Le défi des Watchmen - Entretien avec le réalisateur Zack Snyder et l'illustrateur Dave Gibbons
Article Cinéma du Mercredi 04 Mars 2009

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Réputé impossible à transposer au cinéma, le célèbre roman graphique « Watchmen », écrit en 1985 par Alan Moore et dessiné par Dave Gibbons va enfin arriver sur nos écrans. Ce thriller situé dans une réalité alternative – l’action se déroule aux USA dans les années 80, avec un Richard Nixon toujours au pouvoir ! - a été unanimement salué comme une œuvre majeure dès sa publication. Dans ce récit fleuve, les membres d’une ancienne équipe de justiciers costumés enquêtent pour découvrir qui essaie de les assassiner les uns après les autres… Devenue culte, « Watchmen » a fasciné plusieurs générations de lecteurs. De multiples tentatives d’adaptation au cinéma ont tourné court depuis 20 ans, mais aujourd’hui, cette malédiction est enfin rompue : le film existe, et il sera bientôt prêt ! Nous avons rencontré le réalisateur Zack Snyder ainsi que Dave Gibbons lors de la présentation de plusieurs extraits à Paris. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les quelques séquences dévoilées étaient plus que convaincantes. Elles étaient un reflet fidèle de la BD, tout en étant parfaitement intégrée à cette autre forme de spectacle qu’est un film de cinéma. Synder aurait-il réussi l’impossible ? En attendant de pouvoir le vérifier en visionnant l’intégralité du film, nous lui avons posé quelques questions sur la genèse de ce projet particulièrement complexe…



Selon-vous « Watchmen » est-il toujours un récit actuel, aujourd’hui, vingt-trois ans après sa parution ?

Dave Gibbons : Je crois que oui. Quand notre bande dessinée est parue, elle proposait un commentaire nouveau, décalé, sur les récits de superhéros. Aujourd’hui, le film jette lui aussi un regard différent sur le genre cinématographique des aventures de superhéros. Ces dernières années, le public a eu l’occasion de voir de nombreux films de ce registre, et a donc un oeil plus aiguisé et plus critique. Les spectateurs connaissent tous les codes du genre : la raison pour laquelle le héros cache son identité en se fabriquant un costume, pourquoi il se crée un repère secret, etc…Notre histoire va au-delà de ces conventions, et présente des évènements qui répondront peut-être aux questions que le public se pose encore sur le thème des superhéros.

Zack Snyder : Quand le roman graphique est sorti, il a été perçu comme une révolution par tous les lecteurs de BD, dont je faisais partie. Il marquait le passage des récits de superhéros à l’âge adulte. Ce qui est intéressant, c’est que tout le monde connaît aujourd’hui les bases de ce monde. Ma mère, qui n’est pas une fan de BD, sait que Batman a une identité secrète et possède une caverne sous son manoir de millionnaire. Elle sait aussi que Peter Parker a été mordu par une araignée radioactive et a acquis ainsi ses pouvoirs de Spider-Man. Toutes ces choses autrefois connues seulement par les fans font désormais partie de notre mythologie commune, de notre culture populaire dans sa forme la plus pure.

« Watchmen » a eu longtemps la réputation d’être intransposable au cinéma. Pourquoi vous êtes-vous attelé à cette tâche en dépit de cela ?

Zack Snyder : Pour deux raisons : d’abord parce que je savais que le film serait fait un jour ou l’autre. Le studio Warner était déterminé à ce que ce projet aboutisse. Ensuite, quand on m’a demandé si je pensais que j’étais capable de le réaliser, et si je voulais m’en occuper, je me suis dit que si je refusais, il était possible que quelqu’un d’autre, qui aimait moins la BD originale, s’en charge et massacre le récit ! Dans ce cas, je me serais senti partiellement responsable de ce fiasco. A présent, comme j’ai accepté la proposition, si le projet est jugé mauvais, ce sera uniquement de ma faute ! (rires) Une fois que je me suis dégagé un peu des craintes que ce projet m’inspirait, je me suis mis à travailler et cela a été une expérience absolument fantastique. Cela m’a donné l’opportunité de faire un film qui présente une version adulte, souvent provocatrice, de l’univers des superhéros. C’était une occasion unique de revisiter ces mythes.

