[Archives] Les débuts des superhéros : De Rocket Man à The Rocketeer, la trajectoire des Justiciers volants
Article Cinéma du Samedi 24 Fevrier 2018

Par Pascal Pinteau

L’ancêtre d’Iron Man

C’est en 1949 que le studio Republic Pictures, spécialisé dans la production de serials lance KING OF THE ROCKET MEN, un récit en douze épisodes dans lequel apparaît pour la première fois Rocket Man (littéralement l’homme-fusée). Dans cette histoire, le Docteur Vulcan - un génie du mal à l’identité secrète, dont on n’aperçoit que l’ombre - échafaude un complot pour conquérir le monde. La première étape de son plan consisté à éliminer les uns après les autres les membres des « Associés de la Science » l’organisation qui regroupe les plus grands savants du monde entier. Après avoir échappé de justesse à la tentative d’assassinat orchestrée par le redoutable Vulcan, le Docteur Millard (James Craven) prend l’initiative d’équiper l’un des autres membres du groupe, Jeff King (Tristram Coffin) d’un réacteur dorsal « alimenté par l’énergie atomique » et d’un casque aérodynamique en forme de balle de fusil. Muni de cette combinaison qui lui permet de voler à une vitesse prodigieuse, Jeff King devient le justicier Rocket Man, et va affronter les sbires du Docteur Vulcan avec l’aide de la photographe de presse Glenda Thomas (Mae Clarke, connue pour avoir incarné en 1931 Elizabeth, la fiancée du docteur Henry Frankenstein dans le chef d’œuvre de James Whale FRANKENSTEIN). Le docteur Millard fournit au superhéros volant d’autres gadgets pour se battre – notamment un « pistolet à rayons » qui n’est autre qu’un Lüger allemand au canon orné d’un cône argenté ! - mais Vulcan parvient à lui dérober son « Decimator », qu’il emploie pour inonder puis détruire partiellement New York et l’île de Manhattan. Heureusement, Rocket Man va réussir à le capturer, à le livrer à la police et à le démasquer… Réalisé pour un budget de 165 000 dollars, soit un peu moins que les précédentes productions de Republic Pictures - mais tout de même le plus élevé de 1949 - KING OF THE ROCKET MEN remporte un joli succès, même si les sérials entrent dans leur période crépusculaire : ils vont être supplantés peu à peu par l’arrivée de la télévision dans les foyers pour disparaître totalement à la fin des années 50. Si la réalisation de Fred C. Brannon, quoi que classique, est efficace et met en valeur les combats, les envols de Rocket Man et les scènes d’action, le casting de KING OF THE ROCKET MEN laisse à désirer. Attribuer le rôle du héros à Tristam Coffin, qui ressemble plus à un traître à la moustache fine et au beau costume qu’à un justicier athlétique est un choix bizarre, qui gêne les spectateurs. Et Mae Clark, à presque quarante ans, ne semble pas être à sa place non plus dans l’emploi de la « demoiselle en détresse » habituellement réservé à des toutes jeunes actrices. Experte en recyclage, Republic Pictures a prélevé dans le sérial de 1941 DICK TRACY VERSUS CRIME, INC le morceau de bravoure final qui décrit l’inondation et la destruction de New York. Mais au moins, les interventions de Rocket Man, elles, sont nouvelles et soignées. Deux casques aérodynamiques en métal étaient utilisés pour le tournage : le premier était réalisé dans des matériaux plus légers et plus souples et ne servait qu’au tournage des combats et des séquences d’action. Dès que Rocket Man entrait en action, il était incarné à tour de rôle par trois cascadeurs . Dave Sharpe se chargeait de bondir sur un trempoline caché pour simuler l’envol du héros, et réalisait aussi les autres acrobaties qui permettaient de filmer les scènes de vol. Tom Steele était le second cascadeur portant le costume et le casque et Dave Van Sickel venait en renfort quand ses deux collègues n’étaient pas disponibles. Au cours de sa première apparition, Rocket Man (joué par Dave Sharpe) vole et atterrit sur un camion bâché que conduit Tom Steele, et combat aux poings un complice du Docteur Vulcan. Dans la même scène, dès que le combat commence, c’est Tom Steele qui se trouve dans le costume du héros, faisant preuve d’un joli don d’ubiquité grâce à la magie du montage ! L’un des autres atouts maîtres de KING OF THE ROCKET MEN est la contribution de Howard et Theodore Lydecker, les plus grands experts en effets spéciaux de l’histoire des sérials. Ces génies des trucages réalisés avec des miniatures avaient notamment mis au point un système de guidage des maquettes d’avions par trois fils tendus – deux fils « porteurs » placés dans les ailes, et un fil « tracteur » placé au milieu et relié à une bobine montée sur un moteur électrique - qui permettaient à la fois de les faire avancer mais aussi de leur faire faire des vrilles, en faisant pivoter les barres de fixation des câbles sur des axes. En transposant cette technique, les Lydecker suspendent un mannequin allégé portant le costume de Rocket Man, et le font voler sur de grandes distances au moyen de longs câbles, au-dessus de paysages désertiques réels, filmés dans les environs de Los Angeles. Ils obtiennent ainsi des prises de vues d’autant plus réalistes que ces effets sont tournés en direct, sans aucune retouche optique. Le même procédé avait été employé avec succès huit ans plus tôt par les Lydecker dans ADVENTURES OF CAPTAIN MARVEL, l’une des plus belles réussites de Républic Pictures dans le domaine du sérial. A la sortie de KING OF THE ROCKET MEN, les exploits aériens de Rocket Man sont tant appréciés par les spectateurs que les scènes où celui-ci décolle, vole et atterrit vont être réutilisées dans pas moins de trois autres sérials avec un nouveau justicier volant : RADAR MEN FROM THE MOON (1952) ZOMBIES FROM THE STRATOSPHERE (produit également en 1952) et COMMANDO CODY SKY MARSHALL OF THE UNIVERSE (1953) !



