Entretien exclusif avec Doug Liman, réalisateur de THE EDGE OF TOMORROW
Article Cinéma du Dimanche 15 Juin 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Parlez-nous des solutions visuelles et narratives que vous avez trouvées pour éviter de lasser le spectateur qui va assister à l’éternel retour du personnage joué par Tom Cruise dans la boucle temporelle, juste après sa mort… Est-ce que la comédie culte de Harold Ramis UN JOUR SANS FIN vous a inspiré pendant la préparation de ce film ?

D’abord, je voudrais préciser qu’il n’y a pas d’effet visuel qui matérialise cette boucle temporelle, car je ne voulais pas donner à THE EDGE OF TOMORROW l’aspect d’un film « à effets spéciaux » : je n’utilise qu’un simple montage « cut » pour montrer Tom revenant au point de départ. C’est un procédé employé assez fréquemment, même dans les films qui ne jouent pas avec la notion de voyage dans le temps. Au départ, mon approche a consisté à bien différencier pour le spectateur ce qui était un choix de montage, et ce qui se déroulait dans l’histoire pour le personnage, c’est à dire ce qu’il revivait à chaque fois. Pour être plus clair, même si on sait que Tom revient à chaque fois au même point de départ après sa mort et passe par la même continuité d’évènements, on ne le retrouve pas à chaque fois au début de chaque boucle temporelle, mais à d’autre moments de la boucle qui suit. Cela permet d’éviter l’effet de répétition, car chaque boucle est une variante de la précédente étant donné que Tom réussit à modifier progressivement le déroulement des évènements. C’est la différence principale avec UN JOUR SANS FIN, dont chaque boucle commençait par la sonnerie du réveil matin. Mais UN JOUR SANS FIN a effectivement été une source d’inspiration. D’ailleurs, quand je suis à New York, ma psychiatre le cite souvent ! Bien avant que je ne me lance dans la réalisation de THE EDGE OF TOMORROW, elle me disait « Vous avez besoin de revoir UN JOUR SANS FIN ! » . Ce qu’elle voulait dire par là, c’est que dans ce film, on voit que tous les gens autour de Bill Murray répètent à chaque fois les mêmes comportements au cours de cette journée, et que pour résoudre ses problèmes, la seule chose que Bill Murray peut changer, c’est lui-même. Bref, ma psy me disait par ce biais que ce n’était pas la peine d’espérer que les autres changent, mais qu’il valait mieux se transformer soi-même, changer sa routine, car c’est la seule métamorphose que l’on peut contrôler dans la vie. C’est ce que Bill Murray apprend dans le film, et ce qui lui permet de sortir de cette fameuse boucle sans fin. Quand j’ai lu la première version de THE EDGE OF TOMORROW, j’ai tout de suite trouvé l’idée intelligente, car je savais qu’il y avait un message très fort derrière cela.

Et en suivant le conseil qui vous avait été donné jusqu’au bout, avez-vous changé aussi de psychiatre ?

Non ! (rires) J’avais assez de travail en essayant de me changer moi-même !

Vous avez cité LE PONT DE LA RIVIERE KWAÏ parmi vos sources d’inspiration. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

J’ai toujours été intéressé par les grands films de guerre. Le point commun avec THE EDGE OF TOMORROW, c’est que les personnages de Tom et Emily Blunt se trouvent derrière des lignes ennemies. Peu importe qu’il s’agisse d’aliens au lieu d’adversaires humains : il y a la même notion d’héroïsme que la guerre déclenche chez certaines personnes. C’est un thème qui me fascine. L’autre point commun est qu’au début de l’histoire, ni le personnage que joue Tom Cruise - un publicitaire qui essaie par tous les moyens de ne pas aller combattre sur le front - ni le personnage incarné par William Holden dans LE PONT DE LA RIVIERE KWAÏ n’ont envie de jouer les héros.

Comment traitez-vous les extraterrestres dans le film ?

J’aime la notion d’un ennemi alien impitoyable, car c’est un concept à la fois fort et remarquablement simple. On n’a pas à se demander « Mais est-ce qu’on ne devrait pas essayer de communiquer avec eux pour désamorcer le conflit ? » parce que dès le départ on sait qu’ils sont là pour nous exterminer jusqu’au dernier, et que la seule solution, c’est de les tuer ou d’être tué. C’est une guerre totale et cela rejoint aussi la simplicité de l’enjeu du PONT DE LA RIVIERE KWAÏ : dans ce film, personne ne se demande s’il est judicieux ou pas de faire sauter le pont : il faut le détruire coûte que coûte !

Quels sont les premiers changements que vous avez mis en place quand vous avez accepté de réaliser le film ? Avez-vous modifié beaucoup le scénario ?

Je l’ai changé à un tel point que Dante Harper, le scénariste qui avait écrit une première version brillante du script, a été écarté du générique par la Guilde des auteurs américains. Son nom ne figurera pas sur les affiches, et c’est une situation qui me rend horriblement mal à l’aise, car la raison pour laquelle je me suis intéressé au projet est justement que cette première version du scénario de Dante était très bonne ! Le problème est que la Guilde des auteurs ne tient compte que du nombre de pages écrites par chaque auteur dans le script définitif pour déterminer qui sera crédité officiellement. Comme j’ai travaillé avec Jez et John Henry Butterworth, deux frères avec lesquels j’avais déjà collaboré sur le script de MR AND MRS SMITH, nous avons apporté tellement de modifications successives au scénario que la part des pages originales non retouchées de Dante était très réduite. L’ironie de la situation, c’est que Jez et John Henry avaient beaucoup travaillé sur MR & MRS SMITH, et qu’ils n’avaient pas été crédités sur ce film-là ! Là aussi, c’est une situation bouclée.

