Entretien exclusif avec John Myhre, chef décorateur de X-MEN DAYS OF FUTURE PAST - 2ème partie
Article Cinéma du Jeudi 12 Juin 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous revisité les années 70 dans les décors du film , et traité le style très particulier de cette époque ?

Je suis assez âgé pour avoir vécu dans les années 70, mais je dois dire qu’avant de travailler sur ce film, je n’appréciais pas particulièrement cette esthétique-là, tout simplement parce que je n’avais pas pris le temps de me documenter et de le redécouvrir pleinement. Je pensais même que c’était une période assez épouvantable dans le domain du design, avec quelques rares exceptions. Je me suis procuré des ouvrages sur le style moderne des seventies, ainsi que des magazines de décoration de l’époque, et j’ai été stupéfait de constater que c’était en réalité une période de créativité artistique tout à fait brillante, aussi bien dans la conception architecturale que dans celle du mobilier, des lampes ou des voitures. Nous avons sauté sur l’occasion de recréer des meubles, des papiers peints et des éléments issus du design industriel, car il fallait concevoir aussi des accessoires technologiques et des environnements qui évoquent des ateliers autour des Sentinelles.

Il n’y a pas qu’un seul modèle de robot sentinelle dans le film…

Non, il y en a deux : quand nous les voyons dans les années 70, il s’agit de la toute première version créée par Bolivar Trask, que joue Peter Dinklage, tandis que les sentinelles du lointain futur, qui ont énormément évolué, sont sombres, plus fines, plus agiles, beaucoup plus rapides et ont bien d’autres capacités. Quand nous avons développé leur apparence, nous avons fait des recherches pour voir comment le design de ces robots avait changé dans les comics, et nous avons été étonnés de voir qu’il y avait eu des dizaines et des dizaines de designs différents imaginés par les dessinateurs de Marvel au fil des ans.

Avez-vous utilisé la conception assistée par ordinateur pour dessiner les plans des décors du film ? Avez-vous construit aussi des maquettes et créé des séquences 3D de déplacements dans les décors pour aider Bryan Singer à les visualiser et à choisir quels angles de prises de vues il allait utiliser ?

Nous avons utilisé toutes les méthodes que vous avez citées. Nous avons dessiné les décors d’abord en 2D sur palette graphique, sur ordinateur. Puis les concepteurs artistiques de mon équipe se sont chargés de les convertir en images de synthèse en volumes. Personnellement, même si j’aime beaucoup utiliser la 3D pour me promener virtuellement dans les décors avant de les construire, je crois que rien ne peut remplacer l’impact immédiat d’une maquette que l’on peut avoir sous les yeux, et autour de laquelle on peut se déplacer pour l’observer sous tous les angles. J’ai construit des maquettes en carton plume de chacun des décors de X-MEN DAYS OF FUTURE PAST et nous avons pu nous asseoir devant elles avec Bryan Singer et avec le directeur de la photographie Newton Thomas Sigel pour discuter de tout : des positions de caméras, des emplacements de l’éclairage, de la largeur des murs, de la hauteur des plafonds pour faciliter certains mouvements de grue, des parois que l’on devait pouvoir déplacer, etc.

Avez-vous modifié certains décors à ce stade-là pour amplifier certains aspects dramatiques d’une scène ?

Oui. Il y a un moment où l’on voit un des personnages principaux incarcéré, et nous avons décidé de réduire la largeur des murs et la hauteur du plafond de cet endroit pour le rendre encore plus oppressant. Nous avons produit beaucoup d’illustrations pendant toute cette période de conception et de mise au point des décors.

Comment avez-vous conçu le temple dans lequel le voyage dans le passé de Wolverine est initié par Xavier ? Est-il inspiré de vrais temples bouddhistes que l’on peut trouver dans les montagnes de l’Himalaya ?