Autres héros, même réacteur dorsal

Dans cette trilogie à réaction toujours réalisée par Fred C Brannon, et aux trucages brillamment gérés par les frères Lydecker, plus aucune trace de Jeff King ni lien scénaristique avec l’histoire précédente. Dans RADAR MEN FROM THE MOON le nouveau héros s’appelle Commando Cody, et il est incarné par George Wallace. Cody est un savant indépendant qui dirige son propre laboratoire de recherche et possède non seulement le fameux costume équipé d’un réacteur dorsal, mais aussi une fusée capable d’atteindre la lune. Dans cette première saga, Cody affronte la dictateur de la lune Retik, qui après avoir désintégré des bases militaires et des complexes industriels terriennes, annonce son intention de conquérir notre planète et d’y installer toute la population lunaire, grâce à la flotte de vaisseaux dont il dispose. Par souci d’économie, la grande majorité des séquences se déroule bien évidemment sur terre, où Cody affronte le guerrier lunaire Krog (incarné par Clayton Moore, futur Lone Ranger) et ses complices. Tout change encore dans ZOMBIES OF THE STRATOSPHERE, dans lequel le héros qui hérite du réacteur s’appelle Larry Martin et est joué par Judd Holdren. Cette fois-ci, sa tâche consiste a empêcher des envahisseurs martiens de faire exploser une bombe à hydrogène sur terre, afin d’expulser notre planète hors de son orbite autour du soleil et de permettre à Mars de prendre sa place ! Aujourd’hui, l’une des principales raisons de la notoriété de ce sérial est la présence de Leonard Nimoy, futur Mr Spock de STAR TREK, dans le rôle d’un des martiens appelé Narab. Comme dans Radar Men from the Moon, l’essentiel de l’action se passe sur terre, et est ponctuée de bagarres aux poings entre le héros et les gangsters qui aident les martiens à collecter de quoi fabriquer leur bombe. Bizarrement, Judd Holdren garde son réacteur dorsal pour réapparaître dans COMMANDER CODY : SKY MARSHALL OF THE UNIVERSE à la place du créateur du rôle de Cody, George Wallace. Cette ultime retour du « Rocket Man » a la particularité d’avoir été tourné pendant une période de transition où les studios reformatent leurs sérials et leurs méthodes de tournage pour en faire des séries télévisées. Il est d’abord conçu pour le petit écran, mais un conflit avec les syndicats contraint Republic Pictures à le diffuser d’abord au cinéma en 1953, en dépit du fait que les chapitres ne sont pas conclus par un « cliffhanger » à suspense, puisqu’il s’agit d’épisodes avec un fin. La diffusion télévisée des douze volets a lieu sur la chaîne NBC en 1955. L’autre particularité de cette série/sérial est d’être la préquelle de RADAR MEN FROM THE MOON : on y voit tous les personnages se rencontrer pour la première fois, postuler à leur travail et être engagés par Commander Cody. Cette fois-ci, le héros porte une tunique différente et un masque noir pour dissimuler son identité. Dans cet univers réinventé, la terre est en contact radio avec d’autres planètes de notre système solaire, et Cody vient à peine de construire son premier vaisseau spatial. On peut s’amuser de constater que le reste du monde de 1950 n’est absolument pas modifié par ces bouleversements galactiques ! Dans chaque épisode, l’ennemi récurrent, The Ruler, tente de conquérir la terre par différents moyens qui provoquent des catastrophes…toutes puisées dans les stock shots des autres sérials de Republic Pictures. Plusieurs scènes spatiales nouvelles sont cependant réalisées pour la série : des « marches dans l’espace » quand des réparations sont à faire sur la coque du vaisseau, des batailles aériennes à coup de rayons entre les astronefs du héros et de ses ennemis, et des plans de voyage dans l’espace, où les maquettes évoluent devant des fonds étoilés, toujours savamment guidées par Theodore et Howard Lydecker.



