THOR : LE MONDE DES TÉNÈBRES : Entretien exclusif avec le réalisateur Alan Taylor – 4ème partie
Article Cinéma du Lundi 23 Decembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous travaillé avec Chris Hemsworth sur l’évolution du personnage de Thor ?

Chris a fait des suggestions importantes sur le contenu du script, et je les ai trouvées excellentes. Il tenait à ce que l’on n’oublie pas comment le personnage s’était comporté au cours de sa première aventure, et souhaitait aussi que l’on montre comment les évènements décrits dans THOR et dans AVENGERS l’avaient affecté et changé. Il voulait que l’on sente que Thor continuait à mûrir et à apprendre, et n’était pas seulement un guerrier armé d’un marteau magique. Ses demandes ont été prises en compte, et Thor, dans ce nouveau volet, est plus sophistiqué et plus ouvert qu’avant. Bien sûr, il ne fallait pas non plus aller trop loin, car une partie du charme de Thor provient de son caractère impulsif, qui est souvent le moteur des scènes d’action. Mais l’un des thèmes majeurs du MONDE DES TENEBRES est justement les bouleversements qui se produisent quand on grandit, et que l’on acquiert de lourdes responsabilités d’adulte alors que la vie autour de vous devient plus dure, plus sombre, et plus complexe.

Comment avez-vous géré le relief pendant le tournage ?

Eh bien, on nous avait d’abord déclaré que le film serait exploité en 2D et que ce serait très bien comme ça, mais une fois que le tournage a commencé, il a été décidé qu’il y aurait aussi une version en relief, réalisée avec le processus de conversion, en postproduction. Je me suis dit alors que je ferais probablement mieux de changer ma manière de filmer pour tenir compte de cette conversion à venir, mais on m’a affirmé "Non, non, continue de tourner comme tu le fais, on se débrouillera ensuite, et ce sera très bien !" (rires). Ce travail de conversion a été confié à une société avec laquelle Marvel a déjà collaboré auparavant, et qui avait effectué un excellent travail.

Face aux fans

L’équipe décisionnaire de Marvel exerce-t-elle davantage son influence sur la postproduction que pendant le tournage du film ?


Oui. Mais c’est logique en ce sens où l’équipe de Marvel sait ce qu’elle fait et l’a prouvé en collectionnant les succès. Ils doivent s’assurer de faire plaisir à leur public qu’ils connaissent très bien. C’est la raison pour laquelle ils sont revenus sur ce que je faisais en postproduction pour mieux l’adapter à ce qu’ils font habituellement. Et je dois avouer que c’est à ce moment-là qu’il m’a fallu accepter certaines modifications qui m’ont fait grincer des dents. Notamment en ce qui concerne la musique.

Comment avez-vous géré la musique dans le film ? Dans les aventures épiques, il n’est pas toujours facile de trouver un équilibre dans le mixage afin que la musique et les bruitages ne nuisent pas à la bonne compréhension des dialogues…

