GODZILLA - Suite de notre entretien exclusif avec le réalisateur Gareth Edwards !
Article Cinéma du Vendredi 16 Mai 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Prendre de la distance par rapport aux moyens techniques qui sont mis à votre disposition, pour ne pas les utiliser quand ce n’est pas utile, nécessite d’avoir du recul sur ce que l’on fait. Cela ne doit pas être évident, dans le feu de l’action, avec la responsabilité d’un tel tournage sur vos épaules…

Chacun de nous a un sens critique personnel quand il analyse les films, et nous échangeons tous des avis avec nos amis au sujet des erreurs que nous avons pu remarquer dans tel ou tel long métrage. L’essentiel est de ne pas oublier cela, de ne pas reproduire sans s’en rendre compte les erreurs qui nous ont tant choquées par le passé. Effectivement, il faut essayer d’avoir du recul, et éviter d’aller sur les sentiers battus. Bien souvent, quand nous avons le choix d’aller à droite, dans une direction « classique » peu risquée ou d’aller à gauche, nous choisissons d’aller à gauche pour surprendre le public, et lui faire perdre certains repères habituels au cours du récit. Mais comme il s’agit d’une production distribuée par un grand studio, nous veillons toutefois à ne jamais perdre de vue que nous nous adressons à un public très large.

Justement, est-ce que Legendary Pictures et Warner, qui ont investi beaucoup d’argent dans ce nouveau GODZILLA, n’ont pas insisté pour que vous alliez quelquefois « à droite », afin de limiter les risques et d’augmenter leurs chances de retour sur investissement ?

Eh bien jusqu’à présent, cela ne s’est jamais produit. Pas une seule fois ! Même si le contact avec Legendary est excellent, je dois dire que je m’attendais à ce que le studio ait des velléités d’interventions et nous fasse parvenir des notes de suggestions, mais ça n’a pas été le cas. Legendary et Warner ont envie que ce GODZILLA soit différent, surprenant, et qu’il ne ressemble pas à ce que le public a déjà vu avant. Tout en restant dans les paramètres d’un blockbuster, nous misons sur l’originalité des traitements visuels et narratifs du film.

Vous voulez dire que toutes vos idées, même les plus audacieuses, ont été validées par Legendary et Warner ?

Oui, j’ai été très gâté, presque trop ! (rires). Avant que je présente mes idées, j’étais absolument certain que plusieurs d’entre elles seraient éliminées d’emblée. Et à ma grande surprise, mes interlocuteurs ont dit à chaque fois « Ah oui, il faut que l’on voit cela dans le film ! » lls ont été formidablement positifs et encourageants. Même quand je leur ai présenté des idées assez radicales.

Comment s’est passé le choix du nouveau design de Godzilla ?

La Toho s’est énormément impliquée dans ce processus. L’idée était de rendre hommage aux premiers films de la saga, sans reproduire exactement l’aspect du personnage qui était limité par les techniques disponibles dans les années 50 et 60. Nous ne voulions pas non plus pousser la ressemblance esthétique jusqu’au point de représenter la créature en filmant un homme portant un costume de caoutchouc. L’idée était de représenter Godzilla comme s’il existait vraiment, comme s’il s’agissait d’un véritable animal, dont la forme avait été interprétée en 1954 par les artistes de la Toho, esquissée sur un bout de nappe en papier, et avait ensuite servi de base à la construction d’un costume en caoutchouc mousse. Notre postulat est que ce Godzilla de 1954 était l’interprétation d’un animal qui a existé, et que maintenant, nous avons l’occasion de le découvrir pour la première fois tel qu’il est réellement. Nous avons expliqué cette idée à la Toho, et je crois qu’elle leur a plu. C’était capital car la Toho a la décision finale sur l’aspect de Godzilla dans le film. Heureusement, ses représentants ont validé toutes les étapes de nos choix. Je suis sincèrement très satisfait du design final, et les personnes qui l’ont vu jusqu’à présent ont toutes réagi de manière très positive. Idem pour les superviseurs des effets visuels et les animateurs 3D des différents studios auxquels nous avons envoyé le design pour qu’ils nous fassent des propositions de devis sur les trucages : peut-être avaient-ils envie de nous flatter un peu parce qu’ils postulaient pour le job, mais ils nous ont tous dit qu’ils pensaient que c’était le meilleur design du personnage qu’ils aient jamais vus… Nous avons passé une éternité sur ce relooking de Godzilla. Il y eu au moins deux cent versions différentes de notre grande vedette ! Le moindre détail de son torse ou de ses grandes plaques dorsales a été discuté en long, en large et en travers. Ce processus a été interminable, mais le résultat final me satisfait totalement. Cela en valait la peine.