La renaissance de l’homme au réacteur

Comme si c’était un signe du destin, c’est justement en 1955, l’année de la première diffusion télé de COMMANDER CODY : SKY MARSHALL OF THE UNIVERSE, que naît un certain Dave Lee Stevens. Ses premières années sont marquées par cette série diffusée dans les cases horaires réservées aux programmes pour la jeunesse. En grandissant, Dave Stevens garde ce goût des univers imaginaires à la fois futuristes et rétro, comme en témoignent ses premiers dessins ou émerge un talent qui se confirme pendant son adolescence. Il entame sa carrière dans les comics en 1975, à l’âge de 20 ans, en tant qu’encreur des planches réalisée par le grand dessinateur Russ Manning pour la série TARZAN. Le duo travaille ensuite sur les « strips » des BD de STAR WARS publiés dans les quotidiens américains. A partir de 1977, Stevens quitte l’univers de la BD pour créer les storyboards de nombreuses productions du studio Hanna-Barbera comme les séries animées SUPER FRIENDS regroupant Superman, Batman et les membres de la ligue de justice, et THE GODZILLA POWER HOUR dans laquelle le Kaiju superstar était considérablement adouci et flanqué du mignon petit Godzooky ! Pendant une dizaine d’années, Stevens travaille ainsi dans l’animation, rejoint le studio fondé par les illustrateurs William Stout et Richard Hescox à Los Angeles, et signe aussi des storyboards de films comme ceux des AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE et du cultissime vidéoclip de John Landis THRILLER qui conforte la célébrité planétaire de Michael Jackson. Mais depuis quelque temps déjà, il invente un nouvel univers inspiré par les sérials et les comics des années 30, et s’apprête à faire son retour dans le monde de la BD.