C’est effectivement très délicat. Quand on pense aux grandes bandes originales de films fantastiques, les thèmes de STAR WARS et de SUPERMAN, LE FILM reviennent immédiatement à l’esprit comme de parfaits exemples de musiques auxquelles on s’attachait presque autant qu’aux personnages. Et je considère que c’est justement le point faible des productions Marvel jusqu’à présent, car quand on sort de la projection d’un des films de la trilogie IRON MAN, par exemple, on ne siffle pas le thème musical de ce personnage, car on ne l’a ni identifié, ni mémorisé… Et c’est pareil pour tous les autres super-héros des productions Marvel : on ne connaît pas les thèmes musicaux qui pourraient annoncer leur arrivée avant même qu’ils apparaissent à l’image, et c’est fort dommage. Je m’étais donc fixé l’objectif de remédier à cela en ce qui concerne Thor dans LE MONDE DES TENEBRES, mais pendant la production de ce film, il y a eu un moment pénible concernant la musique, car le compositeur que j’avais initialement choisi, Carter Burwell, et qui avait commencé à travailler, n’a pas convenu à Marvel, et ils ont décidé d’en prendre un autre. Ce qui a causé cela n’est pas une divergence d’opinions artistiques sur la qualité et le style de la musique. Les difficultés ont surgi parce que Marvel ne fonctionne pas de la manière traditionnelle, c’est-à-dire en remettant le film achevé au compositeur pour qu’il en ait une vision d’ensemble, et puisse ainsi commencer à écrire la musique de chaque scène. Dans la méthode de production du studio, le film est constamment retravaillé, les scènes changent, le montage aussi, et l’atmosphère d’une séquence peut changer en fonction des dernières modifications apportées. Il faut donc que le compositeur puisse s’adapter à ce processus, en réagissant au fur et à mesure, et en acceptant de produire sans cesse de nouvelles propositions musicales. Pour un musicien, ce n’est pas du tout évident de fonctionner ainsi et c’est ce qui a été à l’origine du départ de Carter Burwell, avec lequel je voulais collaborer. J’aime ses musiques depuis toujours, et il a fait des choses formidables notamment avec les frères Cohen sur FARGO, THE BIG LEBOWSKI et tant d’autres films…Mais cela étant dit, Brian Tyler qui l’a remplacé a fait un excellent travail, et je peux déclarer officiellement que je suis très content du thème musical qu’il a imaginé pour LE MONDE DES TENEBRES, et que la bande originale du film est formidable !

Craignez-vous la réaction des fans quand ils découvriront votre film ?

Bien sûr ! Je suis même terrifié ! Tout comme je l’ai été quand mes épisodes du TRONE DE FER ont été diffusés. Je suis bien conscient du sort qui attend un réalisateur quand les fans détestent son travail et le font savoir. Mais avec l’expérience, j’ai pris un peu de recul et j’ai pu constater qu’il est impossible de faire l’unanimité. Même si vous avez mis tout votre cœur dans un projet qui plaît à 99% des spectateurs, il y aura toujours des gens qui penseront que vous êtes complètement idiot et grossièrement incompétent ! Je m’attends à ce qu’une partie des fans trouve Asgard un peu trop sale et médiévale. Sachant que l’on ne peut pas plaire à tout le monde, il faut s’en remettre à son instinct et à ses propres goûts… La relation entre un studio comme Marvel et ce public de fans passionnés est très intense. Ce sont des rapports d’amour inconditionnel et de haine farouche qui cohabitent tout le temps. Tout est électrique, volatile... Les fans ont des opinions sur tout. Marvel ne peut pas se laisser dicter par eux ce qu’il faut faire, et pourtant, le studio a besoin de leur soutien pour que la médiatisation des films se passe de la meilleure manière possible, et que l’exploitation en salles lui permette de rentrer dans ses investissements et de faire des bénéfices. Mais si les fans détestent un film, ils créent un feedback négatif qui est répercuté partout. Cela touche alors les spectateurs qui ne l’ont pas encore vu, et cela peut les dissuader d’aller le voir. Bref, les fans peuvent également tuer un film ! Et l’on se retrouve alors avec un HOWARD… UNE NOUVELLE RACE DE HEROS (1) sur les bras ! (rires).

(1) : Alan Taylor fait ici référence au film Howard the Duck, tiré d’une bande dessinée humoristique de Marvel, dont le héros est un canard extraterrestre doué de la parole et obsédé sexuel qui débarque sur terre pour y mener des aventures teintées de SF. Ces comics destinés aux lecteurs adultes avaient été adaptés au cinéma en prises de vues réelles par le réalisateur Willard Huyck en 1986. Un acteur nain portant une tête animatronique laide et peu convaincante tenait tant bien que mal le rôle du canard ! Produit par George Lucas, ce film aussi insolite que bancal devint le pire flop de sa carrière, rapportant seulement 16 millions de dollars alors qu’il en avait coûté 35.

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