Exclusif ESI : Reportage sur le tournage de GODZILLA – 2ème partie - Entretien avec le chef décorateur Owen Paterson
Article Cinéma du Lundi 10 Mars 2014



Après notre conversation avec le sympathique Ernie Malick, celui-ci s’éclipse quelques instants pour aller nous chercher un autre interlocuteur, Owen Paterson, le chef décorateur australien dont on pu voir le travail impressionnant dans la trilogie MATRIX, PLANETE ROUGE et V POUR VENDETTA…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



C’est étonnant de voir comment vous êtes parvenu à reconstituer des lieux situés à Tokyo et à San Francisco dans ce quartier de New Westminster…

La topologie de cette ville nous aide beaucoup, avec ses rues qui dévalent les collines. L’angle d’inclinaison n’est pas aussi extrême qu’à San Francisco, mais il est suffisant pour être crédible. Il y a deux jours, nous avons remodelé une grande partie d’une rue de ce quartier pour tourner une scène au cours de laquelle un autobus est touché par des débris de béton, prend feu et percute la façade d’un magasin Starbucks. Cela se passe pendant que Godzilla affronte une créature ennemie, et que les soldats entourent le périmètre.

Vous avez dû reconstituer aussi des décors d’époques différentes… Oui, car l’histoire se déroule en 1954, en 1999 au moment de la catastrophe qui est le point de départ du film, et finalement en 2014. Pour un décorateur, c’est fantastique de pouvoir travailler sur autant d’époques et de pays différents. Bryan Cranston, qui est vraiment un acteur extraordinaire, joue deux versions de Joe Brody dans le film : on le découvre d’abord plus jeune, en 1999, au moment où se produit la catastrophe pendant laquelle son épouse va disparaître. Quand on le retrouve en 2014, on sent le poids des années qui se sont écoulées, du chagrin qui ne s’est jamais estompé et des regrets…Brody change beaucoup entre les deux époques et Bryan joue cela à la perfection.

Quelle est la taille de Godzilla dans ce film ? Cela doit avoir une grande importance dans la conception de vos décors…

Oh, il est immense. Je crois que précédemment, dans les films japonais produits par la Toho il mesurait généralement une cinquantaine de mètres, même si sa taille a varié selon les époques. Dans notre film, il culmine à 121 mètres. Godzilla affronte aussi deux autres monstres de belle taille. Mais l’approche du projet qu’a choisi Gareth est très intéressante. Il emprunte beaucoup de choses au film original de 1954, notamment tout ce qui concerne la genèse de Godzilla, mais il a imaginé aussi des interactions tout à fait passionnantes entre les agissements de la créature et les protagonistes humains de cette histoire. On suit la manière dont ces évènements dramatiques ont impactés les personnages. La famille de notre héros a été endeuillée et séparée à la suite de cette catastrophe. Son fils est devenu soldat et sa fille vit dans une autre partie du monde. Mais ce qui se déroule dans notre histoire- l’apparition de Godzilla et des autres monstres - va leur permettre de se réunir et de se reconstruire.

Godzilla est-il conscient de la présence des humains dans les paysages qu’il dévaste en les traversant ?

Non, pas vraiment. Il réagit comme un animal qui sent la présence d’autres grands monstres menaçants, mais ne prête aucune attention aux minuscules humains, bien trop petits pour attirer son attention. Quand il se trouve dans une ville, les gens qui fuient devant lui sont comme des fourmis : il les voit, mais ne s’en préoccupe pas. Et pendant que Godzilla et ses ennemis s’affrontent, nous suivons les tentatives des militaires pour assurer l’évacuation et la sécurité des civils, et les efforts désespérés de nos héros pour survivre et pour comprendre ce qui se passe.

Comment représentez-vous les destructions provoquées par des créatures qui mesurent plus de 100 mètres de haut ? Heureusement pour nous, nous disposons aujourd’hui d’effets visuels numériques qui n’existaient pas à l’époque de la saga japonaise de Godzilla. Nos créatures sont représentées de manière très réaliste, et Gareth a choisi de les filmer presque à la manière d’un documentaire, avec des images « prises sur le vif ». Les apparitions des monstres sont traitées de manière naturelle, sans effets stylisés de mise en scène, comme si nous étions les témoins d’évènements totalement imprévus. En ce qui concerne les décors dévastés que nous construisons, il s’agit principalement d’avant-plans et de premier plan, mais tout ce qui se trouve derrière ou plus en hauteur est réalisé en images de synthèse. Nous n’utilisons pas d’effets animatroniques dans ce film. Dans la grande majorité de cas, il n’y a pas d’interaction directe entre les acteurs et Godzilla, mais les humains subissent les conséquences du passage de la créature : les immeubles qui s’écroulent, les blocs de béton qui tombent, le sol qui se fendille, etc. Comme on peut l’imaginer, les gens essaient d’éviter de se trouver sur son chemin !

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez réussi à transformer un bout de la banlieue de Vancouver en quartier de Tokyo mis en quarantaine ?

En étant aidé par une merveilleuse équipe ! (rires) Elisabeth Wilcox s’occupe de l’accessoirisation des décors et Grant Van Der Slagt est mon directeur artistique. Comme pour la plupart des projets dont nous nous occupons, nous avons commencé par amasser des milliers d’images et de documents de référence. Cette rue qui longe les voies ferrées s’appelle Front Street et ce qui m’a plu, ce sont ces passages piétons surélevés, sur deux étages, et ces grands alignements de piliers. J’ai visité deux fois Tokyo, et ce qui est frappant dans cette ville, c’est sa densité, et les multiples niveaux de circulation des piétons, disposés en étages, avec des ponts, des escaliers et des escalators. J’aime beaucoup les différences qui existent entre les approches stylistiques occidentales et asiatiques, et je m’en suis inspiré pour créer ce décor. C’était un exercice particulier, bien sûr, puisqu’il fallait d’abord concevoir un environnement japonais tel qu’il était sensé être à l’origine, quand il était habité et que tout fonctionnait, puis le faire vieillir de quinze ans pour montrer les conséquences de ce long abandon. Le résultat que vous voyez est un mélange intéressant de structures réelles de Vancouver, d’habillage de décors de style japonais, de patines, d’effets de vieillissement, et de plantes artificielles. On a vraiment l’impression de se retrouver ailleurs quand on déambule ici. J’aime beaucoup les décors urbains envahis par les mauvaises herbes, les buissons, les plantes et les arbustes.On se demande comment la végétation arrive à s’insinuer dans ces structures inhospitalières et trouve les moyens d’y prospérer. J’avais été frappé par ce genre d’environnements quand j’avais fait des repérages pour un autre film à Détroit. Au centre de cette ville se trouvent des buildings qui sont abandonnés depuis des années. Et cela crée des paysages complètement surréalistes. On se promène dans une rue qui semble tout à fait normale, et soudain, on découvre un grand arbre qui pousse à l’intérieur d’un immeuble ! La nature reprend ses droits, et c’est l’un des éléments importants de l’histoire que Gareth voulait raconter. Si nous lui jouons trop de mauvais tours, la nature va se réveiller et nous punir à sa manière…

La suite de notre reportage exclusif sur le tournage de GODZILLA paraîtra bientôt sur ESI !

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