Rétrofuturisme

Le nouveau héros de Dave Stevens est Cliff Second, un pilote adroit mais fauché, qui gagne sa vie tant bien que mal en réalisant des évolutions acrobatiques lors de meetings aériens. Un jour, Cliff découvre un mystérieux réacteur dorsal et ne résiste pas à la tentation de l’essayer. Après quelques ratés, il devient un homme volant dont les exploits vont attirer l’attention des médias, mais aussi de ceux qui cherchent à récupérer le fameux réacteur. Dans cette aventure, Stevens donne au Rocketeer un aspect directement inspiré de celui du Rocket Man de KING OF THE ROCKETMEN. Mais plutôt que de garder un casque au sommet en pointe, il le redessine pour lui donner un aérodynamisme qui fonctionne tête relevée, avec un bel aileron fixé à l’arrière, ce qui donne une belle allure « Art déco » à son héros. Son récit, lui, puise dans l’univers des nouvelles et roman dits de « Pulp Fiction » (ces magazines étant imprimés sur du papier de qualité inférieure, plus brun parce qu’il était fabriqué avec de la pulpe et des fibres de bois assez grossières) dont les stars étaient Doc Savage et The Shadow dont nous avons parlé très récemment dans cette rubrique. Graphiquement, Stevens est inspiré par les grands artistes de l’âge d’or comme Will Eisner (créateur de The Spirit), Wally Wood et ses héroïnes aux courbes affriolantes et le génial peintre et illustrateur Frank Frazetta. Il rend aussi hommage à la célèbre pinup des années 50 Bettie Page, dont il copie la célèbre coupe de cheveux avec une frange pour en gratifier la petite amie de son héros (Apprenant que la fameuse icône était toujours en vie et habitait près de chez lui, Stevens deviendra son ami et l’aidera à obtenir des compensations financières pour l’utilisation de son image). Le premier volet des aventures de THE ROCKETEER paraît en 1982 dans le magazine STARSLAYER des éditions Pacific Comics. Les épisodes 2 et 3, eux sont publiés dans Pacific Presents 1 & 2 , et le quatrième dans un magazine Rocketeer spécial publié par Eclipse Comics. D’un coup de réacteur, le personnage bondit chez un troisième éditeur, Comico Comics, pour vivre ses deux épisodes suivants en 1988 et 1989, et fait un dernier vol pour atterrir chez Dark Horse Comics en 1995 ! Le soin méticuleux apporté à la description de l’amériques des années 30 et les longues recherches de documentation faites par Stevens pour créer son œuvre expliquent certainement que les éditeurs se soient lassés d’attendre l’épisode suivant des aventures de The Rocketeer. Depuis, une compilation des premiers épisodes a été éditée par Eclipse Comics sous le titre THE ROCKETEER, tandis que Dark Horse Comics a publié les épisodes suivants dans le volume intitulé THE ROCKETEER : CLIFF’S NEW YORK ADVENTURE.



Faux départs et envol pour Hollywood

En 1983, Steve Miner - connu pour avoir réalisé les trois premiers VENDREDI 13, HOUSE, LAKE PLACID et DAY OF THE DEAD – achète les droits d’adaptation cinématographiques de THE ROCKETEER à Dave Stevens. Mais il s’éloigne tellement du concept original que le projet n’aboutit pas. Ayant récupéré les droits, Stevens les cède gratuitement aux scénaristes Danny Bilson et Paul De Meo, dont le traitement rend un hommage affectueux et sincère à l’esprit, aux situations et aux dialogues des sérials. « La plupart des gens de cinéma ont tendance à vouloir transposer mes personnages à l’époque actuelle » déclare alors Stevens, « tandis que Danny et Paul les ont toujours traités comme des protagonistes de l’avant-guerre ». Le dessinateur et les deux scénaristes envisagent alors de tourner le film eux-mêmes en noir et blanc, avec des comédiens de second plan et un tout petit budget, en récoltant des fonds auprès d’investisseurs privés. Mais l’entreprise est si difficile que cette approche est abandonnée. Le trio contacte alors le scénariste et réalisateur William Dear, que les fantasticophiles connaissent pour deux productions Spielberg : le réjouissant BIGFOOT ET LES HENDERSON et l’excellent épisode de la série HISTOIRES FANTASTIQUES (AMAZING STORIES) intitulé MUMMY