LE HOBBIT, LA DESOLATION DE SMAUG : Entretien avec Lee Pace (Thranduil, le roi des Elfes)
Article Cinéma du Lundi 06 Janvier 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les amateurs de fantastique se souviennent de vos formidables performances dans le film de Tarsem LA CHUTE (THE FALL) et dans la série culte PUSHING DAISIES…Qu’aimez le plus quand vous jouez dans le registre du fantastique, comme vous le faites à nouveau dans LE HOBBIT ?

Je ne sais pas si vous le savez, mais Tarsem avait réalisé toute la postproduction de LA CHUTE dans votre pays, à Paris…Concernant le Fantastique, j’ai toujours aimé ce genre qui laisse carte blanche à l’imagination. Cela fait maintenant trois années que je participe au tournage et à la postproduction du HOBBIT , et je dois dire que cela a été une expérience unique, vraiment extraordinaire. Peter Jackson est l’un des réalisateurs les plus enthousiasmants que j’aie rencontré. Il sait vous donner de l’inspiration et vous inciter à vous surpasser. C’est un artiste extrêmement talentueux , audacieux, qui progresse sans cesse et prend des risques. Et il sait comment il faut raconter une histoire pour réussir à captiver des gens de tous les âges et de toutes les cultures dans le monde entier. Je crois que l’on ne se rend pas toujours compte de l’accomplissement extraordinaire que cela représente… En ce qui me concerne, j’ai pris beaucoup de plaisir à incarner Thranduil, car c’est un être qui a de nombreuses facettes, et une grande intelligence. C’est un elfe à la personnalité très complexe…Il a une nature sombre, triste…et il est très très très vieux ! (rires) J’ai beaucoup appris en jouant Thranduil, qui est d’ailleurs le tout premier personnage d’elfe écrit par Tolkien.

Peter Jackson a déclaré que votre performance dans LA CHUTE était gravée dans sa mémoire. Il a même dit que grâce à ce film, vous aviez toujours été son premier choix et son seul choix pour incarner Thranduil…Est-ce que cela signifie que vous n’avez pas eu à passer une audition pour obtenir le rôle ?

Non, non. Même si tout cela est extrêmement flatteur, et très gentil de la part de Peter, j’ai quand même dû passer une audition à New York. Nous avons lu quelques scènes et parlé du personnage, notamment avec Philippa Boyens qui connaît absolument tout de l’œuvre de Tolkien. Je lui ai expliqué quels étaient les détails spécifiques que je connaissais sur ce personnage. Mais ce qu’il me manquait à ce moment-là, c’était une vision d’ensemble de Thranduil et de ses motivations. Et cela, Philippa a pu me le décrire. On sait que dans le roman original, il ne quitte jamais son royaume de la Terre du Milieu pour aller vers l’Ouest, vers la contrée elfique de Valinor. Il préfère rester là où il est et continuer à profiter de son immortalité dans son gigantesque palais - forteresse.

Pouvez-vous parler des motivations de Thranduil et de ses objectifs pour son peuple et pour lui-même ?

Je dois dire qu’en travaillant ce rôle, j’en suis arrivé à être d’accord avec les opinions de Thranduil, à plusieurs titres. Si vous vous souvenez du prologue du premier épisode, il y a une scène où l’on me voit avec le grand-père de Thorin, et où nous échangeons un regard alors que Smaug vient d’attaquer Erebor, et que les nains auraient besoin de l’aide des elfes pour se défendre contre cet énorme dragon. Cependant Thranduil passe son chemin avec ses soldats, sans intervenir. Pour moi, ce que ce regard signifie, c’est « Vous les nains, vous avez joué avec le feu. Vous avez amassé un trésor colossal, une richesse phénoménale, et vous avez attiré les ennuis jusqu’à vous en vous comportant avec une telle cupidité. Et maintenant, ce qui vous arrive est votre problème, pas le nôtre. Vous avez attiré le dragon et vous allez tous être rôtis. Je vis depuis tant de siècles que je sais pertinemment que je ne peux strictement rien faire pour vous tirer de là… Je vous avais prévenu que tout cela allait arriver. Mais vous ne m’avez pas écouté, parce que vous pensiez être plus malins que moi. » Dans cette scène-là et dans d’autres, on comprend à quel point les elfes sont totalement différents des autres peuples de la Terre du Milieu. De par leur immortalité, ce sont les sentinelles de l’histoire, les archivistes du passé. Ils se moquent des petits aléas de la vie, des peuples qui amassent des fortunes puis perdent tout par appât du gain, de ceux qui se plaignent de ce qu’ils ont ou n’ont pas… Ce qui les intéresse, ce sont des notions intemporelles. Les elfes sont des forces de la nature, comme de très vieux arbres qui ont vu passer tant de vies, tant de guerres, et qui sont toujours là. Ils ont la sérénité d’un lion qui domine tous les animaux de la savane. Thranduil agit comme cela, en laissant toujours une certaine distance entre lui et les autres peuples. C’est ce qui explique pourquoi il n’intervient pas quand Smaug attaque Erebor. Et bien sûr, quand il voit ces treize nains passer sur ses terre, parce qu’ils ont le projet de réveiller et d’attaquer ce redoutable dragon, il ne peut pas les laisser faire : il doit absolument les arrêter ! Il est logique qu’il leur dise « Maintenant, ça suffit ! Vous avez fait assez de bêtises comme cela ! »

Veut-il protéger son peuple des dégâts que le réveil du dragon pourrait provoquer ?

