Entretien exclusif avec John Myhre, chef décorateur de X-MEN DAYS OF FUTURE PAST
Article Cinéma du Mardi 10 Juin 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous avez été le chef décorateur du premier épisode de la saga X-MEN en 2000. Ce film a donc été un voyage dans le passé à la fois pour Wolverine et pour vous…

Absolument ! (rires) Je me suis beaucoup amusé à revenir dans l’univers X-MEN, dont Bryan Singer et moi avions créé les caractéristiques visuelles de presque tous les éléments pendant la préparation du premier épisode. Je ne suis pas intervenu sur les autres films par la suite. L’année dernière, Bryan m’a surpris en m’appelant pour m’expliquer qu’on lui avait proposé de réaliser X-MEN DAYS OF FUTURE PAST, et qu’il souhaitait réunir toute l’équipe créative du premier volet. Il a donc recontacté le directeur de la photographie, le chef costumier et moi pour que nous nous mettions rapidement à travailler sur le film, car nous allions avoir un délai de préparation très court. Comme Bryan nous connaît bien, et que nous avons aussi appris à communiquer de manière concise et efficace les uns avec les autres, il savait que les choses allaient avancer vite, sans malentendus.

Racontez-nous comment vous aviez créé les designs de l’école du professeur Xavier, du X-jet, des couloirs souterrains et de la salle de Cerebro dans ce premier volet, et comment vous avez revisité votre propre travail dans ce nouveau film…

Je dois avouer que j’ai commencé à travailler sur le premier X-MEN sans avoir lu beaucoup de BDs de ces personnages. Je ne les connaissais pas très bien. Mais quand je suis arrivé, Patrick Stewart avait déjà été engagé pour jouer le rôle du professeur Xavier. Dans mon esprit, Patrick est devenu tout de suite le personnage de Xavier, et comme il est élégant et sophistiqué dans la vie, j’ai voulu créer des décors tout aussi chics et raffinés pour lui. On avait vu avant énormément de films de Science-Fiction dans lesquels les décors intérieurs de laboratoires étaient tapissés de conduits, de fils électriques, de lumière clignotantes et d’éléments techniques aux formes compliquées. J’ai voulu éviter ces clichés en dessinant les couloirs du repaire des X-Men, construit sous l’école du professeur Xavier. L’idée est que toutes les parois de cette partie souterraine sont munies de panneaux escamotables derrière lesquels sont rangés les équipements des X-Men : leurs uniformes en cuir, leurs armes, leurs appareillages scientifiques, leurs outils, etc. Ce concept m’a permis d’utiliser des formes épurées avec des panneaux élégants au lieu d’avoir à gérer tant bien que mal des rangements pour tous les accessoires dont les personnages allaient se servir dans le film. Bryan a tellement aimé cette idée qu’il l’a exploitée spécialement dans une petite scène où l’on voit les personnages parler, presser des boutons sur les panneaux et ouvrir ainsi les placards où se trouvent leurs uniformes et leurs équipements. C’était sa manière de faire comprendre aux spectateurs que les murs servent à stocker tous ce dont Xavier et son équipe ont besoin. Je me souviens d’ailleurs qu’après trois mois de tournage, Patrick Stewart est venu me voir et m’a dit « Je pense que ce décor est l’un des plus élégants dans lesquels j’aie jamais tourné ! » (rires) Je lui ai appris alors que j’avais pensé à lui et à sa personnalité en le dessinant.

Et en plaçant les lignes des sources d’éclairage dans les coins du couloir, avec l’effet de perspective, ces lignes sont devenues un « X »…

Exactement. On retrouve cette lettre X au fond du couloir sur la porte de la salle de Cerebro, qui est l’aboutissement et le point de convergence de ces lignes lumineuses. La création de Cerebro est également liée à Patrick, puisque cette salle abrite un ordinateur surpuissant qui sert d’amplificateur à l’esprit du professeur Xavier. Quand j’ai essayé de déterminer la forme géométrique de cette pièce, j’ai commencé par dessiner un point au milieu de la page blanche en me disant « Ça, c’est son cerveau ». En raisonnant, je me suis dit que si tout l’appareillage scientifique de la pièce était construit autour de son cerveau, il faudrait que les parois se trouvent toutes à la même distance. J’ai donc dessiné un cercle autour du point. La pièce est devenue une sphère, et comme il fallait que Xavier se trouve exactement au milieu, j’ai ajouté une rampe, et une porte blindée devant la rampe. Visuellement, entre la porte blindée ronde, la passerelle terminée par un cercle, la sphère de la pièce et les roues du fauteuil roulant de Xavier, c’est un endroit où il n’y a pratiquement que des formes rondes.

Ce design est simple, superbe et intemporel. Il fonctionne à la perfection.