DADDY. En se mettant au travail avec Bilson et De Meo, William Dear conserve le récit directement tiré de la BD originale, mais y ajoute une intrigue parallèle située à Hollywood et une spectaculaire bataille finale contre un Zeppelin nazi au lieu d’un sous-marin. Dear s’inspire de la biographie fictive et totalement mensongère d’Errol Flynn écrite par Charles Higham, dans laquelle ce dernier affirmait que la star avait été un espion nazi. Il crée alors le personnage de Neville Sinclair, acteur vedette spécialisé dans les rôles de héros bataillant à l’épée, et correspondant secret du troisième reich à Los Angeles. (Ce n’est qu’à la toute fin des années 80 que les mensonges sur Flynn seront dénoncés et la vérité rétablie). Craignant des complications juridiques avec la vraie Betty Page, Dear suggère aussi d’ajouter de nettes différences entre le personnage de la petite amie du héros et son modèle. C’est ainsi que Jenny, au lieu d’exercer la profession de modèle posant nue, devient figurante de cinéma et actrice en devenir. Une modification qui rend aussitôt le projet accessible au public familial, ce qui n’était pas le cas auparavant. Leur script bien peaufiné, Stevens, Bilson, De Meo et Dear entreprennent de présenter leur projet aux grands studios en 1986, mais ils se heurtent alors à un mur. Aucune des majors d’Hollywood n’est intéressée par la perspective d’investir un gros budget dans l’adaptation d’une bande dessinée, trois ans avant que le BATMAN de Tim Burton ne change tout… A force d’insister, l’équipe parvient à convaincre les studios Disney d’acheter leur traitement de sept pages, avec l’intention que le film soit produit par la division Touchstone Pictures qui accepte des projets au traitement plus adulte, comme LA COULEUR DE L’ARGENT de Martin Scorcese. Hélas, Disney ne voit en THE ROCKETEER qu’une opportunité de fabriquer de nouvelles gammes de jouets, rien de plus. Après avoir fait signer à Stevens, Bilson, De Meo et Dear un contrat qui autorise le studio à produire trois films, le vice-président de Disney Jeffrey Katzenberg rapatrie le projet au sein de Walt Disney Pictures, et l’édulcore de tout ce qui pourrait être réservé aux adultes. Exit le piment érotique de la petite amie, et les situations violentes. Pendant un moment, il est même question encore une fois de situer l’action dans le présent, mais les auteurs protestent et font valoir que le succès des aventures d’Indiana Jones prouve que le contexte des années 30 peut plaire à un large public. Ils ont finalement gain de cause. Le développement du script sera une aventure éprouvante. Bilson et De Meo seront renvoyés et réembauchés trois fois de suite par Disney sur une période de cinq ans. A chaque fois, le studio engage un scénariste extérieur qui produit un script qui est rejeté, et on en revient aux auteurs originaux ! Les cadres de Disney qui donnent leur avis se mettent à aimer des dialogues qui avaient été rejetés et coupés quelques mois plus tôt. Des scènes entières supprimées deux ans plus tôt sont replacées dans le script. Dans un tel contexte, il n’est guère étonnant que les scénaristes se découragent… Ils réussissent cependant à donner plus de réalisme à l’histoire d’amour entre Ciff et Jenny et à éviter les clichés qui réduiraient la jeune femme à une étourdie se retrouvant constamment en danger. Mais les retards dus aux innombrables réécritures finissent par lasser William Dear qui s’en va poursuivre d’autres projets. Joe Johnston, fan de la BD de Stevens, offre alors ses services à Disney. Le studio ne peut rien refuser à l’ex-prodige des effets spéciaux d’ILM et designer émérite de nombreux vaisseaux de la saga Star Wars et du personnage de Boba Fett : en réalisant en 1989 CHERIE, J’AI RETRECI LES GOSSES, Johnston a réussi à faire de son premier long métrage un succès colossal qui va devenir une franchise et engendrer plusieurs suites. Disney lui confie illico THE ROCKETEER, la preproduction du film est lancée au début de 1990, et la troisième version du script de Bilson et De Meo enfin validée par le studio.