Parlez-nous de votre travail avec vos acteurs principaux…

Je dois dire que nous avons eu énormément de chance, car Bryan Cranston était mon premier choix pour le rôle de Joe Brody. Je me demandais s’il allait accepter, car quand on approche des comédiens de cette envergure pour leur proposer de jouer dans GODZILLA, on ne sait pas comment ils vont le prendre… Selon les cas, leurs souvenirs du personnage peut être celui du film produit par Sony dans les années 90 ou des films japonais des années 60 vus pendant leur enfance, à la télé. Je peux vous dire que nous avons croisé les doigts quand nous avons commencé à approcher ces comédiens, et que nous avons été agréablement surpris et heureux de la manière dont ils ont réagi après avoir lu le scénario. D’ailleurs, quand je travaillais sur le script, un an avant que nous ne commencions le casting, je décrivais le personnage de Joe Brody à mes interlocuteurs en leur disant de l’imaginer comme si c’était Bryan Cranston qui le jouait. Je procédais de la même manière quand je discutais avec le scénariste. J’avais tout misé sur le fait que Bryan allait accepter de jouer ce rôle et dieu merci il a dit oui. Si ce n’était pas le cas, je serais probablement obligé de vous mentir effrontément aujourd’hui en prétendant qu’un autre acteur a toujours été celui que j’imaginais dans le rôle principal ! (rires) Aaron était lui aussi mon premier choix pour incarner Ford. Son interprétation du jeune John Lennon dans NOWHERE BOY m’avait énormément impressionné. Il vous donne l’impression que vous pouvez voir son âme au travers de ses yeux. J’ai également beaucoup aimé sa manière de bouger, le langage physique qu’il avait développé pour ce rôle. C’était un aspect important parce que dans certains moments de notre film, Aaron doit exprimer des choses sans passer par des lignes et des lignes de dialogues. Même quand il ne dit pas un mot, vous pouvez deviner les tourments intérieurs de son personnage. Aaron fait partie de ces acteurs qui parviennent à faire cela remarquablement bien. Juliette Binoche est évidemment fantastique…C’est une reine parmi les actrices, une très grande dame. Avoir la possibilité de travailler avec elle sur ce film était une chance inespérée, une expérience surréaliste pour moi. Mais ce qui est étrange, c’est qu’au bout de deux ou trois jours de tournage, on s’habitue à voir ces personnes formidables arriver sur le plateau. On finit presque par trouver cela normal, parce que l’on est pris par le rythme du travail à faire. Mais de temps en temps, on décroche quelques secondes, on réalise ce qui se passe et l’on se dit « Mon dieu, je suis en train de tourner avec des comédiens extraordinaires qui ont toujours été mes héros », et on a envie de se pincer pour être sûr que l’on ne rêve pas. (rires) De la même manière, quand je lance de temps en temps une petite plaisanterie stupide entre les prises, pour détendre l’atmosphère, je me mords les lèvres juste après, parce que je suis mortifié d’avoir osé dire cela à Ken Watanabe ou à Juliette Binoche… (rires) Heureusement, ils sont tous sympathiques et le prennent bien. C’est très agréable quand des stars de ce niveau se comportent comme des gens normaux et se soudent au reste de l’équipe. Pendant les deux ou trois premiers jours de tournage, je dois avouer que j’étais un peu intimidé quand je devais diriger ces grandes vedettes, mais tout s’est bien passé. GODZILLA est mon premier film hollywoodien, mais d’après les membres de notre équipe qui ont travaillé sur des dizaines de superproductions, c’est très rare que l’ambiance soit aussi bonne sur un tournage, et qu’il n’y ait même pas un seul acteur capricieux ou caractériel qui gâche l’ambiance. Nous avons donc énormément de chance. Je sais que vous allez avoir l’impression que je dis cela pour être « politiquement correct », mais il n’y a que des personnes extrêmement gentilles et agréables dans notre groupe d’acteurs.

Dans MONSTERS, j’avais beaucoup aimé la manière poétique dont vous décriviez des paysages en ruines, en faisant ressortir la beauté du chaos et de la désolation. Est-ce aussi l’approche que vous avez choisie pour traiter ce film et les ravages engendrés par Godzilla ?

Merci beaucoup. Oui, j’espère arriver à cela, pas dans toutes les scènes, mais de temps en temps. J’aime beaucoup ce contraste entre des évènements qui peuvent être terrifiants, horribles, et les images de ces scènes dans lesquelles il y a aussi de la beauté. J’essaie de mêler deux notions opposées, contradictoires, parce que je trouve qu’elles amplifient mutuellement leur impact émotionnel. Nous avons filmé certaines séquences dont je suis extrêmement fier. Notre directeur de la photographie, Seamus McGarvey, a fait un travail remarquable. Ses images sont superbes. Il arrive à créer de la beauté en décrivant des paysages calmes et ravagés. Et c’est quelque chose qui me touche beaucoup, et que j’essaie toujours de faire ressortir dans mes films. Bien sûr, l’atmosphère de GODZILLA ne sera pas la même que celle de MONSTERS, qui était un film à tout petit budget, mais parmi leurs points communs, il y a l’importance des sentiments et des liens entre les personnages principaux, et cette errance dans des paysages déserts, qui semblent presque hantés… J’ai été très satisfait du plan que nous avons tourné un peu plus tôt, avec ces chiens redevenus sauvages, qui passent en courant près de Joe Brody et de son fils, alors qu’ils avancent dans la zone de quarantaine, avec des combinaisons de fortune pour se protéger des radiations. C’est un plan tout simple, sans le moindre effet 3D, et pourtant, il exprime très bien l’idée de cette séquence, qui est que la nature a fini par se régénérer et par reconquérir cette zone que l’homme avait abîmée et qu’il a été contraint d’évacuer. Il y a cette notion d’équilibre qui se reconstitue, du bien qui surgit après le mal qui a été fait. J’aime énormément ce genre d’images et nous avons essayé d’en créer d’autres dans le même esprit ailleurs dans le film. J’espère que les gens qui verront GODZILLA se rappelleront que j’avais fait un film à petit budget avant, et trouveront qu’une partie de cette approche a subsisté dans cette énorme production. Je travaille en ce sens, en tous cas. Je suis très content de ce que nous avons tourné. Je crois que ce film pourra émouvoir les spectateurs et qu’il leur plaira à cause de cela.

La suite de ce dossier Godzilla de taille XXXXXL paraîtra bientôt sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.