Entretien exclusif avec Anthony et Joe Russo, les réalisateurs de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER
Article Cinéma du Mercredi 02 Avril 2014

La mission de tous les dangers

Captain America doit déjouer un complot qui menace l’existence même du S.H.I.E.L.D. alors qu’un ennemi surgi de son lointain passé vient de blesser grièvement Nick Fury…

Les studios Marvel changent une fois encore de registre pour ce troisième rendez-vous avec le super-soldat drapé dans la bannière étoilée. Après CAPTAIN AMERICA LE PREMIER AVENGER, film de guerre rétro-futuriste situé au début des années 40, et l’aventure à grand spectacle d’AVENGERS, c’est à présent à un thriller d’espionnage que nous allons assister. Il a été mis en scène par le tandem des frères Anthony et Joe Russo, dont le sens du timing et l’humour chargé de références à la culture populaire a rencontré un vif succès à la télévision et au cinéma. Aujourd’hui, ces grands fans de comics abordent enfin le genre auquel ils rêvaient d’accéder, celui du cinéma des superhéros.



Entretien avec ANTHONY & JOE RUSSO

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous êtes connus pour des séries humoristiques telles que COMMUNITY et au cinéma, la comédie TOI, MOI ET DUPREE a été l’un de vos grands succès. Aviez-vous envie de passer à d’autres genres cinématographiques depuis longtemps ? Et réaliser un film de superhéros figurait-il tout en haut de la liste de vos projets ?

Joe Russo : Nous pouvons répondre « oh oui, absolument » à ces deux questions ! En 1997, nous avons réalisé un premier film intitulé PIECES, dont l’intrigue tournait autour d’une carte de crédit. C’est grâce à lui que nous avons été découverts par Steven Soderbergh pendant un festival cinématographique. Il s’agissait d’un thriller violent, intense, avec quelques touches d’humour sarcastique. Disons que l’atmosphère étrange et teintée d’humour noir se rapprochait de celle des films des frères Cohen, pour lesquels nous avons énormément d’admiration. Sur la base de ce premier long métrage, Steven Soderbergh nous avait proposé de produire notre projet suivant, une grande saga qui se déroulait à Cleveland, la ville où nous sommes nés et avons grandi, du début des années 70 aux années 80. C’était ce que nous comptions tourner juste après PIECES, et si ce film avait vu le jour, notre carrière aurait sans doute pris un tour complètement différent, orienté vers l’action et le suspense. Mais voilà, nous avions vu trop grand, et comme nous n’avions tourné qu’un tout petit film indépendant auparavant, nous n’avons pas réussi à convaincre un studio de nous confier un gros budget pour faire aboutir cette fresque qui s’étalait sur deux décennies. Du coup, nous avons investi nos efforts sur notre autre projet en réserve, BIENVENUE A COLLINWOOD , une transposition américaine de la fameuse comédie italienne LE PIGEON réalisée en 1958 par Mario Monicelli. Comme BIENVENUE A COLLINWOOD a été bien accueilli par la critique, cela nous a entraîné ensuite à travailler dans le registre comique pour la télévision sur la série ARRESTED DEVELOPMENT (En VF LES NOUVEAUX PAUVRES), puis sur d’autres projets qui nous ont occupés pendant longtemps.

Anthony Russo : Je voudrais juste préciser que PIECES n’a jamais été distribué en salles. Nous l’avions produit nous-mêmes avec très peu de moyens, et comme nous ne savions pas du tout comment les choses fonctionnaient dans ce métier à cette époque-là, nous avons utilisé beaucoup de chansons dont nous n’avions pas acheté les droits, parce qu’ils auraient coûté beaucoup trop cher. Comme tout le montage du film était calé sur cette ambiance sonore, il n’était pas question de remplacer ces chansons par d’autres. Du coup, le film n’a pas pu sortir en DVD non plus. Si nous le diffusons un jour, ce sera gratuitement, via YouTube !

Joe Russo : Nous sommes donc restés dans le domaine de la comédie pendant longtemps, et je dois dire que cela a été une expérience formidable. C’est merveilleux de partir le matin en sachant que l’on va passer la plus grande partie de la journée à travailler en riant avec les autres auteurs et les acteurs ! Mais pendant toutes ces années, nous avions envie de passer à autre chose et d’aborder d’autres registres. Nous aimons tout particulièrement les thrillers et les films d’action des années 70, et nous mourrions d’envie de nous lancer dans des projets de ce genre. Parallèlement à cela, je collectionne les comics depuis l’âge de dix ans, et je dois dire que l’opportunité de réaliser l’adaptation d’une BD de Marvel est un rêve devenu réalité pour Anthony et moi. Cela nous replonge dans notre enfance, qui est une période très importante pour tout le monde. C’est à ce moment-là que vous formez dans votre esprit un kaléidoscope d’images qui vont devenir des icônes marquantes, et qui vont vous influencer profondément pendant tout le reste de votre vie.