Ce projet a-t’il été très différent de votre film précédent, « 300 », qui était lui aussi l’adaptation d’une bande dessinée ? Comment compareriez-vous les personnalités de Frank Miller et d’Alan Moore ?

Zack Snyder : Je suis un fan de l’œuvre de Frank Miller. C’est un artiste phénoménal, qui est à la fois un dessinateur stupéfiant et un scénariste génial. J’ai aussi une très grande admiration pour les récits d’Alan Moore. Alan a une vision située pratiquement aux antipodes de celle de Frank, aussi bien en termes d’opinion politique que de vision globale du monde. En tant qu’artiste, j’aime les gens qui ont une forte personnalité et une vision très particulière. Alan et Frank sont des individus à part, chacun pour des raisons différentes. Quand j’ai réalisé « 300 », j’ai voulu rendre hommage au style graphique unique de Frank Miller. Avec « Watchmen », j’ai voulu restituer le point de vue d’Alan sur les Etats Unis, ses positions politiques, et la manière dont il observe l’histoire contemporaine. Il a intégré tout cela de manière fantastique dans le canevas de l’histoire de « Watchmen ».



Vous n’avez pas eu de problème pour obtenir l’autorisation d’utiliser la célèbre chanson de Bob Dylan « The times, they are a-changin » dans le générique ?

Non, aucun problème, car il se trouve que Bob Dylan est un fan de « Watchmen » ! (rires). D’ailleurs, nous avons dû faire un remix de la chanson, car le générique dure 6 minutes tandis que la chanson originale dure 3 minutes et demie. Il a donc fallu l’allonger un peu !

Dave Gibbons : Je voudrais revenir sur la question que vous posiez à propos des personnalités d’Alan Moore et de Frank Miller. Je les connais tous les deux, et je dirais que Alan est comme Mozart : il entend toute la symphonie dans sa tête, et visualise toutes les orchestrations. Frank est tout aussi talentueux, mais il fonctionne davantage comme un grand jazzman, comme Miles Davis, par exemple. Frank sait où il va, mais il improvise en cours de route, ce qui lui permet de créer des choses spontanées et inattendues. Pour poursuivre sur cette note musicale, je dois dire que c’est un immense plaisir d’entendre la chanson de Bob Dylan dans le film, car le premier chapitre de la BD, qui s’intitule « At midnight, all the agents » est une citation tirée de « Desolation Row », une autre de ses chansons, que j’ai découverte quand j’avais 14 ou 15 ans. Je sais qu’Alan est lui aussi un grand fan de Dylan. Pour ma part, quand j’ai entendu « The times, they are a-changin » sur les images du générique de « Watchmen », j’en ai eu la chair de poule !

Certains passages du roman graphique sont traités comme des coupures de journaux, ou des passages extraits de livres. Comment avez-vous utilisé ces informations-là dans le film ?

Zack Snyder : Il y a des tonnes d’idées additionnelles dans ces passages, et j’ai trouvé qu’il était intéressant d’en reprendre quelques unes et de les intégrer dans le film. Pendant le générique, par exemple, on assiste à la fin tragique du personnage de Silhouette, et au scandale lié à la révélation de sa vie privée. Vous verrez d’autres choses de ce genre dans le film. J’ai aimé concevoir des images du film à partir des dessins de Dave, mais j’ai également pris beaucoup de plaisir à imaginer des scènes à partir de ce qu’Alan avait écrit dans ces textes complémentaires.

« Watchmen » est un récit écrit et dessiné par deux anglais qui jettent un regard très critique sur les Etats-Unis. Etant donné que vous n’êtes pas anglais, Zack, pensez-vous avoir tout le recul nécessaire pour illustrer leur point de vue ?