Un casting compliqué

Alors que Jeffrey Katzenberg et la direction de Disney souhaitent attribuer le rôle principal de Cliff Second à un acteur connu, Johnston préfèrerait trouver un visage neuf. Après que Kevin Costner et Matthew Modine aient fait savoir qu’ils n’étaient pas disponibles, et que Vincent d’Onofrio l’aie refusé, Dennis Quaid, Kurt Russell, Bill Paxton et Emilio Estevez passent des auditions. Pendant ce temps Disney courtise Johnny Depp, dix ans avant de le faire accéder au rang de superstar dans Pirates des Caraïbes . Johnston a finalement gain de cause et parvient à convaincre le studio d’engager Billy Campbell, avec le soutien enthousiaste de Dave Stevens qui le trouve parfait pour le rôle. Son contrat signé, Campbell doit lutter contre sa peur de l’avion avec l’aide du coordinateur des séquences aériennes Craig Hosking. L’acteur ne tourne finalement que peu de scènes dans les airs : il est doublé par un pilote-cascadeur. De même, ses évolutions en tant que Rocketeer sont réalisées en grande partie par ILM. Sous la supervision de Ken Ralston, l’animateur Tom St Amand utilise une marionnette articulée du justicier volant, qui est filmée image par image, avec le procédé du Go-motion (qui permet d’ajouter des effets de flous dans les mouvements rapides) puis incrustée dans les prises de vues réelles. Le rôle de Jenny est confié à la splendide et talentueuse Jennifer Connelly, qui avait déjà illuminé PHENOMENA de Dario Argento et LABYRINTHE de Jim Henson. Le vieux mécanicien et mentor de Cliff est joué par l’excellent Alan Arkin. Timothy Dalton, dont le permis de continuer à jouer James Bond après TUER N’EST PAS JOUER et PERMIS DE TUER est alors bloqué par une série de procès provoqués par les déboires financiers de la MGM. Il accepte de pasticher Errol Flynn et livre une prestation impeccable de star au double visage. Pendant la préproduction et tout le tournage, Dave Stevens est présent aux côtés de Joe Johnston, qui l’accueille très volontiers, alors que Disney n’est guère ravi de le voir participer à toutes les réunions et squatter le plateau. Stevens réussit cependant à convaincre le studio qu’il n’est pas là pour flatter son propre égo d’auteur, mais pour apporter des conseils artistiques judicieux. Alors que le budget original était limité à 25 millions de dollars, Disney accepte de lui donner un coup de booster après avoir été très impressionné par le visionnage des premières scènes filmées : il passe alors à 40 millions. C’est une aubaine pour le chef décorateur Jim Bissell, qui va pouvoir créer des environnements Art Déco splendides pour le film, et s’appuyer sur toute la documentation fournie par Dave Stevens sur l’univers du Rocketeer et toutes les références réelles des années 30 dont il a truffé sa BD. Le PDG de Disney Michael Eisner se pique un moment d’imposer un casque futuriste proche de ceux de la NASA en lieu et place de celui de la BD, et fait même réaliser des prototypes, mais Johnston les rejette tous et menace même de partir si ce débat inepte se poursuit. Il a encore une fois – heureusement ! – gain de cause. Stevens demande alors à Johnston un délai d’une semaine pour faire réaliser le fameux casque. Il engage un sculpteur, fait modeler un prototype à partir d’un moulage de la tête du cascadeur principal, et réussit à produire un casque qui a belle allure sous tous les angles et qui plaît au réalisateur et au studio. Du côté d’ILM, la création de la séquence finale du Rocketeer attaquant le Zeppelin nazi, nécessite la création d’une maquette de dirigeable de plus de 3m60 de long. Le modèle réduit est incrusté sur des vues aériennes du Los Angeles des années 30 réalisées sous la forme de Matte Paintings. Les plans de l’incendie puis de l’explosion du Zeppelin coûtent à eux seuls 400 000 dollars. Un autre effet spécial marquant est réalisé par le maquilleur Rick Baker qui reconstitue sur l’acteur de grande taille Ron Taylor l’incroyable visage de Rondo Hatton, comédien atteint d’acromégalie que l’on a pu voir notamment dans le rôle du sinistre « Creeper » dans THE PEARL OF DEATH sixième film de la série culte des Sherlock Holmes avec Basil Rathbone.



Le destin compliqué d’un film culte

En dépit de tous les efforts des cinéastes, et de critiques majoritairement favorables, THE ROCKETEER est un échec lors de sa sortie le 21 juin 1991. Au vu de tous les bons ingrédients réunis dans le film, on regrette que ni Joe Johnston ni Dave Stevens ne se soient rendu compte que si Billy Campbell avait l’aspect physique du justicier de la BD, il n’avait pas le charisme indispensable pour porter le film. N’est pas Harrison Ford qui veut ! (Notons que Campbell est revenu à la SF récemment dans la série HELIX) Paradoxalement, tous les personnages secondaires sont plus intéressants à voir que le héros, qui n’apparaît ni émouvant, ni inventif, ni très fin, et qui agace à force d’avoir un métro de retard sur le déroulement des évènements…Quand la grande séquence du Zeppelin démarre, le savoir-faire de Joe Johnston et d’ILM assure le spectacle et permet d’entrevoir ce qu’un ROCKETEER pleinement réussi aurait pu être : la réponse de Disney à Indiana Jones. Mais si cette scène finale est éblouissante, elle ne compense pas les moments mous et prévisibles qui ont précédé. Pour les amateurs de comics, THE ROCKETEER est néanmoins devenu un film-culte, grâce à la qualité de la transposition des images de Dave Stevens. Joe Johnston, lui, a eu le temps de mûrir son retour dans la SF rétrofuturiste. Son second essai en 2011 est un coup de maître : CAPTAIN AMERICA, LE PREMIER AVENGER, l’une des pierres angulaires du triomphe des Studios Marvel rachetés par…Disney ! A plus d’un titre, la boucle était ainsi bouclée.

Ce film est disponible en DVD en France, chez Disney Home video, et en édition Blu-ray Zone 1 aux USA.

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