Entretien exclusif avec Anthony et Joe Russo, les réalisateurs de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER - 2ème partie
Article Cinéma du Jeudi 03 Avril 2014



Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

L’humour a toujours été un élément clé de l’univers Marvel. A-t-il été difficile d’injecter des touches de comédie dans le contexte plutôt sombre de ce thriller qui tourne autour d’une conspiration ?

Anthony Russo : C’est une question importante, car le ton de l’histoire est plus sérieux qu’à l’habitude. LE SOLDAT DE L’HIVER est un thriller politique, et la règle du genre veut que les personnages principaux se retrouvent dans des situations très dangereuses, qui font frissonner. Les enjeux et les risques sont plus importants, et il est effectivement très délicat d’intégrer des situations comiques dans un tel contexte. Il faut gérer cela avec beaucoup de précaution. Je crois que nous avons réussi à injecter les petites touches d’humour appropriées, mais elles n’ont rien de comparable avec celles des précédents films des Studios Marvel comme AVENGERS ou IRON MAN.

Vous avez misé sur l’humour de situation, comme dans la scène où l’on voit la Veuve Noire demander à Cap où il en est dans sa recherche d’une petite amie, juste avant qu’il ne saute de l’avion où il se trouve pour plonger dans l’océan et s’infiltrer à bord d’un cargo ennemi. Et quand son ultime adversaire surgit pour lui tirer dans le dos, il est abattu par la Veuve Noire qui arrive en parachute sur le cargo et poursuit la conversation comme si de rien n’était en disant « Et l’infirmière qui habite en face de ton appartement ? Elle est mignonne. » C’est drôle, tout en restant cohérent avec les personnages et le contexte de la scène : on n’a pas l’impression d’une réplique comique plaquée là de manière artificielle…

Joe Russo : Merci ! En effet, nous avons essayé de faire surgir des moments amusants au cours d’interactions naturelles entre les personnages, plutôt que de recourir à la méthode classique qui consiste à faire commenter les évènements du film de manière sarcastique par les protagonistes. Dans le cas de ce film, cela ne pouvait pas fonctionner, car ce qui se passe est plutôt dramatique et a des conséquences graves, qui peuvent le devenir encore plus. Donc autant les personnages peuvent plaisanter entre eux, autant ils doivent traiter les évènements autour d’eux avec le plus grand sérieux.

Anthony Russo : Si vous avez pu voir certaines des choses que nous avons faites dans le domaine de la comédie, vous aurez pu constater que leurs ressorts comiques s’appuient toujours sur les personnages. Nous avons gardé la même méthode sur ce film, en jouant sur des rapports spontanés entre les protagonistes, plutôt que de créer de toutes pièces des évènements qui puissent avoir une tournure comique.

Quelles sont les idées que vous avez ajoutées, changées ou supprimées dans le script au moment où vous avez pris vos fonctions de réalisateurs ?

Joe Russo : Oui. S’il y a des capacités que l’on acquiert en travaillant dans le domaine de la comédie, ce sont celles de l’improvisation et de l’élimination de tout ce qui est inutile dans une réplique ou un scénario. En fait, quant on passe du script au tournage, on ne sait jamais exactement ce qui va se passer avant que l’acteur dise son texte, qu’il interagisse avec les autres comédiens et avec les accessoires dans le décor, et qu’il soit filmé sous un certain angle suggéré par le directeur de la photographie. C’est à ce moment précis que l’alchimie se crée ou pas. Et si ça ne fonctionne pas, il faut rester souple et savoir s’adapter à ce qui se passe pour trouver le moyen de résoudre les problèmes que l’on constate. De même, quand nous avons lu le script, nous avons détecté des passages où il nous a semblé qu’il fallait procéder à des ajustements, et d’autres qui marchaient parfaitement bien tels quels et que nous n’avons pas modifiés. C’est la gestion du ton global du film qui a nécessité le plus de retouches, notamment quand nous avons injecté de l’humour dans ce contexte plus sombre que dans les précédentes productions Marvel. Il a fallu tester des choses pendant le tournage et expérimenter constamment pour voir ce qui pouvait s’intégrer et ce qui ne s’harmonisait pas avec le reste.

Cela veut-il dire que vous avez tourné beaucoup de versions différentes des mêmes scènes ?

Joe Russo : Oui, car nous voulons être sûr de disposer d’assez de variantes pour nous adapter ensuite au ton final du film. Bien souvent, cela joue sur des nuances assez fines.