Zack Snyder : Ce qui me plaît dans « Watchmen », c’est que c’est une sorte de portrait voyeuriste et décadent de l’Amérique, représentée avec toutes ses qualités et toutes ses outrances. Pour moi, c’est très amusant de raconter cette histoire justement parce qu’elle est acerbe. Le personnage du comédien, par exemple, a beaucoup plu aux spectateurs des premières projections test du film. Les gens disaient « oh, j’adore le comédien, c’est un personnage super ! ». Pourtant, il abat une femme enceinte, et il est impliqué dans des tas de choses assez sordides. En réalité, c’est un type horrible ! (rires) Mais les gens l’aiment bien, malgré le fait que je l’ai montré sous son jour le plus extrême ! On le voit faire quelque chose de terrible dans le générique dont je préfère ne pas parler, mais qui me semble le définir en une seule action. Mais en dépit de tout ça, les spectateurs ne se détournent pas complètement de lui. C’est une telle crapule, un tel dur à cuire qu’on a envie de continuer à voir ce qu’il va faire. D’une certaine manière, le comédien est un peu comme l’Amérique. Il est sympathique par certains côtés, et par d’autres aspects, il est brutal et horrible.

Dave Gibbons : Je crois qu’Alan et moi nous avions une connaissance « mythique » des USA, et pas du tout basée sur la réalité. Je me souviens que quand je me suis rendu pour la première fois aux Etats-Unis, le simple fait de voir une bouche d’incendie rouge me réjouissait. Je trouvais que c’était un objet extraordinaire parce que j’en avais vu dans des centaines de films et de séries américaines ! Quand je suis arrivé à New York, ce ne sont pas la statue de la liberté ni l’Empire State Building qui m’ont fasciné, mais les réservoirs d’eau en bois qui sont fixés aux sommets des immeubles. J’en avais vu dans tant d’histoires de Spider-Man dessinées par Steve Dikto que j’étais ravi de les voir enfin « en vrai » ! (rires) Je crois que le fait d’intégrer notre histoire aux grands évènements récents de l’histoire des USA - les premiers pas de l’homme sur la lune, les mouvements de lutte pour les droits civiques, les manifestations pacifiques, etc – nous a permis d’intégrer les Watchmen dans cette mythologie américaine.

« Watchmen » est un récit qui fut publié sous la forme d’une série de chapitres. Le film est-il une sorte de résumé de ces différentes parties, ou en utilisez-vous seulement certaines et pas d’autres ?

Zack Snyder : Le film reflète l’intégralité du récit original. Mais il a fallu faire l’impasse sur certaines scènes secondaires ou certains détails. Au début, nous avions envie de recenser tous les moments les plus frappants de l’histoire, et de lister les répliques les plus savoureuses pour les intégrer au film, mais cela finissait par devenir un exercice fétichiste ! Par la suite, j’ai trouvé qu’il était plus efficace de mêler certaines scènes les unes aux autres, soit par le biais du montage, soit en les combinant au sein de la même action. Le récit n’est donc pas aussi linéaire que dans la bande dessinée, les intrigues sont plus entremêlées.

Dave Gibbons : Pour ma part, j’ai le sentiment que la structure du film est très proche de celle du roman graphique. Zack a trouvé des idées très astucieuses pour présenter certains évènements en les regroupant sous forme de flashbacks.



Comment ressentez-vous le fait qu’Alan Moore a rejetée d’emblée toute implication dans la version cinématographique de « Watchmen », et qu’il n’a pas voulu soutenir le film ?

Zack Snyder : Je souhaiterais que les circonstances soient différentes, mais que voulez-vous y faire ? Quand je suis arrivé, Alan avait déjà déclaré qu’il ne voulait pas participer au projet, et qu’il demandait que son nom soit retiré du générique du film... J’ai vraiment essayé de respecter son travail, car j’ai une immense admiration pour son œuvre.

