremont et dessiné par Frank Miller en 1982 confrontait Logan à la culture, aux traditions et aux codes millénaires du Japon. Grand fan de cet album, Hugh Jackman poussait depuis longtemps la Fox à l’adapter : « Cette histoire qui se déroule au Japon a de nombreuses facettes. J’aime l’idée que Logan, qui est un personnage anarchiste, rebelle, hors du système, se retrouve dans ce monde où l’honneur, les traditions et les coutumes sont omniprésents. Alors qu’il est l’opposé de tout cela, Wolverine doit trouver le moyen de se frayer son chemin. Le thème du samouraï et toutes les traditions qui s’y rattachent sont traitées de manière formidable. Dans cette BD, Wolverine se fait malmener par des samouraïs qui ne sont même pas des mutants. » Grâce aux pouvoirs que lui confèrent non pas ses fausses griffes, mais son vrai statut de vedette du boxoffice et de producteur, Jackman a eu gain de cause. Mais il restait encore à trouver le réalisateur capable de porter le projet à l’écran…Pendant 6 mois, cette tâche a été confiée à Darren Aronofsky (BLACK SWAN, THE WRESTLER ). Aronofsky a réécrit le script original de Christopher McQuarrie, mais le studio n’a pu que constater que l’intensité de la violence et l’érotisme de plusieurs scènes allait inévitablement entraîner une classification « Restricted » (réservé aux adultes). Or, investir 100 millions de dollars dans une aventure de Wolverine (200 si l’on compte le coût de la promotion) n’incite pas vraiment à se couper du public des adolescents, qui participe amplement au succès des films de superhéros… Ne parvenant pas à trouver un compromis avec le studio, Aronofsky a donc quitté discrètement le projet. C’est finalement James Mangold qui a été choisi pour reprendre le projet en main, en lui imprimant sa propre « griffe ». A l’exception d’un léger faux pas – la comédie romantique KATE & LEOPOLD (2001) dans lequel l’excellent Hugh Jackman est un homme de 1870 qui se retrouve dans le New York actuel et tombe amoureux de l’agaçante Meg Ryan – le parcours cinématographique de James Mangold est remarquable. Le réalisateur passe d’un genre à l’autre avec un égal bonheur, faisant à chaque fois la démonstration de ses dons de narrateur, de metteur en scène et de directeur d’acteurs. Il s’est fait remarquer dès 1997 en présentant dans COPLAND la rébellion d’un shérif jugé inoffensif – incarné par un Sylvester Stallone qui grossit de 20 kilos pour ce rôle - contre la corruption qui gangrène une petite ville du New Jersey. Il a décrit ensuite l’épouvantable internement en hôpital psychiatrique d’une jeune fille (Wynona Ryder) dans UNE VIE VOLEE (1999), a joué avec les règles du thriller d’épouvante et avec les nerfs des spectateurs dans l’excellent IDENTITY (2003), a signé un superbe hommage à la carrière du grand chanteur de country music Johnny Cash, incarné par Joaquin Phoenix, dans WALK THE LINE (2005), signé un brillant remake du western 3H10 POUR YUMA (2007) en opposant Christian Bale à Russell Crowe, et projetté le couple Tom Cruise / Cameron Diaz dans des péripéties d’espionnage aussi invraisemblables qu’amusantes dans NIGHT AND DAY (2010). Veillant toujours à la qualité du script, à la beauté des images et à la sincérité du jeu de ses comédiens, James Mangold s’est avéré être le choix idéal pour nous entraîner dans un fascinant voyage au pays du soleil levant en compagnie d’un Wolverine au sommet de sa forme. Après ce succès critique et public, il a accepté d’écrire et de réaliser la prochaine aventure de Logan, qui sera elle aussi inspirée d’un des meilleurs comics de la longue saga du plus populaire des X-Men.

L’une des caractéristiques de votre travail est la manière dont vous développez et approfondissez les personnages de vos films tout au long du récit, y compris pendant les scènes d’action. On a pu le constater notamment dans 3:10 TO YUMA, IDENTITY, et tout récemment dans KNIGHT & DAY. Etait-ce aussi votre premier objectif quand vous avez accepté de réaliser WOLVERINE : LE COMBAT DE L’IMMORTEL, vous focaliser sur les émotions de Logan et sur ses relations avec les autres personnages ?