Justement, qu’avez-vous changé par rapport à l’histoire originale ?

Dans le récit original, le héros était un soldat de 18 ans. Cela me posait un problème, car je tenais à engager une grande vedette pour tenir le rôle principal, et il n’existe pas de star de 18 ans. Nous avons donc imaginé un contexte complètement différent pour justifier qu’un homme de l’âge de Tom Cruise puisse se retrouver sur le front, forcé à combattre. Je considère qu’une histoire devient plus intéressante si les personnages principaux ont déjà un certain âge, parce que cela signifie qu’ils ont eu le temps d’acquérir de l’expérience au cours de leurs vies, et que les relations dans lesquelles ils décident de s’engager ont plus de sens et de profondeur. La structure du script original ne m’avait pas totalement convaincu, et je savais aussi que si la fin prévue fonctionnait sur le papier, elle ne marcherait pas une fois transposée en images. Réussir à trouver une fin satisfaisante a été extrêmement ardu. Non seulement parce que nos héros répètent leur journée, et qu’il faut gérer les paradoxes temporels que cela peut créer, mais aussi parce qu’il faut arriver à une conclusion qui soit simple, évidente, et qui satisfasse tous les spectateurs. Vous pouvez pousser un soupir de soulagement quand vous prenez du recul par rapport à votre travail sur le film, et qu’après l’avoir lu une dernière fois, vous vous dites « il n’y avait aucun autre moyen de raconter différemment cette histoire. Là, ça marche ! » Mais le chemin pour parvenir à ce résultat a été très long et très complexe. Nous avons commencé à y réfléchir avec Tom, qui a émis des idées judicieuses, et qui nous a dit « Mais pourquoi êtes-vous aussi stressés ? La date de début du tournage n’est pas encore fixée, ce qui vous laisse le temps de travailler. » Malheureusement, cela a pris tellement de temps que le tournage a débuté avant que le script ne soit finalisé, ce qui n’est pas simple à gérer…D’habitude, quand on se trouve dans cette posture délicate, la date de fin du tournage vous booste et vous incite à trouver les solutions narratives juste à temps. Mais cela n’a pas été le cas non plus ! Quand nous en sommes arrivés à ce point-là, je me suis dit, « Bon, eh bien rien de tel qu’une date de fin de montage pour vous aider à trouver la fin d’un film ! » (rires) Tom est venu me retrouver assez souvent en salle de montage, et nous avons eu l’idée de tourner des plans supplémentaires dans le local de montage, sur un fond vert, pour les intégrer dans le film et nous permettre de créer une fin vraiment satisfaisante. Et c’est ce que nous avons fait.

Vous avez déclaré ce matin qu’Emily Blunt était la seule actrice que vous aviez en tête pour incarner Rita Vrataski. Mais Tom Cruise a-t-il été votre premier choix aussi ?

Les modifications du script que nous avons faites ont été écrites spécialement pour proposer le rôle de Bill Cage à Tom. Quand nous avons commencé à faire vivre ce personnage en imaginant un homme d’âge mur, nous nous sommes représentés Tom. C’est souvent ainsi que les scénaristes travaillent : ils imaginent un casting d’acteurs, et cela les aide à donner plus de corps à leurs personnages. Par chance, quand nous avons envoyé le script à Tom, il l’a beaucoup aimé. Bien sûr, si Tom avait décliné cette proposition, nous aurions retravaillé le scénario à nouveau pour le proposer à un autre acteur. J’ai déjà fait l’expérience de cette situation-là quand j’avais choisi Brad Pitt pour jouer le rôle de Jason Bourne dans LA MEMOIRE DANS LA PEAU : après avoir dit oui, Brad Pitt s’est désisté, et j’ai proposé le rôle à Matt Damon. Mais dans le cas de THE EDGE OF TOMORROW, Tom est le premier et le seul acteur qui ait lu le script avec la proposition d’incarner le personnage principal. Idem pour Emily Blunt.

La Science-Fiction fait un spectaculaire retour en force ces dernières années, avec des films très originaux comme DISTRICT 9, OBLIVION, PACIFIC RIM, GRAVITY, ELYSIUM, LOOPER et SOURCE CODE. A quoi cette résurgence est-elle due, selon vous ?

Les gens ont envie de voir ce genre d’histoires parce que notre époque est anxiogène. La Science Fiction leur permet à la fois de se divertir, de s’évader en voyageant très loin, et de réfléchir aux nombreux problèmes de la vie réelle. Mon point de vue est celui d’un citoyen américain, mon pays fait face à d’énormes difficultés. Et quand on va voir un film comme GRAVITY, on se retrouve loin de la terre ! Dans le climat de crise actuel, le public n’a pas envie de se déplacer dans les salles pour être confronté aux mêmes problèmes que ceux qu’il vit au quotidien. C’est ce que j’ai pu constater quand FAIR GAME, inspiré d’évènements politiques réels, est sorti. Je suis très fier du film, mais j’ai compris qu’il forçait les spectateurs à voir en face des faits qui n’étaient pas à l’honneur du gouvernement Bush, alors qu’ils avaient plutôt envie d’oublier tout cela et de tourner la page.

La suite de cet entretien réapparaîtra bientôt dans la boucle temporelle d’ESI !

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