Entretien exclusif avec Anthony et Joe Russo, les réalisateurs de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER – 3ème partie
Article Cinéma du Lundi 14 Avril 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Qu’avez-vous trouvé le plus intéressant dans la trajectoire narrative de l’histoire du SOLDAT DE L’HIVER ? Comment avez-vous travaillé avec Sebastian Stan sur les vestiges de la personnalité de James Barnes qui se trouvent encore dans son esprit, malgré son amnésie et le lavage de cerveau qu’il a subi ?

Anthony Russo : On pourrait dire que la qualité d’un héros se mesure à celle de son ennemi juré. Meilleur est le méchant, meilleur est le héros ! Je crois que l’on ne pouvait pas trouver un adversaire plus intéressant à opposer à Cap que le Soldat de l’Hiver, et ce pour deux raisons. Premièrement, il a été « créé » de la même manière et presque dans les mêmes circonstances que Captain America, ce qui lui permet d’être son égal et de disposer d’une force équivalente. Deuxièmement, « Bucky » est son ancien meilleur ami, ce qui place Captain America dans la position déstabilisante de le voir transformé en ennemi qu’il doit combattre. On n’est pas très loin de la relation entre Luke Skywalker et Dark Vador dans STAR WARS. Cap se retrouve confronté à un conflit psychologique dévastateur. Et c’est formidable de pouvoir placer un personnage fondamentalement bon, honnête, sûr de ses convictions et très fort physiquement comme Captain America dans un tel contexte, car du coup, il n’est plus invincible. Il est atteint au cœur, et cela crée des ressorts narratifs et dramatiques passionnants à utiliser. Pour ces raisons, le Soldat de l’Hiver est l’ennemi idéal à placer en face de notre héros, car il a la capacité de le faire vaciller et de le blesser émotionnellement. Captain America est mis à l’épreuve très violemment, et doit subir des coups durs d’un bout à l’autre au cours de cette aventure … Concernant le travail avec Sebastian, nous avons parlé avec lui des vestiges de la personnalité de Bucky Barnes qui restent tout au fond de l’esprit du Soldat de l’Hiver, mais Sebastian a fait tout ce travail de recherche et de préparation de son côté, avant le tournage. Il a entrepris une démarche très personnelle pour trouver les moyens de connecter les deux facettes du personnage dans son interprétation, et il nous a proposé des idées sur la manière dont certains traits de l’ancien « Bucky »pouvaient ressurgir, et quand, comment et pourquoi le Soldat de l’Hiver pouvait avoir soudain un déclic qui produisait ce genre de réactions. Il a fallu mettre en place les moments où cela allait se produire avec beaucoup de précautions et de délicatesse. Tout cela a été un processus très intéressant de conception du jeu du personnage et de la manière de le mettre en scène.

Comment les rapports entre Captain America et les principaux protagonistes du film évoluent-ils ? Commençons par Nick Fury : Jusqu’à quel point Cap lui fait-il confiance, et comment réagit-il après que Fury soit blessé après une tentative d’assassinat ?

Anthony Russo : L’une des choses que nous aimons particulièrement au sujet de Captain America, c’est sa solitude. C’est un homme qui a tout perdu au début de son aventure, parce qu’il est resté en hibernation pendant 70 ans, comme Rip Van Winkle dans le célèbre conte. Tous les gens qu’il connaissait, qu’il aimait et en lesquels il avait confiance ont disparu. Il ne lui reste plus personne. Dns ce film, nous le voyions tenter de former de nouvelles relations, un nouveau cercle autour de lui pour ne plus être aussi seul. C’est comme cela qu’il aborde Nick Fury, la Veuve Noire et le Faucon, en espérant tisser des liens solides avec eux, fondés sur l’amitié et la confiance. C’est un des éléments importants de la trame de cette histoire, parce que notre héros ressent un terrible manque de relations affectives. C’est assez fascinant à observer, car il a tout à reconstruire, étant seul et issu d’une autre époque. Cela a forcément un impact sur ses échanges avec les gens qu’il fréquente, et cela ne facilite pas les choses. Concernant Nick Fury, on pourrait dire qu’il a une manière de penser et une philosophie totalement différente de celles de Cap : pour Fury, les frontières du bien et du mal se déclinent en maintes nuances de gris, et Cap a beaucoup de mal à intégrer cette vision du monde, car ses références datent de la seconde guerre mondiale, à une époque où les bons et les méchants étaient clairement définis . Mais il fait des efforts pour la comprendre, et c’est intéressant de le voir aller dans cette direction pour mieux suivre la logique des ordres de son supérieur hiérarchique. La Veuve Noire raisonne de la même façon que Fury : elle voit le monde en gris alors que Cap le voit encore en noir et blanc. Ils ont si peu de choses en commun que cela rend l’amitié qui naît entre eux d’autant plus piquante.