Oui, absolument. Plus qu’un objectif particulier pour WOLVERINE, c’est ce que je tente de faire dans tous mes films. Je trouve aussi que c’est la manière la plus stimulante de m’emparer d’un projet et de garder mon enthousiasme tout au long de sa réalisation. J’avoue que je me suis posé des questions avant d’accepter de réaliser un film qui allait faire partie des 4 ou 5 grands divertissements présentés au public pendant l’été, car dans le domaine des films de superhéros, il me semble que la tendance est à la surenchère de scènes d’action et d’effets visuels… Et quand on dépasse un certain point dans cette course en avant, elle devient aussi dérisoire et inutile que les surenchères d’armement militaires dans le monde réel. Chaque film qui sort essaie de prouver qu’il peut présenter des séquences encore plus spectaculaires, d’une ampleur qui surpasse celles des films concurrents. Mais on en arrive ainsi à un point où les sens du spectateur sont tellement saturés de bruits, d’explosions, de destructions…que cela le fait « décrocher » de l’histoire. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était sa particularité, et la volonté clairement affichée du studio de présenter un film de superhéros qui soit différent des autres. On m’a même expliqué qu’il n’avait pas à s’insérer directement dans la franchise X-MEN, et pouvait exister en tant qu’aventure indépendante. Hugh et moi nous connaissons très bien, et nous savons que nous pouvons nous pousser mutuellement à nous dépasser, en ayant une très grande exigence artistique. Le fait que l’histoire se déroule au Japon m’a permis d’utiliser cet environnement comme un nouveau prisme, et de mettre en place un mode narratif très différent de ce que l’on avait vu auparavant dans la saga X-MEN. J’étais également très attiré par le mystère qui se trouve au cœur du film. Ici, on ne parle pas d’un extraterrestre ou d’un adversaire qui est un terrien diabolique et qui projette de dominer le monde en provoquant des millions de morts…Ce sont les sentiments de Wolverine et des autres protagonistes qui constituent le moteur du film, et non pas la lutte contre un ennemi à détruire. L’affrontement avec un méchant surpuissant est devenu le cliché récurrent des films de superhéros. Même si cela a été très bien traité dans certains d’entre eux, il me semble que l’on en arrive à un point où l’on a fait le tour de ces scènes dans lesquelles le méchant multiplie les réparties cyniques, sourire aux lèvres, tout en tuant des millions d’innocents… Je crois donc que la seule manière de faire quelque chose de vraiment neuf dans le cadre de ce nouveau genre cinématographique, c’est d’y réintroduire de l’humanité et de l’authenticité.

Vous avez dirigé Hugh Jackman dans KATE ET LEOPOLD il y a 12 ans. Est-ce lui qui a eu l’idée de vous proposer de réaliser ce film après le départ de Darren Aronofsky ? Aviez-vous le projet de retravailler ensemble depuis quelques années déjà ?

Oui, nous voulions retravailler ensemble, mais je ne peux pas vous dire si l’idée de faire appel à moi vient de lui. Il faudrait le lui demander ! Quoi qu’il en soit, c’est bien Hugh qui m’a appelé pour me parler du projet. Comme je vous le disais, j’hésitais beaucoup au début, mais tout a changé quand j’ai lu la bande dessinée originale. J’ai aimé cette histoire et elle m’a tout de suite inspiré. J’ai pensé aux scènes qu’elle me permettrait de concevoir pour le film, et à la manière d’aborder certains thèmes qui me passionnent depuis toujours, comme celui d’un dieu en proie au doute… D’un immortel qui n’a pas choisi ce destin, et qui est prêt à y renoncer par lassitude… Je trouve ce sujet de la vie éternelle fascinant, car il permet de traiter de nombreux thèmes émouvants. C’est ce que j’avais aimé dans le film de Wim Wenders LES AILES DU DESIR, consacré à cet ange qui tombe amoureux, et dans la formidable nouvelle d’Isaac Asimov intitulée L’HOMME BICENTENAIRE (Portée à l’écran par Chris Columbus en 2000, NDLR) qui nous présente un robot immortel, qui possède une âme. Il tombe amoureux d’une femme qu’il connaît depuis l’enfance, et décide de faire modifier son cerveau et ses mécanismes pour ne pas lui survivre éternellement… La lecture de ce récit vous pousse à réfléchir à ce que serait l’existence d’un être immortel : un cycle perpétuel de pertes d’êtres chers ! Devenir immortel, ce serait à la fois une bénédiction et la pire des malédictions. Et cela incite à se rappeler que la mort a une raison d’être dans la nature. La question qui est posée dans ce film est « L’immortalité serait-elle aussi insupportable à vivre qu’une peine de prison à perpétuité ? » Je trouve cela extrêmement intéressant, particulièrement dans le cadre d’une histoire de superhéros. Mon point de vue sur l’univers des surhommes tels que Superman, Batman, Spider-Man, les X-Men et Wolverine, est que ces récits sont en quelque sorte les équivalents des histoires que l’on trouve dans la Bible. Je crois que si le grand public les apprécie autant et souhaite que ces histoires soient racontées intelligemment, ce n’est pas simplement dû à leur popularité et à leur capacité de divertir, mais parce que ces récits de BD répondent à un besoin très profond : celui de réfléchir au sens que l’on doit donner à sa vie. On y trouve des thèmes sociaux, moraux et des exemples qui ont un vrai sens, un vrai impact sur la vie des lecteurs, particulièrement quand ceux-ci sont enfants ou adolescents. Et il me semble que dans certaines adaptations de comics de superhéros, on retire de manière quasi chirurgicale presque tout ce qui constitue la signification profonde de ces histoires. Tout ce qui reste, ce ne sont que des démonstrations de superpouvoirs et des scènes d’action, ce qui rend le spectacle un peu vain. C’est vraiment dommage, car quand on prend le temps de les examiner attentivement, ces histoires de superhéros abordent presque toutes des problèmes moraux, et le sentiment d’être isolé, rejeté, différent qu’éprouvent tant de jeunes, pour des raisons diverses… Pour un mutant comme Wolverine comme pour certains adolescents, se pose la question de savoir si l’on a envie de protéger et de soutenir une société qui ne veut même pas de vous. Ces thèmes sont passionnants. Ils évoquent ce que nous avons tous éprouvé un jour ou l’autre en grandissant, ainsi que la manière dont nous avons construit notre personnalité d’adulte.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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