Merci. Je pense que c’est la raison pour laquelle le design de la chambre de Cérébro est resté le même dans tous les autres épisodes. Dans d’autres franchises de films de superhéros, les décors changent tout le temps. Mais comme Bryan a réalisé les deux premiers épisodes de X-MEN et a produit les suivants, il a pensé qu’il fallait garder ce décor tel quel, parce qu’il était devenu une sorte d’icône de la saga, une image de référence que les fans aimaient beaucoup. Idem pour les couloirs, dans lesquels il est facile d’ajouter des pièces supplémentaires selon les besoins des films, en gardant le même langage visuel de panneaux lisses et de sources d’éclairage indirectes. Ce sont des formes très simples, pures, faciles à mémoriser.

Vous évoquez deux époques différentes dans DAYS OF FUTURE PAST : un passé alternatif des années 70 pendant le second mandat du président américain Richard Nixon, et un futur apocalyptique où les mutants sont chassés et capturés par les robots Sentinelles…

Oui, le film commence dans un futur lointain où les mutants sont traqués par les Sentinelles, des robots que le gouvernement n’a cessé de perfectionner et de faire évoluer depuis des décennies. Les scènes du passé se déroulent en 1973, même si cette date n’est pas clairement énoncée dans le film, je crois. Quand nous montrons la toute dernière version des Sentinelles, on comprend que ces machines à chasser et à tuer sont devenues tellement efficaces qu’elles sont quasiment invincibles. Les mutants sont sur le point d’être tous éliminés, à moins de trouver une idée extraordinaire pour inverser le cours des choses. Cette idée consiste à projeter la conscience de Wolverine dans son corps de 1973, afin qu’il puisse empêcher que la fabrication en série des Sentinelles ne soit lancée. Je crois que X-MEN DAYS OF FUTURE PAST est l’un des meilleurs films de la saga, l’un des plus divertissants. Wolverine est le fil rouge de toute cette intrigue, et autour de lui, on retrouve tous les acteurs extraordinaires de la saga : Patrick Stewart, dont nous venons de parler, et James McAvoy qui fait une performance vraiment époustouflante en jouant un jeune Xavier qui n’est plus que l’ombre de lui-même, tant il a de problèmes. Vous allez être bluffé par son interprétation. Et bien entendu, Ian McKellen et Michael Fassbender composent chacun deux visages très différents de Magneto. Il y a énormément de surprises dans ce film, qui mêle habilement les deux équipes de X-MEN et de X-MEN LE COMMENCEMENT. Le scénario m’a impressionné.

Avez-vous lu la série de BD originale de DAYS OF FUTURE PAST créée par Chris Clarmont, Johnny Byrne et Terry Austin avant d’entamer votre travail de création des designs ? Y a-t-il des petits clins d’oeils à la BD dans le film ?

Oui. Nous essayons toujours de rendre hommage aux sources de ces récits, aux comics originaux. Nous les avons utlisés comme références, mais notre outil principal reste le script, qui est précis et très spécifique dans ses descriptions. Pendant nos réunions de travail, Bryan et moi nous asseyions autour d’une table en ayant seulement le script avec nous. Et le design est issu majoritairement du scénario. Mais nous avons veillé à nous inspirer aussi de la BD de DAYS OF FUTURE PAST et des autres représentations de l’univers des X-MEN dans les comics de ces 50 dernières années.

Comment Bryan Singer vous a-t-il décrit ce dont il avait besoin visuellement pour décrire ces deux périodes temporelles ? Quelle a été votre première tâche quand vous avez commencé à travailler sur le film ?

Nous avons d’abord émis des idées après avoir étudié attentivement le script. Pour ma part, je dois dire que j’ai été beaucoup inspiré par le dernier épisode, car je trouve que l’équipe artistique de X-MEN LE COMMENCEMENT a fait un travail remarquable pour évoquer l’esthétique des années 60 : les décors et les costumes étaient superbes. Quand nous avons commencé à en parler avec Bryan, je lui ai dit que je voulais faire de même avec les années 70, en faisant revivre les plus belles créations de l’architecture, du mobilier et des accessoires de cette époque. Il fallait aussi que nous adaptions l’aspect des Sentinelles à ce look « seventies ». Bryan étant lui-même un fan de comics, il a tenu à faire plaisir aux autres fans tout en adaptant les designs à l’histoire que nous avions à raconter. Les Sentinelles sont donc restés des robots humanoïdes, avec une tête, des bras et des jambes. Nous avons conservé leur couleur mauve, leur taille, et leurs capacités, mais parce qu’ils sont sensés avoir été créés dans les années 70, il fallait adapter leur apparence en se demandant comment un designer industriel des années 70 les aurait dessinés. Nous avons cherché des références typiques d’objets industriels de ces années-là, et parmi celles qui nous ont inspirées, il y a ces superbes téléviseurs ronds dont tout le monde se souvient, ces radios à transistors entièrement couvertes de plastique, et les voitures de l’époque. Nous avons décidé de tenir compte de l’utilisation intensive du plastique dans les objets de la vie quotidienne et dans le mobilier design des années 70, et d’intégrer des pièces de plastique opaque et de plastique transparent dans les corps des robots. Nous nous sommes beaucoup amusés à faire cela.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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