Non, il est basé sur les architectures orientales anciennes. Nous avons commencé à rassembler des références d’architecture chinoise, et je me suis servi aussi des recherches que j’avais faites auparavant sur l’architecture japonaise pour un autre projet. Nous avons employé aussi des formes étonnantes issues des bâtiments de l’Inde. Je suis allé voir Bryan avec différentes versions du temple, pour lui montrer d’abord quel aspect il aurait s’il était entièrement chinois, ou indien, ou japonais. Puis je lui ai montré des illustrations avec une autre approche qui consistait à combiner les éléments architecturaux les plus intéressants de ces différents pays. C’était un moyen d’obtenir un bâtiment qui ne ressemblerait à aucun autre temple. C’était l’option qui nous plaisait le plus, à moi et à mon équipe, et Bryan nous a donné son feu vert pour aller dans cette direction. L’idée est que ce lieu sacré a été construit et agrandi pendant des siècles par des gens issus de différents pays, de différentes cultures. L’une de mes références préférées vient de ces lieux extraordinaires que je n’ai pas encore eu la chance de visiter moi-même, ces temples indiens qui ont été sculptés entièrement dans la roche d’une falaise, sans aucun montage additionnel. Les sculpteurs ont creusé la montagne en sachant à l’avance quelles parties allaient être des colonnes, des passages, des couloirs et des escaliers. C’est sidérant. Ces lieux sacrés ressemblent à des villes de pierre. Et il n’y a absolument aucun joint de mortier dans les sections complexes de ces lieux. Pour accomplir un tel exploit, il fallait que les sculpteurs aient visualisé dans leurs esprits le résultat final, vingt ans avant d’avoir retiré ces énormes quantités de roche avec leurs marteaux et leurs burins ! Nous avons conservé cette idée dans X-MEN DAYS OF FUTURE PAST et nous essayons de faire comprendre que ce monastère a été sculpté lui aussi directement dans la montagne.

Quels sont les principaux décors que vous avez créés pour décrire le futur apocalyptique ?

Nous avons eu le plaisir de créer le design du X-Jet du futur, ce qui était un projet qui nous plaisait beaucoup, ainsi que le monastère dont nous venons de parler, qui est un lieu complexe doté de nombreuses pièces et endroits différents. Il y a par exemple une section qui ressemble à la grande muraille de Chine, d’autres parties qui font penser à des cavernes souterraines très profondes. En dehors de cela, nous avons créé des décors de New York et de Moscou dans ce futur où tout a été ravagé. Il s’agit de ruines, de bâtiments très endommagés, abandonnés. Ce futur est très sombre et gris, car le monde est à l’agonie. Nous le découvrons en voyageant avec les derniers mutants et les dernières personnes qui subsistent à cette époque.

Quelles ont été les principales difficultés liées à la conception de ces environnements du futur ?

Ils ont été très amusants à concevoir, mais la plus grosse difficulté que nous avons eu à surmonter était le manque de temps…La distribution de notre film est l’un de ses grands atouts, et quand vous regardez la liste des grands acteurs qui ont incarné des X-MEN ou leurs ennemis au fil des ans, cela constitue un casting absolument phénoménal. Arriver à accorder les emplois du temps de tous ces comédiens très demandés pour les réunir tous pendant le tournage de DAYS OF FUTURE PAST a été un véritable casse-tête. Pris séparément, ils sont déjà très accaparés, alors imaginez ce que cela donne quand il faut réunir 20 de ces stars ! Quand mon équipe a commencé à travailler sur le film, nous avons appris que nous ne pourrions disposer de certains acteurs que pendant un nombre de jours très réduit. Et pour se caler sur leurs emplois du temps, il fallait commencer à tourner au plus vite. Certains d’entre eux n’allaient arriver que deux ou trois jours avant le début du tournage, ce qui est très court pour un film de cette ampleur. Dès que Bryan m’a demandé d’être le chef décorateur de DAYS OF FUTURE PAST, et que nous avons eu deux ou trois rendez-vous préparatoires, j’ai sauté dans un avion à destination de Montréal et j’ai commencé à dessiner certains décors pendant le vol ! (rires) Une fois arrivé sur place, j’ai continué à dessiner tout en sélectionnant des artistes pour constituer mon équipe de concepteurs graphiques. Et le lendemain, j’engageais des décorateurs adjoints et des équipes de construction locales. Le défi a surtout consisté à produire les designs, à les faire valider et à commencer la construction des premiers décors en fonction de la disponibilité des acteurs, et de leur arrivée à Montréal.

Avez-vous créé des décors spéciaux pour le tournage à 3500 images par seconde des scènes où Quicksilver voit tout ce qui l’entoure en hyper ralenti alors qu’il bouge à la vitesse de l’éclair ? D’après nos informations, l’éclairage sur le plateau était extrêmement intense. Est-ce que cela signifie que vous avez dû saturer énormément et foncer les couleurs des décors pour compenser cela, et obtenir un aspect qui semble normal ?