Vous avez apparemment modifié certains éléments du récit original, notamment en supprimant l’arrivée de la pieuvre monstrueuse. Craignez-vous de mécontenter les fans en faisant cela ?

Zack Snyder : Je suis moi-même un fan, mais je suis aussi réalisateur. Quand j’ai reçu le script que Warner avait fait développer pour « Watchmen », il était…comment dire… très différent de la version du film qui existe à présent ! J’ai vraiment tenu à intégrer dans le film tous les éléments de l’histoire originale qui étaient susceptibles de fonctionner au cinéma, et qui pourraient tenir en deux heures de demie de projection. Je voulais que le public puisse vraiment faire l’expérience de ce qu’est « Watchmen » en se rendant dans une salle de cinéma. Je n’ai aucunement l’intention de substituer le film au livre. Je crois même que les gens qui auront vu le film auront envie de lire le roman graphique pour découvrir d’autres parties de cet univers très riche. J’ai tenté de respecter l’esprit du livre, particulièrement en ce qui concerne sa fin, mais même si l’image de la pieuvre géante est visuellement frappante dans la bande dessinée, j’ai eu le sentiment que ces scènes n’étaient pas forcément adaptables telles quelles au cinéma. Donc même si vous ne verrez pas de pieuvre géante dans le film, je crois que l’intrigue originale, et ses implications intellectuelles seront bien présentes. Ce sera une fin qui ne ressemblera pas à celle d’un divertissement Hollywoodien, ni à celle d’un film de superhéros habituel. Je me suis vraiment battu comme un beau diable pour préserver cette conclusion, croyez-moi. C’était un vrai combat !

Dave Gibbons : Je crois que le film doit d’abord fonctionner en tant que film. Nous changeons complètement de mode narratif, parce que les deux supports n’ont rien à voir. Une transposition littérale de la bande dessinée serait catastrophique ! Pour ma part, je pense que la fin du film respecte l’ambiguïté morale du récit original d’Alan Moore. Tant que l’on n’y touche pas, je serai parfaitement satisfait.

Comment avez-vous abordé les décors du film ? Avez-vous reproduit des éléments de la bande dessinée, ou avez-vous plutôt essayé d’en retenir l’esprit ?

Zack Snyder : Nous en avons gardé l’esprit sans en recopier forcément les détails. Pour vous donner un exemple, dans l’appartement du comédien, nous avons ajouté des reproductions de tableaux de maîtres pour montrer que même si cet être est une brute, il est aussi capable d’apprécier certaines formes de beauté.

Quelle a été votre stratégie à propos du casting du film ? De toutes évidences, vous n’avez pas cherché à réunir des stars…