Oui, je pense que c’est une des raisons pour lesquelles il agit ainsi. Même si les elfes sont immortels, ils peuvent périr s’ils sont blessés gravement. Leurs longues vies sont extrêmement précieuses, et Thranduil n’imagine pas de les mettre en péril à la légère. En tous cas certainement pas pour donner à un futur roi ce qu’il désire… C’est ce que je trouve intéressant à propos de ce personnage. Sa sagesse lui dicte un comportement très logique. Et pourtant, Thranduil est aussi un guerrier dont le courage, la force et l’intelligence sont légendaires en Terre du Milieu. Il a survécu à la bataille des grandes alliances, où son père a été tué. Les faits de guerre de sa famille sont nombreux et glorieux, et remontent jusqu’à l’aube des temps. C’est un roi elfe dont l’aura et toute la vie sont légendaires. Il a compris comment les choses se passent et comment il faut agir depuis une éternité, et il compte bien laisser un héritage irréprochable à ses successeurs. Il est sûr de sa force, et aussi des moments où il ne doit pas l’utiliser. Et je trouve que cette façon de se restreindre en n’écoutant que sa sagesse est fascinante.

Que vous ont dit Fran Walsh, Philippa Boyens et Peter Jackson sur le roi des Elfes pour vous guider dans votre interprétation ?

L’un des plaisirs que nous avions en tournant ce film, c’était la possibilité de continuer à parler de ces personnages avec l’équipe pendant le dîner. Cela nous permettait d’en apprendre plus sur la vision de Tolkien, sur des parties des vies des protagonistes qui ne sont pas abordées dans LE HOBBIT, mais qui permettent de mieux comprendre ces personnages. Philippa Boyens connaît les moindres détails de ces histoires, et elle peut répondre à toutes les questions que vous vous posez. Discuter avec Peter permet aussi de savoir ce qu’il a envie de raconter à propos de votre personnage, et cela vous aide à l’interpréter en allant dans son sens et en faisant passer les sentiments et les informations qui l’intéressent. Ces échanges m’ont permis de savoir quelles étaient les expressions, les postures et la démarche qui conviendraient le mieux à Thranduil. Sa manière de hausser les sourcils aussi. On sait ainsi ce que Peter a en tête quand il narre cette histoire.

Avez-vous été inspiré par de vrais politiciens, leaders et rois quand vous avez commencé à travailler la manière de jouer Thranduil ?

Oui, je l’ai été. Ainsi que par d’autres elfes issus des grands récits fantastiques, comme Oberon dans LE SONGE D’UNE NUIT D’ETE ou le Roi-pêcheur gardien du graal. Mais je ne perdais pas de vue que Thranduil n’agit pas comme un roi humain. Il est très différent de nous, comme le sont ces esprits des bois décrits dans le folklore norvégien, qui sont des êtres facétieux qui n’hésitent pas à jouer des tours aux hommes. Quand j’étais en Nouvelle-Zélande, je suis parti faire une randonnée pendant trois jours autour d’un superbe lac. Le seul appareil photo dont je disposais était mon iPhone. La première nuit, j’ai cherché mon portable pour prendre des photos, et je n’ai pu le trouver nulle part, même après voir fouillé toutes mes affaire de fond en comble : ni dans mon sac à dos, ni dans ma tente. Le lendemain matin, en repliant toutes mes affaires, j’ai cherché à nouveau, sans résultat. Même chose le jour suivant et le jour d’après. La troisième nuit, je me suis réveillé brutalement, parce que je l’ai senti un objet dur dans mon dos. C’était mon IPhone, qui avait dû rester coincé dans les replis de mon sac de couchage pendant tout ce temps-là. Et j’ai eu l’impression que les elfes m’avaient joué un bon tour parce que je me promenais dans une très vieille forêt, avec des arbres plusieurs fois centenaires, aux formes magnifiques. C’était comme s’ils avaient voulu me dire « Nous habitons là, et nous n’aimons pas vous voir venir avec vos machines modernes, pour en prendre des images. Nous allons donc vous la confisquer, pour vous obliger à mieux regarder avec vos propres yeux, et à garder cela dans votre propre mémoire. » C’est cela, la malice dont Thranduil peut faire preuve !

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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