C’était extrêmement intéressant à faire. Vous avez raison, c’est exactement comme cela que nous avons dû procéder pour compenser l’intensité de la lumière. Tout était plus sombre et plus saturé, sauf le sol que nous avons laissé blanc et non gris, car nous voulions que l’éclairage en douche puisse être reflété par le sol et « rebondisse » vers le haut sur les objets et les acteurs. Cet éclairage était si intense et si fort qu’ils ne pouvaient pas le laisser allumé entre les prises, car il aurait fait griller les décors. Quand nous étions prêts à tourner, Bryan criait « Moteur ! » puis « Lumière ! » pour qu’on allume les projecteurs et « Action ! » Et là les acteurs agissaient pendant que la caméra tournait à cette vitesse incroyable. Mais au bout de quelques dizaines de secondes, il faisait si chaud qu’on avait l’impression de se retrouver dans un four. Il fallait tout éteindre, laisser refroidir les décors, envoyer de l’air frais sur le plateau, et laisser les acteurs se reposer dans un coin sombre, yeux fermés pour récupérer un peu. Nous avons construit aussi un décor qui a permis de filmer une scène où l’on voit Quicksilver se déplacer tellement vite qu’il court sur les murs. La structure du décor ressemblait à une centrifugeuse, à une sorte de roue couchée sur le côté. Nous n’avons pas procédé comme dans 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE, en faisant tourner la roue de manière verticale autour d’un axe, car il y avait d’autres acteurs qui devaient se déplacer normalement sur le sol pendant que Quicksilver courait sur les murs. L’acteur qui incarne Quicksilver, Evan Peters, portait un harnais et était accroché sur le côté par des câbles reliés à un bras qui se déplaçait autour d’un axe, comme celui d’une centrifugeuse. De cette manière, il pouvait courir couché sur le côté, à l’horizontale, sur un mur vertical. C’était très amusant à faire et à filmer.

Avez-vous créé des aménagements de décors particuliers pour y inclure les équipements servant aux trucages en direct des scènes d’action ?

Notre directeur de la photographie adore utiliser la Louma, cette grue munie d’un grand bras téléscopique. Cela nous a obligé à créer des décors modulaires dont on pouvait démonter rapidement certaines parties pour libérer la place nécessaire au passage du bras de la Louma. Nous avons également adapté les décors aux besoins de l’équipe des effets pyrotechniques, car il y a beaucoup d’explosions dans le film. Certains décors ont été construits sur des gimbals qui les faisaient bouger dans tous les sens, comme celui du X-Jet. D’autres environnements ont été placés sur des gimbals pour se pencher et faire glisser ainsi des accessoires métalliques sur le sol, vers Magneto, quand il fait le geste d’attirer vers lui tous les objets en métal. Notre département a collaboré de manière intensive avec celui des effets spéciaux sur ce film.

Comment avez-vous conçu les décors et les accessoires des locaux de Trask Industries ?

Bolivar Trask est un personnage a l’ego surdimentionné, qui ne s’entoure que de choses exceptionnelles. Il estime que tout ce qui n’est pas « le meilleur du meilleur » est indigne de lui. Nous nous sommes donc procuré des exemples des meubles les plus célèbres des plus grands designers des années 70 pour décorer son bureau et les locaux de sa compagnie. Pour refléter certains aspects de sa personnalité, nous avons choisi des références de l’architecture industrielle « brute » de ces années-là. En gardant en tête la couleur mauve qu’il a choisie pour ses créations, les Sentinelles, nous nous sommes dits que ce serait amusant d’associer cette teinte à tout ce qui concerne Trask. Si vous êtes attentif, vous pourrez remarquer que tout ce qui l’entoure comporte au moins une touche de mauve : ses labos, ses équipements, même les containers dans lesquels il exporte ses productions sont colorées avec ce mauve typique des années 70.

Parlons de la création des accessoires spéciaux et des armes du film. Quels sont ceux qui ont été les plus intéressants à développer ?

Je dirais qu’il s’agit des appareils qui sont connectés aux Sentinelles. Il y a notamment un équipement que Bolivar Trask porte toujours avec lui qui est un « détecteur de mutants » en version portable, beaucoup plus petit que ceux qui sont implantés dans les cerveaux des Sentinelles. Ce qu’il faut savoir à propos des Sentinelles, c’est que ces robots ne sont pas seulement des armes volantes, mais des traqueurs et des chasseurs de mutants. Il s’agit de l’invention la plus sophistiquée qu’ait créée Trask. Bryan Singer voulait que le détecteur miniature que Trask garde avec lui ait un aspect très organique. Au lieu de lui donner une apparence complexe de gadget de Science-Fiction, avec des boutons et des petites lumières clignotantes, nous l’avons dessiné avec des lignes sobres, très épurées. Nous avons également créé un design élégant pour un appareil qui permet de prendre le contrôle des sentinelles et de les piloter, notamment lors de présentations au public ou aux dirigeants politiques. En ce qui concerne les armes, nous avons créé celle de Bishop, qui est incarné par votre compatriote Omar Sy, un acteur merveilleux que nous avons été très heureux d’accueillir dans notre équipe. Bishop a le pouvoir de collecter l’énergie qui l’entoure, de la concentrer et de la restituer grâce au canon portatif qu’il porte sur ses épaules et qui est connecté à son bras. Cette arme n’utilise aucune munition, car sa puissance vient uniquement du pouvoir de Bishop. Personne d’autre que lui ne peut l’utiliser.