Zack Snyder : Vous savez, pendant les premières réunions avec le studio, il nous est arrivé de nous dire « Oh, on devrait demander à Tom Cruise et à d’autres stars de jouer dans le film, un peu comme dans « Ocean’s Eleven » ! » (rires) Mais le danger de cette approche, c’est qu’il ne fallait surtout pas que la notoriété de ces vedettes nuise à notre découverte des personnages. Ni que le public se dise : « Ah, tiens, c’est amusant de voir cette vedette-là dans une tenue de superhéros ». Il fallait que les spectateurs se sentent immergés dans l’univers de « Watchmen », et qu’ils y croient d’emblée. Je ne pense pas que nous y serions arrivés si nous avions réuni un casting de superstars. L’autre problème, c’est évidemment que les cachets des grandes vedettes ne sont pas bon marchés ! (rires) Le film est très ambitieux visuellement, et investir une grande partie du budget dans les cachets de célébrités ne me semblait pas être l’approche la plus judicieuse. Les acteurs que nous avons choisis pour jouer dans le film sont tous extrêmement talentueux, et se sont donnés à fond pour devenir leurs personnages. Billy Crudup a dû tourner de nombreuses scènes du Dr Mahattan recouvert d’un costume de capture de mouvements, car il allait être remplacé ensuite par une effigie totalement virtuelle. Il portait un costume blanc recouvert de petites lampes, car son corps est sensé émettre de la lumière. Nous avons donc tourné ces scènes ainsi, avec ce système qui simulait l’énergie que son corps irradie. On peut d’ailleurs voir la lumière projetée par son costume éclairer les acteurs et les décors qui l’entourent. Le visage de Billy a également été recouvert de petits points, et filmé par une caméra HD qui le cadrait en gros plan, afin que les animateurs puissent utiliser les références de ses expressions faciales. C’est donc la performance d’acteur de Billy que l’on voit quand on suit le Dr Mahattan. D’habitude, quand les animateurs s’occupent d’un personnage de superhéros, il lui font faire des choses folles : bondir d’un immeuble à l’autre, écraser une voiture comme Hulk… Dans « Watchmen », ils se sont calés sur les gestes minimalistes de Billy, qui reproduisait ceux du personnage de la BD. Les autres acteurs ont lu et relu aussi le roman graphique pour connaître tous les détails des personnages qu’ils incarnaient. Patrick Wilson a par exemple repéré une petit moue de son personnage qu’il a reproduite en jouant Night Owl.

Dave Gibbons : Quand je suis venu assister au tournage pour la première fois , Zack était en train de filmer une scène avec tous les personnages principaux, revêtus de leurs costumes de justiciers, debouts devant une carte géante des Etats-Unis. Je peux vous assurer que c’est une des expériences les plus étranges que j’aie jamais vécue de toute ma vie ! (rires) Je me souvenais encore très bien de la manière dont ces personnages étaient sortis de ma tête lorsque je les ai dessinés, et ils étaient à présent faits de chair et d’os, et se tenaient devant moi ! C’était vraiment bizarre…

La narration de « Watchmen » nous permet de suivre les émotions des personnages, sans forcément suivre une chronologie classique. Le lecteur fait ainsi des bonds dans le passé et même dans le futur. Avez-vous adopté aussi ce type de narration dans le film ?

Zack Snyder : Oui, par moment, comme vous avez pu vous en rendre compte en découvrant les scènes autour de l’accident du Dr Mahattan qui mêlent passé, présent et futur. C’est une des caractéristiques du roman graphique. Comme toutes les grandes œuvres, il possède son propre style narratif. Certaines scènes en évoquent d’autres, qui sont situées dans le passé, tandis que certains moments particuliers incitent le Dr Mahattan à se projeter dans l’avenir pour entrevoir ce qui sera. J’ai vraiment tenu à évoquer ce style narratif en réalisant le film. Je sais que ce que je dis a l’air d’être une réponse bidon, mais c’est pourtant vrai ! (rires)

Dave Gibbons : Quand Alan a terminé d’écrire l’intrigue de « Watchmen », il s’est rendu compte qu’il avait juste assez de matière littéraire pour faire paraître six fascicules de deux chapitres. C’est la raison pour laquelle le récit a été découpé ainsi, et pourquoi certains chapitres s’intéressent davantage à un seul personnage, tandis que d’autres sont consacrés à la progression de l’intrigue.



Vous souvenez-vous de la réaction de l’éditeur DC Comics, quand vous lui avez apporté « Watchmen » ? Comment a-t’il accueilli ce récit totalement atypique ?