Et le Faucon, le nouveau superhéros que nous allons découvrir dans ce film, comment se situe-t-il par rapport à tout cela ?

Anthony Russo : Sam Wilson, alias Le Faucon, apporte une bouffée d’air frais dans l’organisation du S.H.I.E.L.D., car nous lui avons donné une personnalité assez proche de celle de Cap. Sam est lui aussi un soldat, et il a une expérience du terrain similaire à la sienne. Cap est très ému de se retrouver enfin en face de quelqu’un qui est un frère d’armes, qui réagit comme lui, et avec lequel il a plaisir à nouer des liens amicaux.

Parlez-nous du personnage incarné par Robert Redford, Alexander Pierce…

Joe Russo : Pierce est l’un des responsables les plus hauts placés des services secrets, car il est à la tête du conseil de sécurité mondial qui supervise toutes les activités du S.H.I.E.L.D.. Il est très proche de Nick Fury, qui est son protégé. Son personnage est assez proche de celui de Ralph Fiennes dans SKYFALL : c’est un fonctionnaire très expérimenté qui vient du milieu politique, et qui a été secrétaire d’état du gouvernement américain. Il s’agit d’un protagoniste prestigieux, qui correspond bien à l’image que Robert Redford s’est créée grâce aux rôles marquants de sa carrière.

Parlez-vous des quelques scènes qui se déroulent pendant la seconde guerre mondiale. Sont-elles essentiellement consacrées à l’amitié entre Cap et Bucky ?

Anthony Russo : Oui, essentiellement. Elles décrivent les liens entre ces deux amis, et ce qu’ils ont vécu ensemble, puis séparément.

Steve Rogers est-il en train de tomber amoureux de la Veuve Noire ? Ou est-elle devenue sa meilleure amie ?

Joe Russo : Leur relation dans le film est vraiment intéressante, car ils forment une sorte de couple marié dans le travail, mais pas dans leur vie privée. Comme ils partent souvent en mission ensemble et se protègent l’un l’autre, des liens très forts se sont tissés entre eux, en dépit de leurs conceptions de la vie diamétralement opposées. Leurs éthiques professionnelles et la façon dont ils travaillent pour le S.H.I.E.L.D. sont complètement différentes elles aussi. Ils forment un couple insolite au sein duquel il y a des tensions, mais qui permet à chacun d’évoluer en assimilant le point de vue de l’autre.

Pouvez-vous décrire à nos lecteurs votre scène d’action favorite dans le film ?

Anthony Russo : Il y a une séquence dont la conception a été fortement inspirée par les thrillers des années 70 : une longue poursuite en voiture dans une ville. C’est une scène sur laquelle nous avons énormément travaillé. Elle dure près de dix minutes et nous l’avons filmé avec l’aide du meilleur réalisateur de seconde équipe que l’on puisse trouver dans ce métier : Spiro Razatos. Ce moment du film est inspiré par le hold up de HEAT , que j’évoquais tout à l’heure. Il y a beaucoup de points de vue subjectifs pendant lesquels on vit l’action à la place des personnages, tout en suivant les protagonistes pendant la bataille qui se déroule.

On sait à quel point un bon timing est l’un des éléments-clés de l’humour. Votre expérience du timing comique vous a-t-elle servi quand vous avez conçu les grandes séquences d’action de ce film ?

Joe Russo : Oui, car dans les deux cas on utilise pratiquement les mêmes méthodes, les mêmes outils et les mêmes structures. Vous avez tout à fait raison de dire que la clé d’une bonne scène d’action est la qualité de son timing. Il faut construire la narration visuelle autour d’un timing précis puis choisir le bon tempo. Dans une comédie, une plaisanterie réussie doit définir le personnage et faire avancer le récit. Ce sont exactement les mêmes objectifs que l’on doit atteindre quand on conçoit une scène d’action : le film doit avancer grâce à elle.

Quelles ont été les séquences les plus difficiles à réaliser et pourquoi ?

