A l'occasion de la sortie en Blu-ray de Godzilla, entretien exclusif avec le réalisateur Gareth Edwards
Article Cinéma du Vendredi 03 Octobre 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Dix mois après notre escapade canadienne, nous avons retrouvé Gareth Edwards, à Londres, pour une présentation du film et un second entretien exceptionnel. L’excellente impression que nous avait fait le film en cours de fabrication a été confortée par la découverte sur le grand écran du retour sensationnel du roi des Kaijus…

Selon vous, qu’est ce qui rend Godzilla toujours attractif aujourd’hui, alors qu’il a été créé il y a 60 ans ?

Il y a beaucoup de raisons, que nous avons identifiées assez rapidement au cours des premières réunions de travail autour du film. D’abord, il y a un nombre quasi infini d’histoires que vous pouvez raconter avec Godzilla, tant que ce monstre géant émerge à un moment de la ligne d’horizon, vient surplomber les immeubles des grandes villes et entreprend de les détruire ! La fascination pour Godzilla est probablement issue de souvenirs lointains ancrés profondément dans la nature humaine. Je pense à cet inconscient hérité de nos lointains ancêtres qui devaient se regrouper dans des cavernes ou dans des huttes primitives pour survivre, il y a des millions d’années, parce qu’il vivaient dans la menace permanente de l’attaque des animaux sauvages. Je crois que nous avons tous dans notre ADN cet instinct de survie, cette crainte de devoir nous défendre tôt ou tard contre une agression de la nature qui détruira nos foyers et mettra en danger nos proches. Bien sûr, à notre époque moderne, nous nous sentons bien protégés dans nos immeubles et dans nos gratte-ciels, mais les animaux menaçants de nos cauchemars se sont adaptés à cela et sont devenus plus grands dans nos fantasmes, comme en attestent de nombreux films fantastiques depuis l’invention du cinéma. Et même si la notion d’un monstre géant qui surgirait au beau milieu d’une ville est complètement folle, il y a malgré tout quelque chose qui semble juste dans cette idée, comme si l’on transposait sur le grand écran une obsession bien réelle. En fait, nos peurs primales sont restées quasiment les mêmes : elles se sont simplement adaptées à l’échelle de nos mégalopoles.

La manière dont vous traitez les personnages humains est l’une des particularités de votre version de GODZILLA si on la compare aux films de la saga japonaise : elle est plus réaliste et plus émouvante…

Oui, mais si vous visionnez les premiers films japonais de Kaijus, vous constaterez qu’il y a beaucoup d’éléments humains dedans, avec des enjeux dramatiques traités sérieusement. C’était un choix narratif, mais aussi une obligation budgétaire, car ils ne pouvaient pas se permettre d’enchaîner constamment les scènes de combats et de destructions avec les monstres à cette époque. C’est la raison pour laquelle les intrigues qui concernent les protagonistes humains sont bien développées tout au long des premiers films.

Quels étaient vos films de monstres préférés pendant votre enfance ? Etiez-vous déjà fan de Godzilla à ce moment-là ?

Tout à fait. J’étais fasciné par Godzilla quand j’étais enfant, parce que j’avais vu la version de 1954 qui m’avait beaucoup impressionné. Mais à ce moment-là en Angleterre, il était difficile de trouver les cassettes VHS des autres films de Godzilla produits par la Toho, et je ne les ai donc pas vus. J’ai grandi pendant l’époque où les effets numériques n’existaient pas encore et où les créatures étaient animées de manière traditionnelle. C’était la grande explosion du Fantastique et de la SF initiée par STAR WARS, puis par RENCONTRES DU TROISIEME TYPE, ALIEN, les productions de Steven Spielberg comme E.T. et POLTERGEIST, et les films de Robert Zemeckis comme RETOUR VERS LE FUTUR. J’ai adore ces films et leurs réalisateurs étaient mes héros. en abordant GODZILLA, j’ai voulu revenir à ce style de mise en scène de la fin des années 70 et des années 80, car à ce moment-là on ne faisait jamais passer les effets visuels avant la narration de l’histoire. Aujourd’hui je trouve que le spectacle des effets numériques a tendance à envahir complètement certains films. Et la conséquence de cela, c’est qu’au bout d’un moment, votre regard se lasse de cette surabondance d’effets 3D : tout ce qui se passe sur l’écran semble ne plus avoir aucune importance. On est incapable de citer les titres de ces films quelque temps plus tard, car on a du mal à se souvenir qu’on les a vus ! Pendant mon enfance, les monstres n’étaient pas du tout traités ainsi. Il y avait toujours de grands enjeux dramatiques autour d’eux, comme les situations tendues ou très émouvantes qui se déroulent juste après les attaques du grand requin blanc dans LES DENTS DE LA MER ou de la créature dans ALIEN. Les personnages humains se trouvaient toujours au cœur de l’action, comme on s’en rend compte en revoyant LES DENTS DE LA MER qui est l’un de mes films préférés, et RENCONTRES DU TROISIEME TYPE. Vous ressentiez énormément d’empathie pour ces gens ordinaires confrontés à des évènements extraordinaires. Quand ils se retrouvaient en face d’une créature ou d’évènements mystérieux, la peur que vous ressentiez n’en était que plus grande parce que vous vous étiez déjà impliqué dans leurs vies, et que vous aviez déjà commencé à faire un bout de chemin avec eux. Il était donc important pour moi que GODZILLA soit construit autour d’un groupe de personnages réalistes, auxquels on s’attache vite. Ainsi, quand on en arrive aux scènes très spectaculaires, l’impact sur les spectateurs est beaucoup plus puissant.

Est-ce que le nom de famille de vos deux personnages principaux, Joe et Ford Brody, est un hommage aux DENTS DE LA MER, et au shériff Martin Brody que joue Roy Scheider ?

Oui, absolument ! Ford Brody est le personnage principal de GODZILLA, et quand nous étions en train d’écrire le script, nous nous amusions à le visualiser comme un jeune Harrison Ford. Du coup, nous avons commencé à l’appeler Ford, puis nous avons ajouté le nom de Brody en hommage au classique de Spielberg. Dans LES DENTS DE LA MER, le shériff Brody est confronté au dilemme de fermer ou non la plage, car il subit les pressions politiques du maire pour ne pas nuire aux profits commerciaux engendrés par le tourisme. Il est donc écartelé entre son instinct qui lui dit qu’il faut interdire la baignade sur la plage pour protéger le public d’une attaque du grand requin blanc et les menaces de sanctions proférées par le maire. Nous nous sommes beaucoup référés à cela pendant l’écriture de GODZILLA, car les autorités essaient elles aussi de ne pas ébruiter la présence des créatures.

Un autre point commun, c’est que l’US Navy « aurait besoin de bateaux beaucoup plus gros » pour faire face à Godzilla, pour reprendre la célèbre citation des DENTS DE LA MER…

Exactement ! (rires)

La suite de cet entretien avec Gareth Edwards paraîtra bientôt sur ESI !

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