Dave Gibbons : Comme vous le savez sans doute, DC Comics avait acheté les droits de personnages de superhéros qui appartenaient aux éditions Charlton, et qui n’étaient plus publiés depuis longtemps. C’étaient des personnages de second choix, il faut bien le dire. Quand DC a proposé à Alan d’écrire une histoire autour de ces personnages, il a accepté, mais ce qu’il leur a livré peu après ne correspondait pas du tout à ce qu’ils avaient l’habitude de publier. C’était du pur Alan Moore, et si je me souviens bien, il tuait une bonne partie de ces personnages que DC venait tout juste d’acquérir ! (rires) DC nous a demandé ensuite de créer de nouveaux personnages et de proposer une nouvelle histoire. c’est ainsi que « Watchmen » a débuté. On nous a laissé travailler en paix. Alan Moore, le coloriste John Higgins et moi-même vivons à moins de 70 kilomètres les uns des autres. Nous nous réunissions donc souvent pour faire avancer notre petit projet, et nous prenions beaucoup de plaisir à travailler entre amis. Je ne me souviens pas que nous ayons reçu la moindre directive de DC pendant que nous étions en train d’élaborer le projet. Nous avons travaillé en toute liberté, sans savoir forcément à quoi nous allions aboutir. Si nous nous étions pris la tête entre les mains en nous disant « Nous allons écrire le « Citizen Kane » de la BD contemporaine ! », nous ne serions pas arrivés à grand’chose ! (rires). D’ailleurs, quand nous avons fini, nous ne savions pas vraiment ce que valait le résultat final, et DC comics non plus d’ailleurs, quand nous le leur avons envoyé ! Nous nous étions bien amusés, et je dois dire que c’est aussi ce que j’ai ressenti pendant la production du film.

Quels sont les premiers éléments de l’histoire que vous avez décidé de couper pour faire en sorte que le récit puisse être raconté en 2h30 de film ?

Zack Snyder : A partir de ce que j’ai filmé ?

Oui.

Zack Snyder : Vous savez, le processus qui vous amène de la version « Director’s cut » du film qui dure trois heures à la version de 2h30 qui sera distribuée en salles est assez long et progressif. Le studio a tendance à penser que c’est l’intrigue - en l’occurrence dans « Watchmen », l’enquête autour de l’assassinat des anciens justiciers – qu’il faut préserver à tout prix. Plusieurs responsables du studio m’ont dit « Il faut absolument se concentrer sur l’enquête de Rorschach ! » Ce à quoi j’ai répondu « Mais on s’en fiche ! Ce n’est pas l’essentiel, on y viendra de toutes manière un peu plus tard ! » (rires) Ce qui m’intéressait le plus, c’étaient les relations entre les personnages, leurs sentiments. Je crois que la réaction du studio était due à leur volonté de produire un « film de superhéros » alors que « Watchmen » est tout sauf un récit classique de superhéros. Il déconstruit le genre et propose une réflexion philosophique sur le rôle des justiciers dans la société américaine. Ils ont longtemps espéré que le film puisse bénéficier seulement d’une interdiction aux moins de 13 ans (PG 13), alors que ce que nous avons filmé ne le permet absolument pas ! (rires) Mais je dois dire que le studio s’est bien comporté et a compris notre démarche. Nous ne pouvions pas aborder « Watchmen » comme une accumulation de scènes dans lesquelles de grands types musclés en costumes allaient se battre en dévastant tout sur leur passage !

Vous avez été contraint de couper les passages de la BD pendant lesquels un personnage lit un comics d’horreur consacré aux aventures d’un pirate « The Black Freighter »….

Zack Snyder : Je me plais à penser que j’ai un peu triché pour inciter le studio à produire « The Black Freighter » (rires) Je leur ai d’abord dit « Eh, ce serait super de produire une version en dessin animé des aventures de Black Freighter ! Ça ferait un super bonus à ajouter dans le DVD ! ». Le studio a donc produit le dessin animé, et ça m’a permis de m’en emparer pour l’intégrer à une version Director’s cut qui dure alors 3h30.

Dave Gibbons : Je dois dire que pour ma part, les moments de « Watchmen » que je préfère sont ceux pendant lesquels on découvre la vie privée des personnages, leurs tourments, leurs émotions. J’ai retrouvé ces scènes dans le film, et même si les séquences d’action sont très bien réalisées, je dois dire que j’apprécie davantage les scènes où l’on comprend les motivations des personnages, les raisons qui les ont poussés à agir.

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