Joe Russo : Sans aucun doute les scènes d’action, parce qu’elles nécessitent de superviser énormément de choses en même temps. Quand elles sont tournées en extérieurs, il faut se battre contre les conditions météo et compenser les variations de la lumière naturelle en menant une course contre la montre avec le soleil. Il faut aussi vérifier que tous les systèmes de sécurité sont en place avant de donner le signal de départ d’une cascade automobile qui implique des dizaines de pilotes de précision. Vous avez intérêt à vous habiller avec une tenue de sport et des baskets quand vous vous apprêtez à réaliser une séquence d’action, parce que vous pouvez être sûr que vous n’allez pas avoir le temps de vous asseoir beaucoup de l’aube jusqu’à la fin de la journée : vous allez courir constamment d’un endroit à un autre pour tout vérifier et donner vos instructions. Vous allez montrer à l’opérateur en vous déplaçant comment vous souhaitez que la caméra bouge, puis vous allez mimer pour les acteurs la manière dont vous souhaitez qu’ils agissent. Vous allez faire semblant de sauter d’une voiture en marche pour raconter au superviseur des cascades comment vous voulez filmer cette action-là…Bref, c’est extrêmement physique, et quand vous rentrez chez vous le soir, vous êtes exténué et vous vous rendez compte que vous êtes couvert de bleus et d’égratignures parce que vous avez passé des heures à mimer vos instructions à tous les membres de l’équipe !

Anthony Russo : La scène de poursuite en voiture a été particulièrement complexe à mettre en scène en raison de son ampleur. Nous avons fait fermer plusieurs tronçons d’autoroutes à Cleveland pendant deux semaines pour pouvoir la tourner, et nous avions énormément de travail à accomplir chaque jour sur ces sections de voies. Tout cela constituait un canevas gigantesque dont il fallait régler tous les détails, en réglant une par une les cascades très coûteuses qui étaient prévues. Nous n’avions pas le droit à l’erreur car nous avions concentré énormément de travail en quatorze jours afin de limiter la durée de fermeture de ces sections d’autoroute qui gênait beaucoup d’habitants de Cleveland. Nous savions que nous ne pourrions pas obtenir une seule journée de tournage supplémentaire sur ces routes. Il fallait avancer coûte que coûte chaque jour, et le fait que nous ayons eu à subir des retards à cause de plusieurs journées de pluie a ajouté encore une dose de stress à toutes les autres ! Heureusement, nous avons réussi à tourner tout ce qui était prévu et nous sommes très satisfaits du résultat final.

Avez-vous laissé vos acteurs vous suggérer de nouvelles répliques ou même des petites scènes additionnelles ?

Joe Russo : Oui, mais en nous adaptant aux contraintes de chaque journée de travail, car il est difficile de modifier ce qui a été prévu au millimètre près quand on tourne une scène avec beaucoup d’effets spéciaux et de cascades.

Comment allez-vous vous impliquer dans les éditions DVD et Blu-Ray du film ? Allez-vous enregistrer un commentaire ? Allez-vous montrer des scènes coupées ?

Anthony Russo : Oui, nous allons enregistrer un commentaire, car en tant qu’étudiants de cours de cinéma, nous avons grandi en écoutant religieusement les commentaires des réalisateurs que nous admirions sur les DVDs de notre vidéothèque. Et à présent que nous nous retrouvons derrière la caméra, nous avons envie de transmettre notre expérience par ce biais à la prochaine génération de cinéastes et de cinéphiles. Les commentaires ne sont pas seulement des sources d’anecdotes captivantes, amusantes ou émouvantes : ils permettent « d’entrer dans la tête du réalisateur » et de suivre sa démarche et son raisonnement créatif alors qu’il est confronté aux problèmes de la conception, de la mise en scène et de la post-production du film. C’est un outil très précieux pour les professionnels, et une source d’informations fascinante pour les fans.

Joe Russo : Il y aura des scènes coupées ainsi que des variantes de scènes que nous n’avons pas retenues au montage, pour différentes raisons que nous expliquerons.

Anthony Russo : En tant que cinéphiles, nous allons nous assurer qu’il y aura beaucoup de suppléments et que les différents documentaires permettront aux spectateurs d’avoir l’impression de se trouver à nos côtés dans les coulisses, et de découvrir tous les petits secrets de la conception artistique et technique du film.

Va-t-on voir les animatiques, les dessins préparatoires ?

Joe Russo : Absolument. Nous montrerons tout aux fans pour leur faire partager l’expérience de la création de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER !

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