Anthony Russo : Je voudrais préciser que si nous avons été tellement enthousiasmés par le projet dès le départ, c’est parce que le script original était très bien écrit dès le départ. L’équipe de Marvel avait déjà fait un superbe travail de développement avant que nous arrivions.

Nous avons vu deux longs extraits du film : la scène où Captain America s’infiltre à bord du cargo, et assomme les uns après les autres tous les mercenaires qui s’y trouve, et la séquence du combat dans l’ascenseur où il est entouré par dix hommes qui se préparent à l’éliminer. Ces combats sont très dynamiques et restent crédibles tout en montrant la force surhumaine de Captain America. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez approché le tournage de ces scènes et comment vous avez réussi à donner un tel punch aux plans où Chris Evans entre en action et utilise son bouclier ?

Joe Russo : Nous avons préparé cela de la même manière que les gags de nos comédies : avec un souci obsessionnel du moindre détail. En tant que fans de comics et de films d’action, nous sommes obsédés par les grandes séquences de combats du cinéma. L’une de celles qui nous a le plus frappé est la scène du hold up de la banque dans HEAT, de Michael Mann. Je me souviens qu’Anthony et moi étions tétanisés quand nous l’avons découverte sur le grand écran. Elle nous a énormément inspiré, tout comme les mises en scène de Brian De Palma et son art de créer une tension qui ne retombe pas. Nous nous étions jurés de travailler très dur jusqu’à obtenir des scènes d’affrontements fantastiques qui rendent hommage à ces influences, tout en employant des techniques de combat modernes. C’est un point important pour nous, car si Captain America utilise des méthodes contemporaines pour se battre, comme le Krav Maga, cela signifie qu’il s’est entraîné tout seul depuis les évènements décrits dans AVENGERS, et qu’il a acquis les connaissances des soldats et des commandos actuels. Il est « à jour » et sait utiliser désormais tous les équipements modernes dont il peut avoir besoin. Chris Evans a beaucoup aimé cette idée, et il s’est entraîné très durement pour maîtriser ces techniques de combat. C’était capital que le public se rende compte que c’est bien Chris qui se bat quand il le voit à l’écran, car cela donne énormément de crédibilité au film. Son entraînement intensif a donné des résultats qui ont dépassé nos espérances, car Chris a exécuté lui-même la grande majorité des cascades et des combats que vous verrez. Cela en dit long sur son dévouement, son sérieux et son implication dans le film. D’autre part, Anthony et moi avons voulu nous démarquer d’une tendance actuelle qui consiste à faire bouger la caméra rapidement pendant les scènes d’action. Comme ce qui se passe devient alors flou et indistinct, on se contente de suggérer ce qui se passe plutôt que de le montrer vraiment. Nous estimons que c’est une solution de facilité, et ce n’est donc pas l’approche que nous avons choisi pour ce film : nous avons voulu que la caméra puisse capter chaque coup de poing et chaque geste des combats, car ce sont des éléments essentiels de la narration de ces scènes. Il faut que le spectateur puisse comprendre pourquoi Captain America choisi de frapper cet adversaire de cette manière, et à ce moment précis, car tout est réfléchi dans sa manière d’agir. Quand Cap passe à l’attaque, il a dix coups d’avance sur ses ennemis, et sa tactique est planifiée avec précision jusqu’à la fin de sa mission. L’injection de sérum qui a transformé Steve Rogers en surhomme a accru sa rapidité d’esprit tout autant que de sa force physique. Et c’est cette incroyable vivacité que nous voulons mettre en avant et montrer clairement dans ces combats. On peut suivre chacun des gestes qu’il fait pour mettre K.O. les dix hommes qui l’entourent dans l’ascenseur. Idem pour sa manière de lancer son bouclier en calculant ses ricochets pour assommer les gardes sur le pont du cargo. La caméra le suit et montre lisiblement tout ce qu’il fait, sans ajouter des effets de tremblement ni bouger vite pour accentuer ce qui se passe. Nos équipes chargées des cascades et des prises de vues ont énormément travaillé pour aller dans ce sens.

C’est formidable que vous avez fait ce choix, car de nombreux spectateurs sont exaspérés par les scènes de combats illisibles de blockbusters récents.

Anthony Russo : Merci. Nous avons le même sentiment quand nous allons voir des films en salles. Si on n’est plus capable de suivre l’action, on renonce à comprendre ce qui se passe et on décroche complètement du film, ce qui est désastreux.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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