Connaissiez-vous bien les BDs de Captain America et l’histoire du SOLDAT DE L’HIVER écrite par Ed Brubaker avant de faire partie des réalisateurs envisagés par Marvel pour diriger ce film ?

Joe Russo : Oui, car Captain America faisait justement partie des magazines de BD que je collectionnais et dont je ne ratais aucun numéro. Je me souviens même que l’un des premiers numéros que j’avais acheté vers 1980 pour débuter ma collection était une aventure où Captain America faisait équipe avec le Faucon. Quand nous avons découvert la présence du Faucon dans le script du film, c’était comme un incroyable clin d’œil du destin ! Ayant commencé à lire régulièrement les comics à partir des années 80, j’ai vu apparaître les maisons d’édition indépendantes, et les traitements plus adultes des histoires de superhéros, qui déconstruisaient ces mythes modernes. C’est à cette époque-là que Frank Miller a écrit et dessiné sa série THE DARK KNIGHT, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la BD. Il est le premier à avoir transposé ces justiciers en les ancrant dans la réalité contemporaine, et en décapant leur vernis superficiel et leur optimisme qui datait de la période de l’âge d’or, c’est à dire des années 30 à 40. On pourrait dire de l’histoire du SOLDAT DE L’HIVER écrite par Ed Brubaker, qu’elle est le DARK KNIGHT de la saga de Captain America. Ce récit chamboule tout dans la vie et le fonctionnement habituel de ce héros. Et c’est l’une des Bds que nous préférons, Anthony et moi. Je vais me répéter, mais nous retrouver dans la position d’adapter cette histoire au cinéma est vraiment un rêve de gosse exaucé.

Comment avez-vous convaincu Kevin Feige et l’équipe de Marvel de vous confier la réalisation du film ? Quelle a été votre approche personnelle du projet, l’angle que vous avez mis en avant ?

Joe Russo : Je crois que c’est notre passion pour ce sujet qui nous a donné un avantage. Et le fait que nous soyons de vrais fans de comics, qui savent exactement de quoi ils parlent. La culture populaire qui nous inspire est aussi la source d’inspiration de Kevin. Si vous avez vu quelques épisodes de COMMUNITY, vous avez pu voir que nous y faisons constamment référence, en explorant des genres différents au fil de la série. Kevin est justement devenu fan de COMMUNITY pour cette raison. Je crois qu’il a particulièrement aimé les épisodes qui étaient consacrés au Paintball, et qui reprenaient les codes des westerns de Sergio Leone, notamment dans ET POUR QUELQUES PAINTBALLS DE PLUS (rires) Il a aimé la manière dont nous avions mis en scène les affrontements au pistolet, nous a dit que nous devrions songer à réaliser des films d’action, et nous a demandé si nous étions intéressés par la suite de CAPTAIN AMERICA. Nous avons aussitôt sauté sur l’occasion pour lui dire que nous étions TRES intéressés ! Ensuite, nous nous sommes « fait la cour » pendant très longtemps, car plusieurs autres réalisateurs étaient envisagés pour diriger le film. Nous avons produit des storyboards et proposé des idées pour le script, et au bout de ce processus d’audition, il me semble que c’est notre passion qui a fini par faire pencher la balance en notre faveur.

Combien de temps cette audition a-t-elle duré ?

Anthony Russo : Plusieurs mois. Elle a pris la forme d’une série de rendez-vous au cours desquels nous avons été de plus en plus précis dans la présentation de notre vision du film et dans ce que nous préconisions de faire. Ce processus nous a été très utile, à Joe et moi, car après avoir longuement réfléchi sur chacun des points de l’intrigue, sur les rapports entre les personnages, et les options de mise en scène de toutes les séquences, nous avions déjà une vision claire et précise du film quand nous avons été choisis pour le réaliser. L’un de nos objectifs était qu’à la fin de cet épisode, Captain America se soit totalement accoutumé au 21ème siècle. Autant nous avons apprécié la manière talentueuse dont Joe Johnston a raconté les origines du personnage dans le premier volet, autant il fallait montrer que Steve Rogers avait désormais vécu et combattu assez longtemps dans l’époque présente, notamment au cours des évènements décrits dans AVENGERS, pour s’y adapter et en voir les bons aspects. Steve a envie de devenir le plus grand soldat d’aujourd’hui et non pas de rester le plus grand soldat de la seconde guerre mondiale. C’est l’un des aspects de notre vision du film qui nous tenait le plus à cœur.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.