Voit-on certains décors à différentes époques ? Avez-vous eu à leur donner un aspect impeccable dans certaines scènes, puis usé et à moitié détruit dans d’autres ?

Oui, nous avons traité plusieurs décors de cette manière, tout au long du film. Je ne peux pas entrer dans les détails pour ne pas révéler certaines surprises de notre histoire, mais dans la plupart des cas, ces changements d’aspect des décors interviennent avant et après que certains évènements aient eu lieu. Cela concerne des choses graves que fait Magneto et qui ont des conséquences dramatiques sur les choses et les gens qui se trouvent là. Il fallait montrer le décor avant et après le passage de Magneto. Nous avons appliqué ce traitement à des décors de très grande taille. Et comme pendant un tournage on ne filme jamais les scènes dans l’ordre chronologique, il nous a fallu retoucher ces décors à plusieurs reprises, dans un sens ou dans l’autre, en leur redonnant leur aspect intact ou leur aspect ravagé.

Comment avez-vous créé les décors des batailles avec les mutants ? Avez-vous construits des éléments en matériaux souples pour assurer la sécurité des acteurs et de leurs doublures cascade ?

C’est une question intéressante, car nous utilisons de plus en plus de matériaux souples pour préparer le tournage des scènes d’action. Généralement, nous construisons d’abord les décors avec des matériaux traditionnels – bois, plâtre, métal – puis une fois qu’ils sont terminés, nous faisons un point avec le superviseur des cascades pour déterminer précisément quelles parties de ces environnements vont être utilisées pendant les scènes de combats. Quand nous les avons identifiées, nous moulons ces parties de décors, puis nous utilisons ces moules négatifs pour produire des copies réalisées dans des matières souples comme de l’uréthane, du silicone ou du latex. Elles sont ensuite peintes et patinées pour ressembler le plus possible aux décors originaux. Elles ne sont pas aussi belles, mais leur aspect est suffisamment proche pour que l’on ne puisse pas remarquer de différence pendant les quelques secondes où on les verra dans le film. Quand nous savons que les cascades vont être filmées le lendemain, nous démontons les portions de décors en dur pendant la nuit afin de les remplacer par les copies en matériaux souples, et les scènes avec les cascadeurs peuvent alors être tournées en toute sécurité. Nous avons fabriqué énormément de copies souples de décors pour ce film. A chaque fois que quelqu’un tombe, c’est toujours sur un sol souple. Il faut choisir le matériau pour qu’il soit assez souple pour protéger l’acteur, mais sans qu’il se comporte comme un coussin mou dans lequel on verrait le comédien s’enfoncer. Mais tout dépend si l’on filme en gros plan ou en plan large. En plan large, on peut jouer sur des matières plus souples.

Quand vous travaillez sur une production comme Days of Future Past , établissez-vous d’emblée une liste des décors à construire avec l’intégralité du budget qui est mis à votre disposition, ou gardez-vous une partie de cette somme en réserve, pour construire des décors au cas où il serait décidé de tourner des scènes additionnelles ?

Nous nous adaptons au fur et à mesure, car les choses évoluent constamment, pas seulement vers la fin, mais pendant toute la durée de la production d’un film. A notre époque, il est rare de pouvoir obtenir une rallonge de budget, quelle que soit l’ampleur du film. La moitié du travail d’un chef décorateur consiste à jouer les comptables, à surveiller les dépenses et à établir des prévisions de ce que vont coûter les décors qu’il reste à construire. Chaque semaine, j’épluche les comptes pour savoir où nous en sommes. C’est la partie la plus contraignante et la plus ennuyeuse de mon travail. Et quand il ne reste plus beaucoup d’argent à la fin de la production, il faut faire des choix, par exemple en discutant avec le réalisateur de la possibilité de construire des décors de deux parois au lieu de quatre, en supprimant des décors qui ne sont pas essentiels, ou en recyclant des structures de décors qui ont déjà été construites.

Est-ce que tous les décors et les meubles de DAYS OF FUTURE PAST ont été conservés et stockés pour être réutilisés dans la suite déjà annoncée de ce film ? Y participerez-vous ?

Dans le passé, les décors n’étaient pas conservés et stockés. Je crois que tous les décorateurs qui on travaillé sur les épisodes de X-Men après le premier ont été contraints de reprendre les plans des couloirs bleus et de la salle de Cerebro pour les reconstruire à l’identique. Mais les choses ont changé, apparemment. La Fox a conservé plusieurs décors de Days of Future Past pour les stocker et les réutiliser dans la suite, notamment ceux de la navette des X-Men - le nouveau X-Jet - et les décors des couloirs bleus. Je ne sais pas quand la suite va être mise en chantier, mais je serais ravi d’y participer !

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